Vue lecture

Des “mini-podcasts” à écouter [en]

[en]

Après l’introduction d’hier (enfin à l’heure de publication, c’est avant-hier), venons-en au menu principal: une collection de podcasts en série limitée, type documentaire en x épisodes, surtout en anglais (parce qu’il y en a moins en français, tout simplement). A écouter, bien sûr. Je ne les ai pas mis dans un ordre particulier, juste comme ça vient.

Mon corps électrique
Après un accident suite auquel il se retrouve tétraplégique, Arnaud prend part à une étude médicale dans l’espoir de retrouver un peu de mobilité dans son bras gauche. En même temps journaliste et sujet, il nous emmène avec lui au fil de sept épisodes pour nous questionner sur la médecine, le handicap, l’espoir, les limites, le deuil, le corps, la vie. (Voir aussi mon article Mais sérieux, le suivi psy?)

Soleil noir, autopsie d’une secte
Si vous avez mon âge ou plus, vous vous souvenez de l’Ordre du Temple Solaire. Ce podcast revient sur cette tragique histoire, en détail, et ce faisant, montre à quel point tout un chacun peut se retrouver victime d’emprise. Glaçant et fascinant.

Précipice
Sept épisodes. Sept vies qui basculent. On peut voir ce podcast somme un prélude stylistique à Mon corps électrique: l’épisode 7, c’est Arnaud.

No Easy Fix
Trois épisodes sur le sans-abrisme, l’addiction, et la réalité du parcours pour sortir de la rue à San Francisco.

Scripts
Ce podcast explore comment l’explication “physiologique” est devenue dominante aux USA pour la santé mentale, et ce que ça a eu comme impact sur le rapport qu’on a aux médicaments psychotropes. Egalement en trois épisodes.

The Missing Cryptoqueen
Dans le genre True Crime qui n’a rien à envier à un triller fictionnel: douze épisodes d’enquête sur une crypto-arnaque à grand échelle menée par une charismatique entrepreneuse qui finit par se volatiliser.

S-Town
J’ai écouté ce podcast il y a longtemps et je ne me souviens plus clairement du contenu. L’impression qu’il m’a fait, par contre, est bien clair. C’était prenant, intriguant, surprenant, et très bien raconté.

The Kids of Rutherford County
Quelque part aux USA, on met en taule des gosses aussi jeunes que 8 ans pour des bagarres de cour de récréation. Comment est-ce qu’on en est arrivé à ça? Et qu’est-ce qu’il a fallu pour sortir de cette dystopie?

The Preventionist
Amener son enfant à l’hôpital pour un commun accident domestique, une chute par exemple, et se retrouver non seulement accusé de maltraitance mais perdre la garde. Un cauchemar parental qui se répète année après année dans un coin de Pennsylvanie. Quand la protection de l’enfance finit par briser des familles innocentes et traumatiser ceux-là mêmes qu’elle est supposée protéger.

Un aparté, à ce stade: vous allez vous dire que je n’écoute que des trucs glauques et déprimants. C’est peut-être un peu vrai. Ce qui m’intéresse dans toutes ces histoires, c’est l’autopsie de systèmes qui dysfonctionnent. Comment les bonnes intentions créent-elles l’enfer institutionnalisé? Comment des personnes se retrouvent-elles prises dans des rôles où elles contribuent à rendre misérable la vie d’autrui? Que faut-il pour réparer nos systèmes défectueux, qu’ils soient politiques, médicaux, administratifs, sociaux, politiques, ou autre? Comment réussit-on (ou échoue-t-on) à réparer ce qui semble irrémédiablement cassé dans notre monde?

The Good Whale
Vous vous souvenez de “Sauvez Willy”? Derrière le film qui a ému les coeurs, il y a la vraie histoire, nettement plus compliquée, de Keiko – l’orque que l’on voit dans le film. Dans le genre enfer pavé de bonnes intentions, on est pas mal.

The Cat Drug Black Market (partie II, partie III)
La PIF est une maladie auparavant incurable chez le chat. C’est la maladie qui avait emporté Safran. Depuis quelques années, un traitement existe – efficace, mais disponible uniquement au marché noir. Des vétérinaires, mains liées par l’absence de traitement autorisé pour cette maladie sinon mortelle, se retrouvent à “suggérer” à leurs clients d’aller chercher de l’aide dans des groupes facebook. Ces trois épisodes retracent l’histoire de ce traitement, des communautés qui ont sauvé des milliers de chats, et de comment on s’est retrouvés dans cette situation abracadabrante.

Articles of Interest
Une mini-série sur les vêtements que l’on porte. Autant les questions vestimentaires m’intéressent peu, autant j’ai trouvé ces épisodes fascinants. Ce n’est pas étonnant, puisque cette série vient de 99% Invisible, un podcast qui a le don de rendre passionnants des sujets qui de prime abord peuvent paraître bien fades. AoI est par la suite devenu un podcast à part entière.

Master: The Allegations Against Neil Gaiman
Un auteur populaire et adoré est accusé d’abus sexuels par plusieurs femmes. Il nie en bloc. Une enquête dont j’ai apprécié la nuance, sur un sujet extrêmement inconfortable. (Je note juste là que Tortoise a d’autres séries d’investigation, je vais les mettre dans ma liste à écouter!)

Serial (saison 1)
Le podcast qui a lancé le genre, en 2014. Du True Crime pur et dur: Adnan Syed est derrière les barreaux depuis l’âge de 17 ans, accusé d’avoir tué Hae Min Lee, sa camarade de classe et ex-copine. Il clame son innocence, certains le croient, d’autres pas. La journaliste Sarah Koenig découvre que l’histoire est nettement plus compliquée que ce qu’il y paraît de prime abord.

Et ici je m’interromps à nouveau. Serial a lancé le genre, et continué. J’ai cité ci-dessus S-Town, The Kids of Rutherford County, The Preventionist, The Good Whale – tout ça, c’est Serial. Mais je découvre en faisant ce listing que suite au rachat de Serial par le New York Times, tout un tas d’épisodes de saisons passées sont maintenant réservées aux abonnés. Pas cool. Du coup, je vais bricoler un peu pour vous.

The Trojan Horse Affair
Le lien ci-dessus ne mène pas à la page officielle de ce podcast, mais au moins, il vous donne accès à tous les épisodes. Vous l’aurez deviné: une production Serial. On se rend cette fois à Birmingham, sur les traces d’un scandale qui a secoué l’Angleterre dix ans auparavant. Lettre anonyme, islamophobie et théorie du complot.

The Retrievals
Aussi une production Serial. Deux saisons difficiles à écouter sur la non prise en compte de la douleur des femmes dans le milieu médical. La première nous plonge dans une clinique de PMA où durant des années, une infirmière piquait dans le fentanyl utilisé comme antidouleur pour les patientes durant les interventions – le remplaçant avec une solution physiologique. Vous imaginez les conséquences pour les patientes, mais peut-être pas à quel point le monde médical est construit pour ignorer une femme qui dit qu’elle a mal. La deuxième saison porte sur les césariennes, et est plus porteuse d’espoir, car elle nous raconte comment une personne a pu mettre en route une véritable prise de conscience à l’intérieur de sa profession et faire bouger des pratiques médicales désuètes.

Dolly Parton’s America
En écoutant ce podcast, j’ai découvert la femme extraordinaire qu’est Dolly Parton. Je n’avais aucune idée. Et c’est possible que vous non plus.

Dead End: A New Jersey Political Murder Mystery
Le podcast a pris son envol et changé de nom, mais la première saison se penche sur le meurtre des Sheridan et les machinations politiques qui y sont liées.

The Making of Musk
En fait la 6e saison du podcast Understood, ces 4 épisodes nous racontent les origines biographiques et idéologiques d’Elon Musk. Eclairant.

The Disappearance of Nuseiba Hasan
Comme le podcast précédent, celui-ci est également une saison d’un podcast plus large. La troisième saison de Conviction, précisément. C’est chez Spotify, donc quasi impossible de faire un lien propre vers la saison, d’où le lien ci-dessus sur le premier épisode. Une enquête sur la disparition d’une femme que sa famille signale… des années après sa disparition.

Tiny Huge Decisions
Deux amis, Mohsin et Dalia. Ils sont les deux mariés. Elle a eu son premier enfant récemment. Lui souhaite également fonder une famille, avec son mari. Une discussion délicate, que l’on suit au fil des épisodes, où ils réfléchissent, ensemble et séparément, à une décision lourde de conséquences: va-t-elle lui proposer de porter son enfant? Ce podcast aborde avec finesse la question de la gestation pour autrui, mais pas que. Amitié, dialogue, religion, homosexualité, couple… la palette est large. Les protagonistes sont attachants, lucides, et courageux.

The Protocol
Une reportage en six parties sur la façon dont on approche la question de la transidentité chez les jeunes, enfants et ados, partant d’un protocole hollandais dont on suit l’application et l’interprétation outre-Atlantique. Un traitement très nuancé d’un sujet qui a tendance à polariser.

Pour terminer, deux recommandations un poil à part. Will Be Wild, d’abord, une enquête sur la genèse et la préparation de l’assaut du Capitole du 6 janvier. Malheureusement, l’intégralité des épisodes n’est plus disponible sans abonnement payant. Ensuite, les mini-séries de On The Media, podcast que j’écoute depuis des années. Au fil du temps ils ont produit des mini-séries sur tout un tas de sujets, allant de la pauvreté à l’histoire de la radio conservatrice. Ils en valent tous la peine.

Voilà, je crois que vous avez de quoi vous occuper avec tout ça!

  •  

De l’impunité du vol d’identité

Dans la dernière newsletter d’Algorithm Watch, le journaliste Nicolas Kayser-Bril revient sur la production par un magazine bulgare d’articles génératifs qui lui étaient attribués. Ce qu’il montre, c’est que les mécanismes de réclamation dysfonctionnent. Google lui a demandé de prouver qu’il ne travaillait pas pour ce magazine (!) et a refusé de désindexer les articles. L’autorité de protection des données allemande a transmis sa demande à son homologue bulgare, sans réponse. Le seul moyen pour mettre fin au problème a été de contacter un avocat pour qu’il produise une menace à l’encontre du site, ce qui n’a pas été sans frais pour le journaliste. La « législation sur la protection des données, comme le RGPD, n’a pas été d’une grande aide ».

Ceux qui pratiquent ces usurpations d’identité, qui vont devenir très facile avec l’IA générative, n’ont pour l’instant pas grand chose à craindre, constate Kayser-Bril.

  •  

« L’IA générative est un désastre social »

« Les industriels de l’IA ont habilement orienté le débat sur l’IA générative vers leurs propres intérêts, en nous expliquant qu’elle était une technologie transformatrice qui améliore de nombreux aspects de notre société, notamment l’accès aux soins de santé et à l’éducation ». Mais plutôt que prendre au sérieux les vraies critiques (notamment le fait que ces technologies ne soient pas si transformatrices qu’annoncées et qu’elles n’amélioreront ni l’accès au soin ni l’accès à l’éducation), les géants de l’IA ont préféré imposer leur propre discours sur ses inconvénients : à savoir, celui de la menace existentielle, explique clairement Paris Marx sur son blog. Ce scénario totalement irréaliste a permis de mettre de côté les inquiétudes bien réelles qu’impliquent le déploiement sans mesure de l’IA générative aujourd’hui (comme par exemple, le fait qu’elle produise des « distorsion systémique » de l’information selon une étude de 22 producteurs d’information de services publics).

En Irlande, à quelques jours des élections présidentielles du 24 octobre, une vidéo produite avec de l’IA a été diffusée montrant Catherine Connolly, la candidate de gauche en tête des sondages, annoncer qu’elle se retirait de la course, comme si elle le faisait dans le cadre d’un reportage d’une des chaînes nationales. La vidéo avait pour but de faire croire au public que l’élection présidentielle était déjà terminée, sans qu’aucun vote n’ait été nécessaire et a été massivement visionnée avant d’être supprimée. 

Cet exemple nous montre bien que nous ne sommes pas confrontés à un risque existentiel où les machines nous subvertiraient, mais que nous sommes bel et bien confrontés aux conséquences sociales et bien réelles qu’elles produisent. L’IA générative pollue l’environnement informationnel à tel point que de nombreuses personnes ne savent plus distinguer s’il s’agit d’informations réelles ou générées. 

Les grandes entreprises de l’IA montrent bien peu de considération pour ses effets sociaux. Au lieu de cela, elles imposent leurs outils partout, quelle que soit leur fiabilité, et participent à inonder les réseaux de bidules d’IA et de papoteurs destinés à stimuler l’engagement, ce qui signifie plus de temps passé sur leurs plateformes, plus d’attention portée aux publicités et, au final, plus de profits publicitaires. 
En réponse à ces effets sociaux, les gouvernements semblent se concentrer sur la promulgation de limites d’âge afin de limiter l’exposition des plus jeunes à ces effets, sans paraître vraiment se soucier des dommages individuels que ces produits peuvent causer au reste de la population, ni des bouleversements politiques et sociétaux qu’ils peuvent engendrer. Or, il est clair que des mesures doivent être prises pour endiguer ces sources de perturbation sociale et notamment les pratiques de conception addictives qui ciblent tout le monde, alors que les chatbots et les générateurs d’images et de vidéos accélèrent les dégâts causés par les réseaux sociaux. Du fait des promesses d’investissements, de gains de productivité hypothétiques, les gouvernements sacrifient les fondements d’une société démocratique sur l’autel de la réussite économique profitant à quelques monopoles. Pour Paris Marx, l’IA générative n’est rien d’autre qu’une forme de « suicide social » qu’il faut endiguer avant qu’elle ne nous submerge. « Aucun centre de données géant ni le chiffre d’affaires d’aucune entreprise d’IA ne justifie les coûts que cette technologie est en train d’engendrer pour le public ».

  •  

Mon corps électrique

En 2022, Arnaud Robert est devenu tétraplégique. Dans un podcast en 7 épisodes pour la Radio-Télévision Suisse, il raconte sa décision de participer à une étude scientifique pour laquelle il a reçu un implant cérébral afin de retrouver le contrôle d’un de ses bras. Un podcast qui décortique le rapport à la technologie de l’intérieur, au plus intime, loin des promesses transhumanistes. « Être cobaye, cʹest prêter son corps à un destin plus grand que le sien ». Mais être cobaye, c’est apprendre aussi que les miracles technologiques ne sont pas toujours au-rendez-vous. Passionnant !

  •  

Syndicats : négociez les algorithmes !

Comment répondre à la gestion algorithmique du travail ? Tel est l’ambition du rapport « Negotiating the Algorithm » publié par la Confédération européenne des syndicats sous la direction du journaliste indépendant Ben Wray, responsable du Gig Economy Project de Brave New Europe. Le rapport décrit la prédominance des logiciels managériaux au travail (qui seraient utilisés par plus de 79% des entreprises de l’Union européenne) et les abus qui en découlent et décrit les moyens de riposte mobilisables par les travailleurs en lien notamment avec la nouvelle législation européenne des travailleurs des plateformes. La gestion algorithmique confère aux employeurs des avantages informationnels considérables sur les travailleurs, leur permet de contourner les conventions collectives et de modifier les conditions de travail et les salaires de chaque travailleur voire de chaque poste. Elle leur permet d’espionner les travailleurs même en dehors de leurs heures de travail et leur offre de nombreuses possibilités de représailles. 

En regard, les travailleurs piégés par la gestion algorithmique sont privés de leur pouvoir d’action et de leurs possibilités de résolution de problèmes, et bien souvent de leurs droits de recours, tant la gestion algorithmique se déploie avec de nombreuses autres mesures autoritaires, comme le fait de ne pouvoir joindre le service RH. 

Il est donc crucial que les syndicats élaborent une stratégie pour lutter contre la gestion algorithmique. C’est là qu’intervient la directive sur le travail de plateforme qui prévoit des dispositions assez riches, mais qui ne sont pas auto-exécutoires… C’est-à-dire que les travailleurs doivent revendiquer les droits que la directive propose, au travail comme devant les tribunaux. Or, elle permet aux travailleurs et à leurs représentants d’exiger des employeurs des données exhaustives sur les décisions algorithmiques, du licenciement au calcul du salaire. 

Bien souvent ces données ne sont pas rendues dans des formats faciles à exploiter, constate Wray : le rapport encourage donc les syndicats à constituer leurs propres groupes d’analyses de données. Le rapport plaide également pour que les syndicats développent des applications capables de surveiller les applications patronales, comme l’application UberCheats, qui permettait de comparer le kilométrage payé par Uber à ses livreurs par rapport aux distances réellement parcourues (l’application a été retirée en 2021 au prétexte de son nom à la demande de la firme Uber). En investissant dans la technologie, les syndicats peuvent combler le déficit d’information des travailleurs sur les employeurs. Wray décrit comment les travailleurs indépendants ont créé des « applications de contre-mesure » ​​qui ont documenté les vols de salaires et de pourboires (voir notre article “Réguler la surveillance au travail”), permis le refus massif d’offres au rabais et aidé les travailleurs à faire valoir leurs droits devant les tribunaux. Cette capacité technologique peut également aider les organisateurs syndicaux, en fournissant une plateforme numérique unifiée pour les campagnes syndicales dans tous les types d’établissements. Wray propose que les syndicats unissent leurs forces pour créer « un atelier technologique commun » aux travailleurs, qui développerait et soutiendrait des outils pour tous les types de syndicats à travers l’Europe. 

Le RGPD confère aux travailleurs de larges pouvoirs pour lutter contre les abus liés aux logiciels de gestion, estime encore le rapport. Il leur permet d’exiger le système de notation utilisé pour évaluer leur travail et d’exiger la correction de leurs notes, et interdit les « évaluations internes cachées ». Il leur donne également le droit d’exiger une intervention humaine dans les prises de décision automatisées. Lorsque les travailleurs sont « désactivés » (éjectés de l’application), le RGPD leur permet de déposer une « demande d’accès aux données » obligeant l’entreprise à divulguer « toutes les informations personnelles relatives à cette décision », les travailleurs ayant le droit d’exiger la correction des « informations inexactes ou incomplètes ». Malgré l’étendue de ces pouvoirs, ils ont rarement été utilisés, en grande partie en raison de failles importantes du RGPD. Par exemple, les employeurs peuvent invoquer l’excuse selon laquelle la divulgation d’informations révélerait leurs secrets commerciaux et exposerait leur propriété intellectuelle. Le RGPD limite la portée de ces excuses, mais les employeurs les ignorent systématiquement. Il en va de même pour l’excuse générique selon laquelle la gestion algorithmique est assurée par un outil tiers. Cette excuse est illégale au regard du RGPD, mais les employeurs l’utilisent régulièrement (et s’en tirent impunément). 

La directive sur le travail de plateforme corrige de nombreuses failles du RGPD. Elle interdit le traitement des « données personnelles d’un travailleur relatives à : son état émotionnel ou psychologique ; l’utilisation de ses échanges privés ; la captation de données lorsqu’il n’utilise pas l’application ; concernant l’exercice de ses droits fondamentaux, y compris la syndicalisation ; les données personnelles du travailleur, y compris son orientation sexuelle et son statut migratoire ; et ses données biométriques lorsqu’elles sont utilisées pour établir son identité. » Elle étend le droit d’examiner le fonctionnement et les résultats des « systèmes décisionnels automatisés » et d’exiger que ces résultats soient exportés vers un format pouvant être envoyé au travailleur, et interdit les transferts à des tiers. Les travailleurs peuvent exiger que leurs données soient utilisées, par exemple, pour obtenir un autre emploi, et leurs employeurs doivent prendre en charge les frais associés. La directive sur le travail de plateforme exige une surveillance humaine stricte des systèmes automatisés, notamment pour des opérations telles que les désactivations. 

Le fonctionnement de leurs systèmes d’information est également soumis à l’obligation pour les employeurs d’informer les travailleurs et de les consulter sur les « modifications apportées aux systèmes automatisés de surveillance ou de prise de décision ». La directive exige également que les employeurs rémunèrent des experts (choisis par les travailleurs) pour évaluer ces changements. Ces nouvelles règles sont prometteuses, mais elles n’entreront en vigueur que si quelqu’un s’y oppose lorsqu’elles sont enfreintes. C’est là que les syndicats entrent en jeu. Si des employeurs sont pris en flagrant délit de fraude, la directive les oblige à rembourser les experts engagés par les syndicats pour lutter contre les escroqueries. 

Wray propose une série de recommandations détaillées aux syndicats concernant les éléments qu’ils devraient exiger dans leurs contrats afin de maximiser leurs chances de tirer parti des opportunités offertes par la directive sur le travail de plateforme, comme la création d’un « organe de gouvernance » au sein de l’entreprise « pour gérer la formation, le stockage, le traitement et la sécurité des données. Cet organe devrait inclure des délégués syndicaux et tous ses membres devraient recevoir une formation sur les données. » 

Il présente également des tactiques technologiques que les syndicats peuvent financer et exploiter pour optimiser l’utilisation de la directive, comme le piratage d’applications permettant aux travailleurs indépendants d’augmenter leurs revenus. Il décrit avec enthousiasme la « méthode des marionnettes à chaussettes », où de nombreux comptes tests sont utilisés pour placer et réserver du travail via des plateformes afin de surveiller leurs systèmes de tarification et de détecter les collusions et les manipulations de prix. Cette méthode a été utilisée avec succès en Espagne pour jeter les bases d’une action en justice en cours pour collusion sur les prix. 

Le nouveau monde de la gestion algorithmique et la nouvelle directive sur le travail de plateforme offrent de nombreuses opportunités aux syndicats. Cependant, il existe toujours un risque qu’un employeur refuse tout simplement de respecter la loi, comme Uber, reconnu coupable de violation des règles de divulgation de données et condamné à une amende de 6 000 € par jour jusqu’à sa mise en conformité. Uber a maintenant payé 500 000 € d’amende et n’a pas divulgué les données exigées par la loi et les tribunaux. 

Grâce à la gestion algorithmique, les patrons ont trouvé de nouveaux moyens de contourner la loi et de voler les travailleurs. La directive sur le travail de plateforme offre aux travailleurs et aux syndicats toute une série de nouveaux outils pour contraindre les patrons à jouer franc jeu. « Ce ne sera pas facile, mais les capacités technologiques développées par les travailleurs et les syndicats ici peuvent être réutilisées pour mener une guerre de classes numérique totale », s’enthousiasme Cory Doctorow.

  •  

Les podcasts et moi [en]

[en]

Les podcasts et moi c’est une longue, longue histoire. Pour la petite histoire, je connais personnellement (déjà à l’époque) une des personnes-clés impliquées dans l’invention de ce mode de distribution du contenu audio. Comme pour WordPress, Twitter ou Instagram, c’est marrant de voir ces médias ou plateformes qui sont si “grand public” aujourd’hui et de me souvenir du monde où ça n’existait pas, et de les avoir vu naître et grandir.

Ah, nostalgie… Les podcasts, j’ai donc découvert ça au fur et à mesure que ça s’est mis à exister, même si, visiblement, en 2005 je n’étais pas convaincue. En 2007 toutefois, après avoir tâtonné à quelques reprises avec la publication audio/vidéo sur mon blog, j’enregistre avec une amie une poignée d’épisodes: Fresh Lime Soda. Puis assez vite, je me suis mise à écouter énormément de podcasts. C’est encore le cas.

Le podcast, au début, c’était des enregistrements de gens qui parlaient. Je sais qu’un des premiers que j’écoutais, c’était This Week in Tech (TWiT). Je me souviens du choc que j’ai eu quand j’ai découvert Radiolab: c’était construit, monté, recherché – de véritables documentaires audio. Une révélation. Je pense que c’était en 2008 ou 2009. C’était en tous cas assez tôt pour que je me retrouve rapidement à avoir épuisé tout leur back catalog. En 2010, je rajoute un deuxième podcast à mes habitudes d’écoute: On The Media. Quelque part aux alentours de cette époque, je découvre dans un tout autre genre The Savage Lovecast (18+ je vous préviens). Puis c’est l’explosion de ma liste d’écoute, et je me retrouve rapidement à ne plus réussir à écouter tous les nouveaux épisodes des podcasts auxquels je suis abonnée à mesure qu’ils sortent.

Mon but aujourd’hui n’était en fait pas de plonger dans des réminiscences historiques, mais de vous donner une liste de recommandations de podcasts à écouter. En particulier, de podcasts “série limitée”, souvent des enquêtes ou des documentaires sur un sujet précis, qui font x épisodes et c’est tout. Le premier à avoir lancé le genre, à ma connaissance, c’était Serial. A la sortie de la première saison, en 2014, “tout le monde” en parlait. Le podcast est encore actif, et il vaut bien la peine d’écouter toutes les saisons.

Pendant très, très longtemps, je désespérais de trouver des podcasts en français dont la qualité, tant pour ce qui était du contenu et de la production, pouvait rivaliser avec les podcasts américains que j’avais l’habitude d’écouter. On m’en recommandait, mais la posture journalistique classique du narrateur soit entièrement absent, soit “objectif et neutre”, désincarné, ça me hérissait le poil.

J’ai fait des études en sciences humaines. La notion d’observation participante était centrale, on mangeait la phénoménologie au petit déj, et en plus de ça, je me suis construite toute jeune adulte déjà en tant que blogueuse.

Le blog, au-delà du format de publication, c’est une culture de la parole publique dans laquelle le “je” qui observe, expérimente et interprète le monde fait partie intégrante du discours qu’il produit. Sans lui, rien ne peut être pensé ou dit – il serait malhonnête de vouloir l’invisibiliser. Et même s’il peut vouloir tendre à une certaine objectivité, ce locuteur-narrateur colore inévitablement de son regard singulier tout ce qu’il a à dire. Rendre compte de cette subjectivité en lui donnant une place dans le texte produit, c’est au final offrir au lecteur plus de clés pour en traiter le contenu, pour l’interpréter.

Dans les podcasts que j’écoute, même quand il s’agit d’une enquête, il y a un “je” qui raconte, qui ne se cantonne pas à un rôle, mais qui ose être une personne. C’est notre proxy dans l’histoire, et l’histoire qu’il raconte est aussi son histoire, aux prises avec l’histoire qu’il veut nous raconter. Ça fait beaucoup d’histoires, pas toutes au même niveau.

Depuis quelques années, on commence enfin à voir ce type de posture dans des podcasts francophones, accompagnée d’une haute qualité de production. On a Meta de Choc (même si selon les sujets on retombe un peu dans “l’objectivité journalistique”) et Dingue, par exemple. Et plus récemment, de manière beaucoup plus marquée et avec un format “x épisodes pour couvrir un sujet”, Mon corps électrique.

Je salue cette évolution.

La liste de recommandations que j’avais l’intention de mettre à votre disposition ce soir, ce sera donc pour une autre fois, ma petite introduction s’étant transformée en longue digression prenant toute la place.

En attendant, vous pouvez vous pencher sur des recommandations d’écoute que j’ai faites par le passé, en fouinant dans les articles de ce blog tagués “podcast”. Bonne lecture, bonne écoute, et à bientôt!

  •  

Dérégulation de l’IA ? Pas vraiment !

Dans une tribune pour le Guardian, les chercheuses Sacha Alanoca et Maroussia Levesque estiment que si le gouvernement américain adopte une approche non interventionniste à l’égard des applications d’IA telles que les chatbots et les générateurs d’images, il est fortement impliqué dans les composants de base de l’IA. « Les États-Unis ne déréglementent pas l’IA ; ils réglementent là où la plupart des gens ne regardent pas ». En fait, expliquent les deux chercheuses, les régulations ciblent différents composants des systèmes d’IA. « Les premiers cadres réglementaires, comme la loi européenne sur l’IA, se concentraient sur les applications à forte visibilité, interdisant les utilisations à haut risque dans les domaines de la santé, de l’emploi et de l’application de la loi afin de prévenir les préjudices sociétaux. Mais les pays ciblent désormais les éléments constitutifs de l’IA. La Chine restreint les modèles pour lutter contre les deepfakes et les contenus inauthentiques. Invoquant des risques pour la sécurité nationale, les États-Unis contrôlent les exportations des puces les plus avancées et, sous Biden, vont jusqu’à contrôler la pondération des modèles – la « recette secrète » qui transforme les requêtes des utilisateurs en résultats ». Ces réglementations sur l’IA se dissimulent dans un langage administratif technique, mais derrière ce langage complexe se cache une tendance claire : « la réglementation se déplace des applications de l’IA vers ses éléments constitutifs».

Les chercheuses dressent ainsi une taxonomie de la réglementation. « La politique américaine en matière d’IA n’est pas du laisser-faire. Il s’agit d’un choix stratégique quant à l’endroit où intervenir. Bien qu’opportun politiquement, le mythe de la déréglementation relève davantage de la fiction que de la réalité ». Pour elles, par exemple, il est difficile de justifier une attitude passive face aux préjudices sociétaux de l’IA, alors que Washington intervient volontiers sur les puces électroniques pour des raisons de sécurité nationale.

  •  

Zohran Mamdani, la terreur de la droite

Sans surprise, la droite québécoise suit la droite américaine et la droite française dans leur campagne de calomnie contre Zohran Mamdani, le nouveau maire de New York. Visiblement il n’est pas possible de critiquer cet homme honnêtement, donc ses détracteurs doivent recourir à l’exagération excessive et au mensonge pur. Les commentateurs de Québecor multiplient les tirs groupés depuis une semaine.

Richard Martineau mord à pleines dents dans la théorie du complot voulant que Mamdani soit un islamiste déguisé. Vous savez, ces islamistes dont l’épouse ne porte pas de voile, qui demandent que les soins de transition de genre soient assumés par l’État, qui encouragent les femmes à intégrer le marché du travail et à atteindre l’autonomie financière et qui font la tournée des bars gais pendant leur campagne électorale? Mamdani en est un. On n’a plus les islamistes qu’on avait. Martineau a également relayé, via la soi-disant experte de l’islam radical Florence Bergeaud-Blackler, un faux communiqué du groupe État islamique qui revendiquait comme une victoire l’élection de Mamdani.

Mamdani condamne le génocide à Gaza, donc forcément on l’accuse d’être pro-Hamas et antisémite. Selon le chroniqueur Luc Laliberté, ses positions vont l’empêcher d’être le maire de « tous les New-yorkais ». Personnellement, ce que je trouve antisémite, c’est de sous-entendre jour après jour que tous les Juifs veulent exterminer les G4zaouis. C’est faux. Et non, tous les Juifs ne reçoivent pas comme une attaque personnelle toute critique du gouvernement criminel de Netanyahou.

Aussi, Mamdani s’est fait prendre en photo avec l’imam Siraj Wahhaj, qui était soupçonné d’être lié aux attentats du World Trade Center en 1993. Horrible, n’est-ce pas? Martineau et d’autres accusent Mamdani d’avoir des « accointances douteuses ». Ce qu’ils ne mentionnent jamais, c’est que Wahhaj n’a jamais été accusé. 25 ans plus tard, les procureurs ont reconnu avoir ratissé un peu trop large dans leur enquête. Mamdani s’est fait photographier avec Wahhaj de la même façon que René Lévesque s’est déjà fait photographier avec des gens qui ont été arrêtés pendant la crise d’Octobre. Il n’y a aucune honte à fréquenter des gens accusés faussement.

Un type qui se fait passer pour un analyste politique à Qub Radio nous disait notamment que le programme de Mamdani contient des idées « très très très à gauche », « déconnectées », « de la gauche radicale », telles que… le transport en commun gratuit. Pensez-vous qu’il sait qu’au Canada nous avons l’assurance-santé universelle? Je le mentionne parce que ça m’a fait sourire, mais ça n’a rien de surprenant. Pour cette nouvelle droite décomplexée, toute forme de programme social appartient désormais à la « gauche radicale ». Ce même pseudo-analyste reproche à Mamdani de dénoncer l’islamophobie et d’encourager le « communautarisme » en disant que les musulmans ne devraient pas avoir peur de s’afficher en public. « Dans la ville du 11 septembre, rappelons-le. C’est quand même culotté! » (J’imagine que les hommes auraient tous dû disparaître de l’espace public pour 25 ans après la tuerie de Polytechnique) Le type reproche à Mamdani ses déclarations « piquantes » qui le rangent dans la gauche « très fâchée, très extrême ». Richard Martineau lui demande « quelles déclarations par exemple? » « Ah, ben, on les connaît », répond évasivement le pseudo-analyste. Non, justement. On ne les connaît pas. C’est la raison pour laquelle l’animateur vous pose des questions. Bref, beaucoup d’accusations, mais rien de concret.

Mathieu Bock-Côté, fidèle à son habitude, multiplie les accusations gratuites, sans jamais fournir un seul fait, une seule source. Les hausses de taxes de Mamdani ne toucheront pas uniquement les riches, mais « les gens ordinaires qui sont parvenus à se construire une petite prospérité ». Le but « caché » de ces hausses de taxes, de cette « taxation raciale », est de ruiner les Blancs. Bock-Côté pige directement dans le discours trumpiste en nous disant que Mamdani est « favorable à l’immigration illégale ». On ne peut pas être favorable à « l’immigration illégale », pas plus qu’au crime en général. Si le gouvernement accepte l’immigration, elle est forcément légale.

