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    Mes trois derniers livres ont été publiés chez un éditeur un peu particulier, C&F Éditions, auquel j’ai un attachement également particulier au travers des deux personnes qui depuis longtemps font en sorte de sa bagarrer pour une certaine vision de l’édition indépendante, et qui aussi et surtout, ont permis de créer l’une des plus belles collections de livres « autour » du numérique, comme Thelonious Monk a créé sa plus belle oeuvre autour de minuit (d’ailleurs les amis de C&F Éditions i
     

Les livres de C&F Éditions sur Cairn.info (et donc les miens aussi)

15 septembre 2025 à 13:07

Mes trois derniers livres ont été publiés chez un éditeur un peu particulier, C&F Éditions, auquel j’ai un attachement également particulier au travers des deux personnes qui depuis longtemps font en sorte de sa bagarrer pour une certaine vision de l’édition indépendante, et qui aussi et surtout, ont permis de créer l’une des plus belles collections de livres « autour » du numérique, comme Thelonious Monk a créé sa plus belle oeuvre autour de minuit (d’ailleurs les amis de C&F Éditions ils éditent aussi des livres autour du jazz). Bref. Tout cela vous le savez, tout cela je vous l’ai déjà écrit et décrit.

Mon dernier livre, « Les IA à l’assaut du cyberespace : vers un web synthétique« , s’est vendu à un peu moins de 350 exemplaires. Alors certes c’est plus que celui de Marlène Schiappa (245 exemplaires de « Sa façon d’être à moi », source Edistat), c’est plus que celui de l’ex-ministre déléguée au logement, Emmanuelle Wargon (157 exemplaires de « Bienvenue en politique : à ceux qui sont tentés de renoncer », source Edistat), mais mais mais, et c’est une vraie blessure narcissique, c’est beaucoup moins que celui de l’ectoplasme faux-derchique aka Jean-Michel Blanquer (888 ventes de « Ecole ouverte », source Edistat).

Vous me direz, C&F Editions n’a pas de diffuseur, il faut donc commander les ouvrages, et j’ai fait beaucoup moins de plateaux télé que Wargon, Schiappa et Blanquer pour en assurer la promotion. Donc bah c’est pas si mal. Mais ce n’est pas suffisant pour assurer la pérennité de ces « petites » maisons d’édition qui sont – par-delà la qualité de leur catalogue – l’un des tout derniers points de résistance face à un paysage éditorial totalement gangréné par des idéologies au mieux réactionnaires, de Vincent Bolloré à Vincent Montagne.

Donc achetez ou n’achetez pas mes livres, mais par contre achetez des livres en papier chez C&F Editions et chez d’autres éditeurs indépendants.

Lorsque l’on veut que des idées circulent et s’imposent, on peut miser sur le matraquage publicitaire et les grands groupes éditoriaux au service de leurs intérêts rétrogrades, mais l’on peut aussi s’appuyer sur un autre essentiel, cet essentiel qui est celui de la « citabilité » des textes et donc des idées. Le fait qu’elles soient trouvables, accessibles et citables, et que par le biais de ces citations ces idées puissent se répandre et se répondre chez d’autres.

C’est en partie pour cela que C&F Editions a décidé de diffuser son catalogue sur le site Cairn.info. Me concernant, voilà ce que ça donne.

Et lorsque l’on clique sur l’un des ouvrages, on arrive sur cela :

 

Avec donc une « barrière payante » qui vous permettra d’acheter une version numérique à 9 euros d’un ouvrage toujours en diffusion papier à 15 euros. Cairn.info permet également d’acheter « au chapitre », et il vous en coûtera alors 5 euros (le chapitre).

Mais la vraie force de Cairn.info, c’est que l’essentiel de son catalogue est accessible gratuitement à toute une communauté d’étudiantes et d’étudiants, d’universitaires, mais aussi de journalistes, « gratuitement » car les services de documentation de bibliothèques universitaires mais aussi municipales, achètent un accès à la base Cairn.info pour leurs usagers. C’est encore une autre bataille que de faire en sorte que les universités aient assez d’argent pour « offrir » cet accès gratuit à leurs étudiant.e.s et à leurs enseignant.e.s, mais pour l’instant en tout cas, cela fonctionne encore.

Et à la fin tout le monde s’en trouve un peu plus intelligent, instruit et curieux.

Mais le combat est encore très loin d’être gagné comme le rappelle Hervé le Crosnier (je souligne) :

Quand une institution (bibliothèque, université, centre de recherche…) a pré-payé un accès global à Cairn, les usagers et les usagères peuvent profiter du service. Ils et elles ont alors un impression de gratuité, qui bien entendue est soutenue par des décisions de service (public) et donc qui dépendent des modes de financement de ces institutions. Nous passons en fait d’un achat individualisé (un lecteur ou une lectrice achète un livre) à un service socialisé. Dans les moments troublés que nous traversons, quand il n’est plus question que de dette d’un côté et de refus des « taxes » de l’autre, il nous semble important de rappeler cela. Le « consentement à l’impôt » est ce qui fait société, car il permet d’accès en dehors des règles du marché.

Cairn assure une rémunération des éditeurs qui est retransmise aux auteurs et autrices via les droits d’auteur. Mais cela reste avant tout un « mode socialisé de diffusion », qui facilité le travail universitaire (recherche analyse, citation).

Pour autant, du point de vue de l’éditeur, c’est l’achat décentralisé qui fait la majeure partie de ses revenus, et donc sa capacité à continuer d’éditer des livres. Nous espérons donc que l’accès via Cairn fera découvrir des ouvrages, et incitera à les acheter pour constituer des bibliothèques personnelles. Nous croisons les doigts, nous avons besoin des revenus et nous aimons le support imprimé et l’indépendance de la réflexion qu’il permet.

 

Alors voilà. Lisez, lisez, lisez. Consultez, consultez, consultez. Et si vous le pouvez, achetez, achetez, achetez. Des livres de maisons d’édition indépendantes.

