Les 20 ans du mariage homosexuel au Canada
Il y a 20 ans, le Parlement canadien adoptait la Loi sur le mariage civil, qui autorisait les conjoints de même sexe à se marier partout au pays. C’est une belle occasion de faire un voyage dans le temps.
Le monde de 2005 est complètement différent de celui qu’on connaît aujourd’hui. Malgré un nouveau chef, le gouvernement du Canada, libéral minoritaire, s’essouffle. L’armée israélienne tue des civils dans la bande de Gaza. Commentateurs et politiciens de droite nous mettent en garde contre l’islamisation imminente de l’Occident. Les Autochtones canadiens contestent les décisions des gouvernements provinciaux, qui laissent les compagnies forestières ignorer leurs droits ancestraux. Et la société se déchire avec des débats concernant les minorités sexuelles.

Certains états américains permettent déjà les mariages homosexuels, mais le président George W. Bush fait campagne pour amender la constitution afin de les interdire sur tout le territoire. Le 19 avril 2005, Benoît XVI est élu pape de l’Église catholique. Il s’opposera avec beaucoup plus d’ardeur que Jean-Paul II à tout ce qui concerne l’homosexualité, qu’il considère contraire à la morale « naturelle ».
Au Canada, l’Ontario est la première province à accepter les mariages entre conjoints de même sexe en juin 2003, suite à une décision de la Cour supérieure. La plupart des autres provinces ont suivi, dont le Québec en mars 2004. Au moment de l’adoption de la loi fédérale, l’Alberta et l’Île du Prince Édouard sont les seules provinces à refuser les mariages homosexuels.
En 1995, le député bloquiste Réal Ménard, ouvertement homosexuel, présente une motion demandant la reconnaissance des mariages entre conjoints du même sexe. La motion est rejetée par 124 voix contre 52. Entre 1998 et 2003, le député néo-démocrate Svend Robison, lui aussi ouvertement homosexuel, présente trois projets de loi, sans succès.
En 2003, l’Alliance canadienne (ancêtre de l’actuel Parti conservateur) présente une motion pour réaffirmer la définition traditionnelle du mariage, soit l’union entre un homme et une femme. La motion est battue par 137 voix contre 132. Signe d’un malaise profond au sein du Parti libéral, officiellement engagé à permettre le mariage homosexuel dans tout le Canada, 53 députés libéraux votent pour la motion et une vingtaine s’absentent au moment du vote.
Du côté du Bloc québécois, trois des 34 députés appuient la motion de l’Alliance. Quatre s’absentent au moment du vote (dont Mario Laframboise, actuel député caquiste de Blainville). Ils disaient vouloir attendre le jugement de la Cour suprême du Canada, qui doit déterminer de la constitutionnalité du projet de loi reconnaissant les mariages homosexuels. Je répète parce que c’est savoureux. Quatre députés bloquistes ont dit vouloir attendre l’opinion de la Cour suprême du Canada avant de prendre une décision.
C’est finalement en 2005 que le projet de loi final est déposé et adopté. D’un côté, il y a le premier ministre Paul Martin, qui a mis son opposition personnelle (opposition qu’il attribue à son éducation catholique) de côté par devoir civique. Partisan tiède en 2003, il est en 2005 un fier avocat du mariage pour tous. De l’autre côté, il y a le chef de l’Opposition, Stephen Harper, qui défend avec vigueur la définition traditionnelle du mariage au nom des valeurs chrétiennes et canadiennes. Le Bloc québécois et le NPD appuient tous deux la proposition, mais laissent le vote libre à leurs députés.
Des députés libéraux participent avec les conservateurs à l’obstruction parlementaire pour retarder le projet de loi et empêcher qu’il soit adopté avant la fin de la session. 14 députés libéraux votent avec les conservateurs contre la prolongation de la session demandée par le gouvernement. C’est le Bloc québécois qui vient au secours du gouvernement libéral pour permettre l’adoption de la loi.
Voici le détail du vote par partis:
Parti Pour/Contre/Abstention
PLC 95/32/2
PCC 3/93/0
BQ 43/5/2
NPD 17/1/0
Fait cocasse: Le député conservateur albertain Peter Goldring, violemment opposé au mariage homosexuel, est accusé d’incitation à la haine par le révérend Ted Kolber de l’Église unie du Canada (chrétienne). Dans le Calgary Sun, le chroniqueur de droite Link Byfield accuse le révérend Kolber… d’intolérance. Parce que Kolber ne « tolère » pas les opinions différentes de la sienne. Ça ne s’invente pas.
Et pendant que Stephen Harper, Vic Toews et leurs collègues chrétiens s’opposent au mariage gai en invoquant la Bible, le chroniqueur Richard Gwyn du Toronto Star nous prévient que les droits des homosexuels pourraient bien être menacés par… l’immigration. « La ferme opposition aux mariages homosexuels au sein des groupes ethniques est un avant-goût de notre avenir. » Ironie. Ou cécité, c’est selon.
Dans les pages du Devoir, le psychologue Yves Laberge défend la définition traditionnelle du mariage au nom des lois immuables de la biologie: « On ne peut pas confondre une pratique sexuelle particulière comme l’homosexualité avec une identité sexuelle et concéder à cette pratique sexuelle la même reconnaissance de droit au plan du mariage que celle accordée à la relation homme-femme qui, malgré ses avatars, est la seule à pouvoir assurer la pérennité de la société et de l’espèce. »

Au Québec, on retrouve parmi les opposants une certaine Denise Bombardier, pour qui la seule finalité du mariage est la procréation (amusant quand on sait qu’elle s’est remariée à 62 ans). Le 16 septembre 2003, elle participait à l’émission le Point face à Louis Godbout, secrétaire des Archives du Québec et militant pour les droits des homosexuels. À la fois intervieweuse et débatteuse, elle interrompt allègrement son invité pour imposer son point de vue. Elle met en valeur son doctorat alors que son interlocuteur, elle le souligne, travaille dans le domaine des pâtes et papiers. Elle nous sort le cliché de « Je ne suis pas homophobe, j’ai des amis gais. » Elle prétend d’ailleurs parler au nom des nombreuses personnes homosexuelles opposées au mariage gai mais qui ont peur de prendre la parole à cause de la pression de leur communauté. Puis elle tombe dans tous les clichés. Les homosexuels sont infidèles par nature. Le défilé de la fierté gaie est ridicule. Les gais aiment se présenter en victimes. Bref, peu édifiant. C’était la première et dernière participation de Denise Bombardier à l’émission. Rima Elkouri lui sert une réplique cinglante dans la Presse deux jours plus tard. Une plainte au Conseil de presse a été retenue contre Radio-Canada pour avoir permis ce débat. La principale intéressée dira avoir été victime du lobby des « fondamentalistes gais », quoi que ça veuille dire.
Bref, aucun changement depuis 20 ans. Les conservateurs défendent toujours les « lois de la nature » contre le tout-puissant lobby LGBTQ+ (nom variable selon les époques), les immigrants sont toujours accusés d’incompatibilité culturelle et les véritables intolérants sont ceux qui prêchent la tolérance. Tout va bien.