La palme de la calomnie revient à Nathalie Elgrably, qui accuse Mamdani de s’inspirer de Lénine et qui le soupçonne de vouloir tuer des dizaines de millions de personnes comme les communistes russes et chinois. Mais passons. Elgrably considère que le nazisme est une idéologie de gauche parce qu’il y a le mot « socialisme » dans le nom du parti, donc il ne faut pas s’attendre à une grande rigueur intellectuelle de sa part.

Ce qui me déçoit davantage, c’est la réaction de Luc Laliberté, dont j’apprécie généralement les analyses sans être toujours d’accord. Dans sa chronique du 22 octobre 2025, il accusait Mamdani d’être « populiste », sans l’expliquer. Si je comprends bien, le populisme de Mamdani consiste à « mettre les besoins des New-Yorkais de l’avant », parler de « ce dont on veut entendre parler » et expliquer aux New-Yorkais « comment peut-il les aider dans leur vie quotidienne ». C’est mal de dire ça? En fait, n’est-ce pas précisément la responsabilité d’un maire?

Mais dans une intervention à l’émission de Richard Martineau, Laliberté a carrément qualifié Mamdani de « Trump de la gauche ». Les deux hommes incarneraient les deux faces, gauche et droite, d’un même populisme. Je n’ai pas compris son raisonnement. L’un veut éliminer les « immigrants illégaux », les personnes trans, les wokes et ses adversaires démocrates de manière générale. L’autre veut sortir les gens de la misère ou de la précarité. Et contrairement à Trump, Mamdani n’a pas fabriqué d’épouvantail pour inventer une cause imaginaire aux problèmes de ses électeurs. En quoi sont-ils comparables? Je ne le saurai probablement jamais puisque Laliberté n’a pas élaboré.

Ce discours qui se veut centriste et modéré tente en réalité de rendre la gauche infréquentable en nous présentant la social-démocratie comme un excès aussi condamnable que la droite trumpienne. Je n’ai pas entendu beaucoup de commentateurs qualifier François Legault de « radical » lorsqu’il demandait au fédéral de déporter 80 000 demandeurs d’asile. Mais ils sont nombreux à affirmer que Mamdani est un radical parce qu’il croit que tous les habitants de la ville la plus riche du monde devraient être capable de se loger et de se nourrir. On comprend mieux que plusieurs qu’un parti modéré comme Québec solidaire appartienne à la « gauche radicale ». Cette campagne de diffamation contre Zohran Mamdani est un avant-goût de ce qui nous attend aux prochaines élections.

  •  

Mais sérieux, le suivi psy? [en]

[en]

Depuis hier j’écoute, scotchée, le podcast “Mon corps électrique” d’Arnaud Robert. Ecoutez-le, vous ne regretterez pas. C’est du grand podcast, tant sur le fond que sur la forme, qui n’a rien à envier à mes “références” anglo-saxonnes. Chapeau.

Je dois réagir au sujet qui fait surface dans l’épisode 6 (mais commencez au début, hein, écoutez tout). L’accompagnement psychologique, ou plutôt, l’absence criante de celui-ci – à ce stade en tout cas du podcast. Et de ce que j’en ai compris, je précise bien. Si j’ai surinterprété, corrigez-moi.

Je suis estomaquée. Comment peut-on imaginer une seule minute qu’un entretien unique avec un psychiatre afin d’évaluer si un participant est suffisamment stable pour prendre part à une étude dont l’enjeu est de récupérer de la mobilité dans un membre paralysé puisse suffire en matière de prise en charge de l’aspect “santé mentale” d’une telle démarche? Comment peut-on imaginer laisser à des médecins le soin de l’accompagnement psychologique? Un médecin n’est pas un psychologue. Un psychiatre n’est pas un psychologue, ni nécessairement un psychothérapeute, tant qu’à faire. Traverser des mois et des mois, des heures par jour, au service de la science et dans l’espoir d’un miracle, si petit soit-il, comment peut-on imaginer laisser les personnes concernées gérer ça sans impliquer un ou des professionnels de la santé mentale?

Ça fait écho, chez moi, à deux choses.

La première, évidemment, c’est mon accident. Sans mesure de comparaison avec ce qui est arrivé à Arnaud, ne devant “que” me débattre avec un syndrome post-commotionnel, qui plus est avec un pronostic qui a toujours été celui de la récupération complète. Mais pendant tous ces longs mois depuis mi-mars, j’ai heureusement pu compter non seulement sur des séances hebdomadaires avec ma psychothérapeute (psychologue) – un suivi qui était déjà en place avant l’accident, mais qu’on songeait à espacer, des rencontres régulières avec mon psychiatre, dont on a doublé la fréquence par rapport à avant l’accident, et un coaching hebdomadaire spécialisé “commotion”, accompagnant le programme d’entrainement cognitif auquel m’avait adressé mon neurologue. Honnêtement, il a bien fallu tout ça pour m’aider à garder la tête hors de l’eau – et ça continue. Et avant d’avoir le suivi spécifique à ce que je traversais (le neurologue et le coaching), à savoir la récupération d’un syndrome post-commotionnel, malgré mes ressources, le fait que j’étais entourée, le soutien, les autres professionnels de la santé (médecins, physios…), je me sentais très désemparée et livrée à moi-même face à mes difficultés et peurs pour mon avenir.

Cet écho, pour dire: après un accident qui change la vie, que ce soit de façon très visible (Arnaud) ou très peu visible (moi), la santé mentale c’est d’office pas de la tarte. Et aussi, qu’un accompagnement psychologique, quel qu’en soit la qualité, n’en vaut pas un autre, et qu’il y a un sens à en avoir/fournir un spécifique à ce que la personne traverse (par exemple, il y a des psychologues spécialisés pour les personnes en attente de transplantation d’organe).

Le deuxième écho, plus parlant peut-être, c’est la PMA (procréation médicalement assistée). Là aussi, le corps/la personne “subit” le parcours médical, même si c’est voulu, choisi, désiré. Suite au suicide d’une amie cet été qui était justement dans ce type de démarche, j’avais creusé un peu. Même si ce n’est pas quelque chose auquel on penserait spontanément, je pense que ça ne surprendra personne si je vous dit qu’un échec de FIV est un facteur de risque suicidaire conséquent. Ça paraîtrait donc indiqué qu’un parcours PMA soit d’office doublé d’un suivi psy spécialisé? Qu’on prépare les patientes à gérer les échecs qui jalonneront quasi-inévitablement leur parcours, et la perspective d’un échec complet, d’un deuil à faire qu’on cherche désespérément à éviter? Qu’on les sensibilise à l’escalade d’engagement que représente ce processus?

C’est loin d’être le cas. La PMA, c’est un processus où on vend du rêve, de l’espoir, où on paie de son corps, de son temps, de son argent, de sa souffrance, dans l’espoir (parfois peu réaliste, suivant l’âge) de porter un enfant et devenir mère. On s’occupe du corps, et on les laisse se débrouiller avec les retentissements psychologiques.

Je range les échos et je reviens au podcast d’Arnaud et ce que l’écoute de cet épisode 6 en cours m’inspire. Je me dis qu’il semble y avoir, dans certains milieux médicaux, une naiveté extraordinaire concernant ce qui touche à la santé mentale. Je suis consternée. Consternée.

Note: ce billet a commencé sa vie en tant que “petit truc à vite partager sur Facebook“.

Allez, comme on est sur le blog, quelques liens en plus en rapport avec le podcast:

  •  

Journée APDEN

J’ai le plaisir et l’honneur d’être invité mardi prochain (18 Novembre) aux journées professionnelles de l’APDEN (Association des Professeurs Documentalistes de l’Education Nationale) pour y parler (en bonne compagnie) des enjeux liés à la modération, mais plus globalement à la circulation des idées, des faits ety des opinions, sur les réseaux et médias sociaux.

Une captation vidéo sera organisée, j’ignore si elle sera ensuite accessible publiquement mais si tel est le cas, je vous en donnerai bien sûr le lien.

 

  •  

Zohran Mamdani, la terreur de la droite

Sans surprise, la droite québécoise suit la droite américaine et la droite française dans leur campagne de calomnie contre Zohran Mamdani, le nouveau maire de New York. Visiblement il n’est pas possible de critiquer cet homme honnêtement, donc ses détracteurs doivent recourir à l’exagération excessive et au mensonge pur. Les commentateurs de Québecor multiplient les tirs groupés depuis une semaine.

Richard Martineau mord à pleines dents dans la théorie du complot voulant que Mamdani soit un islamiste déguisé. Vous savez, ces islamistes dont l’épouse ne porte pas de voile, qui demandent que les soins de transition de genre soient assumés par l’État, qui encouragent les femmes à intégrer le marché du travail et à atteindre l’autonomie financière et qui font la tournée des bars gais pendant leur campagne électorale? Mamdani en est un. On n’a plus les islamistes qu’on avait. Martineau a également relayé, via la soi-disant experte de l’islam radical Florence Bergeaud-Blackler, un faux communiqué du groupe État islamique qui revendiquait comme une victoire l’élection de Mamdani.

Mamdani condamne le génocide à Gaza, donc forcément on l’accuse d’être pro-Hamas et antisémite. Selon le chroniqueur Luc Laliberté, ses positions vont l’empêcher d’être le maire de “tous les New-yorkais”. Personnellement, ce que je trouve antisémite, c’est de sous-entendre jour après jour que tous les Juifs veulent exterminer les G4zaouis. C’est faux. Et non, tous les Juifs ne reçoivent pas comme une attaque personnelle toute critique du gouvernement criminel de Netanyahou.

Aussi, Mamdani s’est fait prendre en photo avec l’imam Siraj Wahhaj, qui était soupçonné d’être lié aux attentats du World Trade Center en 1993. Horrible, n’est-ce pas? Martineau et d’autres accusent Mamdani d’avoir des “accointances douteuses”. Ce qu’ils ne mentionnent jamais, c’est que Wahhaj n’a jamais été accusé. 25 ans plus tard, les procureurs ont reconnu avoir ratissé un peu trop large dans leur enquête. Mamdani s’est fait photographier avec Wahhaj de la même façon que René Lévesque s’est déjà fait photographier avec des gens qui ont été arrêtés pendant la crise d’Octobre. Il n’y a aucune honte à fréquenter des gens accusés faussement.

Un type qui se fait passer pour un analyste politique à Qub Radio nous disait notamment que le programme de Mamdani contient des idées “très très très à gauche”, “déconnectées”, “de la gauche radicale”, telles que… le transport en commun gratuit. Pensez-vous qu’il sait qu’au Canada nous avons l’assurance-santé universelle? Je le mentionne parce que ça m’a fait sourire, mais ça n’a rien de surprenant. Pour cette nouvelle droite décomplexée, toute forme de programme social appartient désormais à la “gauche radicale”. Ce même pseudo-analyste reproche à Mamdani de dénoncer l’islamophobie et d’encourager le “communautarisme” en disant que les musulmans ne devraient pas avoir peur de s’afficher en public. “Dans la ville du 11 septembre, rappelons-le. C’est quand même culotté!” (J’imagine que les hommes auraient tous dû disparaître de l’espace public pour 25 ans après la tuerie de Polytechnique) Le type reproche à Mamdani ses déclarations “piquantes” qui le rangent dans la gauche “très fâchée, très extrême”. Richard Martineau lui demande “quelles déclarations par exemple?” “Ah, ben, on les connaît”, répond évasivement le pseudo-analyste. Non, justement. On ne les connaît pas. C’est la raison pour laquelle l’animateur vous pose des questions. Bref, beaucoup d’accusations, mais rien de concret.

Mathieu Bock-Côté, fidèle à son habitude, multiplie les accusations gratuites, sans jamais fournir un seul fait, une seule source. Les hausses de taxes de Mamdani ne toucheront pas uniquement les riches, mais “les gens ordinaires qui sont parvenus à se construire une petite prospérité”. Le but “caché” de ces hausses de taxes, de cette “taxation raciale”, est de ruiner les Blancs. Bock-Côté pige directement dans le discours trumpiste en nous disant que Mamdani est “favorable à l’immigration illégale”. On ne peut pas être favorable à “l’immigration illégale”, pas plus qu’au crime en général. Si le gouvernement accepte l’immigration, elle est forcément légale.

La palme de la calomnie revient à Nathalie Elgrably, qui accuse Mamdani de s’inspirer de Lénine et qui le soupçonne de vouloir tuer des dizaines de millions de personnes comme les communistes russes et chinois. Mais passons. Elgrably considère que le nazisme est une idéologie de gauche parce qu’il y a le mot “socialisme” dans le nom du parti, donc il ne faut pas s’attendre à une grande rigueur intellectuelle de sa part.

Ce qui me déçoit davantage, c’est la réaction de Luc Laliberté, dont j’apprécie généralement les analyses sans être toujours d’accord. Dans sa chronique du 22 octobre 2025, il accusait Mamdani d’être “populiste”, sans l’expliquer. Si je comprends bien, le populisme de Mamdani consiste à “mettre les besoins des New-Yorkais de l’avant”, parler de “ce dont on veut entendre parler” et expliquer aux New-Yorkais “comment peut-il les aider dans leur vie quotidienne”. C’est mal de dire ça? En fait, n’est-ce pas précisément la responsabilité d’un maire?

Mais dans une intervention à l’émission de Richard Martineau, Laliberté a carrément qualifié Mamdani de “Trump de la gauche”. Les deux hommes incarneraient les deux faces, gauche et droite, d’un même populisme. Je n’ai pas compris son raisonnement. L’un veut éliminer les “immigrants illégaux”, les personnes trans, les wokes et ses adversaires démocrates de manière générale. L’autre veut sortir les gens de la misère ou de la précarité. Et contrairement à Trump, Mamdani n’a pas fabriqué d’épouvantail pour inventer une cause imaginaire aux problèmes de ses électeurs. En quoi sont-ils comparables? Je ne le saurai probablement jamais puisque Laliberté n’a pas élaboré.

Ce discours qui se veut centriste et modéré tente en réalité de rendre la gauche infréquentable en nous présentant la social-démocratie comme un excès aussi condamnable que la droite trumpienne. Je n’ai pas entendu beaucoup de commentateurs qualifier François Legault de “radical” lorsqu’il demandait au fédéral de déporter 80 000 demandeurs d’asile. Mais ils sont nombreux à affirmer que Mamdani est un radical parce qu’il croit que tous les habitants de la ville la plus riche du monde devraient être capable de se loger et de se nourrir. On comprend mieux que plusieurs qu’un parti modéré comme Québec solidaire appartienne à la “gauche radicale”. Cette campagne de diffamation contre Zohran Mamdani est un avant-goût de ce qui nous attend aux prochaines élections.

  •  

Du contrôle des moyens de prédiction

Pour Jacobin, l’économiste britannique Giorgos Galanis convoque le récent livre de l’économiste Maximilian Kasy, The Means of Prediction: How AI Really Works (and Who Benefits) (Les moyens de prédictions : comment l’IA fonctionne vraiment (et qui en bénéficie), University of Chicago Press, 2025, non traduit), pour rappeler l’importance du contrôle démocratique de la technologie. Lorsqu’un algorithme prédictif a refusé des milliers de prêts hypothécaires à des demandeurs noirs en 2019, il ne s’agissait pas d’un dysfonctionnement, mais d’un choix délibéré, reflétant les priorités des géants de la tech, guidés par le profit. Pour Maximilian Kasy de tels résultats ne sont pas des accidents technologiques, mais les conséquences prévisibles de ceux qui contrôlent l’IA. « De même que Karl Marx identifiait le contrôle des moyens de production comme le fondement du pouvoir de classe, Kasy identifie les « moyens de prédiction » (données, infrastructure informatique, expertise technique et énergie) comme le socle du pouvoir à l’ère de l’IA ». « La thèse provocatrice de Kasy révèle que les objectifs de l’IA sont des choix délibérés, programmés par ceux qui contrôlent ses ressources pour privilégier le profit au détriment du bien commun. Seule une prise de contrôle démocratique des moyens de prédiction permettra de garantir que l’IA serve la société dans son ensemble et non les profits des géants de la tech ». 

Les algorithmes ne sont pas programmés pour prédire n’importe quels résultats. Les  plateformes de médias sociaux, par exemple, collectent d’énormes quantités de données utilisateur pour prédire quelles publicités maximisent les clics, et donc les profits attendus. En quête d’engagement, les algorithmes ont appris que l’indignation, l’insécurité et l’envie incitent les utilisateurs à faire défiler les publications. D’où l’envolée de la polarisation, des troubles anxieux et la dégradation du débat… « Les outils prédictifs utilisés dans le domaine de l’aide sociale ou du recrutement produisent des effets similaires. Les systèmes conçus pour identifier les candidats « à risque » s’appuient sur des données historiques biaisées, automatisant de fait la discrimination en privant de prestations ou d’entretiens d’embauche des groupes déjà marginalisés. Même lorsque l’IA semble promouvoir la diversité, c’est généralement parce que l’inclusion améliore la rentabilité, par exemple en optimisant les performances d’une équipe ou la réputation d’une marque. Dans ce cas, il existe un niveau de diversité « optimal » : celui qui maximise les profits escomptés »

Les systèmes d’IA reflètent en fin de compte les priorités de ceux qui contrôlent les « moyens de prédiction ». Si les travailleurs et les usagers, plutôt que les propriétaires d’entreprises, orientaient le développement technologique, suggère Kasy, les algorithmes pourraient privilégier des salaires équitables, la sécurité de l’emploi et le bien-être public au détriment du profit. Mais comment parvenir à un contrôle démocratique des moyens de prédiction ? Kasy préconise un ensemble d’actions complémentaires comme la taxation des entreprises d’IA pour couvrir les coûts sociaux, la réglementation pour interdire les pratiques néfastes en matière de données et la création de fiducies de données, c’est-à-dire la création d’institutions collectives pour gérer les données pour le compte des communautés à des fins d’intérêt public. 

Ces algorithmes décident qui est embauché, qui reçoit des soins médicaux ou qui a accès à l’information, privilégiant souvent le profit au détriment du bien-être social. Il compare la privatisation des données à l’accaparement historique des biens communs, arguant que le contrôle exercé par les géants de la tech sur les moyens de prédiction concentre le pouvoir, sape la démocratie et creuse les inégalités. Des algorithmes utilisés dans les tribunaux aux flux des réseaux sociaux, les systèmes d’IA façonnent de plus en plus nos vies selon les priorités privées de leurs créateurs. Pour Kasy, il ne faut pas les considérer comme de simples merveilles technologiques neutres, mais comme des systèmes façonnés par des forces sociales et économiques. L’avenir de l’IA ne dépend pas de la technologie elle-même, mais de notre capacité collective à bâtir des institutions telles que des fiducies de données pour gouverner démocratiquement les systèmes. Kasy nous rappelle que l’IA n’est pas une force autonome, mais une relation sociale, un instrument de pouvoir de classe qui peut être réorienté à des fins collectives. La question est de savoir si nous avons la volonté politique de nous en emparer.

Dans une tribune pour le New York Times, Maximilian Kasy explique que la protection des données personnelles n’est plus opérante dans un monde où l’IA est partout. « Car l’IA n’a pas besoin de savoir ce que vous avez fait ; elle a seulement besoin de savoir ce que des personnes comme vous ont fait auparavant ». Confier à l’IA la tâche de prendre des décisions à partir de ces données transforme la société. 

« Pour nous prémunir contre ce préjudice collectif, nous devons créer des institutions et adopter des lois qui donnent aux personnes concernées par les algorithmes d’IA la possibilité de s’exprimer sur leur conception et leurs objectifs. Pour y parvenir, la première étape est la transparence. À l’instar des obligations de transparence financière des entreprises, les sociétés et les organismes qui utilisent l’IA devraient être tenus de divulguer leurs objectifs et ce que leurs algorithmes cherchent à maximiser : clics publicitaires sur les réseaux sociaux, embauche de travailleurs non syndiqués ou nombre total d’expulsions », explique Kasy. Pas sûr pourtant que cette transparence des objectifs suffise, si nous n’imposons pas aux entreprises de publier des données sur leurs orientations. 

« La deuxième étape est la participation. Les personnes dont les données servent à entraîner les algorithmes – et dont la vie est influencée par ces derniers – doivent être consultées. Il faudrait que des citoyens contribuent à définir les objectifs des algorithmes. À l’instar d’un jury composé de pairs qui instruisent une affaire civile ou pénale et rendent un verdict collectivement, nous pourrions créer des assemblées citoyennes où un groupe représentatif de personnes choisies au hasard délibère et décide des objectifs appropriés pour les algorithmes. Cela pourrait se traduire par des employés d’une entreprise délibérant sur l’utilisation de l’IA sur leur lieu de travail, ou par une assemblée citoyenne examinant les objectifs des outils de police prédictive avant leur déploiement par les agences gouvernementales. Ce sont ces types de contre-pouvoirs démocratiques qui permettraient d’aligner l’IA sur le bien commun, et non sur le seul intérêt privé. L’avenir de l’IA ne dépendra pas d’algorithmes plus intelligents ou de puces plus rapides. Il dépendra de qui contrôle les données et de quelles valeurs et intérêts guident les machines. Si nous voulons une IA au service du public, c’est au public de décider de ce qu’elle doit servir ».

  •  

Réflexions de convalescence solitaire [en]

[en]

Notes dictées lors d’une balade le 15.08.2025, laborieusement remises un peu au propre presque trois mois plus tard. Même si la situation a évolué depuis, c’était un moment que je voulais capturer.

Quand on vit seul, on n’a personne pour nous dire : “viens, on va aller se promener”, ou bien “viens, on va au cinéma”, ou bien « ok, maintenant on sort, prépare-toi, on prend la voiture, on va aller au bord du lac, on va rendre visite à tel-et-tel, on va aller à la montagne, on va faire ceci, faire cela ».

On n’a personne d’extérieur qui nous voit au quotidien, qui peut donc nous aider à sortir d’une éventuelle spirale un peu vicieuse, genre on en fait moins, on en fait donc encore moins… Ou bien, on n’a pas le moral, donc on fait moins, ou bien on est fatigué, donc on fait moins. Mais des fois, bouger, ça réénergise. Parfois c’est le contraire qu’il faudrait, comme ça m’est arrivé, quand je suis restée coincée pendant des jours à faire du troubleshooting pour mon réseau Wi-Fi. On n’a pas une personne qui est là pour dire : “ok, maintenant stop, ça suffit, t’as fait assez, lâche ce machin et viens regarder un film avec moi.”

Pour quelqu’un comme moi (allô TDAH) toute la partie fonctionnement exécutif bat un peu de l’aile de base. Le fonctionnement exécutif ça comprend, entre autres, la gestion des activités, du temps, des tâches. C’est donc quelque chose qui est déjà compliqué pour moi, qui me demande de l’énergie, des stratégies de compensation, et qui me fatigue.

Ces problématiques que j’ai déjà sont aggravées par la commotion. La commotion, c’est une blessure au cerveau. Elle ne se voit pas, il n’y a rien au scanner, et les mini-dégâts physiques invisibles sont réparés, depuis le temps. Mais le cerveau, c’est fonctionnel, pas juste structurel. Même si physiquement “il n’y a rien”, le syndrome post-commotionnel signifie que j’ai plus de difficultés d’attention, de concentration, d’endurance, de fatigabilité.

Donc vous voyez le problème. Je dois gérer la bonne quantité d’activités, mais c’est déjà quelque chose qui est compliqué en temps normal, et là je n’ai même plus les ressources habituelles dont j’ai besoin pour faire ça. Du coup, ça me fatigue encore plus.

Cela veut dire que je vais peut-être avoir un moins bon programme de récupération, je vais moins bien réussir à équilibrer mes activités, me reposer quand j’ai besoin de me reposer, être active quand j’ai besoin d’être active — parce que le travail qu’il faut faire, justement, pour gérer ça, c’est une des choses que j’arrive moins bien à faire. Et qui me fatigue. C’est le serpent qui se mord la queue.

Quand on vit seul, on est donc seul à se dépatouiller avec ça. J’ai des amies, mais elles ne vivent pas avec moi, donc elles ne me voient pas au quotidien. Elles ne sont pas là pour me dire “stop” ou “allez, viens”.

Vivre seul, ça vient en fait avec un gros risque de perte de chance face à des atteintes dans notre santé qui impactent justement notre capacité à nous gérer. Même quand on est entouré — et je le suis, j’ai des amis, j’ai plein de gens qui ont répondu présent pour venir m’aider après l’accident, etc. Mais c’est quand même largement moi qui dois mobiliser ces ressources, et j’ai la chance d’avoir la capacité de le faire (mais pas toujours).

J’apprécie d’ailleurs infiniment les quelques amis qui me proposent des choses, qui me disent : “voilà, je viens, je pourrais venir tel jour pour souper avec toi, je pourrais venir à tel moment…” Des fois ça ne va pas toujours, des fois je dis non, mais ils·elles continuent.

Et ça, en fait, surtout maintenant, alors qu’on approche des 5 mois post-accident, c’est précieux, parce que ce n’est pas facile non plus de demander de l’aide.

Les difficultés auxquelles je fais face, eh bien elles ne sont pas forcément visibles. Quand on me voit, ça ne se voit pas. Ça passe inaperçu.

Donc je dois penser à le dire, je dois le verbaliser, je dois réussir à faire passer le message. Ce n’est pas forcément évident de faire passer le message qu’on galère à s’organiser, par exemple, quand ce que les gens voient de l’extérieur, c’est quand même qu’on ne gère pas si mal. En plus, on a l’air d’être toujours la même personne qu’on a été — on l’est largement, mais pas tout à fait. Ce n’est pas simple.

Et particulièrement ces temps, je trouve que c’est de moins en moins simple aussi de garder le moral.

Après l’accident, il y a le choc, et tout. Ensuite, le début de la récupération, c’est assez rapide. Bien sûr, il y a des hauts et des bas, ce n’est pas linéaire une récupération.

Et puis plus on avance, plus la récupération est lente, moins les progrès sont visibles. Plus on est proche de la normalité, moins ça se voit qu’on galère encore. Et donc moins on a d’opportunités d’être entendu par rapport à ça, de se sentir vu ou compris.

Donc là, je trouve dur de rester positive, de ne pas me laisser embarquer dans des spirales d’inquiétude. Est-ce que je vais vraiment réussir à retravailler ? Le neurologue n’a pas changé d’avis là-dessus. Il n’y a pas de raison. On ne peut jamais rien garantir à 100 %, mais il n’y a pas de raison que je ne fasse pas une récupération complète.

Mais il reste des choses au quotidien qui me font peur. Laisser la clé dans le contact dans la voiture parquée en plein centre-ville quand je pars souper au restaurant. Des trucs qui m’échappent. Des maladresses qui sont, à mon avis, attentionnelles. Pas moteurs — attentionnelles. D’ailleurs on le voit bien : laisser échapper un truc qu’on vient de scanner à la Migros et laisser la clé dans la voiture, il y en a un où on pourrait effectivement se dire que c’est moteur, mais pas l’autre.

J’ai l’impression qu’il y a toute une série de stratégies que j’ai en place depuis des décennies pour fonctionner, qui marchaient tellement automatiquement que je ne me rendais pas compte qu’elles étaient là. Et qu’elles fonctionnaient au niveau où elles fonctionnaient parce que je les entrainais en permanence.

Comment éviter ces incidents d’un genre nouveau pour moi ? Ce qui était déjà un peu limite avant, ou que je savais que je gérais/compensais, les choses pour lesquelles je savais que je devais être prudente avant, ça va. Je peux être plus prudente.

J’essaie de trouver des exemples qui pourraient parler à d’autres personnes que moi. Imaginons… je ne sais pas… imaginons que vous êtes quelqu’un qui n’oublie jamais ses clés, ou qui ne perd jamais ses clés. Ça ne fait simplement pas partie de votre vie, des choses qui pourraient vous arriver.

Un beau jour, vous perdez ou oubliez vos clés. Une fois. Vous pouvez vous dire « ah, merde, pas de chance ». Combien de fois vous faudra-t-il perdre vos clés pour vous dire « oh, il faut dorénavant que je fasse vraiment attention et que je mette en place des stratégies de compensation pour ne pas perdre ou oublier mes clés » ?

Une fois que l’incident est arrivé, on se dit : bon alors ok, la clé dans le contact de la voiture, ça, c’est assez simple à prévenir. Ça m’est arrivé, et c’est vrai que j’avais déjà eu un ou deux signaux d’alerte par le passé, des fois où je suis sortie de la voiture en laissant la clé dans le contact. J’avais d’ailleurs identifié que c’était des situations où j’étais en train d’écouter quelque chose, que je voulais continuer à écouter, et donc on comprend aisément que l’oubli puisse avoir lieu, mon attention étant ailleurs.

Dans ce cas, je peux mettre en place une stratégie. Je crée une sorte de “règle” : j’arrête la voiture, j’enlève la clé du contact, je la mets dans la poche. Facile.

Renverser des trucs, c’est moins facile d’y remédier. Faut-il porter chaque chose comme si elle était une chose fragile et précieuse? Faut-il mesurer chaque geste du quotidien? Jusqu’où aller?

Ce qui est difficile aussi avec cet accident, enfin, avec les changements depuis l’accident (même s’ils ne sont pas énormes), c’est que c’est venu d’un coup.

Quand on vieillit, et que petit à petit nos capacités physiques et cognitives diminuent, doucement, ce n’est pas du jour au lendemain. On se rend donc compte des changements et des adaptations à apprivoiser, petit à petit. Avec la quarantaine, la périménopause, je vois déjà bien ce processus. On se dit: “mais purée, ça m’arrive de plus en plus souvent de faire des erreurs ou d’oublier quelque chose, avant ça m’arrivait jamais.”

Donc voilà. Petit à petit, on s’habitue. Petit à petit, on adapte notre image de nous.

Mais là, c’est comme s’il y avait une mise à jour du système d’exploitation du téléphone suite à laquelle il y a des trucs qui ne marchent plus. Avant, ça marchait tout le temps, mais maintenant, ça ne marche plus. De temps en temps, il y a des gros bugs.

Tenez, un autre truc automatique qui ne marche plus aussi bien post-accident: c’est le calcul mental.

Exemple très concret. Je me dis OK, je vais faire deux heures de promenade, je regarde sur Swisstopo une destination qui est à 45 minutes, et je me dis, ah mais non, ça va faire trop loin pour être de retour en une heure, donc je trouve un objectif à 25 minutes pour faire une boucle d’une heure — alors que c’était en fait deux heures. J’ai divisé par deux une fois.

Ou alors, comme l’autre jour, je fais 4 + 2 + 3 = 7.

Ce genre de truc. C’est quand même flippant.

Un autre exemple: je regarde les résultats du Bol d’Or, je lis 1h30 pour les vainqueurs — en fait c’était 1h30 du matin — et j’enregistre dans ma tête qu’ils ont mis 1h30 pour faire l’aller-retour du Bal d’Or, ce qui est totalement impossible. Mais je ne réalise pas que c’est complètement impossible, et je répète même cette “info mal interprétée” à quelqu’un.

C’est comme s’il y avait une sorte de processus de vérification ou de validation des chiffres qui n’est plus là, ou qui n’est plus aussi bien là, ou qui bugue. Ça, c’est super chiant et déstabilisant.

  •  

« You should make a business out of it! » [en]

[en]

Or should you?

Dave Sifry makes a very important point in his LinkedIn post:

I wished there were always-updated travel guides that I could have pre-printed and bound and it would be a great memento to remember the trip as well.

So, naturally, I thought there must be a huge opportunity in creating personalized, on-demand travel guides.

The mistake wasn’t being wrong about the market. It was forgetting to ask whether the product was really something I would pay for and just a ‘nice to have’.

The world is full of needs and problems. Many of these have solutions. And people are hungry for these solutions. They find them life-saving, precious, incredible.

But would they have paid for them?

A great idea that fills a real need doesn’t always have a viable business model.

I see that everyday with the thriving support community I have built for people with diabetic cats. Many of our members cannot find enough kind words to express their gratitude for what they got out of the community. There are over 7k members in it and a team of 20+ moderators. It’s literally run like a small business.

And people tell me: heavens, you should ask for a subscription and make a business out of this!

But I know it wouldn’t work. People wouldn’t pay for the service we provide. They probably wouldn’t pay for somebody to spend an hour with them to show them how to do things and get started. They most certainly wouldn’t pay for 24/7 support. At least not in numbers or amounts that would bring the whole operation anywhere close to being able to pay a salary, let alone more than one.

It doesn’t mean they don’t value what we bring. After the fact, they might very well say they would have paid for it. But not upfront, definitely not.

Some things will always have to be non-profit, or financed by third parties so that the service can be offered freely or nearly so. Others may have a market, but can’t find a price that is worth paying for the customer and at the same time high enough to sustain the business.

It’s not because there is demand for something that one can earn money with it.

  •  

Convoqué au poste …

Je suis convoqué au poste, ce mercredi à 9h. Mais je vous rassure, Christelle Morançais n’y est pour rien. Et c’est avec plaisir que je me rends à la convocation de David Dufresne. On va causer autour de mon dernier article, des IA, du web et des plateformes, et des horizons de discours et de société que tout cela dessine … ou efface.

Rendez-vous mercredi 9h en direct.