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  • Who Will See My Comment? [en]
    [en] Another interesting observation following my return to Facebook: when somebody responds to one of my posts there, it definitely feels like the audience for this response is primarily the people I am connected to. What I mean by that is that I expect that my contacts have a chance of seeing that response, because responses are closely tied to the original content (“comments and post“ format). On Bluesky or Mastodon (or Twitter for that matter, and it could partly explain why I drifted a
     

Who Will See My Comment? [en]

15 septembre 2025 à 05:14
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Another interesting observation following my return to Facebook: when somebody responds to one of my posts there, it definitely feels like the audience for this response is primarily the people I am connected to. What I mean by that is that I expect that my contacts have a chance of seeing that response, because responses are closely tied to the original content (“comments and post“ format).

On Bluesky or Mastodon (or Twitter for that matter, and it could partly explain why I drifted away at some point and started spending more time on Facebook), when somebody responds to one of my updates, I do not expect the people connected to me to see it. And indeed, if they are not following the person who responded, if they do not specifically open up my update to see if there are responses or if it is part of the thread, they will not see it. On those platforms, responses are much more “their own thing” than on Facebook or on a blog.

On Facebook, there is an immediate and visible feeling of micro-community around a publication, when people start commenting. It feels like we’ve just stepped into a break-out room. Participants get notifications, and come back to see responses. If the conversation becomes lively, it is made visible to more people. People will end up connecting to each other after having “met” repeatedly in a common friend’s facebook comments.

Bluesky, Mastodon and Twitter (yeah, and Threads) feel more fragmented. It’s more difficult to follow for lots of people. They are faced with bits and pieces of conversations flying about, and access to the context of those is not frictionless. Part of this, I think, has to do with how publication audience is managed (I’ll definitely have to do a “part 4” about this in my Rebooting the Blogosphere series). And another, of course, is the primacy of non-reciprocal connections on those platforms.

What Facebook also does that blogs do not at this stage, is that Facebook makes my comments on other people’s publications candidates for appearing in the news feeds of people who are connected to me. Every now and again, something of the form “Friend has commented on Stranger’s post” will show up. The equivalent in the blogging world would be having a “reading tool” (now RSS readers, but we need to go beyond that, that’s the Rebooting the Blogosphere part 3 post that I’m actively not writing these days) which will not only show me the blog posts that the people I’m following have written, but also that they have commented here or there, on another blog. This tightens the connection between people and contributes to discovery – ie, finding new people or publications to follow.

In summary: there is something fundamentally different in how Facebook, the other socials, and blogs make visible to a person’s network the comments/responses they have made elsewhere. And the “feeling of conversation/community” of multi-person exchanges also varies from one platform to another.

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  • Where Have All The Bloggers Gone? [en]
    [en] What is happening for me right now is interesting. During my Facebook exile, I reconnected with the social networks that I had been present on in a very passive manner these last years. I also wrote more on my blog (here!), and made an effort to get back into reading other blogs, even though I have never been a really huge blog reader in my past. I installed an RSS reader, and started subscribing, process which is now pretty frictionless. To my surprise, there are lots of blogs! Lots of pe
     

Where Have All The Bloggers Gone? [en]

15 septembre 2025 à 04:53
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What is happening for me right now is interesting. During my Facebook exile, I reconnected with the social networks that I had been present on in a very passive manner these last years. I also wrote more on my blog (here!), and made an effort to get back into reading other blogs, even though I have never been a really huge blog reader in my past. I installed an RSS reader, and started subscribing, process which is now pretty frictionless. To my surprise, there are lots of blogs! Lots of people still blogging! Lots of people who took up blogging way after the Golden Era of Blogs! I see them show up here and there on Mastodon and Bluesky, and of course, in blog posts.

In the few days since I’ve been back on Facebook, I have been struck by the pretty much total absence of blogs in my newsfeed over there. And when I think about how little visibility my Facebook updates pointing to my blog posts get, unless I jump through hoops like posting a screenshot, writing some text, putting the link in the first comment (talk about friction!), I realise that it is not so much because of blogs or bloggers, but because of how Facebook treats outgoing links, and how the algorithm prioritises things.

It reduces the visibility of blogs, therefore inciting people to post directly on the platform rather than on their blog (definitely what happened to me) or go elsewhere to share their blog links and abandon Facebook (what others have done).

Another thing that blogging more these days has made me realise is that, as I mentioned previously, I do not like blogging on my phone. Even though the WordPress app is nice and everything, the length and nature of the blog post is something which, to me, lends itself much more to being typed out on a keyboard in front of a decent screen. But since I went through the exercise of writing a blog post on my phone the other day, I have done it again. In particular, I have written drafts, started blog posts which I then finished on my computer. And at one point in that process, as my thumbs were tiring, I switched to dictation. And that is the key. Dictating on the phone.

Dictation is not perfect. But it is something I know how to do. Over 20 years ago, I spent nearly a whole year without touching a keyboard. During that year, I not only blogged and participated in online life, but I wrote my dissertation, worked in a telecom company, and sat for my final university exams. Dictation on my phone today does not allow me to “speak corrections” in the text I am writing, but it does now allow seamless transitions between dictation and keyboard, and the recognition quality is pretty good.

One of the things that happened during the Rise of The Socials is that our online activities became more and more “phone first”. And for me at least, blogging being primarily a “desktop computer” activity, and the socials being extremely well calibrated to mobile phone use, that definitely encouraged my drift away from blogging and into the socials.

So, clearly, for me, starting blog posts on my phone, even if I finalise them on the computer, and using dictation to write stuff down is definitely a way to remove friction from blogging, by bringing it to my phone, and providing it some of the immediacy of the facebook post.

Previously, I would spend my time having ideas like “oh, I need to blog about this!” but it was never the right moment to sit down at the computer and spend an hour or two typing it out. Not because I am a slow typer – on the contrary – but because I am not exactly concise, and I like putting links in my blog posts, so I often go down rabbit-holes looking for the right link for this or that.

Now, as I did this morning, I open up my WordPress app, and start dictating a blog post into it. Right now, I am pacing back-and-forth in my apartment and dictating this, instead of preparing my breakfast, but that is another story. At least I am capturing my idea. It will be 90% written and ready by the time I put down my phone, and all I will have to do on the computer a little bit later is make a bunch of corrections (I am“dirty dictating” without correcting much so that I can go fast), add links and a photograph (because I like photographs, and the WordPress app has made it super easy to add them to my posts from my phone), and publish it.

