Vérité et réconciliation: Arrêtons de vanter les gentils Québécois
La journée de la Vérité et de la Réconciliation, ce n’est pas la journée pour se féliciter de tout ce qu’on a fait de bien ou de ce qu’on n’a pas de fait de mal aux Premières Nations. Au contraire, ça devrait être une journée d’introspection. Mais chaque année, je m’obstine avec des gens qui se complaisent dans le mythe de « Les Québécois ont toujours été amis avec les Autochtones ». Aujourd’hui, je condense dans ce texte ce que je répète chaque année le 30 septembre.

La Nouvelle-France
« Les colons français avaient des bonnes relations avec les Autochtones, pas comme les Anglais, les Portugais et les Espagnols! »
Soyons honnête et réaliste: Si les Français ont eu de meilleures relations que les autres peuples avec les Autochtones, c’est parce que
1) Ils dépendaient des Autochtones, qui connaissaient le territoire, pour le commerce des fourrures, qui était la principale motivation de l’entreprise française en Amérique du Nord
2) Ils n’étaient pas assez nombreux ni assez puissants pour dominer le territoire
L’histoire de la Nouvelle-France est parsemée de guerres et de conflits avec les Haudenosaunee (qu’on s’obstine encore aujourd’hui à désigner sous le nom péjoratif « Iroquois » ou « serpent venimeux » en langue algonkine).
« Oui mais ce sont toujours les Iroquois qui commençaient les guerres! »
D’abord, c’est faux. Si on veut un seul exemple: En 1687, la guerre reprend sur l’ordre du secrétaire d’État de la Marine, Pontchartrain, qui ordonne de mettre fin à la « paix honteuse » signée en 1684. Il y a eu des crimes atroces des deux côtés. Oui il y a eu le massacre de Lachine en 1689, mais les Français ont eux aussi détruit des villages, brûlé des récoltes et tué sans distinction.
« Oui mais nous voulions vivre paisiblement! »
Imaginez un instant le scénario inverse, où des colons algonquiens seraient venus s’installler en Normandie ou en Gascogne en disant « Ce territoire nous appartient! » À l’époque où la France était habitée moins densément qu’aujourd’hui, ils auraient pu facilement trouver un endroit où s’installer sans déranger les locaux. Croyez-vous que les Français auraient accepté de vivre en paix? À un moment, il faudra accepter que l’empire français n’avait aucune légitimité pour s’installer en Amérique du Nord et prétendre que le territoire lui a été donné par Dieu.
« Oui mais les coureurs des bois étaient amis avec les Autochtones! Les Métis, tu penses que ça vient d’où? »
C’est vrai. Les coureurs des bois n’ont pas eu le choix d’entretenir de bons rapports avec les peuples locaux pour les nécessités du commerce et ces bons rapports ont duré dans le temps. Mais rappelons que les 13 colonies anglaises avaient une population environ 30 fois supérieure à celle de la Nouvelle-France et occupaient un territoire beaucoup plus petit. Ça change la dynamique. Pensez-vous que les relations avec les Autochtones auraient été aussi positives si les Français avaient été aussi nombreux que les Anglais? On peut en douter.
La Loi sur les Indiens et les pensionnats
« C’est le régime fédéral qui est responsable des souffrances des peuples autochtones. Les Québécois n’y sont pour rien! »
Commode. Mais ce serait bien de se rappeler qu’en 1876, lorsque l’infâme « Loi sur les Indiens » a été adoptée, le tiers des élus de la Chambre des Communes représentaient le Québec. Des Québécois (francophones, faut-il le préciser) siégeaient au conseil des ministres. Et croyez-le ou non, la presse canadienne-française ne s’est pas déchaînée pour dénoncer l’injustice.
« Les pensionnats, c’est la faute de l’Église! »
Vous pensez que les prêtres, les religieux et les religieuses n’étaient pas Québécois? C’est un peu comme dire que les Québécois n’ont rien à se reprocher pour les agressions sexuelles sur les femmes autochtones de Val-d’Or parce que leurs bourreaux étaient des policiers. Et ce n’est pas comme si le gouvernement du Québec avait protesté contre le régime des pensionnats. Nous nous en accommodions très bien: les pensionnats suivaient le développement industriel. Ils servaient à « pacifier » les nations près des sites d’exploitation minière et forestière.
« Mais quand Louis Riel a été pendu, nous avons protesté! »
Oui. Parce que Louis Riel était francophone et catholique. Nous étions horrifiés par la répression des Métis parce qu’ils nous ressemblaient. La « Rébellion du Nord-Ouest » impliquait aussi des Cris et des Assiniboines. Nous n’avons pas versé une larme pour ceux-là.
Si après on croit toujours que c’est le gouvernement fédéral qui est responsable de tous les problèmes, j’aimerais rappeler ceci: En 1915, le gouvernement du Québec retire le droit de vote aux Autochtones, qu’on appelle les « Sauvages » à l’époque. Pourquoi? Parce qu’en 1912, la loi électorale a été modifiée de façon à accorder à toute fin pratique le suffrage universel masculin. Auparavant, le droit de vote était encore réservé aux propriétaires. On s’est rendu compte que la nouvelle loi accorderait également le droit de vote à de nombreux Autochtones. En 1915, année pré-électorale, les riches messieurs gouvernant le Québec ont donc retiré le droit de vote aux Autochtones. Cette injustice ne sera corrigée qu’en 1969. Le Québec est la dernière province à accorder le droit de vote aux Autochtones, 20 ans après la Colombie-Britannique (la première) et 4 ans après l’Alberta (l’avant-dernière).
Fait à noter: Il n’y a aucune opposition à l’Assemblée nationale lorsque le premier ministre Jean-Jacques Bertrand propose d’accorder le droit de vote aux « Indiens ». Le principe semble aller de soi. Un peu comme si on avait oublié depuis le temps que les Premières nations ne participaient pas au processus démocratique. Ce n’est pas par hostilité ou par racisme que les Québécois ont privé aussi longtemps les Autochtones du droit de vote. C’est par indifférence.
La même indifférence qui explique que cinq ans après la mort tragique de Joyce Echaquan, le Conseil des Atikamekw de Manawan reçoit encore de nombreuses plaintes de personnes ayant subi du racisme ou de la discrimination dans le système de santé ou autres institutions gouvernementales. L’indifférence qui pousse les nationalistes à refuser de reconnaître le racisme systémique parce qu’il faut continuer à flatter l’orgueil national. Malgré toutes les émotions et les belles promesses qui ont suivi la mort de Joyce, malgré les rappels annuels qu’il reste encore du travail à faire, le sort des Autochtones nous laisse profondément indifférents.
La journée de la Vérité et de la Réconciliation, ce n’est pas la journée pour réécrire l’histoire et se féliciter d’avoir été moins pires que d’autres. C’est la journée pour se regarder dans le miroir, prendre conscience des failles encore bien réelles du système et nous demander collectivement ce que nous pouvons faire pour corriger les injustices.