 

 

 

  •  

A lire sur AOC : Le réel, le vrai et la technorrhée. Comment la question du langage s’est déplacée.

Comme je le fais depuis quelques temps, certains de mes textes sont initialement publiés dans la revue AOC avant d’être republiés ici en version gratuite après embargo de 2 mois (sachant qu’AOC vous offre un article par mois gratuitement en échange de votre adresse mail).

Mon dernier texte s’intitule « Le réel, le vrai et la technorrhée. Comment la question du langage s’est déplacée. » Il est disponible sur AOC depuis le 20 octobre 2025 (et sera donc republié ici fin décembre). C’est un texte assez long et assez dense qui propose plusieurs concepts (celui de technorrhée, celui « d’assemblages machiniques informationnels », et quelques autres encore), travaille plusieurs aspects de l’IA au travers des différents générateurs (de texte, d’image, de vidéo), qui revient aussi sur les cadres discursifs et langagiers qui se trouvent bousculées et remodelés et tente de replacer ces dernières évolutions dans le temps long des espaces discursifs en ligne, qui ont, depuis l’invention des plateformes de médias sociaux, toujours été davantage astreignants que libératoires. Parmi quelques-uns des aspects développés dans ce texte, je vous livre ici deux courts extraits qui, je l’espère, vous donneront envie de lire l’ensemble sur AOC (et de vous y abonner, c’est un espace de réflexion et de respiration aussi salutaire que nécessaire dans l’époque actuelle).

Extrait 1.

« Il y a deux niveaux différents sur lesquels penser la complexification de nos anciennes heuristiques de preuve. D’abord la documentation récréative, ludique ou fictionnée du monde : l’enjeu est alors celui de la dissimulation ; il faut soit faire en sorte que le destinataire ne voit pas la simulation, soit qu’elle se dise pour ce qu’elle est (un « dit » de simulation) et qu’elle suscite l’étonnement sur sa nature. Et puis il y a la documentation rétrospective de tout ce qui fait histoire dans le temps long ainsi que celle qui concerne l’actualité. C’est alors l’exemple de la vidéo du SIG que j’évoquais plus haut, où le moindre casque à pointe nous fait basculer de l’ahurissement à l’abrutissement.

On croit souvent – et l’on s’abrite derrière cette croyance – que chaque simulation, chaque nouvelle production documentaire générée par intelligence artificielle, ajoute au réel. C’est totalement faux. Chaque nouvelle simulation enlève au réel. Parce que le réel historique n’est pas un réel extensible : il peut se nourrir de représentations historiques mouvantes au gré de l’historiographie et de l’émergence de preuves ou de témoignages, mais chaque nouvelle génération de ce réel historique potentiel va venir se sédimenter dans l’espace public mémoriel dont la part transmissible est extrêmement ténue et s’accommode mal d’effets de concurrences génératives. La question, dès lors, n’est pas tant de condamner les utilisations imbéciles ou négligentes de technologies d’IA pour illustrer un fait historique mais, par exemple, de savoir comment mieux rendre visible et faire pédagogie de la force incroyable d’authentiques images d’archives.

Nos imaginaires sont des réels en plus. Les effets de réel produits par les artefacts génératifs sont des imaginaires en moins.

(…) Il est en train de nous arriver exactement la même chose avec l’ensemble de l’actuelle panoplie des artefacts génératifs disponibles, de Genie 3 à ChatGPT5 : nous ne multiplions pas nos capacités collectives à faire récit (que ces récits soient imaginaires, réels ou réalistes et que leur support premier soit celui du texte, de l’image ou de la vidéo), nous les standardisons et nous nous enfonçons dans des dynamiques de reproduction qui se nourrissent de toutes les formes possibles de confusion ; une confusion entretenue par des formes complexes d’indiscernabilité qui tiennent à l’immensité non auditable des corpus sur lesquels ces IA et autres artefacts génératifs sont « entraînés » et ensuite calibrés.

 

Extrait 2.
À propos de ce que je nomme « Assemblages machiniques informationnels »

L’arrivée des artefacts génératifs ajoute une dimension nouvelle et passablement problématique au tableau contemporain de la fabrication de nos croyances et adhésions. Jusqu’ici, moteurs de recherche et réseaux sociaux jouaient sur le levier déjà immensément puissant de leurs arbitraires d’indexation et de publication (le fait de choisir ce qu’ils allaient indexer et/ou publier) ainsi que sur celui, tout aussi puissant, de la hiérarchisation et de la circulation (viralisation) de ce qui pouvait être vu et donc en creux de ce qu’ils estimaient devoir l’être moins ou pas du tout.

Choisir quoi mettre à la « Une » et définir l’agenda médiatique selon le vieux précepte de « l’agenda setting » qui dit que les médias ne nous disent pas ce qu’il faut penser mais ce à quoi il faut penser. Ce principe premier de l’éditorialisation se double, avec les artefacts génératifs conversationnels à vocation de recherche, d’une capacité à produire des sortes d’assemblages machiniques informationnels, c’est à dire des contenus uniquement déterminés par ce que nous interprétons comme un « devenir machine** » en capacité de « phraser » les immenses bases de données textuelles sur lesquelles il repose. Des machines à communiquer mais en aucun cas, comme le souligne aussi Arthur Perret, en aucun cas des machines à informer.

** [ce « devenir-machine » est à lire dans le sens du « devenir-animal » chez Deleuze et Guattari : « le “devenir-animal” ne consiste pas à “imiter l’animal, mais d’entrer dans des rapports de composition, d’affect et d’intensité sensible” ».]

Ce concept d’assemblage machinique informationnel me semble intéressant à penser en miroir ou en leurre des agencements collectifs d’énonciation théorisés par Félix Guattari. D’abord parce qu’un assemblage n’est pas un agencement. Il n’en a justement pas l’agentivité. Il n’est mû par aucune intentionnalité, par aucun désir combinatoire, calculatoire, informationnel, communicationnel ou social. Ensuite parce que la dimension machinique est antithétique de la dimension collective, elle en est la matière noire : ChatGPT (et les autres artefacts génératifs) n’est rien sans la base de connaissance sur laquelle il repose et les immenses réservoirs de textes, d’images et de contenus divers qui ont été, pour le coup, assemblés, et sont l’oeuvre de singularités fondues dans un collectif qui n’a jamais été mobilisé ou sollicité en tant que tel. Enfin, l’information est ici un degré zéro de l’énonciation. L’énonciation c’est précisément ce qui va donner un corps social à ce qui étymologiquement, a donc déjà été « mis en forme » (in-formare) et se trouve prêt à être transmis, à trouver résonance. ChatGPT est l’ombre, le simulacre, le leurre d’une énonciation. Et cette duperie est aussi sa plus grande victoire.

La question du langage s’est déplacée. Un grand déplacement. Quelque chose qui n’est plus aligné entre le territoire du monde et la langue qui en est la carte.

La suite ici :

 

  •  

Blogging After 8PM [en]

[en]

I am on my never-ending quest to squeeze more writing into my life (it’s the ugly truth – the squeezing – I know), without sacrificing anything else (I know, I know), and I’m thinking that evenings could be a good plan. The day before yesterday, I managed to eat at a decent time, and get myself ready for the night, and then have time ahead of me to write.

I repeated the feat last night, though you didn’t see it show up here, because I wrote a post on the diabetic cat website.

Tonight is not that much of a success. It’s nearly 11pm and I just want to sleep (well, I don’t, but my body wants to). What happened? First of all, I got home around 6.30pm after doing some quick shopping, already super tired because I spent most of the day on the lake with my brother and my dad. It was a lovely day. But being on water and hours of active conversation are tiring.

So, I ate a little late.

And then I got lost nearly 25 years in the past, going through an old Metafilter thread, the one where the Kaycee Nicole “affair” played out. If you weren’t blogging back in 2001, you’ll be forgiven for not knowing what I’m talking about. Whether you do or not, you should read The Curious Case of Kaycee Nicole (hat tip: ma.tt), an excellent long form write-up of what went down back in the day. I read it this morning, and it prompted me to unearth the summary I published at the time. And in there is the link that sent me down memory lane.

It’s very weird reading my old comments (I’m “Tara”) in the thread. I was 26. Just over half the age I am now. As I skimmed through the thread, reading comments here and there, I found myself reading my words without immediately realising they were mine. For a few seconds, I caught a glimpse of my online writing self from the outside. It is quite an unsettling experience.

I’ll keep it short (no writing for two hours tonight), but just wanted to mention that I activated the Jetpack related posts plugin, so you have even more choice to continue reading once you’re done with a given post. I’d actually love to have a plugin that gives you posts from the same date over the years, if there are any. I think it would be a cool way to invite people to wander around the blog in search of hidden treasure (it’s there, I’m certain).

Other than that, pretty much each time I pick up my computer to start blogging, I feel the need for what I’ve internally called the “socials to blog” plugin. The one I dream of lets me open a draft post in which my “socials of the day” (but I’d be happy with just Mastodon right now) would be pre-entered, one beneath the other, in chronological order, with prettified links and preview cards as well as a source/reference link to the original update on the socials. (Yes, I know I need to detail this a bit more.) Honestly, I think about it nearly every day. Because every day, I post stuff to the socials which I could really use as a basis for a linkbloggy blog post.

I’ve been pondering more on the nature of socials versus blogging, and it’s now very clear to me that the socials are closer to chatting than “writing”, for me. Sharing a link to the socials is akin to telling the colleague I just bumped into “oh, by the way, did you see xyz, I think you might like it”, or sending somebody a whatsapp message, or (nostalgia) hanging out on IRC. In my view, the socials are highly conversational and chatty, more spontaneous and impulsive than a blog post. Not only because of the allowed length of the updates, poorness of text editing features, and social network structure that underpins them, but also because the “stream” nature of the algorithm presenting the publications of a given platform creates a strong implicit understanding that the only relevant content is “now”. Past updates are like the newspaper of old, good for wrapping fish and chips, but not something you’d want to spend your time reading.

I remember that in my linguistics studies, we covered the distinction to be made between what we called (in French) “discourse” and “story”, two types of textual productions which differ in how strongly the context producing the text in question is present in it. (Of course I can’t find a good clear reference, I’m telling you this from memory, I’d have to go back to my textbooks to be sure more precise.) “Discourse” needs to be interpreted and understood in the light of the “real-world” event of its production, whereas the “story” has a coherence that is independent of the circumstances of its production. To give some rough examples, a novel is a “story”, but the utterances making up a phone call are “discourse”.

Within this framework, blog posts are less “discourse” than updates on the socials. On the socials, utterances (updates) lose a lot of their meaning once the context of their production fades away, whereas many blog posts can remain relevant for years if not decades. So, blogs and socials are not at all the same kind of beast, linguistically, and it would be wrong, in my opinion, to try to make one into another, or merge them. There are, however, parts of the content that makes up the discourse happening on the socials that can be repurposed into a more perennial blog post: the linklog-like stuff, for example. The prospect of doing this by hand is daunting, so I’m dreaming of a plugin to assist me in that process.

Uh oh. See, nearly an hour has passed. The mist is rolling in, up there where my brain lives. I will try and be ready for blogging earlier tomorrow night. It’s a motivating objective.

  •  

Slop : « On est cuits ! » 

Le slop est déjà partout, constate, à nouveau, désabusé, Charlie Warzel dans The Atlantic. Nous sommes en train de disparaître sous la distorsion des déchets de l’IA générative. Le nombre d’articles créés par l’IA serait même passé devant celui des articles créés par des humains. Le designer Angelos Arnis parle même d’« infrastructure du non-sens ». Dans la Harvard Business Review, les chercheurs estiment que le travail de remplissage (workslop) généré par l’IA et en train de coloniser le monde du travail sans produire grand chose d’utile. 

« L’IA a créé une véritable infrastructure d’absurdité et de désorientation », explique Warzel. Pire, la perte de sens « rend l’acte même de créer quelque chose de significatif presque insignifiant ». Et perdre l’envie de créer, « je le crains, revient à capituler sur notre humanité même ».

  •  

La Californie interdit la fixation algorithmique des prix

En Californie, quatrième économie mondiale, le gouverneur Newsom vient de promulguer la loi AB325, interdisant les cabinets de conseil en tarification, permettant de surveiller les tarifs et plus encore de les augmenter, nous apprend Cory Doctorow. La loi interdit « l’utilisation ou la diffusion d’un algorithme de tarification commun si cette personne contraint une autre personne à fixer ou à adopter un prix ou une condition commerciale recommandés par l’algorithme pour des produits ou services identiques ou similaires » (voir notre dossier “Du marketing à l’économie numérique : une boucle de prédation”). Pour Matt Stoller, cette législation peut paraître insignifiante, mais il s’agit d’une immense victoire interdisant la coercition des prix. La loi AB325 dit qu’il est désormais illégal de contraindre quelqu’un à utiliser un algorithme de tarification basé sur des données non publiques.

  •  

Tensions domestiques

Passionnant article de recherche qui montre que le développement de l’internet des objets dans l’espace domestique n’est pas sans créer des tensions entre les habitants. Les chercheurs parlent de « résistance banale » pour montrer que ces outils, comme les dispositifs vocaux de type Alexa ou domotiques, finissent par être peu à peu rejetés du fait des tensions familiales que leur usage génère. Le capitalisme de surveillance est moins panoptique que myope, ironisent les chercheurs Murray Goulden et Lewis Cameron. Via Algorithm Watch.

  •  

All The Things [en]

[en]

I’m writing this blog post thanks to Jeffrey. Because I kind of said I’d be able to blog today, and it’s just a bit past 8.30pm, the dishes are done, the cat has had his meds and insulin (so have I – the meds, not the insulin), even the clean laundry is in the cupboard. So instead of clumsily playing through practice deals on Funbridge or hanging out on the socials, I’m here writing.

I’ve been sick most of the last week. Two days down under a post-vaccine ton of bricks (I’d kind of wilfully forgotten how nasty my 2nd and 3rd Covid boosters had been when I decided to start getting the shots again), but a sore throat before that, and after that, and a lost voice because I talked too much on said sore throat, some lingering fever, and now a nasty cough. Anyway. It’s getting better but my friend codeine and I have had to start hanging out again.

I’ve been back to work, three half-days a week, since mid-October. It’s going pretty much as expected, meaning OK, but tiring. Work, but also “just life”. Even before my accident, I struggled with the fact that I had too many wants for the time life gives us. Having less energy all these last months has put this issue on the front of the scene – in addition to the fact it is tightly linked to the complications I developed after my accident. And now that most of the symptoms have abated, and that I’m feeling more “back to normal” each month, my expectations of what I should be able to do are rising fast beyond where they should be remaining.

So, I’m trying to tackle the issue. A few things are becoming clear. One is that everybody seems to be struggling to stay on top of their lives, not only us hyperactives. There is something about the world we live in that drags us along: so many opportunities and temptations, the incentive to be happy, live a meaningful life, take care of oneself but also of others, pursue success but also slow down. But there is also the increasing administrative complexity of our lives. Technology has made it easier for me to pay my bills (in Switzerland at least: open letter, whip out phone, scan QR code, confirm, done), but it has also contributed (hand in hand with runaway capitalism applied to everything, from private companies to public services) to irrevocably breaking the processes that make things happen in our organisations. Any interaction becomes a bureaucratic nightmare. And it’s not just because the person on the phone (if there is one) is a script-fed robot (they aren’t always, by far, at least here), but because the systems are broken, tasks get lost, not mentioning bugs in the software, and nobody knows how the whole machine is supposed to work anymore so it can be fixed.

So when I want to move my insurance 3rd pillar into a normal one, it takes me 4 phone calls and e-mails over 3 months to make it happen. And each time the person on the end of the line is listening well, taking the issue seriously, looking for traces of my last contact (gone), asking for some information again, promising me that they are on it and that this time, the order is underway and will be dealt with.

This is just one example. You have yours, too, I’m sure. I remember a time when I could call customer service, wait on hold for a bit, and have my problem solved. Now I call customer service with a question, they actually create an additional problem on top of the one I was trying to solve, I spend an hour on the phone with them first in disbelief trying to clarify that they actually did do the stupid thing I feared they would do but they assured me they wouldn’t, getting them to admit it was a mistake, escalate me to somebody who actually can’t do anything for me that I couldn’t do myself.

This, of course, is a separate problem from the fact I want to Do All The Things, but it doesn’t help. Because on top of working to earn a living, we need to spend hours managing the Admin of Life. Those hours are not available for other stuff.

You should listen to the podcast episode Your Call Is Important to Us by 99% Invisible. Years ago I tried launching the World Wide Paperwork and Administrivia Day. And I can totally see myself doing Admin Nights at my coworking space (listen to the podcast). Amongst all the other things I want to organise there: board game afternoons, puzzle days, drop-in tea parties…

All The Things, see.

I realised, recently, that my expectation that I should be able to find a way to manage my life and feel reasonably on top of things was most certainly an illusion. It’s not me who is failing, it’s the objective that’s out of touch with reality. You know, just like we realised at one point that it wasn’t fair to make women believe they could have a full-time work life (“like men”), be great invested parents, manage the household and have hobbies and take care of themselves, oh yeah, and social life. So, I’m trying to accept that there will always be something falling through the cracks. Instead of building a system without any cracks, I need to shift into building a system that allows for them.

Maybe I can officially decide that I’m not checking that the reimbursements from the insurance for the cats‘ medical bills are correct. I don’t do it, but it’s always on my to-do list, because one should check this kind of thing to run personal finances well, right? So, a type of management that is less airtight, but with safety nets. Which takes into account that of all the balls we are juggling, some are glass and cannot be dropped, whilst others are rubber and will bounce back up if we let them escape.

One of the ways I’ve tried to tackle my “activity overload” issue is by readjusting my expectations. How many hikes in a year? How many times can I actually manage to go to judo per month? How many stays at the chalet? How many blog posts a month? Using historical data seemed a good place to start. My calendar is not very reliable for that, because I sometimes make plans I don’t follow, and they stay in the calendar – or go off on a hike with a friend on the week-end and hadn’t written it down. But my Google Timeline know where I was, and when. I exported it, chopped it up so I had just the couple of years I was interested in in a file (the whole thing is massive), and fed it to Gemini along with an export of my calendar. I usually use ChatGPT, but I had the hope that Gemini might be able to plug into my Google Photos and get some extra data from there – but no luck, not for me. I stuck with Gemini because it clearly did a way better job than ChatGPT analysing my data. Of course, as usual with LLMs, what seemed like a straightforward missing turned into a long series of prompts and reprompts, but I’m happy to say I did get somewhere, with less anguish and more fun (if not less time) than if I had painstakingly done it by hand.

All the while I had the nagging feeling that maybe I was tackling this wrong. A feeling that I was hovering around the entrance of a rabbit-hole signposted “over-engineering”. I confess, I’m no stranger to this flaw.

I know I need to set priorities. Priorities is the issue on a daily basis. Do I take time to write, or rest? Do I spend time with the cat outside or do a puzzle? Do I see a friend or write a blog post? Do I deal with my taxes next week-end or pick up the future of blogging/socials ball and write about that? Or spend some time volunteering in the diabetic cat community? Or…? Or…? And so on.

So far it’s become clear to me that as long as my life priorities are not sorted, it’s going to make choosing between writing a blog post, sorting through my boxes of stuff, hiking or seeing a friend pretty tricky. People keep telling me that I have too much on my plate and I need to drop something, but there is nothing there I feel like I can drop. I’m not going to stop judo. I’m not going to shut down the diabetic cat community. I’m not going to stop writing, or skiing, or hiking, or sailing. I’m not going to stop having friends. And so on… again.

Priorities. What is most important? What is less important? What is more meaningful to me? It hit me today that beyond the pervasive Life Overwhelm of our times, the way this difficulty to choose and prioritise expresses itself in my life is that I am interested in too many things. It may sound trivial said like this, but it’s not. I suffer from too much “want”, too much “oh, how exciting”, “love this”. It’s as if my threshold for something to be interesting was very very low. It doesn’t take much to get me interested! Just like I’m an easy customer when it comes to food, I’m an easy customer for many things. This feels like it must be related to the “ADHD weak filter” which makes it difficult to distinguish between signal and noise amongst the available information. Maybe I’m stretching things a bit, but for me, it’s as if my “filter” for what is something I want to do or am interested in is letting pretty much everything through, resulting in this deluge of “wants”, projects, interests, etc. (The “weak filter” has advantages when it comes to thinking outside the box or being creative, but that’s another story). So, maybe in addition to setting some guidelines and realistic expectations for the operational management of my time (e.g. max n social activities in a given week), it would make sense to work on that filter a bit, and make it a little more discriminating.

I can’t make my ADHD go away. However, what I can do is identify which core needs these various activities satisfy, or not, for example. Maybe, when I then look at my overall activity schedule (hi Gemini), I will notice that it is lopsided, in terms of which needs are met or underrepresented. This would be a way of tightening my filter a bit. Another angle that is important is if a given activity or interest requires regularity to be feasible. This is easy, with physical activities: if I’m doing judo, I need to train regularly enough. I can’t just “go and do judo” twice a year – my body won’t let me. Same with hiking and skiing, they require a certain level of fitness that comes from regular practice. Blogging, however, can be neglected for months or years and then come back to. Not surprisingly, activities that don’t require regular practice might be more likely to be deprioritised, although they might actually be important.

I’m a firm believer in tracking things. Get that feedback loop going first, rather than just set objectives and despair trying to reach them. How things are now is a great starting point for introducing incremental changes in the desired direction. So, for example, this last week or so I’ve been thinking I should track my hours of intense interaction (because although I enjoy it, it exhausts me) and also, how much time I write, when I do write. I know I already blogged (more than once probably) about the problem of monster blog posts like this one, versus shorter writing. See, I’ve been writing for two hours now. Crazy, right, when you think it took you about 10 minutes or so to get down to here if you’re reading everything. I’m hungry (yes I had dinner, I’m hungry again/already) and tired.

So, although I would have many more things to say (see, another filter thing: each day brings at least 2-3 blog post ideas – keeping up is just not possible unless I spend all my time writing…), I will wrap up this blog post, pick a title for it, publish, and go to bed.

With a bit of luck I’ll blog again soon.

  •  

Inutile, inapplicable, nuisible et injuste: la loi 94 pour « renforcer la laïcité »

Jeudi dernier, l’Assemblée nationale du Québec adoptait la loi 94 afin de « renforcer la laïcité dans le réseau de l’éducation ». Trois jours plus tard, les électeurs de Saint-Léonard-Ouest élisaient Mauro Barone, qui se présente ouvertement comme un catholique romain dévoué à son église. Je n’ai entendu personne réagir. Imaginez qu’un conseiller municipal se présente comme un musulman dévoué à sa mosquée. Si on avait besoin d’une nouvelle preuve que nos nationaleux soi-disant laïcards se préoccupent d’une seule religion, on l’aurait trouvée.

Fiche de Mauro Barone sur le site Élections Montréal
https://elections.montreal.ca/fr/candidates/mauro-barone/

Les dispositions de la loi 94 sont inutiles, inapplicables, nuisibles ou carrément injustes.

Inutile
L’obligation d’avoir le visage découvert. Qu’est-ce que ça vient faire dans une loi sur la laïcité? Pourquoi ne pas simplement exiger des élèves qu’ils aient le visage découvert en tout temps? La réponse évidente est que le gouvernement veut flatter sa base électorale. Et pour ça, viser directement l’islam est toujours gagnant. Pour ce qu’on en sait, le nombre d’élèves touchées se compte sur les doigts d’une main. Pourquoi gérer humainement cette situation délicate quand on peut faire une nouvelle loi et se présenter en champion de la « laïcité »? N’aurait-on pas pu confier ces cas aux éducateurs spécialisés ou aux travailleurs sociaux? Pardon, je viens de me souvenir: on ne peut pas. La CAQ a coupé le budget des écoles pour ce genre de ressources inutiles.

Inapplicable
Interdiction des menus adaptés aux restrictions religieuses. Comment allez-vous appliquer cette interdiction? Vous allez mariner la salade dans le gras de bacon? Vous allez verser de l’alcool dans le jus de fruit? Voici comment contenter tout le monde en étant laïque: que toutes les cafétérias offrent chaque jour un menu végétarien. De quoi contenter les Juifs, les musulmans et… les végétariens. Mais non, légiférons à grands coups d’interdictions et visons les religions minoritaires, c’est tellement plus rassembleur.

Nuisible
On l’a répété plusieurs fois, mais les enseignants de la clique ultraconservatrice de l’école Bedford ne portaient pas de signe religieux. On va pénaliser des personnes qui n’ont jamais eu de comportement problématique. Pourquoi? Dans quel but? Qu’est-ce qu’on espère comme réaction? « Le ministre a interdit le voile pour les éducatrices en service de garde. On va devoir arrêter de séparer les garçons des filles dans nos classes. » Divulgâcheur: Non. Ça ne fonctionne pas comme ça. Les enseignants qui pratiquaient l’intimidation à Bedford étaient déjà au courant que leurs pratiques étaient inacceptables. Ce n’est pas en « envoyant un message » qu’on règle une situation comme celle-là.

En pleine pénurie de personnelle, la ministre Sonia Lebel juge que le moment est bien choisi pour ajouter un obstacle à l’embauche. Les parents de l’île de Montréal vont devoir prévoir des changements à leur horaire parce que les services de garde vont sans doute devoir diminuer leur capacité d’accueil.

« Oui mais il y aura une clause de droits acquis pour les employées qui sont déjà en place. » Les éducatrices font déjà un travail difficile, ingrat et peu reconnu. Avec sa loi, le gouvernement leur envoie le message qu’elles sont des indésirables. Qu’elles sont de mauvaises citoyennes. Qu’on aimerait bien les remplacer par d’autres éducatrices si on le pouvait. D’ailleurs, on le fera peut-être lorsque se produira une nouvelle controverse qui donnera envie au gouvernement d’être encore plus strict en matière de « laïcité », par exemple en abolissant la clause de droits acquis. À la place des éducatrices, auriez-vous envie de conserver votre emploi?

Et tout ça pour quoi? La recherche a déjà démontré que la loi 21, loin de favoriser le vivre-ensemble, n’était parvenue qu’à décomplexer le racisme avec lequel doivent vivre les enseignantes portant le voile et de façon plus générale les mères et les élèves musulmanes. Shophika Vaithyanathasarma écrivait dans sa chronique de lundi: « Des enseignantes me parlent de sorties avec leurs élèves portant le voile qui tournent mal. Menaces, insultes, regards lourds pour ces élèves. C’est ça, la réalité. » Ces lois anti-islam et le discours qui les a motivées ne fait que décomplexer le racisme et l’intolérance.

Carrément injuste
Interdiction des absences / congés pour des célébrations religieuses « qui ne figurent pas au calendrier scolaire ». Ici, le gouvernement assume pleinement la discrimination. On peut retourner cette interdiction dans tous les sens, il demeure que les chrétiens auront congé pour leurs fêtes religieuses, mais pas les Juifs, les musulmans ou les Sikhs. Au nom de la tradition, évidemment. Mais quelle tradition? À part les chrétiens pratiquants, qui célèbre encore l’Action de Grâce? Si on agissait vraiment pour l’égalité, on arrêterait de s’aligner sur le calendrier de l’Église. On remplacerait Noël par la fête du solstice d’hiver et on déplacerait le congé férié le 21 décembre. Voilà, Noël laïque. On remplacerait Pâques par la fête du chocolat et on la tiendrait chaque année à la même date. Voilà, Pâques laïque.

Bref, il y aurait eu 1000 façons d’obtenir le résultat voulu sans faire une loi visant directement les religions minoritaires et les musulmanes en particulier. L’objectif du gouvernement n’est pas d’affirmer la neutralité religieuse, mais d’effacer la religion minoritaire la plus visible et de flatter sa base habitée par une crainte profonde de l’islam.

C’est ainsi qu’au Québec, on considère qu’un concierge qui lave le plancher d’une école en portant un turban remet en question la séparation entre la religion et l’État, mais pas un conseiller municipal qui se dit fièrement dévoué à son église. Ne cherchez pas la logique ici, il y a longtemps qu’elle a déserté ce gouvernement.

  •  

Saisir le monde des objets autour de nous

On se souvient, avec entrain, des 19 petits Exercices d’observations (Premier Parallèle, 2022) de Nicolas Nova : invitations à nous jouer du monde, à aiguiser nos capacités d’observations en apprenant à décaler son regard sur le monde qui nous entoure. Matthieu Raffard et Mathilde Roussel les mettent en pratique et les prolongent, dans A contre-emploi : manuel expérimental pour réveiller notre curiosité technologique (Premier Parallèle, 2025). Les deux artistes et enseignants-chercheurs nous invitent à nous intéresser aux objets techniques qui nous entourent, à les observer pour nous libérer de leur autorité. Ces 11 nouveaux exercices d’observation active nous montrent que comprendre la technique nécessite, plus que jamais, de chercher à l’observer autrement que la manière dont elle nous est présentée. 

A contre-emploi commence par un moulin à café qui tombe en panne et continue en explorant des machines qui dysfonctionnent… Dans ce monde à réparer, nous avons « à remettre du je » dans le lien que nous entretenons avec les machines. Que ce soit en explorant les controverses situées des trottinettes en libre accès ou les rapports difficiles que nous avons à nos imprimantes, les deux artistes nous invitent au glanage pour ré-armer notre sensibilité technique. Ils nous invitent à ré-observer notre rapport aux objets techniques, pour mieux le caractériser, en s’inspirant des travaux d’observations typologiques réalisés par Bernd et Hilla Becher ou par Marianne Wex par exemple. Pour Raffard et Roussel, à la suite des travaux du psychologue James Gibson dans Approche écologique de la perception visuelle (1979, éditions du Dehors, 2014), c’est en se déplaçant dans notre environnement visuel qu’on peut voir émerger d’autres catégories. C’est le mouvement qui nous permet de voir autrement, rappellent-ils Pour les deux artistes : « c’est la fixité de notre position d’observateur qui rend notre lecture des environnements technologiques compliquée »

Pour changer de regard sur la technologie, nous avons besoin d’une « nouvelle écologie de la perception ». Pour cela, ils nous invitent donc à démonter nos objets pour mieux les comprendre, pour mieux les cartographier, pour mieux saisir les choix socio-économiques qui y sont inscrits et déplacer ainsi leur cadre symbolique. Ils nous invitent également à lire ce qu’on y trouve, comme les inscriptions écrites sur les circuits électroniques, d’une manière quasi-automatique, comme quand Kenneth Goldsmith avait recopié un exemplaire du New York Times pour mieux se sentir concerné par tout ce qui y était inscrit – voir notre lecture de L’écriture sans écriture (Jean Boîte éditions, 2018). Raffard et Roussel rappellent que jusqu’en 1970, jusqu’à ce qu’Intel mette au point le processeur 4004, tout le monde pouvait réencoder une puce électronique, comme l’explique le théoricien des médias Friedrich Kittler dans Mode protégé (Presses du réel, 2015). Cet accès a été refermé depuis, nous plongeant dans le « paradoxe de l’accessibilité » qui veut que « plus un objet devient universel et limpide en surface, plus il devient opaque et hermétique en profondeur. Autrement dit, ce que l’on gagne en confort d’expérience, on le perd en capacité de compréhension – et d’action ». Pour le géographe Nigel Thrift, nos objets technologiques nous empêchent d’avoir pleinement conscience de leur réalité. Et c’est dans cet « inconscient technologique », comme il l’appelait, que les forces économiques prennent l’ascendant sur nos choix. « Dans les sociétés technocapitalistes, nous sommes lus davantage que nous ne pouvons lire ».

Ils nous invitent à extraire les mécanismes que les objets assemblent, comme nous y invitait déjà le philosophe Gilbert Simondon quand il évoquait l’assemblage de « schèmes techniques », c’est-à-dire l’assemblage de mécanismes existants permettant de produire des machines toujours plus complexes. Ils nous invitent bien sûr à représenter et schématiser les artefacts à l’image des vues éclatées, diffractées que proposent les dessins techniques, tout en constatant que la complexité technologique les a fait disparaître. On pense bien sûr au travail de Kate Crawford  (Anatomy of AI, Calculating Empires) et son « geste stratégique », ou établir une carte permet de se réapproprier le monde. On pense également au Handbook of Tyranny (Lars Müller Publishers,  2018) de l’architecte Theo Deutinger ou les topographies de pouvoir de l’artiste Mark Lombardi ou encore au Stack (UGA éditions, 2019) du designer Benjamin Bratton qui nous aident à visualiser et donc à comprendre la complexité à laquelle nous sommes confrontés. La cartographie aide à produire des représentations qui permettent de comprendre les points faibles des technologies, plaident les artistes. Elle nous aide à comprendre comment les technologies peuvent être neutralisées, comme quand Extinction Rébellion a proposé de neutraliser les trottinettes électriques urbaines en barrant à l’aide d’un marqueur indélébile, les QR codes pour les rendre inutilisables. Ces formes de neutralisations, comme on les trouve dans le travail de Simon Weckert et son hack de Google Maps en 2020, permettent de faire dérailler la machine, de trouver ses faiblesses, de contourner leur emprise, de « s’immiscer dans l’espace que contrôlent les technologies », de contourner ou détourner leurs assignations, de détourner leurs usages, c’est-à-dire de nous extraire nous-mêmes des scénarios d’usages dans lesquels les objets technologiques nous enferment, c’est-à-dire de réécrire les « scripts normatifs » que les technologies, par leur pouvoir, nous assignent, de comprendre leur « toxicité relationnelle »

Ils nous invitent enfin à construire nos machines, bien plus modestement qu’elles n’existent, bien sûr. Les machines que nous sommes capables de refaçonner, seuls, ne peuvent répondre à la toute-puissance des technologies modernes, rappellent-ils en évoquant leur tentative de reconstruire une imprimante à jet d’encre. Raffard et Roussel ont reconstruit une imprimante encombrante et peu performante, tout comme Thomas Thwaites avait reconstruit un grille-pain défaillant (The Toaster Project, Princeton, 2011). Cette bricologie a néanmoins des vertus, rappellent les artistes. Elle nous rappelle qu’à la toute puissance répond la vulnérabilité, à la high tech, la low tech. Et que ce changement même de regard, cette réappropriation, permet au moins de modifier le système cognitif des utilisateurs. Comme quand les manifestes cyberféministes nous invitent à regarder le monde autrement (souvenez-vous de Data Feminism). Pour Raffard et Roussel, créer des situations de vulnérabilité permet de changer la relation que nous avons avec les objets techniques. De nous réinterroger, pour savoir si nous sommes satisfaits de la direction dans laquelle les objets technologiques et nous-mêmes évoluons. En nous invitant à décider de ce que nous voulons faire de nos technologies et de ce que nous acceptons qu’elles nous fassent, ils militent pour une éducation à l’expérimentation technologique, qui fait peut-être la part un peu trop belle à notre rapport aux technologies, plutôt qu’à notre liberté à ne pas s’y intéresser. 