So, the bloggers are there. But if you live on Facebook, you might just not be seeing them.

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  • Fiche ou tableau de suivi [en]
    [en] Je sais que je n’ai pas encore donné les détails ici, mais Oscar est en petite forme depuis quelques semaines. Il est sur la bonne pente mais ça a été chaud, et on lui a mis une sonde oesophagienne pour pouvoir l’alimenter durant ce passage difficile. En début de semaine, j’ai réalisé que je savais plus où j’en étais avec les repas, les médicaments, etc. La routine habituelle était bouleversée, et ma mémoire me joue des tours. Lui ai-je donné son insuline ce soir ou pas? Embêtant de ne
     

Fiche ou tableau de suivi [en]

14 septembre 2025 à 10:31
[en]

Je sais que je n’ai pas encore donné les détails ici, mais Oscar est en petite forme depuis quelques semaines. Il est sur la bonne pente mais ça a été chaud, et on lui a mis une sonde oesophagienne pour pouvoir l’alimenter durant ce passage difficile.

En début de semaine, j’ai réalisé que je savais plus où j’en étais avec les repas, les médicaments, etc. La routine habituelle était bouleversée, et ma mémoire me joue des tours. Lui ai-je donné son insuline ce soir ou pas? Embêtant de ne pas être sûre de la réponse.

J’ai donc fait une fiche dans laquelle je pouvais noter les choses au fur et à mesure, sur papier. Des années de gestion de diabète félin (et d’accompagnement de personnes qui se retrouvent face à ça) m’ont clairement convaincue des bénéfices d’avoir une forme de monitoring dans les soins. Je le fais aussi pour moi, depuis des années, avec une montre connectée qui m’indique combien j’ai dormi, ou en mesurant ma tension.

Voici à quoi ressemble la version actuelle, que je viens de mettre à jour:

Ces temps, je ne galère pas juste avec les médicaments d’Oscar. Je peine à garder un rythme correct pour mes journées (heures des repas, du coucher). Je peine aussi à me reposer suffisamment (donc à m’arrêter), et à simplement faire les choses que je veux faire. Je sais qu’un clé importante c’est de mettre en place des habitudes, mais c’est vite fait de glisser et de “lâcher”. Je me retrouve de nouveau à éteindre à 2h du matin, sans avoir tout à fait compris quand et comment j’ai perdu le bel élan d’il y a quelque temps pour reprendre contrôle de mes heures de coucher.

J’ai donc décidé, à l’écoute d’un épisode de podcast qui me rappelait que le tracking était un outil puissant, de faire de même pour moi. J’ai donc préparé un tableau de suivi, hebdomadaire cette fois, avec une partie qui contient les choses que je voudrais réussir à faire chaque jour (ou presque), et une autre qui me permet de noter les choses que je fais plutôt à l’échelle de la semaine (de quelques fois dans la semaine à toutes les quelques semaines). Le voici:

Vous voyez qu’il y a à la fois des points de planning, avoir fini de manger avant 14h par exemple, et des activités qui peuvent avoir lieu de façon flexible, comme jouer avec les chats, prendre un moment pour avancer sur mon puzzle, ou arroser les plantes.

A ce stade, il ne s’agit pas de “faire tout bien”. Il s’agit simplement d’avoir un espace (papier, toujours, ça évite de rallumer le téléphone pour mettre à jour et de tomber dans Facebook par la même occasion) où je peux consigner l’état des choses. Ça m’aidera d’une part à avoir du recul sur ce que je fais ou fais pas (“purée ça fait 3 semaines que je n’ai pas arrosé les plantes” ou “4 jours que je n’ai pas fait d’activité physique, je vais aller à mon rendez-vous à pied”) et d’autre part ça rajoute en effet une couche de motivation de mettre des petites croix ou des petites notes dans le tableau quand on fait les choses. Parfois, ne pas vouloir interrompre la jolie série de petites croix dans le tableau peut être la petite goutte de motivation qui fait qu’on pose son téléphone et qu’on va se mettre au lit avant d’être tellement fatiguée qu’il n’est plus possible de prendre un moment avec son livre de chevet.

On verra où ça me mène! Et vous (surtout si vous êtes Team TDAH), est-ce que c’est une stratégie qu’il vous arrive d’employer? Est-ce que faire en sorte que vos actions laissent des traces quelque part dans un registre vous aide à ne pas lâcher? Avez-vous déjà essayé, est-ce que ça vous parle?

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  • Sauvegarder des publications et fils de commentaires Facebook [en]
    [en] Maintenant que j’ai de nouveau (contre toute attente) accès à mon compte Facebook, ma première mission est de préserver, sous une forme ou une autre, ce que j’ai contribué là-bas depuis 18 ans. Cette mésaventure (on va dire ça maintenant que ma “disparition” n’aura duré que trois semaines) aura eu le bénéfice de me faire sentir dans mes tripes à quel point il est important de ne pas laisser du contenu auquel on tient uniquement dans les mains de grosses entreprises capitalistes qui gèrent
     

Sauvegarder des publications et fils de commentaires Facebook [en]

13 septembre 2025 à 07:38
[en]

Maintenant que j’ai de nouveau (contre toute attente) accès à mon compte Facebook, ma première mission est de préserver, sous une forme ou une autre, ce que j’ai contribué là-bas depuis 18 ans. Cette mésaventure (on va dire ça maintenant que ma “disparition” n’aura duré que trois semaines) aura eu le bénéfice de me faire sentir dans mes tripes à quel point il est important de ne pas laisser du contenu auquel on tient uniquement dans les mains de grosses entreprises capitalistes qui gèrent leur plateforme à peine mieux que le ferait un régime totalitaire.

Première étape, demander un export de toutes mes données. Je voulais le faire ce printemps, j’ai baissé les bras devant les 52 fichiers de 2Gb chacun qu’il fallait télécharger à la vitesse de pointe de la limace et qui faisaient planter mon réseau. Mais là je suis prête. Je câblerai mon ordi, je prendrai la journée pour le faire s’il le faut.

Si vous n’êtes pas prêt·e à voir disparaître à tout jamais les publications, photos et vidéos que vous avez confiées à Facebook, prenez le temps de le faire aussi. La liste de vos contacts, aussi, c’est là-dedans. Je rappelle que la suspension de mon compte Facebook (qui aurait aussi bien pu être une suppression définitive, j’ai eu de la chance sur ce coup) est l’équivalent d’une erreur judiciaire. Ça peut vous arriver à vous, aussi.

Ce que Facebook ne vous permet pas d’exporter, ce sont les échanges, conversations, et discussions que vous avez avec d’autres dans les fils de commentaires. A qui appartient une discussion? La discussion (comme la relation) est plus que ce que chacune des parties y met – le tout est plus que la somme de ses parties. Même si on peut exporter toutes ses publications, tous ses commentaires, on va perdre quelque chose. Imaginez, un commentaire qui dit “c’est exactement ça!” sans qu’on sache à quoi ça répond, ça ne veut rien dire. Il manque le contexte.

Quand quelqu’un supprime une publication ou un commentaire, toutes les réponses d’autres personnes partent avec. C’est comme si on vivait dans un monde où le droit de faire disparaître était très étendu, mais pas le droit de préserver.

Je vous donne un exemple. Dans la communauté Diabète Félin, nous avons une publication, que j’ai faite, qui est un fil de présentations. Il y a plus de 300 commentaires sous cette publication. Depuis des années, les gens prennent la peine et le temps d’écrire un commentaire, parfois long, qui les présente. Il y a des réponses, du partage, des échanges. Quand mon compte a été suspendu et que tout mon contenu a été “disparu” de Facebook (et ce serait le cas si je décidais, pour je ne sais quelle raison, de supprimer définitivement mon compte), tous ces commentaires ont disparu avec. Ils ne m’appartiennent pourtant pas – mais j’ai un “droit de mort” sur eux.

Il y a donc certains fils de commentaires qu’on peut souhaiter préserver – soit pour ses propres archives personnelles et souvenirs, soit parce que l’échange en question a de la valeur pour la communauté ou les personnes qui y ont pris part. Le jour où la communauté Diabète Félin déplace son centre d’activités hors de Facebook, peut-être qu’il y a une partie de nos huit ans d’histoire qu’on aimerait pouvoir prendre avec nous. Et il n’y a rien de prévu pour ça. Chacun peut supprimer ou exporter son contenu, mais une communauté en tant que collectif ne le peut pas.

Comment faire, alors?

Tout d’abord, il y a une extension Chrome qui s’appelle SingleFile. Une fois installée (ce n’est pas compliqué, c’est l’équivalent d’installer une app sur son téléphone, juste que c’est dans son navigateur web – Chrome) l’extension permet de faire une sauvegarde (une archive) de n’importe quelle page web, en HTML (le format de base du web, donc lisible dans n’importe quel navigateur). Cette sauvegarde est statique: on n’enregistre que ce qui est chargé et visible sur la page. Mais c’est bien mieux qu’une capture d’écran, car ce n’est pas une image, et ça couvre toute la longueur de la page.

Ce qui va nous embêter, c’est que Facebook ne “déroule” pas entièrement les fils de commentaires quand on charge une page. Avant de trouver la solution dont je vais vous parler dans un instant, j’ai passé des heures et des heures à cliquer sur chaque commentaire de longs fils de commentaires pour les ouvrir tous avant de sauvegarder la page avec SingleFile. Horrible!

Une autre extension, Tampermonkey, permet d’installer et même d’écrire des scripts utilisateurs pour son navigateur. C’est un peu technique, je sais, mais pas si compliqué. En gros, on installe l’extension Chrome Tampermonkey (si vous êtes dans Chrome, ce lien devrait vous donner accès à la gestion de vos extensions), et ensuite, dans Tampermonkey, on va installer un script qui s’appelle Facebook Comment Sorter, via la librairie Greasy Fork. Ce script fait deux choses (qui peuvent aussi servir en-dehors du cas de figure dont je parle aujourd’hui):

  • activer “voir tous les commentaires” (au lieu des plus récents, plus pertinents, ou ce que Facebook a choisi comme ordre par défaut ce mois-ci) pour afficher tous les commentaires et pas juste une sélection
  • charger et dérouler tout le fil de commentaires et de sous-commentaires.

Ça ne marche pas parfaitement, parce que c’est un peu du bricolage – ce genre d’outil finit d’ailleurs tôt ou tard par casser car Facebook fait sans cesse des changements à son code et à son interface, donc si ça se trouve, le temps que vous lisiez cet article, cette solution sera obsolète. C’est pas parfait, mais c’est nettement mieux que tout ouvrir à la main.

L’extension SingleFile, elle, permet de sauvegarder soit l’onglet en cours, soit tous les onglets ouverts. On peut aussi spécifier dans les réglages qu’on souhaite que l’onglet soit fermé une fois la sauvegarde faite. Jetez un oeil aux réglages – pour Facebook Comment Sorter aussi, on va modifier la ligne “expandReplies: false,” du script pour que ce soit “expandReplies: true,” et qu’il s’applique également aux commentaires qui ne sont pas dans la partie visible du navigateur web.

Voici donc comment je procède:

  • j’ouvre une série de publications que je veux archiver dans une série d’onglets, en faisant bien attention de cliquer sur la date pour ouvrir la publication, et qu’elle s’affiche seule sur la page
  • je laisse bosser Facebook Comment Sorter, ça prend un peu de temps, je vérifie que les fils de discussion se déroulent bien jusqu’au bout, j’ouvre les quelques commentaires qui auraient passé entre les gouttes
  • quand tous mes onglets sont bien ouverts et chargés, je lance SingleFile sur tous les onglets, et je vais faire autre chose pendant que tout se sauvegarde dans mon dossier téléchargements.

Voilà! Pensez-y donc, s’il y a des discussions auxquelles vous avez pris part sur la plateforme que vous souhaitez pouvoir assurer contre une disparition involontaire.