Le manuel pour réveiller notre curiosité technologique oublie peut-être que nous aurions aussi envie de les éteindre, de nous en détourner, de nous y opposer. Car le constat qu’ils dressent, à savoir celui que nous ne sommes pas capables de reproduire la puissance des machines contemporaines par nous-mêmes, risque d’être perçu comme un aveu d’impuissance. C’est peut-être là, la grande limite au démontage qu’ils proposent. Renforcer notre impuissance, plutôt que de nous aider à prendre le contrôle des systèmes, à peser de nos moyens d’actions collectifs contre eux, comme le peuvent la démocratie technique et la législation. Nous pouvons aussi parfois vouloir que la technologie ne nous saisisse pas… Et prendre le contrôle des systèmes pour que cela n’arrive pas, les réguler, nous y opposer, refuser de les comprendre, de les faire entrer là où nous ne voulons pas qu’ils interviennent est aussi un levier pour nous saisir des objets qui s’imposent autour de nous.

Hubert Guillaud

La couverture du livre de Matthieu Raffard et Mathilde Roussel, A contre-emploi.

MAJ du 7/11/2025 : Signalons que Matthieu Raffard et Mathilde Roussel publient un autre livre, directement issu de leur thèse, Bourrage papier : leçons politiques d’une imprimante (Les liens qui libèrent, 2025).

  •  

Inutile, inapplicable, nuisible et injuste: la loi 94 pour “renforcer la laïcité”

Jeudi dernier, l’Assemblée nationale du Québec adoptait la loi 94 afin de “renforcer la laïcité dans le réseau de l’éducation”. Trois jours plus tard, les électeurs de Saint-Léonard-Ouest élisaient Mauro Barone, qui se présente ouvertement comme un catholique romain dévoué à son église. Je n’ai entendu personne réagir. Imaginez qu’un conseiller municipal se présente comme un musulman dévoué à sa mosquée. Si on avait besoin d’une nouvelle preuve que nos nationaleux soi-disant laïcards se préoccupent d’une seule religion, on l’aurait trouvée.

Fiche de Mauro Barone sur le site Élections Montréal
https://elections.montreal.ca/fr/candidates/mauro-barone/

Les dispositions de la loi 94 sont inutiles, inapplicables, nuisibles ou carrément injustes.

Inutile
L’obligation d’avoir le visage découvert. Qu’est-ce que ça vient faire dans une loi sur la laïcité? Pourquoi ne pas simplement exiger des élèves qu’ils aient le visage découvert en tout temps? La réponse évidente est que le gouvernement veut flatter sa base électorale. Et pour ça, viser directement l’islam est toujours gagnant. Pour ce qu’on en sait, le nombre d’élèves touchées se compte sur les doigts d’une main. Pourquoi gérer humainement cette situation délicate quand on peut faire une nouvelle loi et se présenter en champion de la “laïcité”? N’aurait-on pas pu confier ces cas aux éducateurs spécialisés ou aux travailleurs sociaux? Pardon, je viens de me souvenir: on ne peut pas. La CAQ a coupé le budget des écoles pour ce genre de ressources inutiles.

Inapplicable
Interdiction des menus adaptés aux restrictions religieuses. Comment allez-vous appliquer cette interdiction? Vous allez mariner la salade dans le gras de bacon? Vous allez verser de l’alcool dans le jus de fruit? Voici comment contenter tout le monde en étant laïque: que toutes les cafétérias offrent chaque jour un menu végétarien. De quoi contenter les Juifs, les musulmans et… les végétariens. Mais non, légiférons à grands coups d’interdictions et visons les religions minoritaires, c’est tellement plus rassembleur.

Nuisible
On l’a répété plusieurs fois, mais les enseignants de la clique ultraconservatrice de l’école Bedford ne portaient pas de signe religieux. On va pénaliser des personnes qui n’ont jamais eu de comportement problématique. Pourquoi? Dans quel but? Qu’est-ce qu’on espère comme réaction? “Le ministre a interdit le voile pour les éducatrices en service de garde. On va devoir arrêter de séparer les garçons des filles dans nos classes.” Divulgâcheur: Non. Ça ne fonctionne pas comme ça. Les enseignants qui pratiquaient l’intimidation à Bedford étaient déjà au courant que leurs pratiques étaient inacceptables. Ce n’est pas en “envoyant un message” qu’on règle une situation comme celle-là.

En pleine pénurie de personnelle, la ministre Sonia Lebel juge que le moment est bien choisi pour ajouter un obstacle à l’embauche. Les parents de l’île de Montréal vont devoir prévoir des changements à leur horaire parce que les services de garde vont sans doute devoir diminuer leur capacité d’accueil.

“Oui mais il y aura une clause de droits acquis pour les employées qui sont déjà en place.” Les éducatrices font déjà un travail difficile, ingrat et peu reconnu. Avec sa loi, le gouvernement leur envoie le message qu’elles sont des indésirables. Qu’elles sont de mauvaises citoyennes. Qu’on aimerait bien les remplacer par d’autres éducatrices si on le pouvait. D’ailleurs, on le fera peut-être lorsque se produira une nouvelle controverse qui donnera envie au gouvernement d’être encore plus strict en matière de “laïcité”, par exemple en abolissant la clause de droits acquis. À la place des éducatrices, auriez-vous envie de conserver votre emploi?

Et tout ça pour quoi? La recherche a déjà démontré que la loi 21, loin de favoriser le vivre-ensemble, n’était parvenue qu’à décomplexer le racisme avec lequel doivent vivre les enseignantes portant le voile et de façon plus générale les mères et les élèves musulmanes. Shophika Vaithyanathasarma écrivait dans sa chronique de lundi: “Des enseignantes me parlent de sorties avec leurs élèves portant le voile qui tournent mal. Menaces, insultes, regards lourds pour ces élèves. C’est ça, la réalité.” Ces lois anti-islam et le discours qui les a motivées ne fait que décomplexer le racisme et l’intolérance.

Carrément injuste
Interdiction des absences / congés pour des célébrations religieuses “qui ne figurent pas au calendrier scolaire”. Ici, le gouvernement assume pleinement la discrimination. On peut retourner cette interdiction dans tous les sens, il demeure que les chrétiens auront congé pour leurs fêtes religieuses, mais pas les Juifs, les musulmans ou les Sikhs. Au nom de la tradition, évidemment. Mais quelle tradition? À part les chrétiens pratiquants, qui célèbre encore l’Action de Grâce? Si on agissait vraiment pour l’égalité, on arrêterait de s’aligner sur le calendrier de l’Église. On remplacerait Noël par la fête du solstice d’hiver et on déplacerait le congé férié le 21 décembre. Voilà, Noël laïque. On remplacerait Pâques par la fête du chocolat et on la tiendrait chaque année à la même date. Voilà, Pâques laïque.

Bref, il y aurait eu 1000 façons d’obtenir le résultat voulu sans faire une loi visant directement les religions minoritaires et les musulmanes en particulier. L’objectif du gouvernement n’est pas d’affirmer la neutralité religieuse, mais d’effacer la religion minoritaire la plus visible et de flatter sa base habitée par une crainte profonde de l’islam.

C’est ainsi qu’au Québec, on considère qu’un concierge qui lave le plancher d’une école en portant un turban remet en question la séparation entre la religion et l’État, mais pas un conseiller municipal qui se dit fièrement dévoué à son église. Ne cherchez pas la logique ici, il y a longtemps qu’elle a déserté ce gouvernement.

  •  

Le piège de la loyauté : la fidélité des clients joue à leur détriment

Les cartes de fidélité ne sont plus ce qu’elles étaient, explique le Washington Post. « Les entreprises prétendent récompenser votre fidélité par des points, des réductions et des avantages. Mais en coulisses, elles utilisent de plus en plus ces programmes pour surveiller votre comportement et créer un profil, puis vous facturer le prix qu’elles pensent que vous paierez ». Le journaliste tech Geoffrey Fowler a demandé à Starbuck les données relatives à son profil lié à sa carte de fidélité. En les analysant, il a constaté que plus il achetait de café, moins il recevait de promotions : « plus j’étais fidèle, moins je bénéficiais de réductions ». Pour les commissaires du bureau de la protection des consommateurs à la Federal Trade Commission, Samuel Levine et Stephanie Nguyen, les programmes de fidélité se sont transformé en moteurs de « tarification de surveillance » : les entreprises utilisent l’IA et les données personnelles pour fixer des prix individualisés, autrement dit des marges personnalisées. Dans un rapport publié avec le Vanderbilt Policy Accelerator consacré au « piège de la loyauté », ils affirment que les programmes de fidélité ont inversé le concept de fidélité : au lieu de récompenser les clients réguliers, les entreprises pourraient en réalité facturer davantage à leurs clients fidèles. En fait, les clients réguliers bénéficient de moins de réduction que les clients occasionnels et finissent donc par payer plus cher du fait de leur loyauté. Les entreprises utilisent les données de consommation pour déterminer votre sensibilité au prix et votre capacité à payer. Starbuck n’est pas la seule entreprise à utiliser ses programmes de fidélité pour optimiser ses profits. 

Une enquête menée par Consumer Reports a révélé que Kroger, l’une des grandes enseignes de la grande distribution aux Etats-Unis, utilise des données clients détaillées, notamment des estimations de revenus, pour personnaliser les remises via son programme de fidélité. Pour Levine et Nguyen, les programmes de fidélité sont devenus une mauvaise affaire pour les consommateurs.

Via ces programmes, les entreprises attirent les clients avec des remises importantes, puis réduisent discrètement ces avantages au fil du temps. Les compagnies aériennes en sont l’exemple le plus flagrant : obtenir un vol gratuit nécessite de collecter de plus en plus de points avec le temps. Les points se déprécient, les dates d’effets se réduisent… bref, l’utilisation du programme de fidélité se complexifie. Désormais, toutes les entreprises vous poussent à passer par leur application pour surveiller vos achats. Même les programmes gratuits s’y mettent. « Les entreprises ne disent pas la vérité sur la quantité de données qu’elles collectent et sur ce qu’elles en font », explique Samuel Levine. Reste qu’abandonner les programmes de fidélité n’est pas si simple, car sans eux, impossible d’obtenir les premières réductions alléchantes qu’ils proposent. « Nous ne devrions pas être obligés de choisir entre payer nos courses et protéger notre vie privée », conclut Levine. 

Les lois des États sur la protection de la vie privée obligent déjà les entreprises à minimiser la quantité de données qu’elles collectent, mais ces lois ne sont pas appliquées aux programmes de fidélité, affirment Levine et Nguyen, qui militent également pour améliorer la surveillance des prix, comme le proposait leur rapport pour la FTC. Ils invitent les consommateurs à être moins fidèles, à supprimer régulièrement leurs applications, à s’inscrire sous différents mails. « J’entends souvent des lecteurs me demander pourquoi ils devraient se soucier de la surveillance. Voici une réponse : ce n’est pas seulement votre vie privée qui est en jeu. C’est votre portefeuille », conclut le journaliste.

  •  

Une brève histoire de la Silicon Valley

Sur Fake Tech, en 4 billets fleuves, Christophe Le Boucher dresse une histoire de la Silicon Valley qui vaut vraiment le déplacement. S’inspirant de la somme de Malcolm Harris, Palo Alto : A History of California, Capitalism, and the World (Little Brown and company, 2023, non traduit) Le Boucher rappelle combien la Valley relève du colonialisme et d’une privatisation par le capitalisme. Et montre que la conquête du monde repose sur une radicalisation du modèle économique et politique des ingénieurs et entrepreneurs qui la façonnent. Les articles sont longs et riches, mais vous ne regretterez pas votre lecture. Ca commence par là.

  •  

L’ogre Airbnb

Très belle série du Monde en 6 articles sur l’ogre Airbnb, la solution de rentabilisation immédiate et maximale de l’immobilier privé. La série commence par décrire son emprise en quelques années et termine en montrant comment la ville de New York a réussi à endiguer le fléau en créant de la complexité administrative, plus encore en obligeant les propriétaires à être présents pendant le séjour des locataires et en renforçant les contrôles.

  •  

Les conditions de l’indépendance

« Pour moi, le projet de pays, si c’est pour répéter le même colonialisme, le même capitalisme sauvage qui exclut du monde… Quand je parle de colonialisme, vous m’entendez, je parle des Premières Nations, mais je parle aussi des nouveaux arrivants. Si c’est pour répéter ça, je vais me poser un certain nombre de questions. »
– Manon Massé en entrevue avec Patrice Roy, 28 octobre 2025

La gauche souverainiste se fait régulièrement accuser par les péquistes de poser des conditions à l’indépendance. Paul St-Pierre Plamondon répétait ce discours en entrevue avec le Devoir lundi. Il mentionnait Françoise David qui selon lui réclamait un pays socialiste. Mercredi dernier, Alex Boissonneault publiait une vidéo pour répondre à Manon Massé dans laquelle il nous disait: « L’indépendance, c’est un projet qui est rassembleur. C’est un progrès en soi, c’est une fin en soi. »

L’indépendance est un projet rassembleur, mais il y a longtemps que le Parti québécois a cessé de l’être. Sous Lucien Bouchard, la souveraineté est devenue la carotte qu’on agite au bout du nez des électeurs pour leur faire accepter un projet de société de centre-droit, où on vise le déficit zéro en coupant dans les services à la population tout en accordant des baisses d’impôts aux entreprises et aux gens qui n’en ont pas besoin. Sous Pauline Marois, une fracture s’est opérée entre les « bons » Québécois et les autres, qui ne respectent pas les « valeurs québécoises », par exemple en portant un hidjab.

Paul St-Pierre Plamondon a poursuivi cette politique de division en multipliant les épouvantails. Les personnes se trouvant à sa gauche, y compris des vétérans péquistes, sont désormais classées au sein de la « gauche radicale ». Les personnes non-binaires sont désignées comme « idéologie » et considérées comme une menace qui infiltre nos écoles et qui déforme notre langue. Les universitaires qui ne confirment pas les thèses du chef péquiste sont qualifiés d’idéologues. L’immigration est pointée du doigt comme cause universelle des problèmes du Québec. Et les péespépistes auront beau répétéer ad nauseam que « ce ne sont pas les immigrants qui sont visés, mais les politiques d’immigration », il reste qu’on retrouve au sein des militants un racisme que ce discours a contribué à décomplexer. On attend encore que M. Plamondon condamne le mouvement d’extrême droite Nouvelle Alliance.

« Mais le Parti québécois, ce n’est pas l’indépendance! » Qu’on le veuille ou non, le Parti québécois est le visage du projet aux yeux d’une majorité d’électeurs. Je ne compte plus les gens qui m’ont dit « J’ai voté OUI en 1995, mais je ne me reconnais pas dans la vision de Plamondon. »

Si le Parti québécois voulait réellement l’indépendance avant tout, il ne défendrait pas des positions qui donnent l’impression que le pays du Québec ne sera pas pour tout le monde. Il ne subordonnerait pas le projet indépendantiste à la chasse aux voiles ou à la lutte aux pronoms non-binaires. Il chercherait à rassembler plutôt qu’à soustraire.

Toute la gymnastique intellectuelle des péespépistes pour présenter leur programme comme ouvert et inclusif ne change rien à la perception qu’en a une bonne partie de l’électorat. Les sondages sont éloquents. En 2022, 90% des électeurs péquistes étaient indépendantistes. Depuis, les appuis au PQ ont presque triplé, mais la proportion d’indépendantistes a chuté aux deux tiers. En 2023, les appuis à l’indépendance tournaient autour de 40-45%. En 2025, tous les sondages sauf un donnent moins de 40% d’électeurs favorables à l’indépendance. Plamondon a fait le plein d’électeurs conservateurs qui veulent se débarrasser de la CAQ, mais il ne les a pas convaincus d’embarquer dans le train du pays. Le nationalisme conservateur fait gagner des élections, mais il ne rend pas indépendantiste. Au contraire, il pousse des gens hors du mouvement.

Les péquistes demandent qu’on vote pour le Parti québécois en disant qu’on doit commencer par faire le pays et qu’ensuite on décidera ce que le pays sera. C’est beau en théorie. En pratique, le référendum ne se fera pas au lendemain de l’élection. En entrevue avec le Devoir, PSPP était incapable de dire si le référendum aurait lieu au début de la première année ou à la fin de la quatrième. Ça signifie que si je vote pour le PQ, je ne vote pas uniquement pour l’indépendance. Je vote pour tout un programme. Dans mon cas, c’est un programme auquel je ne m’identifie pas du tout. Je ne suis pas prêt à signer un chèque en blanc.

Il n’y a évidemment aucune garantie que le référendum sera gagnant. En cas de défaite référendaire, les sacrifices auront été en vain et il sera trop tard pour revenir en arrière.

« On va faire l’indépendance et ensuite on décidera de ce qu’on veut comme pays! » Pour une personne comme moi, c’est intéressant. Je fais partie de la majorité. Je n’ai rien à craindre. Pour les minorités, c’est moins invitant. Pourquoi abandonneraient-elles volontairement les protections garanties par la Charte canadienne des droits et libertés sans savoir si leurs droits seraient garantis dans un Québec pays? On leur demande de faire un saut dans le vide sans même leur promettre qu’on va les attraper.

Certains péquistes sont sincères lorsqu’ils demandent de mettre tous les enjeux de côté au profit de l’indépendance. Ils sont prêts à avaler toutes les couleuvres que leur présente PSPP du moment qu’elles sont enrobées dans un beau glaçage bleu et blanc. D’autres le sont moins. Ils adhèrent au péespépisme, mais ils tentent de nous convaincre que tous les enjeux sont secondaires même si eux ne démordent pas. J’ai discuté plusieurs fois avec eux. Les échanges ressemblent à ça:
Péespépiste: C’est l’indépendance qui compte, on réglera les autres enjeux après.
Moi: Très bien, donc vous allez arrêter de parler contre la théorie du genre, les pronoms non-binaires, les toilettes mixtes…?
Péespépiste: Hey on peut-tu s’entendre qu’il y a juste deux sexes puis lâcher vos conneries wokes?
Bref, sous le couvert de prioriser l’indépendance, on voudrait nous faire accepter un menu indigeste qui n’a rien à voir avec la cause qu’on prétend défendre.

Je ne fais pas partie des groupes qui ont le plus à craindre d’un gouvernement péquiste. J’ai beau être un idéologue woke, je n’ai pas l’intention de céder aux pressions d’un gouvernement qui prétendrait me dicter ce que je peux enseigner ou non dans mes cours à l’université. Je ne suis pas musulman, encore moins une employée de l’État portant le hidjab. Je ne suis pas issu de l’immigration. Je ne fais pas partie des minorités de genre. Ce ne sont pas mes droits ou mon identité qui sont menacés par le conservatisme national du Parti québécois. Ce n’est pas moi qui suis de plus en plus marginalisé par un discours qui se déplace toujours un peu plus à droite. Voilà pourquoi je n’accepterai jamais de faire un « compromis ». Je suis prêt à sacrifier mon propre confort pour l’indépendance, mais je ne sacrifierai pas les personnes pour qui je lutte. Mon engagement envers l’indépendance du Québec vient après mon engagement envers l’égalité.

« Si tu poses des conditions à l’indépendance, tu n’es pas un vrai indépendantiste! »
Je m’en contrefous.

  •  

Les conditions de l’indépendance

“Pour moi, le projet de pays, si c’est pour répéter le même colonialisme, le même capitalisme sauvage qui exclut du monde… Quand je parle de colonialisme, vous m’entendez, je parle des Premières Nations, mais je parle aussi des nouveaux arrivants. Si c’est pour répéter ça, je vais me poser un certain nombre de questions.”
– Manon Massé en entrevue avec Patrice Roy, 28 octobre 2025

La gauche souverainiste se fait régulièrement accuser par les péquistes de poser des conditions à l’indépendance. Paul St-Pierre Plamondon répétait ce discours en entrevue avec le Devoir lundi. Il mentionnait Françoise David qui selon lui réclamait un pays socialiste. Mercredi dernier, Alex Boissonneault publiait une vidéo pour répondre à Manon Massé dans laquelle il nous disait: “L’indépendance, c’est un projet qui est rassembleur. C’est un progrès en soi, c’est une fin en soi.”

L’indépendance est un projet rassembleur, mais il y a longtemps que le Parti québécois a cessé de l’être. Sous Lucien Bouchard, la souveraineté est devenue la carotte qu’on agite au bout du nez des électeurs pour leur faire accepter un projet de société de centre-droit, où on vise le déficit zéro en coupant dans les services à la population tout en accordant des baisses d’impôts aux entreprises et aux gens qui n’en ont pas besoin. Sous Pauline Marois, une fracture s’est opérée entre les “bons” Québécois et les autres, qui ne respectent pas les “valeurs québécoises”, par exemple en portant un hidjab.

Paul St-Pierre Plamondon a poursuivi cette politique de division en multipliant les épouvantails. Les personnes se trouvant à sa gauche, y compris des vétérans péquistes, sont désormais classées au sein de la “gauche radicale”. Les personnes non-binaires sont désignées comme “idéologie” et considérées comme une menace qui infiltre nos écoles et qui déforme notre langue. Les universitaires qui ne confirment pas les thèses du chef péquiste sont qualifiés d’idéologues. L’immigration est pointée du doigt comme cause universelle des problèmes du Québec. Et les péespépistes auront beau répétéer ad nauseam que “ce ne sont pas les immigrants qui sont visés, mais les politiques d’immigration”, il reste qu’on retrouve au sein des militants un racisme que ce discours a contribué à décomplexer. On attend encore que M. Plamondon condamne le mouvement d’extrême droite Nouvelle Alliance.

“Mais le Parti québécois, ce n’est pas l’indépendance!” Qu’on le veuille ou non, le Parti québécois est le visage du projet aux yeux d’une majorité d’électeurs. Je ne compte plus les gens qui m’ont dit “J’ai voté OUI en 1995, mais je ne me reconnais pas dans la vision de Plamondon.”

Si le Parti québécois voulait réellement l’indépendance avant tout, il ne défendrait pas des positions qui donnent l’impression que le pays du Québec ne sera pas pour tout le monde. Il ne subordonnerait pas le projet indépendantiste à la chasse aux voiles ou à la lutte aux pronoms non-binaires. Il chercherait à rassembler plutôt qu’à soustraire.

Toute la gymnastique intellectuelle des péespépistes pour présenter leur programme comme ouvert et inclusif ne change rien à la perception qu’en a une bonne partie de l’électorat. Les sondages sont éloquents. En 2022, 90% des électeurs péquistes étaient indépendantistes. Depuis, les appuis au PQ ont presque triplé, mais la proportion d’indépendantistes a chuté aux deux tiers. En 2023, les appuis à l’indépendance tournaient autour de 40-45%. En 2025, tous les sondages sauf un donnent moins de 40% d’électeurs favorables à l’indépendance. Plamondon a fait le plein d’électeurs conservateurs qui veulent se débarrasser de la CAQ, mais il ne les a pas convaincus d’embarquer dans le train du pays. Le nationalisme conservateur fait gagner des élections, mais il ne rend pas indépendantiste. Au contraire, il pousse des gens hors du mouvement.

Les péquistes demandent qu’on vote pour le Parti québécois en disant qu’on doit commencer par faire le pays et qu’ensuite on décidera ce que le pays sera. C’est beau en théorie. En pratique, le référendum ne se fera pas au lendemain de l’élection. En entrevue avec le Devoir, PSPP était incapable de dire si le référendum aurait lieu au début de la première année ou à la fin de la quatrième. Ça signifie que si je vote pour le PQ, je ne vote pas uniquement pour l’indépendance. Je vote pour tout un programme. Dans mon cas, c’est un programme auquel je ne m’identifie pas du tout. Je ne suis pas prêt à signer un chèque en blanc.

Il n’y a évidemment aucune garantie que le référendum sera gagnant. En cas de défaite référendaire, les sacrifices auront été en vain et il sera trop tard pour revenir en arrière.

“On va faire l’indépendance et ensuite on décidera de ce qu’on veut comme pays!” Pour une personne comme moi, c’est intéressant. Je fais partie de la majorité. Je n’ai rien à craindre. Pour les minorités, c’est moins invitant. Pourquoi abandonneraient-elles volontairement les protections garanties par la Charte canadienne des droits et libertés sans savoir si leurs droits seraient garantis dans un Québec pays? On leur demande de faire un saut dans le vide sans même leur promettre qu’on va les attraper.

Certains péquistes sont sincères lorsqu’ils demandent de mettre tous les enjeux de côté au profit de l’indépendance. Ils sont prêts à avaler toutes les couleuvres que leur présente PSPP du moment qu’elles sont enrobées dans un beau glaçage bleu et blanc. D’autres le sont moins. Ils adhèrent au péespépisme, mais ils tentent de nous convaincre que tous les enjeux sont secondaires même si eux ne démordent pas. J’ai discuté plusieurs fois avec eux. Les échanges ressemblent à ça:
Péespépiste: C’est l’indépendance qui compte, on réglera les autres enjeux après.
Moi: Très bien, donc vous allez arrêter de parler contre la théorie du genre, les pronoms non-binaires, les toilettes mixtes…?
Péespépiste: Hey on peut-tu s’entendre qu’il y a juste deux sexes puis lâcher vos conneries wokes?
Bref, sous le couvert de prioriser l’indépendance, on voudrait nous faire accepter un menu indigeste qui n’a rien à voir avec la cause qu’on prétend défendre.

Je ne fais pas partie des groupes qui ont le plus à craindre d’un gouvernement péquiste. J’ai beau être un idéologue woke, je n’ai pas l’intention de céder aux pressions d’un gouvernement qui prétendrait me dicter ce que je peux enseigner ou non dans mes cours à l’université. Je ne suis pas musulman, encore moins une employée de l’État portant le hidjab. Je ne suis pas issu de l’immigration. Je ne fais pas partie des minorités de genre. Ce ne sont pas mes droits ou mon identité qui sont menacés par le conservatisme national du Parti québécois. Ce n’est pas moi qui suis de plus en plus marginalisé par un discours qui se déplace toujours un peu plus à droite. Voilà pourquoi je n’accepterai jamais de faire un “compromis”. Je suis prêt à sacrifier mon propre confort pour l’indépendance, mais je ne sacrifierai pas les personnes pour qui je lutte. Mon engagement envers l’indépendance du Québec vient après mon engagement envers l’égalité.

“Si tu poses des conditions à l’indépendance, tu n’es pas un vrai indépendantiste!”
Je m’en contrefous.

  •  

Le web pourrissant et l’IA florissante. Si nous sommes le bruit, qui sera la fureur ? 

Chapitre 1er.
Le web pourrissant et l’IA florissante.

Nos espaces discursifs en ligne, nos médias sociaux, sont déjà largement contaminés de contenus entièrement générés par IA. Les proportions peuvent varier d’un média à l’autre mais il s’agit de bien plus qu’une simple tendance, il s’agit de l’aboutissement d’un changement complet de paradigme. Après avoir été acteurs et actrices de la production de contenus, après avoir été essentiellement spectateurs et spectatrices de contenus publiés par d’autres que nous appartenant à différents sphères « d’influence » ou de médias, nous sommes aujourd’hui entrés dans une ère où des contenus produits par des IA phagocytent et recouvrent la quasi-totalité des contenus qui nous sont proposés. Il ne s’agit pas ici de rejoindre la théorie conspirationniste du « Dead Internet » selon laquelle les bots seraient en charge et à l’origine de la totalité du trafic en ligne ainsi que des contenus produits afin de mettre l’humanité sous coupe réglée, mais de constater que les bots et les contenus générés par IA … sont désormais à l’origine d’une majeure partie du trafic en ligne des des contenus produits. Pas de complot donc mais une question : que peut-il se produire dès lors que la réalité de nos espaces informationnels et discursifs en ligne est effectivement majoritairement produite par des bots et des IA. Bref, le pitch d’un excellent bouquin : « Les IA à l’assaut du cyberespace : vers un web synthétique. » Et sans divulgâcher la suite de cet article, il est évident qu’il ne peut pas en sortir grand chose de bon.

D’autant que ces contenus générés par IA et autres artefacts génératifs, sont devenus un nouvel horizon du capitalisme sémiotique et que la totalité de nos ectoplasmiques plateformes sociales annoncent vouloir s’y engouffrer, et s’y engouffrer massivement. Le groupe de Mark le Mascu annonce ainsi le lancement de Vibes, qui va se présenter comme un fil (feed) présentant uniquement des vidéos créées par IA (et par d’autres que nous parce qu’une fois qu’on aura fait joujou 5 minutes avec on se contentera de faire défiler). Le phénomène de « Slop AI » devient non plus un « encombrement » ou une « bouillie » numérique mais une ligne éditoriale revendiquée. De son côté, Singularity Sam (Altman) annonce le lancement de devinez quoi ? Bah oui, un réseau social sur le modèle de TikTok et entièrement dédié aux contenus vidéos générés par IA (des contenus directement issus de Sora, la plateforme de génération de vidéos par IA d’Open AI, ou comme on dit dans le milieu des égoutiers et autres fabriquants de pompes à merde, « Garbage In, Garbage Out« ). Toutes proportions gardées, c’est un peu comme si au début des années 2000 avec l’explosion du Spam (contenus, souvent publicitaires, non sollicités et invasifs) on avait dit « Oh vazy c’est cool, on va mettre en avant le Spam, on va faire des médias avec juste du Spam dedans« . La seule différence c’est qu’aujourd’hui le Spam du Slop (vous suivez ?) est essentiellement constitué d’animaux mignons et autres contenus suffisamment débiles pour être consommés rapidement et à coût cognitif nul, et suffisamment « engageants » pour nous faire croire qu’on ne perd pas totalement nos vies à regarder des trucs débiles. Et ce n’est pas près de s’arrêter, car pour l’instant en tout cas, la production de ces contenus « Slop » est une manne financière conséquente, car ces VAAC (Vidéos Artificielles A la Con, bah quoi moi aussi j’acronymise si je veux), car ces VAAC ** disais-je sont certes tout aussi répétitives et ennuyeuses que d’autres avant elles, mais elles agrègent un grand nombre de vues, et donc de monétisation, et beaucoup de Youtubeurs et Youtubeuses s’en frottent déjà les mains.

** Sur Mastodon, le camarade Tristan Nitot propose le concept de VACCUM : « Vidéos Artificielles à la Con Universellement et Uniformément Merdiques. »

Pour l’instant uniquement disponibles aux US, ces applications ont pu être testées, notamment par Michaël Szadkowski de l’équipe Pixels du Monde :

Le 7 octobre, entouré de collègues curieux, nous découvrons, entre amusement et effarement, la réalité concrète de ces deux applications. Un chat faisant du skateboard. Un lion jouant du djembé. Jésus câlinant un enfant. Une grand-mère en roue arrière sur une Harley.

Défile sous nos yeux une forme de reconnaissance du « brainrot » (abrutissement numérique) et autre « slop » (contenus IA de faible qualité et produits à la chaîne) qui prospéraient jusqu’ici à la marge des réseaux. Ici, ces formats sont pleinement assumés, une nouvelle forme de divertissement, d’expérience collective – et de source de revenus, de l’aveu même de Sam Altman, le PDG d’OpenAI.