Evidemment, si vous êtes en train de préserver des échanges qui n’étaient pas publics, vous devez prendre soin de les stocker quelque part où ils seront en sécurité…

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  • Facebook Account Back After 21 Days [en]
    [en] My Facebook account is back, with as little explanation as when it was taken down. I had finished the dishes after lunch and was preparing to get to work writing part three of my thoughts on rebooting the blogosphere, when I saw a message from a friend telling me that I was back on Facebook. I checked, and indeed I was. In my emails, I found this explanation, as enlightening as the one that was given upon my suspension. I am sure that you, as I, will appreciate the heartfelt apologi
     

Facebook Account Back After 21 Days [en]

12 septembre 2025 à 17:50
[en]

My Facebook account is back, with as little explanation as when it was taken down. I had finished the dishes after lunch and was preparing to get to work writing part three of my thoughts on rebooting the blogosphere, when I saw a message from a friend telling me that I was back on Facebook.

I checked, and indeed I was. In my emails, I found this explanation, as enlightening as the one that was given upon my suspension. I am sure that you, as I, will appreciate the heartfelt apologies.

Understandably, I am relieved. I have no idea if my account simply went through the standard appeal and review process, albeit in three weeks rather than one day as announced, or if my plight reached the right eyes or ears thanks to my extended network. I will probably never know. In any case, I really would like to thank everybody who helped spread the word about my situation. And if somebody somewhere intervened, I am extremely grateful.

As you can imagine, all is not clean and pink and shiny. The top thing on my list now is to back up my content. Unfortunately, that option is not available to me, as of now. Hopefully this is just a systems lag and I will be able to get things rolling tomorrow.

Upon logging in, the first thing I noticed was that all of my “disappeared“ Pages were not there. The Pages for my cats, past and present, for my diabetic cat community: not there. Thankfully, I quickly discovered that I could reactivate them. It was a bit tedious, but it functioned. I then immediately added a trusted friend as administrator with full powers to each of my Pages. Also little tedious, but worked.

Cats with Facebook Pages? Indeed. The current ones are Oscar and Juju. They mainly speak French, though. But photos (particularly cat photos) know no language barriers.

That being done, I figured I would check my account status. Well, no big surprise, it is still “at risk“ — still orange. The nine or so “false positive spams“ are still there on my Facebook criminal record. So, I’m assuming I am just another fast positive way from seeing my account suspended again. You are not going to see me posting much.

The information about my “crimes” is naturally as enlightening as before, with no way to appeal what are obviously false positives.

Feeling slightly bullied into doing it, I bit the bullet and signed up for Meta Verified for my Facebook account, having already done it for my Instagram account just after the suspension. Trying to contact a human being through there was one of my possible avenues of action to try and get my Facebook account properly reviewed.

Anyway. If I still cannot download my content tomorrow, I will try out their enhanced support. And I will also see if there is anything this “enhanced support“ can do about those nasty stains on my Good Facebook Citizen record.

But above all, here is what’s important: what happened here is wrong. A company should not hold such arbitrary power of life or death over such a large part of our digital existences.

I’m lucky my account is back up. I’m lucky I didn’t lose any business during the three weeks it was down. I’m lucky that I didn’t rely on Facebook or Messenger at the time for anything critical, and that I had good teams in place for managing my active facebook groups. I’m lucky that Facebook is not the only store for my photos, and that I had downloaded my Live Videos previously. But even with that, the way I was suddenly and unexpectedly disappeared from the platform was traumatising. I was in shock. I lost sleep and for a significant number of days, regressed in the recovery from my accident. I spent countless hours and days doing whatever I could in the hope I might get my account back.

This should not happen. Even if we are not paying customers, even if we are “the product”, all the cash that is rolling into the company is thanks to us. We get something in return, sure – and therefore we willingly allow Meta and others to exploit our data. But we are not just data. We are living, breathing, feeling humain beings behind our screens. And we deserve to be treated as such.

Posts regarding this saga:

Let’s make things better and reboot the blogosphere:

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  • Rebooting The Blogosphere (Part 2: Interaction) [en]
    [en] Start with part 1! Yesterday I started writing “a blog post” to capture my coalescing thoughts about the open web and how to remove friction from blogging. Not all of it: some friction is good. But enough that people like me don’t get so easily drawn away from their blogs by “The Socials”. So far, in Rebooting The Blogosphere (Part 1: Activities) I have distinguished four types of “activities” we carry out in online social spaces: reading commenting/reacting writing sha
     

Rebooting The Blogosphere (Part 2: Interaction) [en]

11 septembre 2025 à 09:28
[en]

Start with part 1!

Yesterday I started writing “a blog post” to capture my coalescing thoughts about the open web and how to remove friction from blogging. Not all of it: some friction is good. But enough that people like me don’t get so easily drawn away from their blogs by “The Socials”.

So far, in Rebooting The Blogosphere (Part 1: Activities) I have distinguished four types of “activities” we carry out in online social spaces:

  • reading
  • commenting/reacting
  • writing
  • sharing.

Today, I’ll focus less on the actions an individual carries out, and more on the interaction between individuals. The wonderful thing about blogs is that they lowered the barrier to personal expression online, which in turn makes dialogue possible. But dialogue can take many forms.

Some thoughts on Dave’s “new model for blog discourse

Before I go any further, I would like to address a few points Dave brings up in his podcast from yesterday, because I actually started yesterday’s post with the intention of responding to it (amongst other things), but he put it up while I was already writing.

I love what Dave describes doing in the very early days, if I understood it right: write something, send it by e-mail to handful of people, and have a first round of discussion with that smallish group before publishing, and including value-adding responses to the publication. All this, scripted so that it was as frictionless as possible for him. This reminds me of Bruno Giussani‘s “Promote Comments Plugin” idea. It also fits with the idea I insisted upon yesterday that there is an added value to making the discussion about something available in the same place as that thing.

It is also reminding me of one aspect that I hadn’t thought about covering in this post-become-series: managing who the audience is. I firmly believe that allowing conversations to take place in closed or semi-public spaces is vital (cf. context collapse) – proof the number of people who take part in closed groups on Facebook or who share updates to “friends only“. I might have to make this a fourth part…

Dave describes a future tool in which comments (responses) get posted to the commenter’s blog and sent privately to the author of the original blog post, who can then decide whether to make it visible or not. For me, the second part of this process is already widely implemented in blogging tools, and has been for over a decade: its upfront comment moderation. Some people activate it, some don’t. On this blog, for example, if you’re a first-time commenter, your comment is not published. It is sent to me and I decide whether it’s worth publishing or not.