 

Par-delà la facilité de générer ces vidéos sur la base d’un simple prompt, par-delà les fonctionnalités de mise en scène de soi dans lesdites vidéos au moyen d’une fonction « caméo » vous permettant de vous ajouter (votre avatar en tout cas) au coeur de n’importe quelle scène, et par-delà l’immensité subséquente des problèmes que cela peut poser selon les usages – et les âges – de celles et ceux qui utiliseront ces fonctions, c’est le sentiment qu’après plus d’un quart de siècle d’internet « grand public » nous n’avons rien compris, ou qu’en tout cas les propriétaires de ces plateformes n’ont rien appris, car comme le relate encore Michaël Szadkowski  :

Rapidement, sans même parler de la culpabilité liée au bilan carbone de nos expériences, les problèmes s’accumulent. Générer une version obèse, plus maigre ou plus musclée de mon caméo a été un jeu d’enfant. De même que de me faire tenir des propos ou des gestes condamnés par la loi, de faire de la pub de services douteux ou de danser avec une célébrité sulfureuse. On devine aussi les immenses problèmes à venir en termes de détournements. Surtout que la plupart des vidéos générées dans les brouillons d’un utilisateur peuvent être téléchargées, sauf quand elles contiennent un caméo de quelqu’un d’autre.

 

Si besoin, croisez aussi cela avec les récentes annonces d’Open AI de permettre à ChatGPT d’avoir des conversations « érotiques », et avec les révélations sur le fait que le groupe Méta entraîne ses modèles d’IA à des conversations érotiques avec des mineurs** et vous aurez une idée à peu près exacte de l’irresponsabilité autant que du cynisme le plus crasse des dirigeants de ces plateformes.

** à ce propos je vous invite à lire l’enquête de Reuters qui a rendu publics des documents internes dans lesquels les limites de « l’acceptable » sont définies face à des prompts dans lesquels une petite fille de 8 ans se dénude (enlève son t-shirt) devant l’écran et demande à l’assistant IA son ‘avis’, ou cet autre exemple dans lequel le prompt consiste à demander d’argumenter sur le fait que les noirs seraient plus cons que les blancs (sic). Dans tous les cas, les réponses jugées et définies comme « acceptables » par le groupe Méta permettent de mesurer toute l’étendue de l’absolue bêtise et de la dangerosité critique de celles et ceux définissant lesdits cadres d’acceptabilité, et qui ne sont rien moins que « les équipes juridiques, de politique publique et d’ingénierie de Meta, y compris son responsable de l’éthique. »  Puissent l’ensemble de ces connards décérébrés être rapidement mis à grande distance de toute forme de responsabilité juridique ou éthique dans quelque secteur que ce soit.

D’autant que ce même groupe Méta annonce sans broncher et un mois à peine après les révélations de Reuters, qu’il va « lancer des comptes spéciaux pour les ados sur Facebook et Messenger« , des outils « pensés pour protéger les jeunes en ligne. » Autant confier la justice des mineurs à Jean-Marc Morandini.

Vous aurez donc compris qu’il va être très compliqué d’analyser tout ça autrement que sous l’angle d’un gigantesque tsunami de merde. Mais pour m’efforcer d’être moins grossier et plus constructif, j’ai en tête le modèle mathématique de la communication proposé par Claude Shannon (en 1949), un modèle dans lequel il s’agissait (en gros) de comprendre comment optimiser la transmission d’un message en limitant le « bruit », c’est à dire tout signal parasite entre l’encodage et le décodage de l’information transmise. Avec ce célèbre schéma que tous et toutes les étudiant.e.s passées par le champ de l’information et de la communication ont eu sous les yeux :

 

 

Et ce souvenir en tête, la situation dans laquelle nous placent aujourd’hui l’ensemble des médias sociaux nous inondant de contenus générés par IA bien plus que par nous-mêmes, notamment par l’usage de « prompts » qui sont moins des « commandes » faites à des systèmes que des assignations et des injonctions faites à nous-même de s’inscrire dans ces dynamiques de générations, cette situation c’est que dans ce schéma global de la communication, j’ai le sentiment que nous ne sommes plus que le bruit. Nous sommes cet élément que Shannon et son camarade Weaver essayaient de réduire et de limiter. Nous sommes le bruit de ces plateformes qui n’aspirent finalement qu’à communiquer sans nous autrement que comme spectateurs assignés à justifier leur existence (celle des plateformes hein, pas celle des spectateurs, suivez un peu quoi). Chacun de nos prompts ajoute au bruit de cette grande lessiveuse qui choisira de ne visibiliser que la part qu’elle estimera immédiatement rentable de nos im-prompt-us murmures, de nos souffles, de nos cris, de nos ahurissements et de nos consentements à l’étrangeté de ces mondes générés pour rien. J’écrivais récemment dans une analyse parue sur AOC à propos de ce que j’appelais une « technorhée » que « les effets de réel produits par les artefacts génératifs sont des imaginaires en moins » : s’il s’agit d’imaginaires en moins c’est aussi parce ce que l’ensemble de ces générations artificielles sont du réel en trop, du réel pour rien. Et le reste, tout le reste, retournera au silence des plateformes.

Nous ne sommes plus que le bruit. Mais si nous sommes le bruit, alors qui sera la fureur ?

 

Chapitre 2nd.
Des moteurs de recherche aux super-assistants dopés à l’IA ?

Il y a une dizaine de jours (21 Octobre 2025) OpenAI a annoncé la sortie de son nouveau « super-assistant » baptisé « Atlas », qui est un navigateur intégrant toutes les fonctionnalités de ChatGPT présentées à la manière d’un moteur de recherche.

« ChatGPT Atlas est un navigateur conçu avec ChatGPT qui vous rapproche d’un véritable super assistant, capable de comprendre votre univers et de vous aider à atteindre vos objectifs » 

 

Alors évidemment il s’agit d’une nouvelle offre de service « logique » dans la guerre de position qui doit permettre à OpenAI de venir butiner sur les terres de ses concurrents directs, Google en tête. Et à ce titre et à l’échelle du web, « sortir » ChatGPT de sa « page » et propulser un navigateur dans lequel il fera office de moteur est tout à fait cohérent. Ce n’est pas pour autant que la bascule des usages se fera car à l’échelle des navigateurs justement, les habitudes ont la vie dure. Du côté des moteurs de recherche aussi d’ailleurs : Google peine à imposer les usages de Gemini (son IA maison) dans le cadre d’usage du moteur de recherche, pas sûr que OpenAI arrive à imposer l’usage d’un assistant IA comme un nouveau moteur de recherche. Nous y reviendrons. Mais bon il eût été dans tous les cas incompréhensible qu’OpenAI ne tente pas le coup. De fait l’expérience (j’ai testé) d’Atlas est rapidement assez déceptive en ce sens qu’elle oblige à passer par l’installation d’un navigateur et qu’en termes de fonctionnalités on n’a pas grand chose de plus que ce qui était déjà proposé sur la page dédiée à ChatGPT sur le site d’OpenAI (mais cela permet au passage à OpenAI de s’installer sur votre machine et de vous demander de récupérer l’ensemble de vos contacts, signets, mots de passe, réglages divers, etc.)

La seule valeur ajoutée réelle est celle de la fonction « agent » décrite comme suit par Alexandre Piquard sur Le Monde :

Le navigateur intègre aussi la fonction « agent » de ChatGPT, par laquelle l’utilisateur peut demander à l’assistant d’accomplir pour lui des actions, notamment en surfant le Web : réserver des billets de théâtre, un restaurant ou un livre, faire des courses de supermarché en ligne, remplir un formulaire, trouver un e-mail de contact puis envoyer un message… L’IA est en principe capable de consulter des pages par lui-même et même, avec autorisation de l’utilisateur, de se connecter à des services protégés par mot de passe, par exemple pour faire des achats en ligne. La fonctionnalité « agent » est toutefois réservée aux abonnés payants de ChatGPT.

 

Ce qui m’intéresse donc dans l’annonce du lancement d’Atlas (Titan mythologique assez fort pour supporter le poids de la voûte céleste et assez débile pour céder à la ruse de CE1 d’Héraclès à qui il avait réussi à la refiler), c’est précisément le narratif qui l’accompagne en tant que « super assistant ». En résumé ce narratif me semble être le nouveau signe d’une bascule anthropo-technique proche de son aboutissement. Car face à des nouveaux « assistants » ou « super assistants » nous sommes essentiellement désignés comme les assistés, les super assistés. Et face aux nouveaux « agents » conversationnels qui prennent en charge (notamment) nos recherches et qui, comme je l’expliquerai plus bas, « font à notre place », nous sommes désignés comme de nouveaux « mandants », presque de nouveaux « mand-IA-nts » (mais qui n’ont hélas rien de clochards célestes). Comment en sommes-nous arrivés là ?

Il fut un temps où la désignation des circulations possibles à l’échelle de l’internet et du web étaient de claires métaphores. Nous avions des « navigateurs« , lesquels utilisaient des « moteurs » ; et parfois sans moteur mais toujours en navigateur on se contentait de « surfer« . Pour se repérer on connaissait des adresses (URL) qui étaient autant de phares, de rives déjà apprivoisées ou de rivages à découvrir.

Et puis. Puis les moteurs de « recherche » sont devenus des moteurs de « réponses ». Puis les adresses (URL) se sont effacées, rétrogradées au second plan, amputées au-delà de leur racine, considérant que plus personne n’avait à se soucier de les retenir et nous privant du même coup d’une autre possibilité de s’orienter en dehors des déterminismes techniques servant de béquilles à nos mémoires. Et donc aujourd’hui, plus de moteurs ou de navigateurs, ou plus exactement qu’importent les moteurs et les navigateurs, nous serons « super assistés » par de « super assistants », et deviendrons donc « mandants » de ces nouveaux « agents ».

Chapitre 3ème.
Des technologies de la déprise qui ouvrent de nouveaux horizons d’emprise.

Depuis les NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication) et les métaphoriquement célèbres « autoroutes de l’information », depuis aussi cette idée idiote que « l’internet » serait un « Far-West » (Sarkozy, 2007) et autres récurrences tout aussi crétines de l’idée qu’il faudrait « reciviliser internet » (Mounir Mahjoubi en 2018) en passant par l’inénarrable Frédéric Lefebvre en 2009 et sa diatribe Kamoulox entre Hadopi, jeunes filles violées et identité nationale (sic) et jusqu’à tout récemment Clara Chappaz (2025) qui ressort le coup du Far-West à l’occasion de la mort de Raphaël Graven, chacun voit bien que la question de ces technologies est avant tout de nature politique. Et que ce qu’elles viennent bousculer dans nos schémas de communication et d’information est tout ce qui tient à notre capacité de faire société c’est à dire à nourrir des formes de sociabilités informationnelles, affectives et cognitives qui dessinent une réalité partagée.

La question des infrastructures technologiques n’est évidemment pas neutre dans l’équation, elle est même déterminante (à ce sujet lisez ou relisez Cyberstructure de Stéphane Bortzmeyer). Mais nous héritons d’un monde où la question politique de ces technologies et de leurs infrastructures n’a été posée en termes à peu près correct qu’à partir du moment où précisément elles avaient déjà commencé à ronger les structures même du débat public et politique tout autant que ses conditions pratiques d’exercice. L’histoire est malheureusement connue, à force de se concentrer sur la ruée vers l’or personne n’a noté que les seuls à faire réellement fortune étaient les fabricants de pelles. Et bien voici venu le temps des coups de pelle dans la tronche.

Pour sortir de cette qualification dépolitisante de « NTIC » beaucoup ont proposé d’autres dénominations. Pour ma part j’ai suggéré de questionner les NTAD, nouvelles technologies de l’attention et de la distraction. J’ai aussi et surtout interrogé la question de la déprise, c’est à dire la capacité de ces technologies à nous placer en situation de dépendance choisie, de nous installer dans des routines à coût cognitif nul, et finalement de presque tout faire à notre place, et inexorablement, de ne plus répondre à nos commandes que dans un « à peu près » qui nous satisfasse au regard de l’habitude prise à ne plus nous soucier de la précision du monde et de ce qui le constitue. Je vous invite à relire mon article de 2018 dans lequel j’explique tout cela avec de nombreux exemples et où je proposais l’insatisfaisant concept de « technologies de l’à peu près et de l’à ta place » que je requalifie donc aujourd’hui comme des technologies de la déprise (voilà pour le côté « à peu près ») et de l’emprise (voilà pour le côté « à ta place »). A partir de deux exemples « d’innovation » j’y montrais notamment ceci :

« Ce qui m’intéresse dans cette affaire c’est la chose suivante : nous avons donc un algorithme qui s’occupe de recadrer automatiquement les photos que nous prenons, au risque de nous faire prendre des photos que nous ne voulions pas prendre, ou en tout cas de donner à voir une « composition photographique » qui n’est pas celle que nous voulions montrer. Et ce « choix algorithmique » de recadrage, dont on nous dit qu’il est là pour permettre d’optimiser – paradoxalement – la visibilité, se trouve lui-même soumis au choix algorithmique conditionnant la visibilité du Tweet lui-même, indépendamment des photos recadrées qu’il contient. Soit un empilement de strates et de régimes algorithmiques d’obfuscation et de dévoilement, sur lesquels nous n’avons quasiment plus aucune prise (de vue).

Là encore, comme pour Clips de Google mais à un niveau légèrement différent, l’usage de la technologie nous installe dans une position que l’on pourrait qualifier « d’assistance contrainte » : nous n’avons pas demandé à ce que nos photos soient recadrées, mais nous n’avons pas d’autre choix en les soumettant que de les voir recadrées. La technologie et l’algorithme de machine-learning le font à notre place. TIYS (Technology In Your Stead) & AIYS (Algorithms In Your Stead). La négociation dans l’usage se jouant autour de la promesse de gain de visibilité pour l’utilisateur (et donc d’interaction ou d’engagement pour la plateforme).

 

Aujourd’hui l’ensemble des contenus produits par IA sont l’incarnation finale de ces technologies qui font à la fois « à peu près » et « à notre place ». Donnez-leur un prompt et vous aurez une projection qui sera « à peu près » ce que vous imaginiez, et qui surtout sera produite « à votre place » au double sens du terme, c’est à dire depuis votre place qui est une place à distance de l’acte de création, mais également qui vous départit de l’essentiel même de ce qu’imaginer ou créer veut dire.

Chapitre 4ème
À moins de revoir la doctrine entre le statut d’éditeur et celui d’hébergeur

J’ai le sentiment qu’il est beaucoup trop tard et que la seule manière de remettre un peu d’eau claire dans ce flot de merde, c’est de revenir sur une constante qui fut pourtant fondamentale et constitutive de l’histoire du web et des plateformes. Il faut que les plateformes soient immédiatement considérées comme totalement et pleinement éditrices des contenus qu’elles font circuler. De tous les contenus ? Oui. Voici pourquoi et voici aussi comment cela pourrait permettre de résoudre le problème qu’Emmanuel Macron résume parfaitement (bah oui faut le dire parfois il résume bien les trucs) mais en omettant de parler de l’autre éléphant dans la pièce, c’est à dire les « autres » médias classiques, traditionnels et pas spécialement sociaux mais qui sont au moins autant coupables de l’effondrement démocratique qui se dessine.

Parce que t’as raison Manu, on tape Islam sur TikTok et on tombe en trois clics sur des contenus salafistes. Mais je te rappelle qu’on dit « Bonjour » sur CNews et on tombe encore plus rapidement sur des contenus racistes éditorialisés par des gens condamnés pour corruption de mineurs et harcèlement sexuel, donc bon voilà quoi.

 

Oh oui reprends-moi le contrôle et enfourchons le tigre.

 

[Si vous êtes familiers de la distinction entre éditeur et hébergeur et de tout ce qui tient à la « section 230 », vous pouvez directement sauter ce passage et on se retrouve après les crochets, sinon je vous invite à lire l’article d’Anne Deysine dans l’excellentissime Revue Européenne des médias et du numérique, et vous en partage l’extrait qui suit :

« La section 230 a été ajoutée à la loi Communications Decency Act (CDA) de 1996 (qui visait à réguler la pornographie) grâce au lobbying de ceux que les chercheuses Mary Ann Franks et Danielle Keats Citron appellent les « fondamentalistes de l’internet » : ceux qui défendent une vision du web comme espace paradisiaque de liberté totale. La section 230 (surnommée « les 26 mots qui ont créé l’internet ») fut, à l’origine, conçue pour encourager les compagnies de la Tech à nettoyer les contenus offensifs en ligne. Il s’agissait de contrer une décision rendue en 1995 dans l’État de New York, ayant conclu à la responsabilité de Prodigy qui avait modéré des contenus postés sur son site. La section 230 (c) (1) stipule qu’« aucun fournisseur d’accès ne sera traité comme un éditeur ». Un deuxième paragraphe, 230 (c) (2), précise qu’« aucun fournisseur ou utilisateur d’un service informatique interactif ne sera tenu responsable, s’il a de bonne foi restreint l’accès ou la disponibilité de matériaux qu’il considère être obscènes, excessivement violents, de nature harcelante ou autrement problématiques (otherwise objectionable), que cette information soit constitutionnellement protégée ou non. 

C’est ce qu’on appelle la disposition du « bon Samaritain », conçue comme plus limitée que le paragraphe (c) (1), car nécessitant de prouver la bonne foi.

Mais les juridictions étatiques et fédérales ont étendu la protection juridique bien au-delà de ce que prévoit le texte de la loi, avec pour résultat que les plateformes ne soient guère incitées à combattre les abus en ligne. La section 230 a, de fait, libéré les sites internet, les sites de streaming et les réseaux sociaux (pas encore nés en 1996), qui peuvent héberger du contenu extérieur sans être confrontés à la tâche (impossible ?) de vérifier et de contrôler tout ce qui est posté par les utilisateurs. Telle qu’interprétée par les juridictions fédérales, la section 230 confère aux plateformes et réseaux sociaux une immunité totale, quels que soient le contexte et le cas de figure (modération ou non). Avec pour conséquences, entre autres, la multiplication des mensonges et la prolifération de la désinformation et des discours de haine. Ils ont donc le pouvoir sans la responsabilité, selon les mots de Rebecca Tushnet. » in Deysine, Anne. « La section 230 : quelle immunité pour les réseaux sociaux ? » La revue européenne des médias et du numérique, 13 février 2024.

 

Pour rappel également, Trump s’est tour à tour « amusé », dans ce mandat comme dans son précédent, à brandir la menace de la suppression de la section 230 (quand ça l’arrangeait pour mettre la pression aux grands patrons de la tech qui tardaient à lui donner des gages de servilité) puis à en rappeler l’importance (dès lors que les gages de servilité avaient été obtenus et qu’il s’agissait alors pour lui de rétablir les plateformes dans une immunité totale au service de ses intérêts politiques.]

Reprenons.

Dans le contexte de l’explosion totalement dérégulée des contenus générés par IA, continuer aujourd’hui à prétendre encore distinguer entre un statut d’éditeur et un autre d’hébergeur en privilégiant ce dernier, c’est prétendre vouloir nettoyer les écuries d’Augias avec un coton-tige et un mi-temps thérapeutique. Il ne s’agit plus de dire que c’est trop tard (c’est en effet trop tard) ; il s’agit de dire que ce n’est simplement plus le sujet.

On ne peut plus considérer aujourd’hui que les très grandes plateformes actuelles de médias sociaux sont légitimes à continuer de s’abriter derrière un statut d’hébergeur. Elles ne le sont plus. Du tout. Leurs algorithmes tordent la réalité sous l’impulsion et les intentions claires et transparentes de l’idéologie de leurs propriétaires. Et elles ont toutes jusqu’ici absolument tout mis en place pour, à chaque fois que possible, se soustraire à leurs obligations légales ou à leurs engagements moraux.

Nous sommes au coeur d’un nouvel épisode du paradoxe de la tolérance de Popper : nous avons été beaucoup trop tolérants avec des grandes plateformes qui trop longtemps furent et continuent d’être la caution de toutes les intolérances. Tout a été dit et documenté sur le fait que toutes les plateformes ont non seulement parfaitement conscience des dérives et des dangers qu’elles représentent (notamment mais pas uniquement pour les publics les plus jeunes), sur les moyens dont elles disposent toutes pour immédiatement atténuer ces dangers et ces dérives, et sur les coupables atermoiements, reniements, dissimulations et mensonges qui les conduisent à ne rien mettre en place de significatif à l’échelle de l’immensité et de l’urgence des problèmes qu’elles posent. Je l’ai (et tant d’autres avec moi) tant de fois dit, écrit, montré et démontré et le redis encore une fois :

 

Après les mensonges de l’industrie du tabac sur sa responsabilité dans la conduite vers la mort de centaines de millions de personnes, après les mensonges de l’industrie du pétrole sur sa responsabilité dans le dérèglement climatique, nous faisons face aujourd’hui au troisième grand mensonge de notre modernité. Et ce mensonge est celui des industries extractivistes de l’information, sous toutes leurs formes. (…) Et même s’ils s’inscrivent, comme je le rappelais plus haut, dans un écosystème médiatique, économique et politique bien plus vaste qu’eux (…) les médias sociaux, sont aujourd’hui pour l’essentiel de même nature que la publicité et le lobbying le furent pour l’industrie du tabac et du pétrole : des outils au service d’une diversion elle-même au service d’une perversion qui n’est alimentée que par la recherche permanente du profit.

 

Autre fait incontestable de ce premier quart du 21ème siècle, aujourd’hui et lorsqu’ils ne disposent pas déjà d’un internet totalement fermé ou sous contrôle (comme en Chine ou en Russie par exemple), l’essentiel des pouvoirs politiques de la planète n’ont plus pour projet, ambition ou vocation de contrôler et de limiter le pouvoir de nuisance de ces plateformes mais tout au contraire de le maximiser et de le mettre à leur propre service ou, le cas échéant, à celui d’un agenda du chaos sur lequel ils espèrent pouvoir encore prospérer. Comme le rappelle très bien Fred Turner dans « Politique des machines » :

« L’une des plus grandes ironies de notre situation actuelle est que les modes de communication qui permettent aujourd’hui aux autoritaires d’exercer leur pouvoir ont d’abord été imaginés pour les vaincre. »

 

Il revient donc aux quelques états encore pleinement démocratiques (ou pas encore totalement illibéraux), en Europe notamment, de mettre immédiatement fin à la tolérance qui est faite à ces très grandes plateformes, de rompre avec leur statut d’hébergeur et de les rendre éditrices en droit. À celles et ceux qui m’objecteront que c’est impossible, je répondrai qu’il s’agit de l’une de nos dernières chances pour préserver l’espoir de vivre encore dans une forme de réalité partagée et consensuelle, et qui ne soit pas en permanence minée et traversée d’opérations massives de déstabilisation ou d’influence de plus en plus simples à initier et de plus en plus complexes à contrer (si vous êtes curieux de cela, regardez par exemple ce qui se passe actuellement autour de l’IA, des LLM et de la stratégie des « data voids » – données manquantes – et autres LLM Grooming). Et que si ce mur là continue de se fissurer et tombe, alors …

À celles et ceux qui disent que c’est impossible je répondrai aussi que refuser de le faire c’est continuer de nier la place et le rôle politique de ces plateformes et privilégier un argument de neutralité de la technique dont nous avons chaque jour démonstration de l’ineptie totale qu’il recouvre. C’est bien parce que ces plateformes sont avant tout politiques, c’est bien parce que ces plateformes sont dirigées par des hommes (et quelques rares femmes) aux agendas idéologiques clairs (et le plus souvent dangereux), c’est bien parce qu’ouvrir le code des algorithmes ne suffit plus, c’est bien parce qu’il s’agit de protéger des populations entières d’usages incitatifs qui tendent majoritairement à corrompre, à pourrir, à remettre en doute toute forme de réalité objectivable et partagée, c’est bien pour l’ensemble de ces raisons qu’il est aujourd’hui impérieux de sortir d’une logique où le statut d’hébergeur est systématiquement brandi comme la carte joker de l’effacement de toute responsabilité ou de toute contrainte.

Le maintient d’un statut d’hébergeur primant sur celui d’éditeur n’avait de sens que dès lors qu’il n’y avait pas plus qu’un doute raisonnable sur l’indépendance politique et idéologique des plateformes et de ceux qui les dirigent. Ce doute étant aujourd’hui totalement levé et démonstration étant faite quasi-quotidiennement de l’ingérence de ces plateformes dans chacune des strates et orientation du débat public comme des décisions politiques, il faut imposer un statut d’éditeur à toutes ces grandes plateformes et que ce statut prime sur des fonctions d’hébergeur qui peuvent, marginalement ou périphériquement leur être conservées. Bref il faut de toute urgence inverser la logique. Il faut que ces plateformes répondent en droit de leur responsabilité d’abord éditoriale ou il faut qu’elles s’effondrent. Tout autre scénario revient aujourd’hui à accepter l’effondrement à moyen terme de nos démocraties. Il nous faut un effet cliquet ; il nous faut « cranter » une décision suffisamment forte pour qu’elle change totalement les dynamiques en cours.

Depuis l’émergence des grands réseaux puis médias sociaux « grand public », disons depuis 15 ou 20 ans, nous avons, et le législateur, raisonné en alignement avec l’argumentaire des plateformes consistant à expliquer que « plus elles étaient grosses » (en nombre d’utilisateurs), « plus les contenus y étaient abondants« , et « plus il était impossible d’y appliquer une modération ou une transparence éditoriale. » Or nous avons commis une triple erreur.

D’abord sur le statut d’hébergeur versus celui d’éditeur : cet argumentaire était directement repris de celui des fournisseurs d’accès, qui eux, étaient à l’époque comme maintenant, parfaitement légitimes à être protégés par le statut d’hébergeur en tant qu’intermédiaires techniques. Mais aucune des grandes plateformes dont nous parlons aujourd’hui n’a bâti son succès et son audience en tant qu’intermédiaire technique. Voilà notre première erreur.

La seconde erreur est de considérer que plus les gens sont nombreux à interagir, plus il y a de contenus en circulation, et moins il devrait y avoir de règles (ou seulement des règles « automatisées ») car toutes ces interactions seraient impossibles à contrôler. Je vous demande maintenant de relire la phrase précédente et d’imaginer que nous ne parlons plus de grandes plateformes numériques mais de pays et de populations civiles. Imagine-t-on réellement pouvoir tenir un argumentaire qui expliquerait que plus la population d’un pays est nombreuse, plus elle interagit et produit des discours et des richesses, et moins il doit y avoir de règles et de lois car tout cela serait trop complexes à gérer ? Voilà notre deuxième erreur. Et même si par nature, les espaces de ces très grandes plateformes ne sont ni entièrement des espaces publics, ni jamais pleinement des espaces privés, ils demeurent des espaces politiques traversés en chacun de leurs points et de leurs vecteurs par la question du « rendu public » et des règles afférentes qui le permettent et l’autorisent.

La troisième erreur est d’avoir laissé ces grandes plateformes agglomérer, agglutiner, une série de services et de « métiers » qui n’ont rien à voir entre eux et obéissent à des logiques de régulation différentes pouvant aller jusqu’à l’antagonisme. Ainsi, un service de « réseau social » qui s’appuie uniquement sur de la mise en relation, un service de messagerie électronique, un service de production de contenus vidéos, un service de moteur de recherche, et quelques autres encore, ne peuvent évidemment pas être soumis aux mêmes règles ou statuts d’hébergeur ou d’éditeur. Il n’est ainsi pas question pour un service de courrier électronique de faire peser la même responsabilité éditoriale que, par exemple, pour un service de production de vidéos. Lorsque Mark Zuckerberg déclarait ainsi en 2020, « Treat us like something between a telco and a newspaper » (« traitez-nous comme quelque chose entre un opérateur télécom et un journal »), c’est une manière d’échapper à sa responsabilité de « journal » (en s’abritant derrière les régulations des opérateurs télécoms qui ne couvrent pas l’aspect éditorial) et d’échapper aussi à sa responsabilité d’opérateur télécom (en s’abritant derrière les régulations propres aux médias). Voilà notre troisième erreur : avoir accepté de traiter l’ensemble de ces grandes plateformes comme si elles n’étaient qu’un tout et n’avaient qu’un seul « métier », alors pourtant que depuis des années, la nécessité de leur démantèlement (ou de leur nationalisation partielle) était la seule hypothèse rationnelle.

En parallèle voilà plus de deux décennies que nous demandions et tentons d’installer dans le débat public la nécessité d’ouvrir le code ces algorithmes. Moi y compris et – pardon pour l’immodestie – moi parmi les tous premiers avec mon camarde Gabriel Gallezot dès 2003, Aujourd’hui non seulement ouvrir le code des algorithmes ne suffit plus puisqu’irrévocablement, irrémédiablement, « il n’y a pas d’algorithme, juste la décision de quelqu’un d’autre » (Antonio Casilli, 2017), et de quelqu’un d’autre qui, soit se cogne de toute considération politique, soit au contraire ne raisonne qu’en termes politiques et idéologiques.

Cela ne veut pas dire pour autant que toute plateforme hébergeant des contenus en ligne doit se voir assignée uniquement et exclusivement un rôle et statut d’éditeur. Cela veut par contre dire que toutes les très grandes plateformes sociales actuelles, disons pour reprendre la catégorisation du DSA (Digital Service Act) toutes celles ayant plus de 45 millions d’utilisateurs actifs (soit 10% de la population européenne), toutes ces très grandes plateformes doivent d’abord être considérées comme éditrices. Dans la jurisprudence, l’un des critères les plus déterminants qui permet de distinguer entre hébergeur et éditeur et celui dit du « rôle actif », défini comme « la connaissance et le contrôle sur les données qui vont être stockées. » Or qui peut aujourd’hui sérieusement prétendre que Facebook, Instagram, X, TikTok et les autres n’ont pas un rôle actif dans la circulation des contenus hébergés, et que ces plateformes n’auraient ni connaissance ni contrôle sur les données et contenus stockés ? Le gigantisme fut longtemps l’argument mis en avant par les plateformes pour, précisément échapper à leur responsabilité éditoriale. Cet argument n’a aujourd’hui (presque) plus rien de valide techniquement ou de valable en droit.

Entendez-vous le son qui monte ? « Cela reviendrait à condamner le modèle même de ces plateformes, à les empêcher d’exister« . Oui. Oui encore et encore oui. Puisqu’elles n’entendent rien et se soustraient à toutes leurs obligations légales ou morales, oui il faut les renvoyer à leur responsabilité première, qui est une responsabilité éditoriale. Et le risque qu’elles ferment ? Oui il faut prendre ce risque. Qu’elles revoient entièrement leur mode de fonctionnement ? Oui il faut prendre ce risque. Que les interactions y baissent drastiquement ? Oui il faut prendre ce risque. Qu’elles soient contraintes de massivement recruter des modérateurs et des modératrices bien au-delà de ce qu’exige l’actuel DSA (dont elles n’ont à peu près rien à secouer) ? Oui il faut prendre ce risque. Qu’elles soient contraintes d’appliquer toutes les décisions de justice qui restent jusqu’ici lettre morte ? Oui il faut prendre ce risque. Que leur modèle économique soit totalement remis en cause ? Oui il faut prendre ce risque. Qu’une mathématique algorithmique explicite s’applique de plein droit sans être en permanence triturée pour faire remonter le pire, le plus clivant, le plus choquant, le plus porteur émotionnellement et le plus au service des idéaux du patron ? Oui il faut prendre ce risque. Que nous soyons contraint.e.s de les quitter ? Oui il faut prendre ce risque.

Et par-delà ces « risques » il s’agit surtout d’opportunités. Je rappelle en effet que d’autres formes de collectif, d’agrégation, d’intelligences collectives ont toujours été possibles, le sont et le seront encore à l’échelle d’internet, à l’échelle du web, à l’échelle des plateformes. Car si l’on parvient, pour les plus grosses d’entre elles, à mettre fin à ce statut d’hébergeur aujourd’hui presque totalement dérogatoire au droit, alors il reviendra à chacun.e d’entre nous, aux pouvoirs politiques et aux collectifs citoyens, aux chercheurs, aux chercheuses, aux journalistes et à l’ensemble des corps intermédiaires aujourd’hui tous menacés ou contraints par ces plateformes, de retrouver ce qui fut un temps le rêve achevé du web : des gens s’exprimant en leur nom (ou pseudonyme qu’importe), depuis principalement leur adresse, créant entre elles et eux des liens plutôt que des like. Un Homme, une page, une adresse.

Éditorialiser.

Ce que nous ferons de l’actuelle l’irresponsabilité éditoriale des très grandes plateformes n’est ni temporairement un choix technique, ni réellement un choix juridique, ni même pleinement un choix politique ; c’est une somme de tout cela mais c’est bien plus encore que cela. C’est un choix ontologique, qui seul peut nous permettre de définir et d’assigner ces écosystèmes informationnels à ce qu’ils sont vraiment et non à ce qu’ils prétendent être. Fred Turner encore, dans une interview sur NeXt à l’occasion de la sortie de « Politique des machines » (chez le meilleur éditeur de la galaxie connue) nous le rappelle (je souligne) :

« Nous vivons dans une ère saturée de médias et d’histoires. Rien ne donne plus de pouvoir que la capacité à contrôler le récit. En la matière, Donald Trump, c’est un drame dans lequel chaque Américain a une chance de jouer un rôle. C’est ce drame qui structure la réalité.

Si la France est là où les États-Unis étaient en 2022, disons, alors elle a une opportunité que nous n’avons pas su saisir. Vous pouvez construire des réseaux de solidarité dans les gouvernements, dans la société civile, dans les mondes numériques. Vous pouvez commencer à parler du monde que vous voulez construire. De cette manière, si l’autoritarisme arrive à votre porte, vous aurez déjà une autre histoire à proposer. »

 

Il (me) semble que cette histoire ne pourra jamais être contée si nous ne contribuons pas, en parallèle et peux-être en préalable, à démolir et à éparpiller façon puzzle l’actuel paysage éditorial dominant.

Marcello Vitali Rosati donnait la définition suivante de l’éditorialisation, une définition que je vous ai souvent donnée ici, que j’ai souvent reprise à mon compte :

« L’éditorialisation n’est pas seulement un ensemble de techniques, même si l’aspect technique est le plus visible et le plus facilement définissable. On pourrait donner la définition suivante. L’éditorialisation est l’ensemble des dispositifs qui permettent la structuration et la circulation du savoir. En ce sens l’éditorialisation est une production de visions du monde, ou mieux, un acte de production du réel. »

 

« Avoir une autre histoire à proposer« , « produire des visions du monde« , produire du réel. Que font et que sont ces méga-plateformes aujourd’hui sinon un acte premier et fondateur de production du réel. Mais souvenez-vous en et retenez-le bien, c’est un réel « à peu près » ; c’est un acte de production « à notre place« . Il est temps que tout cela cesse. Alors cessons d’être le bruit, et surtout, empêchons-les de plonger notre monde dans la fureur.

  •  

upcoming brain candy

upcoming brain candy

Virtual Convo! On Monday, November 3 at 7PM ET, Lee Vinsel, Cory Doctorow, and I will be jamming in a livestream about Cory's new book Enshittification. I love this book and I love that I'll get to brain jam with two people I adore. So please join us on the livestream here!

Cornell Talks. I have two talks at Cornell coming up if you happen to be in Ithaca:

PS: After 4 years of writing, I've turned in the manuscript for my upcoming book: "Data Are Made, Not Found: A Story of Politics, Power, and the Civil Servants Who Saved the US Census" (to be published by the University of Chicago Press next September). ::gulp:: You'll be hearing more about this shortly so stay tuned. But omg omg omg omg the book is in.

  •  

L’incorporation des médecins: L’éléphant dans la pièce

En 2016, la CAQ réclamait la fin de l’incorporation des médecins. Une mesure qui devait faire économiser 150 millions de dollars à l’État (donc probablement 200 millions en 2025). En 2025, la CAQ vote une loi spéciale pour modifier la rémunération des médecins… sans toucher à l’incorporation. Il faudrait en parler.

C’est le Dr Philippe Couillard, lui-même médecin spécialiste, qui a instauré l’incorporation des médecins en 2007. Ils avaient déjà tous les avantages reliés au statut de travailleur autonome sans en subir les risques. Voilà qu’ils obtenaient également les avantages d’une entreprise. La nouveauté semble avoir été attrayante: En 2017, 56% des médecins québécois avaient une entreprise à leur nom, comparativement à 19% des comptables agréés et 18% des avocats.

L’incorporation des médecins ne change rien à la pratique médicale. Le Collège des médecins le reconnaît: « Les avantages de l’exercice de la profession médicale en société sont essentiellement d’ordres fiscaux et organisationnels. » Voyons ce que ça représente pour le médecin et pour l’État.

Fiche de Vincent Oliva M. D. Inc. dans le Registraire des entreprises du Gouvernement du Québec

Étape 1: Le Dr Vincent Oliva s’incorpore sous le nom « Vincent Oliva M. D. Inc. »
Étape 2: Plutôt que de se faire payer directement par le gouvernement du Québec, le Dr Oliva passe par l’intermédiaire de son entreprise, qui lui verse un « salaire ».
Étape 3: Le Dr Oliva se paie un salaire moins élevé que celui qu’il a effectivement reçu pendant l’année en cours afin de payer moins d’impôts.

Les médecins incorporés sont considérés comme une petite entreprise, dont le taux d’imposition est drastiquement moins élevé que celui des particuliers (en 2016, Radio-Canada relevait que l’incorporation permettait aux médecins de passer d’un taux d’imposition de 48% à 19%). Cette aberration fiscale permet au Dr Oliva de payer relativement peu d’impôts sur un salaire qui doit avoisiner les 700 000$ (les radiologistes avaient une rémunération moyenne de 527 000$ en 2012). Il peut conserver l’excédent jusqu’à sa retraite, voire l’utiliser pour acheter des outils de placement financier ou immobilier. Si le Dr Oliva a un(e) conjoint(e) et des enfants majeurs, il peut en faire les actionnaires de son entreprise et leur verser des dividendes. Si le revenu du conjoint et des enfants est inférieur à celui du Dr Oliva, on sauve encore de l’impôt.

Le taux d’imposition plus bas des entreprises se justifie généralement par le facteur de risque. Or, le risque est inexistant dans ce cas-ci. Il n’y a pas de concurrence dans la santé publique. Le gouvernement du Québec est le seul client des médecins. Par conséquent, il n’y a aucune raison pratique de maintenir l’incorporation des médecins. Tant qu’à sortir l’artillerie lourde, pourquoi la CAQ n’en a pas profité pour reprendre sa propre proposition?

Puisque notre gouvernement aime s’inspirer de la France, comparons avec le cas français. L’incorporation n’offre pas d’avantage fiscal particulier aux médecins français, qui s’incorporent surtout pour avoir une plus grande flexibilité dans l’organisation de leur pratique.

Je rappelle que le Collège des Médecins considère que l’incorporation des médecins présente surtout des avantages fiscaux. Pour illustrer un modèle différent, voici comment France Mutuelle présente la différence entre les médecins salariés et les médecins incorporés (qui constituent à peine 7% des médecins français): « Le salariat attire par sa sécurité, son temps de travail régulier, et son équilibre vie pro/vie perso. Mais la médecine libérale reste essentielle pour garantir une offre de soins de proximité. » Les avantages fiscaux pour les médecins incorporés en France sont à peu près nuls si on les équilibre avec les frais d’opération. L’avantage vient surtout de l’autonomie de la pratique, qui permet notamment une meilleure prise en charge des patients. Rappelons qu’en France, la grande majorité des médecins sont des employés de l’État, contrairement aux médecins québécois qui sont travailleurs autonomes.

Contrairement à la loi actuelle, qui frappe tous les médecins sans distinction, mettre fin à l’incorporation des médecins ciblerait uniquement ceux qui abusent du système. Ce ne sont pas tous les médecins qui sont incorporés et qui utilisent ce stratagème pour payer moins d’impôts. Mais il faut reconnaître que ceux qui le font sont un poids pour les finances publiques.

200 millions de dollars, ça peut sembler relativement peu, mais c’est plus de cinq fois le financement demandé par les banques alimentaires du Québec. Pour quelle raison est-ce qu’on se prive de ces revenus?

Si on laisse des privilèges aux médecins parce qu’on craint qu’ils quittent leur profession, on devrait peut-être songer à permettre l’incorporation aux infirmières, aux préposés aux bénéficiaires, aux enseignants et aux éducatrices?

  •  

L’incorporation des médecins: L’éléphant dans la pièce

En 2016, la CAQ réclamait la fin de l’incorporation des médecins. Une mesure qui devait faire économiser 150 millions de dollars à l’État (donc probablement 200 millions en 2025). En 2025, la CAQ vote une loi spéciale pour modifier la rémunération des médecins… sans toucher à l’incorporation. Il faudrait en parler.

C’est le Dr Philippe Couillard, lui-même médecin spécialiste, qui a instauré l’incorporation des médecins en 2007. Ils avaient déjà tous les avantages reliés au statut de travailleur autonome sans en subir les risques. Voilà qu’ils obtenaient également les avantages d’une entreprise. La nouveauté semble avoir été attrayante: En 2017, 56% des médecins québécois avaient une entreprise à leur nom, comparativement à 19% des comptables agréés et 18% des avocats.

L’incorporation des médecins ne change rien à la pratique médicale. Le Collège des médecins le reconnaît: “Les avantages de l’exercice de la profession médicale en société sont essentiellement d’ordres fiscaux et organisationnels.” Voyons ce que ça représente pour le médecin et pour l’État.

Fiche de Vincent Oliva M. D. Inc. dans le Registraire des entreprises du Gouvernement du Québec

Étape 1: Le Dr Vincent Oliva s’incorpore sous le nom “Vincent Oliva M. D. Inc.”
Étape 2: Plutôt que de se faire payer directement par le gouvernement du Québec, le Dr Oliva passe par l’intermédiaire de son entreprise, qui lui verse un “salaire”.
Étape 3: Le Dr Oliva se paie un salaire moins élevé que celui qu’il a effectivement reçu pendant l’année en cours afin de payer moins d’impôts.

Les médecins incorporés sont considérés comme une petite entreprise, dont le taux d’imposition est drastiquement moins élevé que celui des particuliers (en 2016, Radio-Canada relevait que l’incorporation permettait aux médecins de passer d’un taux d’imposition de 48% à 19%). Cette aberration fiscale permet au Dr Oliva de payer relativement peu d’impôts sur un salaire qui doit avoisiner les 700 000$ (les radiologistes avaient une rémunération moyenne de 527 000$ en 2012). Il peut conserver l’excédent jusqu’à sa retraite, voire l’utiliser pour acheter des outils de placement financier ou immobilier. Si le Dr Oliva a un(e) conjoint(e) et des enfants majeurs, il peut en faire les actionnaires de son entreprise et leur verser des dividendes. Si le revenu du conjoint et des enfants est inférieur à celui du Dr Oliva, on sauve encore de l’impôt.

Le taux d’imposition plus bas des entreprises se justifie généralement par le facteur de risque. Or, le risque est inexistant dans ce cas-ci. Il n’y a pas de concurrence dans la santé publique. Le gouvernement du Québec est le seul client des médecins. Par conséquent, il n’y a aucune raison pratique de maintenir l’incorporation des médecins. Tant qu’à sortir l’artillerie lourde, pourquoi la CAQ n’en a pas profité pour reprendre sa propre proposition?

Puisque notre gouvernement aime s’inspirer de la France, comparons avec le cas français. L’incorporation n’offre pas d’avantage fiscal particulier aux médecins français, qui s’incorporent surtout pour avoir une plus grande flexibilité dans l’organisation de leur pratique.

Je rappelle que le Collège des Médecins considère que l’incorporation des médecins présente surtout des avantages fiscaux. Pour illustrer un modèle différent, voici comment France Mutuelle présente la différence entre les médecins salariés et les médecins incorporés (qui constituent à peine 7% des médecins français): “Le salariat attire par sa sécurité, son temps de travail régulier, et son équilibre vie pro/vie perso. Mais la médecine libérale reste essentielle pour garantir une offre de soins de proximité.” Les avantages fiscaux pour les médecins incorporés en France sont à peu près nuls si on les équilibre avec les frais d’opération. L’avantage vient surtout de l’autonomie de la pratique, qui permet notamment une meilleure prise en charge des patients. Rappelons qu’en France, la grande majorité des médecins sont des employés de l’État, contrairement aux médecins québécois qui sont travailleurs autonomes.

Contrairement à la loi actuelle, qui frappe tous les médecins sans distinction, mettre fin à l’incorporation des médecins ciblerait uniquement ceux qui abusent du système. Ce ne sont pas tous les médecins qui sont incorporés et qui utilisent ce stratagème pour payer moins d’impôts. Mais il faut reconnaître que ceux qui le font sont un poids pour les finances publiques.

200 millions de dollars, ça peut sembler relativement peu, mais c’est plus de cinq fois le financement demandé par les banques alimentaires du Québec. Pour quelle raison est-ce qu’on se prive de ces revenus?

Si on laisse des privilèges aux médecins parce qu’on craint qu’ils quittent leur profession, on devrait peut-être songer à permettre l’incorporation aux infirmières, aux préposés aux bénéficiaires, aux enseignants et aux éducatrices?

  •  

Pour une « nétiquette » de l’IA générative [en]

[en]

L’IA générative, c’est ChatGPT, Claude et consorts. Ce sont des outils à qui on donne des instructions, et qui produisent en réponse du texte. Il y en a également à qui l’on donne des instructions, et qui produisent des images, du son, voir de la vidéo.

Je n’ai pas pour objectif ici d’essayer de discuter de l’éthique lié à leur utilisation ou à leur entraînement. Il s’agit d’un tout autre sujet, dont il vaut par ailleurs la peine de discuter. D’un point de vue pragmatique, je les trouve suffisamment utiles pour les utiliser régulièrement. Mais ce dont je veux parler ici c’est comment éviter de gros faux-pas en matière de communication et de relationnel.

Voici deux usages très problématiques et que l’on voit malheureusement trop fréquemment:

  1. Laisser l’IA parler à notre place, tel Christian avec Cyrano
  2. Assommer les gens de copier-coller verbeux produits par une IA, version 2025 de RTFM

L’IA-Cyrano

Voici quelques exemples du premier cas de figure:

  • quelqu’un me pose une question, je la pose à ChatGPT et je réponds à mon interlocuteur avec la réponse que m’a donnée ChatGPT, comme si c’était moi qui parlais
  • je produis des visuels avec Midjourney ou autre et je les partage sur instagram sans préciser qu’il s’agit de productions d’IA générative
  • dans une discussion où je ne sais plus trop quoi répondre ou quoi dire, je demande la réplique suivante à mon chatbot préféré et je colle sa proposition
  • je demande à Claude de m’écrire un poème sur tel ou tel sujet, pour exprimer ceci ou cela, et je partage ce poème, sans préciser que ce n’est pas moi qui l’ai écrit.

Pourquoi est-ce que ces exemples posent souci? Ils posent souci d’une part parce qu’ils rompent le contrat social tacite des échanges sur les réseaux sociaux, ou par Messenger, ou des publications sur les blogs ou sites web personnels, que la personne avec qui on interagit est celle qui écrit les mots qu’on lit, ou produit l’art qu’on admire.

Ça s’apparente en fait à une forme de plagiat, au sens où l’on s’approprie une production qui n’est pas la nôtre, mais qu’on fait passer pour la nôtre. A la différence du plagiat classique qu’on a en tête, la source du contenu d’origine (l’IA) n’est pas le·la lésé·e, mais l’interlocuteur.

C’est avec toi que j’échange, que ce soit par messagerie ou dans les commentaires, ou c’est toi que je lis, et dans cette interaction entre toi et moi il y a des enjeux relationnels. Si tout d’un coup tu passes le clavier à quelqu’un d’autre sans me dire (humain ou machine), je suis trompée sur la marchandise.

Vous me répondrez qu’utiliser ChatGPT comme assistant pour écrire un e-mail délicat est un usage légitime de cet outil – et je suis d’accord. Où est la limite, alors, et pourquoi est-ce que l’e-mail ou la lettre ça peut passer, mais pas la réponse sur Messenger ou WhatsApp?

Je pense qu’il y a deux aspects à prendre en compte.

Le premier, c’est l’implication du locuteur perçu dans les productions de l’IA. Est-que c’est une vraie “collaboration”, je retouche, je retravaille, je “m’approprie” le texte produit pour que ce soit plausible que ce soit moi (si c’est moi qui suis supposé·e l’avoir écrit) – tout comme on le ferait en demandant de l’aide rédactionnelle à un autre humain, à un assistant en chair et en os, à un écrivain public? Ou est-ce que j’ai juste donné une instruction simple et pris le résultat tel quel, sans même le relire?

Le deuxième, c’est le contexte et le type de production. Un e-mail administratif, c’est souvent plus un exercice de style qu’une réplique dans une véritable interaction. L’e-mail administratif, c’est pas grave si je ne l’ai pas écrit toute seule comme une grande, si je l’ai fait écrire à ma cousine – tant que je signe. Un poème que je partage sur mon compte Facebook, par contre, s’il n’y a pas d’auteur indiqué, c’est implicite que c’est moi. Ou une discussion Messenger, un échange dans les commentaires: c’est une forme de discussion, très clairement, dans laquelle l’attente est que notre interlocuteur est un humain. (On adore tous les services clients qui vous proposent de “chatter avec un agent” qui se présente comme un être humain mais dont on sent bien que c’est à moitié un chatbot, n’est-ce pas?)

Et la zone grise? Peut-on collaborer avec une IA?

Je pense que pour sentir ce qui va poser problème ou pas, on peut simplement se demander si le rôle de l’IA dans notre histoire était tenu par un humain, si ça passerait. J’échange des messages avec une copine et je passe mon téléphone à mon voisin pour qu’il réponde, parce qu’il fait ça mieux que moi. Oui ou non? Je demande à mon voisin d’écrire un poème ou un récit pour moi, et je le colle sur mon profil sans préciser que c’est lui qui l’a écrit? Je pense qu’on sent bien que ça ne passe pas. Par contre: j’échange des messages et je ne sais pas trop comment tourner ma réponse, et mon collègue m’aide pour trouver la bonne tournure et me conseille – ça peut passer. Mais gare aux conséquences si en faisant ce genre de chose, la personne en face “sent” qu’on s’est fait aider!

La pente glissante avec l’IA c’est que celle-ci va produire rapidement et facilement des textes à la forme séduisante, rendant grande la tentation de simplement copier-coller sans autre forme de procès.

Faut-il pour autant renoncer à se “faire aider” par l’IA pour nos productions, quelles qu’elles soient?

Pour moi, il y a zéro souci de se faire aider par ChatGPT pour rédiger quelque chose, mais la transparence est importante. “Poème généré par ChatGPT sur mes instructions”, ou “Texte écrit avec l’assistance d’une IA”, ou “illustration générée par IA”, ça évite des malentendus. On évite de rompre le « contrat social », sur les réseaux sociaux en particulier, qui dit quand quelqu’un publie quelque chose, il l’a produit directement. On voit d’ailleurs de plus en plus que les plates-formes demandent à leurs utilisateurs de préciser si le contenu qu’ils publient est fait “avec IA”.

Un exemple personnel: j’adorerais composer des chansons mais je ne sais pas faire (enfin je peux, mais c’est nul, je n’y connais pas grand chose en musique). Aujourd’hui, grâce aux IAs génératives, je pourrais enfin composer/créer une chanson. Mais si je la partage ensuite avec d’autres, ça me semblerait normal de préciser que je l’ai faite en m’aidant d’une IA, et pas toute seule, à la force de mon talent et de mes compétences musicales.

Parlant de chansons, une histoire qui me vient en tête pour exprimer ce qu’on peut ressentir en lisant un texte qu’on pense avoir été produit directement par un humain, pour réaliser ensuite que l’IA est impliquée: Milli Vanilli. Quand on voit quelqu’un chanter au micro, dans un clip ou sur scène, c’est implicite qu’il s’agit de sa voix, à moins que la mise en scène nous fasse comprendre qu’il s’agit d’un acteur ou d’une actrice. Donc dans le cas de Milli Vanilli, quand on a découvert qu’en fait non, c’était quelqu’un d’autre dans le studio, ça a très mal passe.

Si c’est joli, où est le mal?

Un mot encore concernant en particulier les images. Sur les réseaux, on partage des tas d’images qu’on n’a pas forcément produites, donc le problème n’est pas tant là. A moins que je sois connue pour mes talents de photographe, si je partage une photo absolument splendide de quelque part au bout du monde, on peut imaginer assez aisément que ce n’est pas moi qui l’ai produite. (Bon, j’avoue que pour ma part, si je partage une image qui n’est pas de moi, il m’importe de le préciser. Mais l’écrasante majorité des gens ne le font pas, donc: norme sociale.)

Souvent, quand je fais remarquer aux gens que l’image qu’ils partagent est une image générée artificiellement, on me dit “oh c’est pas grave, c’est joli quand même!”

Le problème avec ce raisonnement est le suivant: en inondant notre quotidien de productions visuelles générées qui ne s’assument pas, on véhicule des représentations déformées du monde. Les images marquent. On voit quelque chose, ça nous reste. On part du principe que c’est vrai (“seeing is believing”, “le voir pour le croire”). Et donc on avale tout rond des informations visuelles fausses sur le monde dans lequel on vit.

Et si c’est de l’art? Le problème est le même. Etre exposé systématiquement à des productions mécaniques en pensant qu’elles sont humaines, ça finit par nous faire perdre la notion de ce qu’est ou peut être une production humaine.

On connaît tous l’impact catastrophique qu’a eu la généralisation de l’utilisation de Photoshop pour retoucher les photos de célébrités, donnant à des générations de femmes et d’hommes des attentes complètement irréalistes concernant le corps des femmes (et des hommes aussi, dans un deuxième temps). Ne tombons pas dans le même piège, et ne soyons pas complices de l’effacement de la frontière entre le vrai et le faux. La guerre cognitive ce n’est pas juste la “désinformation”. Il s’agit de nous faire perdre nos repères, au point de n’être plus capables de nous orienter dans le monde et de le comprendre. On est en plein dedans, là. Il faut se battre.

L’IA-RTFM

Le deuxième cas de figure consiste à copier-coller, brut de décoffrage, l’output d’une IA générative sur un sujet donné, le plus souvent dans un contexte conversationnel (messagerie instantanée ou commentaires). Exemples:

  • dans une discussion avec un collègue, on se demande s’il vaut mieux utiliser telle approche ou telle autre pour gérer une situation au travail; ni une, ni deux, je pose la question à ChatGPT, qui me fait une réponse joliment structurée d’un écran ou deux avec des listes à puces et du gras où il faut, je copie et je balance dans la conversation, en disant: “j’ai demandé à ChatGPT”
  • dans un groupe facebook, quelqu’un pose une question – je la soumets à l’IA de mon choix, puis je laisse un commentaire en copiant-collant la réponse, qui par sa forme et son ton, ne trompe personne sur son origine (ce n’est pas le but)
  • en séance de troubleshooting technique par Messenger, un des interlocuteurs colle dix étapes d’instructions générées par ChatGPT, qui supposément (!) contiennent la solution au problème.

Ici, il n’y a pas de volonté (ou de négligence…) de faire passer pour sienne une production non humaine. Explicitement ou non, on est bien transparent sur le fait que le texte en question est produit par un LLM. Où donc est le problème?

Le problème est que ce genre de procédé (un peu comme le message vocal non sollicité/consenti – il faut d’ailleurs que j’écrive à nouveau à ce sujet) charge l’interlocuteur d’un travail que le locuteur souhaite s’épargner. Le texte ainsi copié-collé est rarement concis, n’a généralement pas été vérifié par la personne qui l’amène dans la discussion, et même pas toujours lu! Il est jeté en pâture à l’auditoire, qui devra lui-même déterminer ce qui est à prendre et ce qui est à laisser dans cette réponse générée qu’il n’a pas demandée.

Pourquoi “RTFM“? En anglais, “Read The Fucking Manual” est une réponse généralement passive-agressive à une question, genre “demande à Google”, mais moins poli. Lis le manuel et démerde-toi.

Quand une réflexion commune (une discussion) est interrompue par un déversement de réponses IA brutes, c’est un peu comme si on copiait-collait la page Wikipedia du sujet dans la discussion. C’est au mieux maladroit, au pire extrêmement malpoli et condescendant.

(Tiens, ça me fait penser aux entreprises qui collaient des communiqués de presse tout secs des des articles de blog, à la belle époque. Ou qui répondaient dans les commentaires avec la langue de bois des chargés de comm.)

C’est très différent, évidemment, si les interlocuteurs se disent “oh, demandons à ChatGPT pour voir” et se penchent ensuite sur la réponse ensemble, qu’il s’agit donc d’une stratégie commune pour traiter le sujet en cours.

Mais la plupart du temps, ce qu’on voit, c’est un interlocuteur qui s’économise l’effort de véritablement prendre part à la réflexion en l’outsourçant d’une part à l’IA, et d’autre part aux autres interlocuteurs. Bien souvent sans penser à mal, cette introduction dans l’échange d’une quantité parfois écrasante d’informations de qualité inégale (voire carrément douteuse) peut faire l’effet d’un “Gish Gallop” involontaire, bloquant la discussion par surcharge informationnelle.

C’est une chose de donner un lien vers un article pertinent – qu’on espère de bonne qualité, et idéalement lu (on a d’ailleurs naturellement tendance à le préciser quand ce n’est pas le cas, dans le contexte d’une discussion), d’aller en aparté consulter l’Oracle-IA et de revenir enrichir la discussion avec ce qu’on en a retiré, ou de changer complètement la dynamique et l’équilibre de l’échange en imposant la présence d’un interlocuteur supplémentaire (l’IA) qui parle plus qu’il n’écoute.

La version courte?

ChatGPT n’a pas le monopole de la verbosité, j’en conviens. Je vous jure que j’ai écrit les plus de 2500 mots de ce billet toute seule. Donc, pour faire court:

  • C’est OK d’utiliser l’IA comme outil-assistant pour ses propres productions, et même dans certains cas de lui déléguer une production entière, mais il convient d’être explicitement transparent, particulièrement sur les réseaux sociaux et dans les interactions personnelles, sur le fait qu’il s’agit d’une production “IA” ou “avec IA” (certains réseaux recommandent d’ailleurs un étiquetage dans ce sens).
  • Il y a des situations où l’attente d’une production “100% authentique” par le locuteur est moins forte (certains e-mails, lettres, articles); dans ce cas-là, on peut certes s’aider d’une IA comme on s’aiderait d’une autre personne douée des mots, mais attention à ce que d’une part la “collaboration” en soit suffisamment une pour que cela reste “notre” production (à l’opposition d’une “délégation”) et que le résultat puisse passer pour tel.
  • Si on se retrouve à copier-coller des productions d’IA pour nos interlocuteurs au lieu de leur parler, que ce soit pour “donner des infos” (“regarde, ChatGPT a dit ça!”) ou “parler à notre place”, attention, ça va mal finir! Personne n’aime se retrouver à “discuter avec un robot” sans son accord, et encore moins sans être prévenu.

Et au risque de répéter une fois de trop: les LLMs sont des outils puissants, utiles et intéressants (excitants même) mais ils ne sont pas “intelligents”, ils ne “savent” rien, ils ne font que générer du contenu en fonction de modèles statistiques qui les guident vers le prochain élément le plus probable (un mot par exemple). Parfois, ils produisent de belles conneries sur un ton parfaitement sérieux et assuré.

Donc, si on demande à un LLM un résumé, une synthèse, une transcription, une version “à la sauce de”, il faut traiter sa production comme celle d’un stagiaire brillant pour certaines choses mais complètement à la ramasse pour d’autres: il faut passer derrière, relire, corriger, adapter. Les IA c’est bien pour débroussailler, pour faire le premier jet, pour réfléchir ou jouer avec des idées, pour débloquer des situations qui nous résistent, mais pas pour cracher le produit final.

La version encore plus courte:

  1. transparence concernant l’implication de l’IA dans le contenu proposé
  2. vérification et adaptation du contenu généré (forme et fond)
  3. respect de l’interlocuteur en assumant soi-même le coût (cognitif, social, temps…) lié aux deux premiers points.

  •  

La chasse au voile dans les garderies

C’est maintenant officiel: le gouvernement du Québec va interdire le port du voile aux éducatrices dans les CPE. Le ministre Jean-François Roberge s’appuie sur le rapport Pelchat-Rousseau dont j’ai déjà critiqué l’absence de rigueur et de méthodologie. Prétextant vouloir régler un problème qui est en fait inexistant, le gouvernement va ajouter de la pression aux garderies qui manquent déjà de personnel.

Y a-t-il vraiment des gens qui observent nos CPE en ce moment et qui se disent que le principal problème est qu’il y a trop de foulards? Je rappelle la situation misérable dans laquelle se trouve le réseau. Les programmes d’éducation à l’enfance sont moins populaires chaque année. Des 82 étudiantes inscrites au Cégep de Ste-Foy en 2021, 13 ont complété leur formation. Moins d’une sur six. Au Cégep de l’Outaouais, c’était 6 sur 40. Au Cégep de Valleyfield, c’était 1 sur 25. 1 sur 25! Il n’y a aucune cohorte cette année au cégep Gérald-Godin, où il n’y a d’ailleurs eu qu’une seule diplômée en 2024. Ce qu’il faut comprendre: les éducatrices qui partiront bientôt à la retraite ne seront pas remplacées.

La solution du gouvernement caquiste: ajoutons des critères d’embauche et empoisonnons la vie de dizaines d’éducatrices qui travaillent présentement dans nos CPE, parfois depuis, 10, 15, 20 ans. « Trahison », c’est le mot qu’emploie l’éducatrice Bahia Oubraham du CPE du Centre-Ville. En 2011, nous étions heureux de l’accueillir en tant qu’immigrante qualifiée pour prendre soin des enfants. En 2025, on la considère comme une indésirable. C’est le message que le gouvernement lui envoie avec ses lois arbitraires.

Je sais qu’on va me répondre que ce ne sont pas les voiles qui sont interdits, mais bien tous les signes religieux. C’est un faux argument. Les enseignants portant une croix, une kippa ou un turban n’ont jamais été une préoccupation. On n’en a littéralement jamais entendu parler. Ce sont les voiles qui ont monopolisé les interventions lors de la commission Bouchard-Taylor, de la commission parlementaire sur la charte des valeurs et de celle sur la loi 21. Les mots « voile » et « voilée » sont employés 25 fois dans le rapport Pelchat-Rousseau. Les autres signes religieux ne sont jamais mentionnés. C’est bien du voile dont il s’agit.

« Oui mais il y a la clause grand-père… » Le mémoire de maîtrise d’Ali Adam explique comment la loi 21 a transformé le quotidien des enseignantes qui bénéficient de la clause grand-père: construction d’une hiérarchie non officielle plaçant les enseignantes voilées au bas de l’échelle, remises en question régulières de leurs capacités d’enseignement par certains collègues, accusations de chercher à endoctriner les élèves… Pour ces enseignantes, la loi 21 est une source de tensions, d’anxiété et de perte de confiance en soi, clause grand-père ou non. La chercheuse Hana Zayani a expliqué quant à elle que la loi 21 a décomplexé le racisme à l’endroit des musulmanes dans le réseau scolaire. Les mères musulmanes racontent comment elles et leurs enfants ont vécu un changement de comportement de la part du personnel scolaire et des autres parents d’élèves. Dans tous les cas, la loi envoie le message aux enseignantes et aux éducatrices portant un voile qu’on préférerait se passer d’elles.

« On leur demande juste d’enlever leur voile… » Ces femmes sont déjà surmenées et sous-payées pour faire un travail que plus personne ne veut faire. Nous devrions être à genoux pour les remercier d’être encore là, pas leur imposer de nouvelles règles complètement arbitraires pour calmer des peurs irrationnelles et flatter notre sentiment de puissance nationale.

« La grande majorité des Québécois sont d’accord… » C’est facile d’être en faveur d’un règlement qui ne nous affectera en rien. La réponse serait différente si les répondants du sondage étaient touchés d’une façon ou d’une autre. Imaginons la question suivante: « Êtes-vous en faveur de l’interdiction du port de signes religieux par les éducatrices en garderie si cette interdiction s’accompagne d’une nouvelle taxe de 5$ par semaine pour financer le réseau des CPE? » Je pense que soudainement on découvrirait que le voile dérange moins qu’on pense.

« Les enfants ont droit à un environnement neutre… » Aucun enfant ne va voir dans le voile une atteinte à sa liberté de conscience à moins qu’on lui dise que c’est ce qu’il doit y voir. Est-ce qu’on imagine vraiment que les éducatrices enseignants aux enfants « Tu vois, je porte un voile pour montrer que je suis inférieure à mon mari. » ? Peut-être que si on arrête de dire aux enfants que le voile est un objet maléfique, il n’aura aucune mauvaise influence sur leur comportement ou leur vision du monde.

« Porter un voile, c’est faire du prosélytisme… » Non. Absolument pas. Même Christiane Pelchat et Guillaume Rousseau, qui ont été payés avec de l’argent public pour monter leur rapport bâclé, ont été incapables de trouver une seule source laissant croire que les éducatrices portent leur voile dans le but d’influencer les enfants. C’est un préjugé qui ne repose sur absolument rien.

Pour couronner le tout, Jean-François Roberge nous dit qu’il s’inspire des mesures qui ont connu du succès ailleurs dans le monde… notamment en France. Quel succès? Depuis quand considère-t-on la France comme un modèle d’intégration et de vivre-ensemble? Ceux qui réclament qu’on s’inspire de la France sont toujours les premiers à pointer ce pays du doigt pour nous parler des dangers de l’islamisme et de la ghettoïsation. Le seul succès des lois interdisant les foulards en France, c’est la satisfaction donnée aux intolérants, qui se félicitent d’affirmer leur domination.

C’est également la seule chose qu’accomplira la CAQ, en plus de peut-être remonter d’un ou deux points dans les sondages. Et ça ne coûtera rien au gouvernement à part une aggravation des problèmes dans les CPE. J’imagine qu’il vaut mieux une garderie fermée qu’une garderie avec des éducatrices voilées.

  •  

La chasse au voile dans les garderies

C’est maintenant officiel: le gouvernement du Québec va interdire le port du voile aux éducatrices dans les CPE. Le ministre Jean-François Roberge s’appuie sur le rapport Pelchat-Rousseau dont j’ai déjà critiqué l’absence de rigueur et de méthodologie. Prétextant vouloir régler un problème qui est en fait inexistant, le gouvernement va ajouter de la pression aux garderies qui manquent déjà de personnel.