The first part is more interesting. It addresses the “ownership” issue of the comment, as tools like coComment or Disqus have tried to by providing a place all a person’s comments are collected. But it goes one step further and says: that place is the commenter’s blog. This is great and has been long needed. It would be interesting examine why previous attempts to do this across platforms have not stuck.

And this leads us to the topic of today: show my comments on my blog, but in what way? My comments are not the same kind of content as my posts. I don’t want my posts to be mixed up with my comments, everything on the same level. I’ll explain why.

Finally, Dave identifies some of the challenges with blog comments that I covered in yesterday’s post, but I’m not sure the current situation is as “broken” as he thinks. All that is missing, really, is a way to collect-own-display the comments I make all over the place in a space that is mine. Moderate comments upfront, or not? Or even, not have comments? That’s already possible, and up to the blogger. And yes, moderating comments or limiting who can comment directly cuts down tremendously on the spam and other bad behaviour issue.

Comments are about interaction – so are links between blogs. And as I mentioned yesterday, one thing the socials are really great at is interaction. You can spend your whole day on there (don’t I know it) interacting.

A way to look at interactions

I’m going to start by sticking with 1-1 interactions, to make it simpler, but I think this can be applied to interactions with more actors.

I think we all agree that exchanging letters with somebody (which I’m old enough to have done in my youth) is very different from talking on an instant messaging system. The key dimension that varies here is how (a)synchronous the interaction is. This drives a lot of the features we have in our social tools, and what makes them different from one another – just like in martial arts, the distance between the practitioners constrains the kind of techniques, and therefor the kind of fighting (interaction) that can take place.

I’d like to summarise it this way:

The length of contributions in an interaction is inversely proportional to how synchronous, or how conversational it is. And vice-versa.

Let’s unpack this a bit.

When Twitter showed up with its 140-character limit (which didn’t come out of nowhere, it was SMS-based), and constrained how much we could write in one go, it quickly became a place where we were “talking” more than “writing”, as we had been doing on our blogs. It was not quite as immediate as instant messaging, but somewhere in between. Like text messages.

In the early days of Facebook, if my memory serves me right, there was a distinction between sending a message to somebody (sorry, I can’t remember the terminology that was used, I’m not even 100% sure I’m remembering right) as some kind of internal mail, and chatting (or maybe they transformed the former into the latter and it changed the way we used it). In Discourse, you have both: you can send a message to somebody, or chat. Like you can e-mail somebody, or instant message them.

And I suspect I am not the only person to feel some degree of annoyance when I receive an “instant message” that should have been “an e-mail”, because it requires me to sit down, absorb a “speech”, and then figure out how on earth I’m going to respond to all that was said in one go, particularly now the person who sent it is not online anymore, because I had to wait until I had enough time to properly read it, digest it, and figure out my response.

Instant messaging works when it’s used for short things that you can take in at a glance (or barely more) and answer without having to think too much. It is conversation, with an asynchronous twist. When both parties are connected and interacting (synchronous), it is very close to in-person (or “on the phone”) synchronous conversation, but with this “optional asynchronicity”, as there is a blind spot regarding the context of the other party, and how it impacts their availability to read or respond right now, or even, to keep the conversation going. (If you’re on the phone with them or in the same room: they are available.)

When in “conversation mode”, contributions can become a bit longer, but not too long: if you throw a 3-page essay at somebody in an instant message or chat conversation, chances are you’ll lose them. Just like in-person conversation: if you monologue for 10 minutes at the person you’re talking with, you don’t have a conversation anymore. And actually, this pretty much never happens: there are non-verbal cues that the person opposite you is going to give that will either interrupt your monologue, or reveal that it is in fact a dialogue, when taking into account non-verbal contributions of the listener. But when you’re typing in an instant-messaging box, there is none of that.

Back to blogs. A blog post does not have the same conversational qualities as a response to a tweet. Blogs live in a more asynchronous interaction space than the socials or chatting. Comments are generally more conversational than blog posts. But probably less than updates on the socials.

“Allowed length” of contribution plays a role in shaping the kind of interaction, as well as design. If you’re typing in a tiny box, you’re less likely to write an e-mail or a blog post. If you’re typing in a box that uses up the whole screen, you’re less likely to write only one sentence.

Why did so much conversation move from blogs and chats to socials? I think that it is because they are in some sweet space on the (a)synchronicity continuum. They allow belated responses, but also real-time interaction. Notifications are key here, as is the fact that writing/responding are pretty much the same thing (same on Twitter or Bluesky or Mastodon, not-quite-same on Facebook, but close enough) and in the same space as reading/listening. It’s super easy to jump in and out of conversation. Frictionless.

So, it’s not just about reducing friction around reading blogs, writing blog posts, and commenting on them: it’s also about how we integrate the blogosphere and the socialsphere. One cannot and should not replace the other. There will always be people who like writing stuff. And others who are just happy to interact or react. And it doesn’t make sense to corral them into separate spaces.

Does anybody remember Backtype? I didn’t. Well, I do now after reading my blog post. The idea was to find a way to bring “back to the blog post” conversation about it that was happening on the socials (gosh, I really hope it’s not too annoying for you all that I’ve started saying “the socials”, it’s just really practical; my apologies if it grates on you). What about Diigo comments?

There is a common theme here: somebody writes a blog post. There is discussion about it or prompted by it – in the comments, on other blogs, on Bluesky, Facebook, Twitter and Mastodon, even Threads. How do we give easy access to these fragmented conversations (I think conversation fragmentation is now something that we have accepted as inevitable and normal) to those who are reading the post? And how do we do that in a way that a) leaves some control in the blogger’s hands over what to show and not to show (less spam) and b) allow people participating in the conversation to keep ownership of their content, in the sense that even if it can be made invisible in a given context (e.g. on the blog post), it cannot be outright removed by a third party, and remains “on the record” of the person who wrote it?

Who owns the conversation?

There is a lot of talk about retaining rights or ownership to one’s content. But who owns a conversation? Or beyond that, a community? The whole is more than the sum of the parts. When people come together to create something together (including relationships), who owns that? I mentioned previously that when facebook allows you to “download your content”, that doesn’t seem to include comments (wait, I have a doubt now – I think the export used to, but not anymore, correct me if I’m wrong, as I can’t go and check easily). Or comments by others made on your posts. In any case, say you can download your comments: a lot of them are contributions to conversations, and make little or no sense without their context – the publication the conversation took place about, other people’s comments.

I think there needs to be some kind of “collective ownership” understanding, which is more nuanced than “I wrote it, I have power of life or death over it”. When does something you offer up to the collective cease to be completely yours? In my opinion, it remains yours in the sense that it cannot be taken away from you against your will. Corollary: if contributions to a conversation or a community also “belong” to the conversation or community, then it should not be possible to take it away from them unilaterally. This is something that needs to be thought out further: does it mean that I should not be allowed to remove my blog from the web?

What is clear at this point: we need to think beyond “atomic” contributions and also think about how our tools manage the collective creations that are conversations and communities.

So, let’s sum up today: interaction is not a monolith. Online conversations occur at varying speeds and are made up of contributions of varying nature. Reclaiming and rebooting the blogosphere and the open web needs to take that into account and embrace it, and figure out how to bring it together in an open way, with frameworks, standards, protocols or the like, not yet another “One Platform to Replace Them All”.

That will be tomorrow, in part 3.

Thanks for reading, and don’t hesitate to react: on the socials, here in the comments, or on your blog!

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  • Rebooting The Blogosphere (Part 1: Activities) [en]
    [en] Some thoughts (part 1 of 3) following exchanges on Bluesky with Dave, amongst others. My Facebook exile is clearly bringing to a boil my preoccupation with our reliance on big capitalist platforms for our online presence and social life. Though I never “stopped blogging”, I clearly poured a lot more energy over the last decade into what I now think of as “The Socials” (Twitter, Facebook, Bluesky, Mastodon and the like). Why? How did that happen? What makes it so much more “easier” to ha
     

Rebooting The Blogosphere (Part 1: Activities) [en]

10 septembre 2025 à 13:34
[en]

Some thoughts (part 1 of 3) following exchanges on Bluesky with Dave, amongst others. My Facebook exile is clearly bringing to a boil my preoccupation with our reliance on big capitalist platforms for our online presence and social life. Though I never “stopped blogging”, I clearly poured a lot more energy over the last decade into what I now think of as “The Socials” (Twitter, Facebook, Bluesky, Mastodon and the like).

Why? How did that happen? What makes it so much more “easier” to hang out over there than to write here? Dave rightly points out to “1-click subscribe” as a killer feature that Twitter brought to the table (written summary of the podcast if you don’t want to dive into listening). But there is more than that.

I am pondering a lot on what I am “missing”, having lost facebook. On what is “difficult” about blogging, in comparison. Where is the friction?

Very clearly, one thing that The Socials (I’ll drop the uppercase soon) do very well is:

  1. bring everything (reading, writing, responding) together in one seamless interface/site/app
  2. shift interaction closer to real-time and what we perceive as “conversation”.

The rest of this blog post covers the first point. A second one will cover the second one. And finally, in a third post I’ll try and put together a proposal for how we can use our understanding of how the socials manage “so well” to remove friction from blogging and help reboot the blogosphere.

As I was writing this post I poked around in my archives to link to where I’d spoken about some aspects of the topic, so here are a some of those I dug up, in addition to those linked in the text itself (realising I wrote so much about this stuff it makes my head hurt):

I see three main “activities” for taking part in the text-based social web, and a fourth that may be worth distinguishing from the third:

  1. Reading or consuming: basically, taking in things that others have put there.
  2. Responding, commenting, reacting: expressing oneself based on something somebody else has provided.
  3. Writing: making available to others ideas, stories, in a broad sense, our creations.
  4. Sharing or boosting: highlighting for our network/readership things that are not by us.

Some comments regarding this typology (bear with me, it will come together in the end).

Reading

RSS does a good job of allowing us to collect things to read from different sources into one place. Many different tools make RSS feeds available. Many different tools read/collect/organise RSS feeds. However, they usually keep this collection of feeds private.

As Dave says, subscribing to an RSS feed generally requires too many steps. Too much friction. The socials make it 1-click (sometimes two) to follow or friend (connect to) somebody. And it’s right there in front of you, a button that calls you to do it. Inside blogging platforms like WordPress.com or Tumblr, you have some kind of 1-click subscription, but it keeps you in their internal reader (just like the socials do, by the way).

Commenting

Responding/commenting is a can of worms, in my opinion. When I started blogging, blogs had no comments. We responded to each other’s publications by writing on our own blogs and linking to what we were responding or reacting to. I actually wrote about this a couple of days back.

After a few months of blogging, I added comments to my blog, so one could say it’s pretty much always had them. (For the nostalgic: the blogger discuss thread I got my comments from, and the page on my site which for some time provided the PHP comment script to hungry bloggers.) And most blogs have them too, though far from all.

Comments come with issues, as well as opening new doors:

  • first of all, you’re leaving your stuff in a space that somebody else controls (ring any bells?) – when the “host blogger” deletes their blog or their post, there goes your comment
  • second, the way comments are designed invite shorter contributions or reactions – this makes the exchange more conversational and less epistolary, tightening the relationship between the different parts of the exchange provided by different people and quickening the pace
  • comments link back to the commenter’s blog, therefore creating an incentive to comment for visibility and not just for what one has to say
  • the visibility incentive leads to people commenting while adding little value (in the best cases) and outright spam (in the worst, widespread case)
  • the lack of a frictionless system to be informed of responses to comments (think “response notifications” on the socials) leads to interrupted interactions (I liked the term “drive-by commenting“)
  • the widespread presence of comments on blogs raises the bar for what is perceived as “deserving” to be a blog post, possibly contributing to the idea that writing a blog post is a “big thing” that you might need to make time for (or that might suck up half your day), in comparison with just “leaving a quick comment” after reading something
  • the visibility of comments led to it becoming a measure of blogging success, increasing a kind of competitiveness in the space, and, in some cases, even its commercialisation.