Y a-t-il vraiment des gens qui observent nos CPE en ce moment et qui se disent que le principal problème est qu’il y a trop de foulards? Je rappelle la situation misérable dans laquelle se trouve le réseau. Les programmes d’éducation à l’enfance sont moins populaires chaque année. Des 82 étudiantes inscrites au Cégep de Ste-Foy en 2021, 13 ont complété leur formation. Moins d’une sur six. Au Cégep de l’Outaouais, c’était 6 sur 40. Au Cégep de Valleyfield, c’était 1 sur 25. 1 sur 25! Il n’y a aucune cohorte cette année au cégep Gérald-Godin, où il n’y a d’ailleurs eu qu’une seule diplômée en 2024. Ce qu’il faut comprendre: les éducatrices qui partiront bientôt à la retraite ne seront pas remplacées.

La solution du gouvernement caquiste: ajoutons des critères d’embauche et empoisonnons la vie de dizaines d’éducatrices qui travaillent présentement dans nos CPE, parfois depuis, 10, 15, 20 ans. “Trahison”, c’est le mot qu’emploie l’éducatrice Bahia Oubraham du CPE du Centre-Ville. En 2011, nous étions heureux de l’accueillir en tant qu’immigrante qualifiée pour prendre soin des enfants. En 2025, on la considère comme une indésirable. C’est le message que le gouvernement lui envoie avec ses lois arbitraires.

Je sais qu’on va me répondre que ce ne sont pas les voiles qui sont interdits, mais bien tous les signes religieux. C’est un faux argument. Les enseignants portant une croix, une kippa ou un turban n’ont jamais été une préoccupation. On n’en a littéralement jamais entendu parler. Ce sont les voiles qui ont monopolisé les interventions lors de la commission Bouchard-Taylor, de la commission parlementaire sur la charte des valeurs et de celle sur la loi 21. Les mots “voile” et “voilée” sont employés 25 fois dans le rapport Pelchat-Rousseau. Les autres signes religieux ne sont jamais mentionnés. C’est bien du voile dont il s’agit.

“Oui mais il y a la clause grand-père…” Le mémoire de maîtrise d’Ali Adam explique comment la loi 21 a transformé le quotidien des enseignantes qui bénéficient de la clause grand-père: construction d’une hiérarchie non officielle plaçant les enseignantes voilées au bas de l’échelle, remises en question régulières de leurs capacités d’enseignement par certains collègues, accusations de chercher à endoctriner les élèves… Pour ces enseignantes, la loi 21 est une source de tensions, d’anxiété et de perte de confiance en soi, clause grand-père ou non. La chercheuse Hana Zayani a expliqué quant à elle que la loi 21 a décomplexé le racisme à l’endroit des musulmanes dans le réseau scolaire. Les mères musulmanes racontent comment elles et leurs enfants ont vécu un changement de comportement de la part du personnel scolaire et des autres parents d’élèves. Dans tous les cas, la loi envoie le message aux enseignantes et aux éducatrices portant un voile qu’on préférerait se passer d’elles.

“On leur demande juste d’enlever leur voile…” Ces femmes sont déjà surmenées et sous-payées pour faire un travail que plus personne ne veut faire. Nous devrions être à genoux pour les remercier d’être encore là, pas leur imposer de nouvelles règles complètement arbitraires pour calmer des peurs irrationnelles et flatter notre sentiment de puissance nationale.

“La grande majorité des Québécois sont d’accord…” C’est facile d’être en faveur d’un règlement qui ne nous affectera en rien. La réponse serait différente si les répondants du sondage étaient touchés d’une façon ou d’une autre. Imaginons la question suivante: “Êtes-vous en faveur de l’interdiction du port de signes religieux par les éducatrices en garderie si cette interdiction s’accompagne d’une nouvelle taxe de 5$ par semaine pour financer le réseau des CPE?” Je pense que soudainement on découvrirait que le voile dérange moins qu’on pense.

“Les enfants ont droit à un environnement neutre…” Aucun enfant ne va voir dans le voile une atteinte à sa liberté de conscience à moins qu’on lui dise que c’est ce qu’il doit y voir. Est-ce qu’on imagine vraiment que les éducatrices enseignants aux enfants “Tu vois, je porte un voile pour montrer que je suis inférieure à mon mari.” ? Peut-être que si on arrête de dire aux enfants que le voile est un objet maléfique, il n’aura aucune mauvaise influence sur leur comportement ou leur vision du monde.

“Porter un voile, c’est faire du prosélytisme…” Non. Absolument pas. Même Christiane Pelchat et Guillaume Rousseau, qui ont été payés avec de l’argent public pour monter leur rapport bâclé, ont été incapables de trouver une seule source laissant croire que les éducatrices portent leur voile dans le but d’influencer les enfants. C’est un préjugé qui ne repose sur absolument rien.

Pour couronner le tout, Jean-François Roberge nous dit qu’il s’inspire des mesures qui ont connu du succès ailleurs dans le monde… notamment en France. Quel succès? Depuis quand considère-t-on la France comme un modèle d’intégration et de vivre-ensemble? Ceux qui réclament qu’on s’inspire de la France sont toujours les premiers à pointer ce pays du doigt pour nous parler des dangers de l’islamisme et de la ghettoïsation. Le seul succès des lois interdisant les foulards en France, c’est la satisfaction donnée aux intolérants, qui se félicitent d’affirmer leur domination.

C’est également la seule chose qu’accomplira la CAQ, en plus de peut-être remonter d’un ou deux points dans les sondages. Et ça ne coûtera rien au gouvernement à part une aggravation des problèmes dans les CPE. J’imagine qu’il vaut mieux une garderie fermée qu’une garderie avec des éducatrices voilées.

  •  

Devcore et la privatisation de la lutte à l’itinérance

Pour régler la crise du logement, le ministre Lionel Carmant recommande la construction de logements modulaires. C’est une solution de plus en plus populaire à Gatineau, à Québec et à Montréal notamment. M. Carmant explique que la construction de refuges n’est pas un remède à l’itinérance. Il a entre autres participé financièrement au projet Village Transition de la compagnie Devcore. Mais qu’est-ce que c’est, au juste, un logement modulaire?

Selon la définition traditionnelle, les logements modulaires sont des petits logements fabriqués en usine et transportés par camion. Implantés dans plusieurs pays européens depuis les années 1960, ils ont évolué de façon à devenir plus spacieux et plus confortables de façon à ce qu’on puisse en faire des logements permanents. Dans le contexte québécois actuel, un logement modulaire, c’est un conteneur maritime ou une unité de chantier convertie en habitation.

Photo provenant d’une publication Facebook de la page Transitiôn, 17 octobre 2024

Comme solution temporaire à la crise de l’itinérance, c’est très bien. Mais soyons honnêtes : personne n’a envie de vivre dans un conteneur. C’est certainement mieux que de mourir de froid dans la rue, mais ça reste une solution humiliante. Il faut donc s’inquiéter de la possibilité que cette “solution” perdure dans le temps.

À l’automne 2023, Jean-Pierre Poulin, le président et fondateur de Devcore, annonçait la formation d’une coalition de gens d’affaires pour venir en aide aux itinérants qui vivaient dans des tentes à Gatineau. M. Poulin et ses amis riches ont rassemblé environ 250 000$ pour chauffer les tentes pendant l’hiver. Le geste a été généralement bien accueilli, tant par les bénéficiaires que par les autorités. M. Poulin a alors déclaré que son implication ne serait pas que temporaire. Qu’il y aurait une phase 2: le développement d’un quartier de logements modulaires appelé Village Transition. Le projet, qui devait être une solution temporaire à la crise du logement, est devenu permanent. La ville de Gatineau a prêté un terrain pour 3 ans, puis pour 10 ans avec possibilité de renouvellement. Autrement dit, la Ville profite de cette initiative privée pour se désinvestir de la lutte à l’itinérance et à la crise du logement.

Devcore est une grosse entreprise dont la valeur du parc locatif de quelques 3000 unités de logement est estimée à 500 millions de dollars. Cette entreprise fait partie des causes et des bénéficiaires de la crise du logement. Elle possède notamment 22% du parc immobilier locatif à Sept-Îles, où les loyers ont augmenté de 31% depuis son arrivée.

Le milieu communautaire réclame depuis des années du financement et la construction de logements sociaux. Les deux demandes n’ont jamais été entendues. C’est dans ce contexte qu’arrive le privé avec ses gros sabots.

Officiellement, le projet Transition Québec est un OSBL, ce qui lui permet d’être financé à la fois par le privé, qui profite de déductions d’impôts, et par le public, qui accorde à Transition Québec une partie du budget consacré à la lutte à l’itinérance. Dans les faits, le projet de Village Transition n’est pas un OSBL. Il est financé par des donateurs privés à qui Devcore promet un rendement de 6%. Autrement dit, on offre aux investisseurs de s’enrichir grâce à l’itinérance. Et le tout en profitant triplement des fonds publics: déductions d’impôts pour les financiers du projet, aide financière de l’État et un montant équivalent à 25-30% du chèque d’aide sociale des locataires. Lionel Carmant a contribué financièrement au projet de Devcore avec son budget discrétionnaire de ministre. La Ville de Gatineau a annoncé une contribution de 1.5 millions à l’automne 2024. Pendant ce temps, les organismes communautaires se voient refuser leurs demandes d’augmentation de financement année après année.

Village Transition ne s’adresse pas aux clientèles les plus défavorisées. Devcore impose un code de vie strict, la participation aux tâches communes et l’engagement dans des démarches de réinsertion sociale. Les personnes avec des problèmes de consommation, des troubles de santé mentale ou qui sont simplement incapables de suivre une routine stricte n’y sont pas les bienvenues. Une autre étape franchie dans leur marginalisation: on les refuse même dans les endroits censés les accueillir. Quant aux locataires, ils doivent tolérer les inspections intrusives de l’entreprise. Le 18 janvier 2025, donc en plein hiver, un résident a été expulsé après s’être fait reprocher l’entretien insatisfaisant de son unité. Et les relations publiques voudraient nous faire croire que ce projet est né de la compassion et de l’empathie.

Le Réseau québécois des OSBL d’habitation a relevé de nombreuses infractions à la réglementation. Entre autres, la clôture anti-escalade de plus de 2 mètres contrevient au règlement de zonage qui limite normalement les clôtures à 1.2 mètres. De l’extérieur, on croirait à un camp de concentration davantage qu’à un parc résidentiel.

Photo du camp de conteneurs. Source: The Rover

Devcore profite pleinement du flou juridique qui entoure son projet. Les conteneurs ne sont pas des logements au sens de la loi. Il n’y a pas de relation légale entre propriétaire et locataire. C’est un espace “quasi public”. Le terrain est public, mais l’OSBL est libre de le gérer à sa guise. Ça signifie que les locataires n’ont aucun recours contre l’expulsion, ni contre les abus du propriétaire.

Plus tôt cette semaine, je vous parlais du cas autrichien, qui montrait qu’on pouvait empêcher une pénurie de logements abordables en retirant un maximum de logements du marché, ce qui renforce la concurrence et équilibre les prix. Au Québec, on suit le chemin inverse. Plutôt que de concurrencer le privé, on place même les refuges sur le marché. Pourquoi les gros propriétaires comme Devcore ne pourraient pas réaliser un profit même avec l’itinérance?

À court terme, l’implication du privé dans la gestion de l’itinérance peut sembler répondre à un besoin urgent. À moyen terme, elle encourage le désinvestissement du secteur public, qui peut de cette façon se débarrasser d’un fardeau à son budget. À long terme, l’aide sociale se privatise, réduisant une partie de la population défavorisée dans une nouvelle forme de dépendance et une autre partie dans une misère encore plus abjecte qu’avant. Tout ça au nom de la saine gestion des finances publiques et du droit des riches de s’enrichir toujours plus. Pas étonnant que Lionel Carmant et la CAQ applaudissent.

Merci à Marie-Elaine Guay de m’avoir appris l’existence du Village Transition dans son balado le Temps des Monstres. Merci à Dahlia Namian, Sara Lambert et Emmanuelle Bernheim pour l’article qu’elles ont consacré au sujet.

  •  

Devcore et la privatisation de la lutte à l’itinérance

Pour régler la crise du logement, le ministre Lionel Carmant recommande la construction de logements modulaires. C’est une solution de plus en plus populaire à Gatineau, à Québec et à Montréal notamment. M. Carmant explique que la construction de refuges n’est pas un remède à l’itinérance. Il a entre autres participé financièrement au projet Village Transition de la compagnie Devcore. Mais qu’est-ce que c’est, au juste, un logement modulaire?

Selon la définition traditionnelle, les logements modulaires sont des petits logements fabriqués en usine et transportés par camion. Implantés dans plusieurs pays européens depuis les années 1960, ils ont évolué de façon à devenir plus spacieux et plus confortables de façon à ce qu’on puisse en faire des logements permanents. Dans le contexte québécois actuel, un logement modulaire, c’est un conteneur maritime ou une unité de chantier convertie en habitation.

Photo provenant d’une publication Facebook de la page Transitiôn, 17 octobre 2024

Comme solution temporaire à la crise de l’itinérance, c’est très bien. Mais soyons honnêtes : personne n’a envie de vivre dans un conteneur. C’est certainement mieux que de mourir de froid dans la rue, mais ça reste une solution humiliante. Il faut donc s’inquiéter de la possibilité que cette « solution » perdure dans le temps.

À l’automne 2023, Jean-Pierre Poulin, le président et fondateur de Devcore, annonçait la formation d’une coalition de gens d’affaires pour venir en aide aux itinérants qui vivaient dans des tentes à Gatineau. M. Poulin et ses amis riches ont rassemblé environ 250 000$ pour chauffer les tentes pendant l’hiver. Le geste a été généralement bien accueilli, tant par les bénéficiaires que par les autorités. M. Poulin a alors déclaré que son implication ne serait pas que temporaire. Qu’il y aurait une phase 2: le développement d’un quartier de logements modulaires appelé Village Transition. Le projet, qui devait être une solution temporaire à la crise du logement, est devenu permanent. La ville de Gatineau a prêté un terrain pour 3 ans, puis pour 10 ans avec possibilité de renouvellement. Autrement dit, la Ville profite de cette initiative privée pour se désinvestir de la lutte à l’itinérance et à la crise du logement.

Devcore est une grosse entreprise dont la valeur du parc locatif de quelques 3000 unités de logement est estimée à 500 millions de dollars. Cette entreprise fait partie des causes et des bénéficiaires de la crise du logement. Elle possède notamment 22% du parc immobilier locatif à Sept-Îles, où les loyers ont augmenté de 31% depuis son arrivée.

Le milieu communautaire réclame depuis des années du financement et la construction de logements sociaux. Les deux demandes n’ont jamais été entendues. C’est dans ce contexte qu’arrive le privé avec ses gros sabots.

Officiellement, le projet Transition Québec est un OSBL, ce qui lui permet d’être financé à la fois par le privé, qui profite de déductions d’impôts, et par le public, qui accorde à Transition Québec une partie du budget consacré à la lutte à l’itinérance. Dans les faits, le projet de Village Transition n’est pas un OSBL. Il est financé par des donateurs privés à qui Devcore promet un rendement de 6%. Autrement dit, on offre aux investisseurs de s’enrichir grâce à l’itinérance. Et le tout en profitant triplement des fonds publics: déductions d’impôts pour les financiers du projet, aide financière de l’État et un montant équivalent à 25-30% du chèque d’aide sociale des locataires. Lionel Carmant a contribué financièrement au projet de Devcore avec son budget discrétionnaire de ministre. La Ville de Gatineau a annoncé une contribution de 1.5 millions à l’automne 2024. Pendant ce temps, les organismes communautaires se voient refuser leurs demandes d’augmentation de financement année après année.

Village Transition ne s’adresse pas aux clientèles les plus défavorisées. Devcore impose un code de vie strict, la participation aux tâches communes et l’engagement dans des démarches de réinsertion sociale. Les personnes avec des problèmes de consommation, des troubles de santé mentale ou qui sont simplement incapables de suivre une routine stricte n’y sont pas les bienvenues. Une autre étape franchie dans leur marginalisation: on les refuse même dans les endroits censés les accueillir. Quant aux locataires, ils doivent tolérer les inspections intrusives de l’entreprise. Le 18 janvier 2025, donc en plein hiver, un résident a été expulsé après s’être fait reprocher l’entretien insatisfaisant de son unité. Et les relations publiques voudraient nous faire croire que ce projet est né de la compassion et de l’empathie.

Le Réseau québécois des OSBL d’habitation a relevé de nombreuses infractions à la réglementation. Entre autres, la clôture anti-escalade de plus de 2 mètres contrevient au règlement de zonage qui limite normalement les clôtures à 1.2 mètres. De l’extérieur, on croirait à un camp de concentration davantage qu’à un parc résidentiel.

Photo du camp de conteneurs. Source: The Rover

Devcore profite pleinement du flou juridique qui entoure son projet. Les conteneurs ne sont pas des logements au sens de la loi. Il n’y a pas de relation légale entre propriétaire et locataire. C’est un espace « quasi public ». Le terrain est public, mais l’OSBL est libre de le gérer à sa guise. Ça signifie que les locataires n’ont aucun recours contre l’expulsion, ni contre les abus du propriétaire.

Plus tôt cette semaine, je vous parlais du cas autrichien, qui montrait qu’on pouvait empêcher une pénurie de logements abordables en retirant un maximum de logements du marché, ce qui renforce la concurrence et équilibre les prix. Au Québec, on suit le chemin inverse. Plutôt que de concurrencer le privé, on place même les refuges sur le marché. Pourquoi les gros propriétaires comme Devcore ne pourraient pas réaliser un profit même avec l’itinérance?

À court terme, l’implication du privé dans la gestion de l’itinérance peut sembler répondre à un besoin urgent. À moyen terme, elle encourage le désinvestissement du secteur public, qui peut de cette façon se débarrasser d’un fardeau à son budget. À long terme, l’aide sociale se privatise, réduisant une partie de la population défavorisée dans une nouvelle forme de dépendance et une autre partie dans une misère encore plus abjecte qu’avant. Tout ça au nom de la saine gestion des finances publiques et du droit des riches de s’enrichir toujours plus. Pas étonnant que Lionel Carmant et la CAQ applaudissent.

Merci à Marie-Elaine Guay de m’avoir appris l’existence du Village Transition dans son balado le Temps des Monstres. Merci à Dahlia Namian, Sara Lambert et Emmanuelle Bernheim pour l’article qu’elles ont consacré au sujet.

  •  

Pour sortir de la crise du logement: le modèle autrichien

En 2002, Pierre Desrochers, directeur de la recherche à l’Institut économique de Montréal, publiait un rapport intitulé « Comment résoudre la crise du logement au Québec? » Parce que oui, on parlait déjà de crise du logement à l’époque du gouvernement Bouchard-Landry. En 2001, le taux d’inoccupation des logements était de 0.6 à Montréal et de 0.8 à Québec. Ça explique peut-être pourquoi certains politiciens aimeraient nous faire croire que tout a commencé avec Justin Trudeau. Desrochers critiquait le manque de vision des gouvernements (fédéral et provincial), qui auraient dû investir davantage davantage dans le logement social et modifier la réglementation du secteur de la construction afin de faciliter les mises en chantier. En 2002. Et je n’ai probablement pas besoin de vous dire que les gouvernements Charest, Marois, Couillard et Legault n’ont pas eu une politique très différente de celle de Bouchard et Landry. Donc non, ce n’est pas « l’immigration massive » qui a provoqué la crise du logement du jour au lendemain. C’est beaucoup plus le manque de volonté politique des gouvernements des 30 dernières années.

En janvier 2024, Territoires innovants en économie sociale et solidaire (TIESS) publiait un rapport comparant la politique québécoise à la politique autrichienne, en particulier la politique viennoise. Je vous présente ici les grandes lignes de ce rapport qui n’ont évidemment pas inspiré la ministre France-Élaine Duranceau ni ses collègues de la CAQ.

En 2024, la population autrichienne était de 9.18 millions d’habitants. À l’heure actuelle, celle du Québec est estimée à 9.11 millions. À titre comparatif, il y a environ 944 000 unités de logement social en Autriche pour 135 000 au Québec. Même population, sept fois plus de logements sociaux.

Il existe deux catégories de logement social en Autriche: les logements municipaux, qui appartiennent à la municipalité et visent les populations les plus vulnérables, et les logements à but non lucratif, qui appartiennent à des particuliers (majoritairement des coopératives) et visent la classe moyenne.

Le coût des loyers des logements à but non lucratif est fixé en fonction des coûts réels de construction, de financement et de gestion des immeubles. Les salaires des employés sont eux aussi fixés par la loi. La loi empêche tout lien entre les fournisseurs de logements et l’industrie de la construction. Finalement, il est interdit de vendre des immeubles de logements à but non lucratif, à moins de les vendre à une autre coopérative ou société de logement à but non lucratif.

La construction de logements à but non lucratif n’est pas une source de dépense pour le gouvernement puisqu’elle est financée non par une subvention, mais par un prêt public à faible taux d’intérêt (1%). Le remboursement du prêt est inclus dans le loyer (donc le loyer diminue une fois le prêt remboursé). Pour réduire le montant des prêts, les coopératives peuvent également exiger une mise de fonds de la part des locataires. Plus celle-ci est importante, moins le loyer est élevé.

« Mais pourquoi est-ce que des gens se lanceraient dans l’immobilier s’ils ne peuvent pas faire de profit!? » Pour la même raison que des gens décident de devenir enseignant, infirmière ou éducatrice: c’est un métier comme un autre et c’est une vocation admirable. Il n’est pas nécessaire d’être riche pour créer une coopérative ou une société de logement à but non lucratif. Il faut simplement avoir une certaine expertise parce que le financement est accordé au terme d’un concours qui sélectionne les meilleurs projets. Le concours permet également de favoriser le développement de la ville de manière durable, inclusive et humaine. Les projets choisis sont ceux qui s’inscrivent le mieux dans le cadre urbain existant.

Les logements à but non lucratif imposent un revenu maximum pour les locataires (présentement fixé à 90 000 euros pour une famille avec deux enfants), mais ils sont accordés à vie, indépendamment des changements dans la situation financière. L’objectif est de favoriser la mixité sociale, de créer une stabilité et un sentiment d’appartenance.

Faut-il préciser que la forte concurrence des nombreux logements à but non lucratif empêche une flambée des prix comme celle que nous avons connue au Québec dans les dernières années?

Évidemment, il est peu probable de voir une telle structure se mettre en place au Québec. D’abord parce que les trois partis politiques s’étant partagé le pouvoir depuis 30 ans n’ont montré aucun enthousiasme à investir dans le logement social malgré les avertissements répétés. Ensuite parce que nous considérons l’habitation d’abord et avant tout comme un investissement privé. Un investissement qui doit rapporter gros.

La CAQ en général et France-Élaine Duranceau en particulier ont tout mis en oeuvre pour assurer que les intérêts des propriétaires priment sur ceux des locataires. Francis Hébert-Bernier de Pivot nous apprenait dernièrement que le ministère de l’Habitation a modifié en catimini la politique de calcul des augmentations de loyer du Tribunal administratif du logement pour que le coût des rénovations puisse désormais être entièrement refilé aux locataires. Bien que les locataires ne retirent rien de l’augmentation de la valeur d’un immeuble, on s’attend à ce qu’ils la financent.

On explique traditionnellement la richesse par le « risque » que courent les capitalistes. Ils gagnent 10, 20, 50, 100 fois plus que leurs employés, mais c’est parce qu’ils risquent leur capital. Dans le cas des propriétaires, Mme Duranceau a fait son possible pour faire disparaître le risque. L’augmentation des taxes municipales, des primes d’assurance, du coût de l’électricité, des frais d’entretien, des dépenses d’exploitation pouvait déjà être refilée aux locataires. Désormais, on ajoute les rénovations. Le droit d’un propriétaire de réaliser un profit considérable peu importe les circonstances est plus grand que le droit d’un locataire de garder un toit au-dessus de sa tête.

L’exemple autrichien montre qu’un modèle différent peut être viable. Encore faut-il être dirigés par des gens qui gouvernent en fonction du bien commun et non en fonction des intérêts d’une poignée de rapaces. Faut-il rappeler que le conseil des ministres de la CAQ est un gouvernement de propriétaires?

  •  

Pour sortir de la crise du logement: le modèle autrichien

En 2002, Pierre Desrochers, directeur de la recherche à l’Institut économique de Montréal, publiait un rapport intitulé “Comment résoudre la crise du logement au Québec?” Parce que oui, on parlait déjà de crise du logement à l’époque du gouvernement Bouchard-Landry. En 2001, le taux d’inoccupation des logements était de 0.6 à Montréal et de 0.8 à Québec. Ça explique peut-être pourquoi certains politiciens aimeraient nous faire croire que tout a commencé avec Justin Trudeau. Desrochers critiquait le manque de vision des gouvernements (fédéral et provincial), qui auraient dû investir davantage davantage dans le logement social et modifier la réglementation du secteur de la construction afin de faciliter les mises en chantier. En 2002. Et je n’ai probablement pas besoin de vous dire que les gouvernements Charest, Marois, Couillard et Legault n’ont pas eu une politique très différente de celle de Bouchard et Landry. Donc non, ce n’est pas “l’immigration massive” qui a provoqué la crise du logement du jour au lendemain. C’est beaucoup plus le manque de volonté politique des gouvernements des 30 dernières années.

En janvier 2024, Territoires innovants en économie sociale et solidaire (TIESS) publiait un rapport comparant la politique québécoise à la politique autrichienne, en particulier la politique viennoise. Je vous présente ici les grandes lignes de ce rapport qui n’ont évidemment pas inspiré la ministre France-Élaine Duranceau ni ses collègues de la CAQ.

En 2024, la population autrichienne était de 9.18 millions d’habitants. À l’heure actuelle, celle du Québec est estimée à 9.11 millions. À titre comparatif, il y a environ 944 000 unités de logement social en Autriche pour 135 000 au Québec. Même population, sept fois plus de logements sociaux.

Il existe deux catégories de logement social en Autriche: les logements municipaux, qui appartiennent à la municipalité et visent les populations les plus vulnérables, et les logements à but non lucratif, qui appartiennent à des particuliers (majoritairement des coopératives) et visent la classe moyenne.

Le coût des loyers des logements à but non lucratif est fixé en fonction des coûts réels de construction, de financement et de gestion des immeubles. Les salaires des employés sont eux aussi fixés par la loi. La loi empêche tout lien entre les fournisseurs de logements et l’industrie de la construction. Finalement, il est interdit de vendre des immeubles de logements à but non lucratif, à moins de les vendre à une autre coopérative ou société de logement à but non lucratif.

La construction de logements à but non lucratif n’est pas une source de dépense pour le gouvernement puisqu’elle est financée non par une subvention, mais par un prêt public à faible taux d’intérêt (1%). Le remboursement du prêt est inclus dans le loyer (donc le loyer diminue une fois le prêt remboursé). Pour réduire le montant des prêts, les coopératives peuvent également exiger une mise de fonds de la part des locataires. Plus celle-ci est importante, moins le loyer est élevé.

“Mais pourquoi est-ce que des gens se lanceraient dans l’immobilier s’ils ne peuvent pas faire de profit!?” Pour la même raison que des gens décident de devenir enseignant, infirmière ou éducatrice: c’est un métier comme un autre et c’est une vocation admirable. Il n’est pas nécessaire d’être riche pour créer une coopérative ou une société de logement à but non lucratif. Il faut simplement avoir une certaine expertise parce que le financement est accordé au terme d’un concours qui sélectionne les meilleurs projets. Le concours permet également de favoriser le développement de la ville de manière durable, inclusive et humaine. Les projets choisis sont ceux qui s’inscrivent le mieux dans le cadre urbain existant.

Les logements à but non lucratif imposent un revenu maximum pour les locataires (présentement fixé à 90 000 euros pour une famille avec deux enfants), mais ils sont accordés à vie, indépendamment des changements dans la situation financière. L’objectif est de favoriser la mixité sociale, de créer une stabilité et un sentiment d’appartenance.

Faut-il préciser que la forte concurrence des nombreux logements à but non lucratif empêche une flambée des prix comme celle que nous avons connue au Québec dans les dernières années?

Évidemment, il est peu probable de voir une telle structure se mettre en place au Québec. D’abord parce que les trois partis politiques s’étant partagé le pouvoir depuis 30 ans n’ont montré aucun enthousiasme à investir dans le logement social malgré les avertissements répétés. Ensuite parce que nous considérons l’habitation d’abord et avant tout comme un investissement privé. Un investissement qui doit rapporter gros.

La CAQ en général et France-Élaine Duranceau en particulier ont tout mis en oeuvre pour assurer que les intérêts des propriétaires priment sur ceux des locataires. Francis Hébert-Bernier de Pivot nous apprenait dernièrement que le ministère de l’Habitation a modifié en catimini la politique de calcul des augmentations de loyer du Tribunal administratif du logement pour que le coût des rénovations puisse désormais être entièrement refilé aux locataires. Bien que les locataires ne retirent rien de l’augmentation de la valeur d’un immeuble, on s’attend à ce qu’ils la financent.

On explique traditionnellement la richesse par le “risque” que courent les capitalistes. Ils gagnent 10, 20, 50, 100 fois plus que leurs employés, mais c’est parce qu’ils risquent leur capital. Dans le cas des propriétaires, Mme Duranceau a fait son possible pour faire disparaître le risque. L’augmentation des taxes municipales, des primes d’assurance, du coût de l’électricité, des frais d’entretien, des dépenses d’exploitation pouvait déjà être refilée aux locataires. Désormais, on ajoute les rénovations. Le droit d’un propriétaire de réaliser un profit considérable peu importe les circonstances est plus grand que le droit d’un locataire de garder un toit au-dessus de sa tête.

L’exemple autrichien montre qu’un modèle différent peut être viable. Encore faut-il être dirigés par des gens qui gouvernent en fonction du bien commun et non en fonction des intérêts d’une poignée de rapaces. Faut-il rappeler que le conseil des ministres de la CAQ est un gouvernement de propriétaires?

  •  

La trumpisation du PQ, partie 2

Mardi dernier, j’ai publié un texte intitulé « La trumpisation du PQ ». Les réactions ont été très fortes, donc je me suis dit que j’y reviendrais cette semaine pour clarifier ma pensée. Entretemps, les députés péquistes ont publié un texte incendiaire dans lequel ils s’attaquent à la liberté de la presse. Bref, ils en rajoutent une couche. Je n’ai pas pu lire ce texte sans penser au fasciste de la maison blanche. Parce que oui, intimider les médias, qualifier de diffamation, d’idéologie (ou fake news) et d’anti-Québécois (ou anti-Américain) toute forme de critique et remettre en question la liberté de la presse sont bel et bien des méthodes trumpistes.

Avertissement inutile: Vous voulez me dire que j’ai tort? Très bien. Dites-moi en quoi l’attitude du PQ est raisonnable et respecte les règles de la démocratie et du débat public. Ne vous contentez pas d’écrire « Comparer Plamondon à Trump c’est complètement débile. »

Pour résumer: Régis Labeaume a publié un texte dans lequel il reproche à François Legault et Paul St-Pierre Plamondon d’utiliser l’immigration et la peur de l’islam comme épouvantails pour grapiller des votes et comme boucs-émissaires pour faire oublier les échecs répétés du gouvernement. Les péquistes ne sont pas d’accord. C’est légitime. Seulement, les députés ne se sont pas contentés de répondre aux idées défendues. Ils ont attaqué directement l’auteur et le journal qui a osé publier son texte. On franchit ici une ligne dangereuse.

Comme plusieurs personnes, je crois, j’ai levé les sourcils en lisant cet extrait: « Nous donnons à La Presse jusqu’à demain midi pour nous confirmer la publication de l’intégralité de notre texte ce samedi. Dans l’éventualité d’une réponse négative, nous publierons par d’autres moyens. » D’abord, on se calme. Si le PQ forme le gouvernement, il sera critiqué régulièrement dans tous les médias. Le gouvernement va-t-il réclamer un droit de réplique à chaque fois? Ensuite, qu’est-ce que c’est que cet ultimatum public? Le PQ voulait faire une démonstration de force? Montrer qu’il avait obligé la Presse à lui donner un droit de parole? Finalement, j’ai accroché sur le « ce samedi ». À quel point les péquistes croient-ils que les médias sont à leur service pour croire qu’ils peuvent imposer leurs exigences?

La Presse a refusé de publier l’INTÉGRALITÉ de la lettre. Ils ont exigé que le PQ retire les passages accusant Labeaume et le journal de diffamation, ce qui est normal. La diffamation étant un acte passible de poursuite, on ne peut pas exiger d’un journal qu’il s’incrimine. Plutôt que de modifier leur texte, les péquistes ont préféré poser en victimes et se plaindre de censure.

Ce paragraphe est particulièrement inquiétant: « Notre message est que la multiplication des chroniqueurs d’opinion au détriment du journalisme, combinée à un mépris des faits dans le cadre d’une idéologie marquée par le signalement de sa propre vertu et un sentiment de supériorité morale, constitue une posture « irresponsable et dangereuse pour la cohésion sociale au Québec » sur laquelle nous devrions nous pencher collectivement. »

Si les six péquistes s’étaient contentés de critiquer la prépondérance de l’opinion au détriment du journalisme, je n’aurais pu qu’être d’accord. Je fais le même constat et je considère moi aussi que c’est problématique. Malheureusement, il a fallu qu’ils ajoutent « dans le cadre d’une idéologie marquée par le signalement de sa propre vertu et un sentiment de supériorité morale ». On comprend que les péquistes ne font pas référence ici aux chroniqueurs de Radio X ou de Québecor. On accuse rarement Mathieu Bock-Côté, Richard Martineau ou Dominic Maurais de « signalement de vertu » ou de « supériorité morale ». Cette accusation vise uniquement les chroniqueurs et commentateurs qui osent critiquer le Parti québécois depuis sa gauche.

Remarquez l’emploi constant du mot « idéologie » dans le discours du chef du PQ. Le fait de présenter sa position comme étant la seule qui soit rationnelle n’a rien de nouveau en politique. Qualifier d' »idéologie » les positions de l’adversaire est un geste en soi banal, bien que malhonnête. Le conservatisme identitaire et le capitalisme défendus par le PQ ne sont pas moins idéologiques que l’interculturalisme ou le progressisme économique.

Là où cette tactique devient pernicieuse, c’est lorsqu’on présente la pensée de l’adversaire comme nocive, voire dangereuse pour la « nation ». C’est ce que fait M. Plamondon lorsqu’il accuse la « gauche radicale », les « wokes » et désormais les « vertueux » d’être une menace pour la démocratie et qu’il y associe tous ses critiques. En janvier, au balado Frenchcast, il parlait de purger les universités du wokisme, parce que c’est une idéologie et donc incompatible avec la science. Cette proposition de censure, parce que c’est bien ce dont il s’agit, était alors présentée comme une « réappropriation démocratique du contenu en éducation ». Le poids de la majorité derrière lui, le PQ chasserait ses adversaires des universités ou du moins déterminerait ce qu’ils ont le droit d’enseigner.

D’ailleurs, les six péquistes poursuivent dans l’anti-intellectualisme lorsqu’ils affirment que « toutes les données et les études sérieuses démontrent que l’augmentation subite de l’immigration, largement imposée par le fédéral sans consulter le Québec, est la cause prépondérante de la crise du logement, du français et des services publics ». Études sérieuses. Lire ici: les études qui confirment nos thèses. Le PQ a présenté sa « bibliographie ». Pour résumer, on y retrouvait des publications de la plupart des banques, des articles parus dans l’Actualité et le Journal de Montréal… et une déclaration de Pierre Poilievre sur le site du Parti conservateur du Canada. « Les conservateurs batissent des logements, les libéraux créent de la bureaucratie. » Remarquez, si le PQ considère le PCC comme une référence « sérieuse » sur la crise du logement, ça explique bien des choses.

Ne cherchez pas une seule source universitaire dans cette « bibliographie ». Et ce n’est pas parce qu’aucun universitaire québécois ne s’est penché sur la crise du logement. Seulement, les recherches universitaires n’arrivent pas à des conclusions aussi simplistes que celles du PQ, qui veut que la crise du logement ait été causée uniquement par les politiques d’immigration du gouvernement Trudeau. Les universitaires, ces idéologues wokes, sont donc ignorés. Les banques sont plus objectives.

Dans la publication de vendredi, les députés péquistes laissent entendre qu’ils vont traiter les médias comme les universités, c’est-à-dire qu’ils vont chercher à en purger les « idéologues ». C’est ce que je comprends quand on propose de « nous pencher collectivement » sur la présence de ces chroniqueurs « vertueux » qui déplaisent tant à M. Plamondon et ses collègues. Vous n’êtes pas d’accord? Très bien. Dites-moi comment vous interprétez le paragraphe en question.

Finalement, notons le populisme vaseux qui consiste à se confondre avec le peuple: « Elle envoie également un signal de mépris envers une majorité de Québécois qui ont des préoccupations légitimes sur ces questions. » Évidemment. Critiquer les tactiques électorales de Legault et Plamondon, c’est mépriser la majorité, rien de moins.

Selon le PQ, la Presse n’aurait pas dû accepter de publier le texte de Labeaume, qui serait « diffamatoire »: « À ce titre, un média comme La Presse a la responsabilité de s’assurer que des textes fortement chargés, comme celui de monsieur Labeaume correspondent à des faits et des arguments et non à des procès d’intention et des épithètes diffamatoires. (…) En publiant ce texte, La Presse a failli à cette responsabilité vis-à-vis du climat social et de la rigueur. »

J’essaie de comprendre où se trace la ligne. Quand PSPP impute gratuitement la crise du logement aux politiques d’immigration du gouvernement Trudeau, il ne nuit pas à la paix sociale et ce n’est pas de la diffamation. Mais quand Régis Labeaume réplique que la crise du logement est causée par bien d’autres facteurs et qu’il accuse Legault et PSPP de nuire au climat social avec leur discours sur l’immigration, c’est de la diffamation et ça nuit à la paix sociale. Et les députés péquistes voudraient que ce genre de texte soit interdit (ou refusé par les journaux, ce qui revient au même). Le deux poids, deux mesures est flagrant. L’an dernier, PSPP dénonçait le wokisme, la censure et la culture de la cancellation. Aujourd’hui, il demande à la Presse de ne pas publier des textes qui le prennent à parti parce que ça conduit à « la haine envers les élus » et à la « polarisation ». Est-ce que ce n’est pas exactement ce qu’il reproche aux wokes? De vouloir faire taire les voix dissidentes parce qu’ils jugent leurs propos nocifs?

C’est curieux que les seuls chroniqueurs et commentateurs qui dérangent les péquistes soient ceux qui les critiquent. Le PQ se satisfaisait bien des chroniques d’opinion basées sur du pur sentiment pendant le débat sur la charte des valeurs. Quand avez-vous entendu les péquistes critiquer les chroniqueurs qui s’acharnent sur les femmes voilées ou sur les personnes trans? À croire que la liberté de presse permet de s’attaquer aux groupes minoritaires et marginaux, mais critiquer les politiciens est un pas à ne pas franchir. C’est une drôle de démocratie qu’on nous propose.

  •  

La trumpisation du PQ, partie 2

Mardi dernier, j’ai publié un texte intitulé “La trumpisation du PQ”. Les réactions ont été très fortes, donc je me suis dit que j’y reviendrais cette semaine pour clarifier ma pensée. Entretemps, les députés péquistes ont publié un texte incendiaire dans lequel ils s’attaquent à la liberté de la presse. Bref, ils en rajoutent une couche. Je n’ai pas pu lire ce texte sans penser au fasciste de la maison blanche. Parce que oui, intimider les médias, qualifier de diffamation, d’idéologie (ou fake news) et d’anti-Québécois (ou anti-Américain) toute forme de critique et remettre en question la liberté de la presse sont bel et bien des méthodes trumpistes.

Avertissement inutile: Vous voulez me dire que j’ai tort? Très bien. Dites-moi en quoi l’attitude du PQ est raisonnable et respecte les règles de la démocratie et du débat public. Ne vous contentez pas d’écrire “Comparer Plamondon à Trump c’est complètement débile.”

Pour résumer: Régis Labeaume a publié un texte dans lequel il reproche à François Legault et Paul St-Pierre Plamondon d’utiliser l’immigration et la peur de l’islam comme épouvantails pour grapiller des votes et comme boucs-émissaires pour faire oublier les échecs répétés du gouvernement. Les péquistes ne sont pas d’accord. C’est légitime. Seulement, les députés ne se sont pas contentés de répondre aux idées défendues. Ils ont attaqué directement l’auteur et le journal qui a osé publier son texte. On franchit ici une ligne dangereuse.

Comme plusieurs personnes, je crois, j’ai levé les sourcils en lisant cet extrait: “Nous donnons à La Presse jusqu’à demain midi pour nous confirmer la publication de l’intégralité de notre texte ce samedi. Dans l’éventualité d’une réponse négative, nous publierons par d’autres moyens.” D’abord, on se calme. Si le PQ forme le gouvernement, il sera critiqué régulièrement dans tous les médias. Le gouvernement va-t-il réclamer un droit de réplique à chaque fois? Ensuite, qu’est-ce que c’est que cet ultimatum public? Le PQ voulait faire une démonstration de force? Montrer qu’il avait obligé la Presse à lui donner un droit de parole? Finalement, j’ai accroché sur le “ce samedi”. À quel point les péquistes croient-ils que les médias sont à leur service pour croire qu’ils peuvent imposer leurs exigences?

La Presse a refusé de publier l’INTÉGRALITÉ de la lettre. Ils ont exigé que le PQ retire les passages accusant Labeaume et le journal de diffamation, ce qui est normal. La diffamation étant un acte passible de poursuite, on ne peut pas exiger d’un journal qu’il s’incrimine. Plutôt que de modifier leur texte, les péquistes ont préféré poser en victimes et se plaindre de censure.

Ce paragraphe est particulièrement inquiétant: “Notre message est que la multiplication des chroniqueurs d’opinion au détriment du journalisme, combinée à un mépris des faits dans le cadre d’une idéologie marquée par le signalement de sa propre vertu et un sentiment de supériorité morale, constitue une posture « irresponsable et dangereuse pour la cohésion sociale au Québec » sur laquelle nous devrions nous pencher collectivement.”

Si les six péquistes s’étaient contentés de critiquer la prépondérance de l’opinion au détriment du journalisme, je n’aurais pu qu’être d’accord. Je fais le même constat et je considère moi aussi que c’est problématique. Malheureusement, il a fallu qu’ils ajoutent “dans le cadre d’une idéologie marquée par le signalement de sa propre vertu et un sentiment de supériorité morale”. On comprend que les péquistes ne font pas référence ici aux chroniqueurs de Radio X ou de Québecor. On accuse rarement Mathieu Bock-Côté, Richard Martineau ou Dominic Maurais de “signalement de vertu” ou de “supériorité morale”. Cette accusation vise uniquement les chroniqueurs et commentateurs qui osent critiquer le Parti québécois depuis sa gauche.

Remarquez l’emploi constant du mot “idéologie” dans le discours du chef du PQ. Le fait de présenter sa position comme étant la seule qui soit rationnelle n’a rien de nouveau en politique. Qualifier d'”idéologie” les positions de l’adversaire est un geste en soi banal, bien que malhonnête. Le conservatisme identitaire et le capitalisme défendus par le PQ ne sont pas moins idéologiques que l’interculturalisme ou le progressisme économique.

Là où cette tactique devient pernicieuse, c’est lorsqu’on présente la pensée de l’adversaire comme nocive, voire dangereuse pour la “nation”. C’est ce que fait M. Plamondon lorsqu’il accuse la “gauche radicale”, les “wokes” et désormais les “vertueux” d’être une menace pour la démocratie et qu’il y associe tous ses critiques. En janvier, au balado Frenchcast, il parlait de purger les universités du wokisme, parce que c’est une idéologie et donc incompatible avec la science. Cette proposition de censure, parce que c’est bien ce dont il s’agit, était alors présentée comme une “réappropriation démocratique du contenu en éducation”. Le poids de la majorité derrière lui, le PQ chasserait ses adversaires des universités ou du moins déterminerait ce qu’ils ont le droit d’enseigner.

D’ailleurs, les six péquistes poursuivent dans l’anti-intellectualisme lorsqu’ils affirment que “toutes les données et les études sérieuses démontrent que l’augmentation subite de l’immigration, largement imposée par le fédéral sans consulter le Québec, est la cause prépondérante de la crise du logement, du français et des services publics”. Études sérieuses. Lire ici: les études qui confirment nos thèses. Le PQ a présenté sa “bibliographie”. Pour résumer, on y retrouvait des publications de la plupart des banques, des articles parus dans l’Actualité et le Journal de Montréal… et une déclaration de Pierre Poilievre sur le site du Parti conservateur du Canada. “Les conservateurs batissent des logements, les libéraux créent de la bureaucratie.” Remarquez, si le PQ considère le PCC comme une référence “sérieuse” sur la crise du logement, ça explique bien des choses.

Ne cherchez pas une seule source universitaire dans cette “bibliographie”. Et ce n’est pas parce qu’aucun universitaire québécois ne s’est penché sur la crise du logement. Seulement, les recherches universitaires n’arrivent pas à des conclusions aussi simplistes que celles du PQ, qui veut que la crise du logement ait été causée uniquement par les politiques d’immigration du gouvernement Trudeau. Les universitaires, ces idéologues wokes, sont donc ignorés. Les banques sont plus objectives.

Dans la publication de vendredi, les députés péquistes laissent entendre qu’ils vont traiter les médias comme les universités, c’est-à-dire qu’ils vont chercher à en purger les “idéologues”. C’est ce que je comprends quand on propose de “nous pencher collectivement” sur la présence de ces chroniqueurs “vertueux” qui déplaisent tant à M. Plamondon et ses collègues. Vous n’êtes pas d’accord? Très bien. Dites-moi comment vous interprétez le paragraphe en question.

Finalement, notons le populisme vaseux qui consiste à se confondre avec le peuple: “Elle envoie également un signal de mépris envers une majorité de Québécois qui ont des préoccupations légitimes sur ces questions.” Évidemment. Critiquer les tactiques électorales de Legault et Plamondon, c’est mépriser la majorité, rien de moins.

Selon le PQ, la Presse n’aurait pas dû accepter de publier le texte de Labeaume, qui serait “diffamatoire”: “À ce titre, un média comme La Presse a la responsabilité de s’assurer que des textes fortement chargés, comme celui de monsieur Labeaume correspondent à des faits et des arguments et non à des procès d’intention et des épithètes diffamatoires. (…) En publiant ce texte, La Presse a failli à cette responsabilité vis-à-vis du climat social et de la rigueur.”

J’essaie de comprendre où se trace la ligne. Quand PSPP impute gratuitement la crise du logement aux politiques d’immigration du gouvernement Trudeau, il ne nuit pas à la paix sociale et ce n’est pas de la diffamation. Mais quand Régis Labeaume réplique que la crise du logement est causée par bien d’autres facteurs et qu’il accuse Legault et PSPP de nuire au climat social avec leur discours sur l’immigration, c’est de la diffamation et ça nuit à la paix sociale. Et les députés péquistes voudraient que ce genre de texte soit interdit (ou refusé par les journaux, ce qui revient au même). Le deux poids, deux mesures est flagrant. L’an dernier, PSPP dénonçait le wokisme, la censure et la culture de la cancellation. Aujourd’hui, il demande à la Presse de ne pas publier des textes qui le prennent à parti parce que ça conduit à “la haine envers les élus” et à la “polarisation”. Est-ce que ce n’est pas exactement ce qu’il reproche aux wokes? De vouloir faire taire les voix dissidentes parce qu’ils jugent leurs propos nocifs?

C’est curieux que les seuls chroniqueurs et commentateurs qui dérangent les péquistes soient ceux qui les critiquent. Le PQ se satisfaisait bien des chroniques d’opinion basées sur du pur sentiment pendant le débat sur la charte des valeurs. Quand avez-vous entendu les péquistes critiquer les chroniqueurs qui s’acharnent sur les femmes voilées ou sur les personnes trans? À croire que la liberté de presse permet de s’attaquer aux groupes minoritaires et marginaux, mais critiquer les politiciens est un pas à ne pas franchir. C’est une drôle de démocratie qu’on nous propose.

  •  

« Nous sommes le slop »

« On dit que ma génération gâche sa vie à regarder des divertissements insensés. Mais je pense que c’est pire que ça. Nous transformons désormais nos vies en divertissements insensés. Nous ne nous contentons pas de consommer des bêtises, nous les devenons »

« Je vois des gens se transformer en personnages de télévision, leurs souvenirs en épisodes, eux-mêmes en divertissement. Nous sommes devenus un contenu dénué de sens, que l’on feuillette et que l’on parcourt. (…) Vieillir est devenu une succession d’épisodes à diffuser. (…) Nous existons pour nous divertir les uns les autres. Pour les influenceurs, bien sûr, c’est leur métier. Ils transforment leur vie en séries télé. Nous avons des bandes-annonces et des teasers. On a des cliffhangers, des fins de saison, des rappels – À la semaine prochaine ! On a des personnages pré-enregistrés et des apparitions surprises. Des cultes et des conventions. Des gags récurrents et des ouvertures spontanées. Des génériques et des génériques de fin. (…) C’est la carrière que tout le monde rêve ; celle qui ne finit jamais. (…) Vendez-vous comme un produit et soyez traité comme tel. (…) Ta douleur est ma distraction ; tes sentiments sont mes épisodes de remplissage. (…) Je voterai contre ton divorce s’il n’est pas assez divertissant. Ta vie est ce qui me sert à nettoyer ma cuisine, ce qui me permet de tuer le temps. Et si tu ne me divertis pas, tant pis, je ferai défiler la page pour une autre vie à consommer. (…) Les influenceurs nous invitent à entrer, puis ne peuvent plus nous faire sortir. » 

« Que ressentiraient ces familles si Internet était coupé, si elles devaient faire des compliments, des compromis et des sacrifices sans la validation d’inconnus ? Sauraient-elles comment faire ? Sans commentaires ni émojis d’applaudissements ? (…) Tout semble inutile, inutile tant que ce n’est pas publié. Pourquoi être beau sans un selfie ; pourquoi sortir sans publier une story ? Pourquoi s’engager. »
« On sait comment cette émission se termine, cependant. Comme toutes les autres. Un jour, cette génération, ces influenceurs, découvrira avec effroi ce que toutes les célébrités, tous les candidats et tous les acteurs ont compris avant eux. Qu’après avoir tout offert, chaque centimètre de leur vie, chaque instant limité sur cette Terre, peu importe combien ils mettent en scène, combien ils répètent, combien ils échangent, combien de temps ils laissent les caméras tourner, nous nous demanderons toujours, finalement, ce qu’il y a d’autre à l’affiche ?»  – Freya IndiaGirls.

MAJ du 4/11/2025 : « Nous avons gaspillé bien trop de temps sur nos téléphones », constatent les promoteurs de l’appel, Time to refuse (Il est temps de refuser). Le manifeste de ce collectif est porté par l’influenceuse américaine Freya India, par Gabriela Nguyen qui est à l’origine d’Appstinence, de Sean Killingsworth qui a lancé le Reconnect Movement et Nicholas Plante responsable de campagne du collectif Design it for us – et est soutenu par la Young People Alliance ainsi que par le psychologue Jonathan Haidt, l’auteur de Génération anxieuse (Les arènes, 2025 – voir également le site dédié) et animateur du blog After Babel, sur lequel ces jeunes chercheurs et activistes ont tous publié. Le collectif en appelle à une journée d’action le 10 octobre en invitant les jeunes à effacer une des applications de leurs téléphones. Leur manifeste (« un appel à l’action pour la génération Z, par la génération Z ») rappelle que c’est à cette génération de faire quelque chose pour se protéger de l’envahissement numérique. 

« Nous souffrons. Près de la moitié de la génération Z regrette l’existence de plateformes comme X et TikTok. Nous trouvons enfin les mots pour décrire ce qui nous est arrivé : l’impact du porno hardcore sur notre cerveau enfant, l’impact des applications et des algorithmes sur notre capacité de concentration, et le fait que nous ne pouvons même plus distinguer correctement notre propre visage dans nos images. Nous réalisons que ce n’était pas normal ; ce n’était pas une enfance. Nous sommes arrivés dans ce monde sans limite d’âge, sans barrières, avec si peu de protection. Et la plupart des jeunes adultes à qui nous parlons – hommes, femmes, de tous horizons – réagissent avec une horreur totale à l’idée que leurs futurs enfants vivent ce qu’ils ont vécu »

« Il est temps de se demander ce qui peut être fait. Il est temps de construire quelque chose de nouveau. Il est temps de reprendre ce que nous valons ». Et les porteurs de l’initiative de profiter de la Journée mondiale de la santé mentale, pour inviter leur génération à agir. « Refusez. Refusez d’être un produit. Refusez d’exposer votre vie privée au jugement public. Refusez de perdre encore des années de votre vie à parcourir des contenus vides et sans fin qui vous dégradent, vous rendent amer, envieux et égocentriques, de publier pour des personnes qui se moquent complètement de vous. Refusez de donner un centimètre de plus à des entreprises qui font fortune en vous volant votre attention et en vous servant des informations insignifiantes. Et refusez que cela se reproduise » pour la génération suivante. « Nous devons être les adultes dont la prochaine génération aura besoin », c’est-à-dire refuser que les prochaines générations subissent la même chose que la génération Z a vécu. 

Et le manifeste d’appeler à « supprimez vos comptes », « libérez-vous de la pression de publier ». « Nous pouvons refuser d’être la génération anxieuse. Nous pouvons être la génération dont l’enfance a été volée par les entreprises, mais qui a récupéré cette liberté pour ceux qui sont venus après »
Dans un reportage pour le New York Times, la journaliste Christina Caron rappelle pourtant que ce mouvement n’est pas un mouvement particulièrement techno-critique. Il n’incite pas les élèves à modifier leur rapport à la technologie, juste à créer des moments de déconnexion, sans téléphones, et de socialisation IRL.

  •  

You Again [en]

[en]

Oh hai
It’s you again
I thought I’d dealt with you
Written your ugly face into oblivion

I know, I did too much
Yesterday
I was happy to finally do things
That had been nagging at me for months

OK, I didn’t do what was planned
But hey
I did do stuff
That needed to be done

So I guess it’s my fault
Isn’t it
I should have known better
I should have done less

I should have known
That I’d pay today
And forced myself

To stop, to rest, to stick to the plan
Exciting plan of course
Taxes

And today I’m useless
Headache in the background
Shopping carts full to the brim
With colourful jigsaw puzzles I covet

I’m working tomorrow
I need to recover
I could use sympathy, you know
Or maybe even congratulations

For not hitting « buy »
For getting the message when I woke up
For not trying to push myself
For writing off the day

My taxes can wait
They’re already late
Let me off the hook for once

« It’s your fault it’s your fault it’s your fault »

Why can’t you just hear
That this is the bug in my programming
I’m looking for workarounds
But you don’t seem to care

You just keep showing up, Guilt
I won’t call you my friend
Though you and I
Are well acquainted

Be gone with you!
I’m fed up and tired
Go take a hike
Without me of course

To the end of the trail
That leads off the cliffs
I can tell you for sure
That you won’t be missed

  •  

Look Around

Look Around

Earlier this week, Alvaro Bedoya published a story-forward account of his experience as an FTC commissioner in the US. It's the kind of story that makes an ethnographer swoon. Through his accounting, he demonstrates how his perspective on politics changed by talking with people around the country. His experience this role upended his understanding of why American people are struggling - and why they are making the political choices that they make.

His accounting reminds me so much of my experience talking with teenagers all over the US. What powerful voices think about the problems in the world often look different from a different perspective. In my case, I was grappling with how teens' understanding of their struggles, desires, and goals looked different from adults' anxieties. In Alvaro's case, he came to realize that the DC narratives animating "left" and "right" don't make sense on the ground as people struggle with the economic realities of the present. Put simply, he shows why grappling with the political economy matters. (And he makes it very clear how corporate greed and oligarchic power have shaped political views.)

Today is the second large-scale "No Kings" protest. That message is super important. But to understand why so many people elect - and continue to support - authoritarian leaders, we need to appreciate how the political economy configures the public in ways that are genuinely painful. Alvaro did the work to see that. His story is powerful so please read it. But it also on all of us to learn to see what life looks like to people in our world. To appreciate the struggles others are facing. To understand why they feel trapped. Because when we do overthrow our kings - which we will because we must - we need to have a positive vision on the other side. And that has to start with addressing the oppressive configuration of money and power that so many people are experiencing every day.

  •  

Lâcher prise [en]

[en]

J’y bossais déjà, mais depuis mon accident, je prends des cours avancés de lâcher-prise. Avoir du temps mais ne pas avoir d’énergie, donc renoncer. Dire non à des propositions. Dire oui en sachant que j’aurais dû dire non, faire quand même et payer derrière, me promettre que la prochaine fois je dis non. Non aux autres c’est des fois pas toujours simple, mais le pire c’est de devoir me dire non à moi.

J’ai déjà assez de “je veux” pour faire déborder une vie sans commotion, à la base. Alors là, je vous laisse imaginer.

Ne pas aller en randonnée. Ne pas aller au judo. Ne pas ranger les cartons qui attendent pourtant. Ne pas faire mon admin qui commence à peser sur ma liste des tâches. Ne pas voir des gens – des gens que j’aime et que j’aimerais voir, mais mon quota d’énergie disponible est épuisé ou pris par autre chose.

Faire des projets et les défaire au fur et à mesure. Annuler. Décommander. Déplacer. Dire “ah oui ça je vais faire”, pas juste à moi, mais à l’autre, et ne pas faire, semaine après semaine. C’est pas nouveau, ça, vous me direz, mais c’est d’autant plus cuisant que je fais des efforts immenses pour justement ne plus garder que le minimum. Même le minimum, à mes yeux, c’est trop pour ma vie juste là.

Voir passer les mois amorphes et regarder en arrière: certes, une ou deux choses de faites, une poignée peut-être, mais surtout de la convalescence, de la récupération, du repos.

Ah, le repos. Le Graal, l’objectif, le truc à apprendre, en plus du lâcher-prise. Mais c’est pas simple. Y’a un ou deux films sympas, genre Flow et Moana, que je veux regarder depuis des mois. Parce qu’au moins quand je regarde un film, ou une série, je suis pas en train d’agiter mon cerveau à faire autre chose. Puzzles? Bien sûr – ça fait des semaines que j’ai tout le temps “mieux à faire” que de me mettre au suivant. Y’a toujours des choses plus importantes à faire que de me reposer. Ranger le coin de bordel à l’entrée par exemple. Mettre les habits propres de la lessive de la semaine dernière dans l’armoire. Ecrire un article sur mon blog (oups).

Lâcher prise, aussi, quant à l’illusion que “gérer sa vie” est un objectif réaliste. C’est nouveau comme idée, ça. Mon perfectionnisme, il se manifeste moins dans les choses que je livre ou que j’accomplis que dans ma façon d’organiser ou de gérer. L’organisation ou la gestion, ça doit être fait “juste”. J’aspire à la sérénité que m’apporterait une vie où je n’ai ni piles de bordel à ranger ni piles d’habits à plier ni tas d’admin à faire ni légumes morts au fond du frigo que j’aurais dû cuisiner. Une vie un peu sous contrôle. Pas rigide, hein. Juste, gérée – comme quand on arrive à la gare avec une minute ou deux en rab, qu’on peut marcher tranquille, même profiter de regarder autour de soi, de respirer un peu.

Je regarde autour de moi, et je crois que personne n’a ça. Et je me dis que les vies de 2025, en fait, si ça se trouve c’est juste pas possible de réussir à suivre. Il y a toujours des choses qui vont nous échapper. Je dois m’avouer que je ne suis pas encore prête à lâcher prise, là, je m’accroche à cette illusion: il doit bien y avoir un moyen de gérer tout ça pour que ça roule. Il faut juste que je le trouve.

Lâcher prise: de retour au travail cette semaine. Je veux dire et redire que mon employeur, dans toute cette histoire, a été exemplaire. Soutien, empathie, zéro pression, un vrai allié. Je n’ose pas imaginer que qu’auraient été ces sept derniers mois avec un employeur moins compréhensif. Mais lâcher prise, parce qu’au moment de mon accident, j’étais arrivée à un rythme de croisière dans mon projet, j’avais réussi à commencer à mettre en mouvement des choses, j’avais planté des graines, lancé des pistes, activé des contacts.

C’est comme si en février-mars j’avais préparé mon joli jardin: retourné la terre, identifié quoi planter où, mis mes semis, commencé à regarder les petites pousses sortir de terre. Et maintenant, je retrouve mon jardin après sept mois laissé à l’abandon, je ne sais plus ce que j’ai planté où, il y a des mauvaises herbes partout, la moitié des semis sont morts, il y a des trucs qui poussent mais que je n’arrive pas à identifier. C’est dans l’ordre des choses vu la nature de mon job. Mais là, je ne peux pas juste revenir et continuer à m’occuper du joli jardin. Je dois d’abord identifier ce qui a poussé, ôter les mauvaises herbes, voir s’il y a des petites plantes à sauver ici ou là, s’il est encore temps de planter pour une récolte tardive…

Allez, je laisse la métaphore du jardin, faut pas la pousser trop loin, mais là aussi, qu’est-ce qu’il y a à lâcher prise.

Accepter ce qui est hors de mon contrôle.

En l’occurrence, mes limites. On choisit pas ses limites. On choisit ce qu’on en fait, si on les écoute, déjà, si on les respecte, ensuite.

Et pour la majeure partie de cette année, non seulement mes limites se sont manifestées de façon à ce que je ne puisse pas les ignorer, mais en plus de ça, elles ont déménagé pour venir s’installer juste devant ma porte. Je n’ai qu’à ouvrir, et hop, elles sont là.

Alors, ne dramatisons pas: je vais bien, dans l’ensemble, j’ai passé un cap il y a deux mois ou quelque chose comme ça, je suis en reprise de travail et je suis prête pour (pas comme en avril où j’y suis allée en me disant qu’on n’était jamais à l’abri d’une bonne surprise, mais que ça me semblait tout de même bien chaud). Je reprends mes activités.

Mais toujours à vitesse réduite – comme le travail.

C’est ultra frustrant. C’est ultra frustrant de voir tous ces mois “perdus”, moi qui ressens toujours très fort l’urgence de le vie parce que la mort est à nos trousses et qu’on ne sait pas quand elle nous rattrapera. J’ai appris jeune que ça pouvait être très tôt. La vie n’a cessé de me le confirmer.

Mais je sais que si je veux pouvoir être active à l’avenir, je dois apprendre à ralentir. Donc oui, bien sûr, ces mois ne sont pas “perdus”. J’ai appris et j’apprends encore: à ralentir, à lâcher prise, à dire non, à accepter que je ne peux pas faire ceci, ni cela, ni ça.

Je me répète, vous trouvez?

Après sept mois de ça, et c’est pas fini, je crois que je peux me répéter un peu.

Je pense à des gens, j’ai envie de les voir, mais je m’arrête avant de lancer une invitation ou une proposition, parce qu’avant il y a: le sommeil, manger correctement, avoir un minimum d’activité physique, gérer mon ménage et mon admin sans griller mes neurones, m’occuper de mes chats et de ma santé (sérieux des fois j’ai l’impression que gérer sa santé et son admin c’est déjà un 50%), essayer d’aller au judo et au chant (ce qui implique: m’organiser pour avoir assez d’énergie à ce moment-là), faire un peu de place pour mes proches, ne pas complètement délaisser la communauté DF, me reposer… et maintenant, on rajoute 30% de travail, pour commencer.

Ça c’est juste la base.

Alors je me rends bien compte que la complexité de ma vie a un impact direct sur la complexité de sa gestion, que ce soit côté temps ou admin.

Lâcher des choses? Lâcher prise. Mais quoi? Pas pour le moment.

Je m’accroche encore à l’idée qu’il y aura moyen de faire fonctionner tout ça.

Et donc aujourd’hui, j’ai lâché prise: dans le train en rentrant de ma première journée de travail au bureau depuis ma reprise, j’ai sorti mon calendrier, j’ai posé une plage d’admin, en me disant “allez hop je fais une heure d’admin je vais régler des trucs qui trainent”, puis une petite pause, puis une autre plage pour ma “correspondance” (je vous dis pas le nombre de gens à qui je dois répondre un truc ou un autre), et puis je vais aller au judo, ça le fait, le vendredi le cours commence toujours un peu en retard, donc si je quitte la maison à 17h45 ça ira.

Lâché prise, dites-vous? Ça ne ressemble pas trop à ça. Et vous avez raison. Lâcher prise, c’est ce qui est venu après, quand je suis descendue du train chercher mon vélo, après avoir réalisé que j’avais quand même un sacré coup de barre (c’était l’heure des médics, mais quand même), que j’avais fermé mon ordi parce que les phrases que je lisais sur l’intranet n’atteignaient plus mes neurones, que j’étais au bout de ma première semaine de reprise de travail et que je n’avais pas trop mal à la tête mais que peut-être, peut-être, ce serait sage de me reposer d’abord un peu.

Donc j’ai lâché prise: j’ai envoyé valser la plage d’admin, la correspondance, et même le judo. Ce soir je me donne un seul objectif: faire les courses. C’est tout. Si je liquide un ou deux petits trucs d’admin qui me chatouillent le bout des doigts, c’est du bonus (j’ai fait: deux paiements, envoyer une facture pour remboursement, 5 minutes chrono). Si je suis inspirée pour écrire un truc, j’écris – c’est plutôt reposant, en fait, car pour moi c’est un moyen de penser tranquillement, plus lentement parce qu’il faut écrire. Ecrire, ça canalise mes réflexions.

Les habits à ranger, qui attendent depuis plus d’une semaine, ils attendront. La pile de courrier à moitié ouverte, le coin en bordel à l’entrée, les légumes au fond du frigo: ils ne sont pas à ça près. Je lâche prise. J’accepte que juste là, me reposer est plus important que “faire”.

Enfin, j’essaie.

  •