I see comments as solving two main problems:

  1. attaching the “discussion” about a publication to that publication: all in one place, instead of spread out in blog posts you might not even know exist
  2. lowering the barrier to entry for participating in said discussion: you don’t need any sort of account to comment.

Over the years, many tools have attempted, in some way, to “fix” the problems that come with comments. A few examples:

  • coComment: solve the “notification” issue by tracking comments made over different blogs – and somewhat, the “ownership” issue, by giving the commenter a central repository of their comments
  • Disqus: solves notifications and central repository (but limited to Disqus-enabled sites) and maybe spam, to some extent
  • Akismet and all the other spam-fighting systems…

In a world without comments, people who read a post will not necessarily know there is a “response” somewhere else out there in the blogosphere. The blog author might see it if the person responding tells them (some way or another), or if they check their referrers (didn’t we all use to do that). But the reader cannot know, unless the blog post author knows, and links to the response. Trackback and Pingback came in to solve this issue, creating a kind of automated comment on the destination post when somebody linked to it (with all the spam and abuse issues one can imagine).

Tags and Technorati also played a role in “assembling” blog posts around a specific topic, which could be seen as some kind of loose conversation.

But it’s not the same thing as having the different contributions to a conversation one below the other on the screen at the same time.

Writing

This one is simple. There are many good tools (many open-source) to write blog posts. You can create an account somewhere and get started, or install software on a server somewhere – with a hosting company or in your basement. They work on mobile, in the desktop browser, or even in apps. There are generally ways to export your content and move to another tool if you want. Some are full of bells and whistles, others are pared down.

Blogging has no character limit – the socials do. This, implicitly, encourages writing different things. Design also does that: is the box I’m writing in something that takes up the whole page (like the one I’m typing this blog post in) or is it a little box that might expand a bit but not that much, like on Facebook (which also doesn’t have character limits)?

I think this is a crucial aspect which should not be ignored. The blog posts I wrote in 2000-2001 are, for many of them, things that would be updates on the socials today. They are not the same as blog posts, and we need to keep that. The way we interact with “updates” or “blog posts” is also different (I’ll come to that below if you’re still reading by then). They generate a different kind of interaction. And sometimes, we start writing an update (or even a comment/reply) and it transforms into something that could be a blog post. How do we accommodate for that?

Sharing

Sharing is trickier, and this is why I’ve separated from writing. If writing can be thinking out loud or telling a story I have in my head, sharing is “I saw something and you should see it too”. Maybe I want to add an explanation to why I’m sharing it, or “comment” (hah!), but maybe I just want to put it out there, nearly like a shared bookmark. Of course, if what I write about what I’m sharing starts taking up a lot of space, I’m probably going to be writing a blog post with a link in it. And if I’m just sharing a link to something, I might as well be using some kind of public bookmarking tool (remember delicious?)

Bringing it all together

This is what I said the socials were great at. When I’m on Facebook, I am on my news feed (reading). I can 1-click-share and 1-click-comment on what I see, in addition to 1-click-subscribe if something new I want to track crosses my radar. If I want to write something, the box to do so is in the same view as my news feed – or pretty much any “reading” page I’ll be looking at (a group, for example; groups are another thing to talk about, but that’ll be another post).

I don’t really have to determine if I want to read, write, share, comment – I go to the same place. Whatever I want to do, the tool and environment remains the same. Tumblr does that well too.

Whereas look at blogging:

  • I want to write a post, I go to my blogging software
  • I want to read stuff, I open my RSS reader (confession: I’ve never been good at this) or conjure up a blog URL from somewhere (memory? bookmark? blogroll? link in another post?)
  • I’m done reading something (in my RSS reader) and want to comment: I need to click over to the blog itself to do that – or wait, do I want to comment, or write a whole blog post? I have no clue how much I’m going to want to write once I get going, I just know I have something to say.
  • I read a great blog post (or other thing online, for that matter) and want to share it, I need to pick up the link and write a blog post. Or maybe, instead, I just stick the link in a toot on Mastodon? There are “blog this” bookmarklets, but what about if I’m on my phone?
  • Yeah, I could post my “statusy updates” to my blog like it’s summer 2000, but do my blog subscribers really want to see “spent a lot of time feeding the sick old cat” in their RSS reader?

Think about community platforms like Discourse: want to post, want to respond, want to read? All in the same “place”. You get notifications, you can configure them. I think there is a lot to learn from this type of platform and the socials to bring “blogging stuff” together.

And before somebody says: “your blog should replace your socials” or “you should just blog on mastodon”, wait for the post I plan on writing tomorrow about what I see as a very important distinction in between these two types of online “social” spaces: exchange intensity and pace.

Ideas like making WordPress and Mastodon work together and FeedLand (in short, it makes your RSS subscriptions visible on your blog; check the new shiny blogroll in my sidebar, thanks for the shoutout, Dave!) are absolutely on the right track, but if we treat all “conversation” and all “publication” the same, we will fail in building an open, independent social web that is integrated and frictionless enough to be a realistic alternative to the facebooks of this world for more than just us few geeks.

Continue reading with part 2!

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  • “Être autiste”: implicite, connotation et identité [en]
    [en] Je réfléchissais à cette question hier soir après avoir lu une partie des échanges qui “font rage” dans un coin de LinkedIn autour de “l’identité autistique“.Il m’a semblé qu’un élément régulièrement mis de côté par les personnes argumentant « pour » la formulation « être autiste », en faisait des parallèles avec « être barbu » ou « être gaucher » c’est (encore une fois) la question de l’implicite. Au point que je me suis demandé s’il y a quelque chose du côté des caractéristiques de l’aut
     

“Être autiste”: implicite, connotation et identité [en]

8 septembre 2025 à 06:26
[en]

Je réfléchissais à cette question hier soir après avoir lu une partie des échanges qui “font rage” dans un coin de LinkedIn autour de “l’identité autistique“.
Il m’a semblé qu’un élément régulièrement mis de côté par les personnes argumentant « pour » la formulation « être autiste », en faisait des parallèles avec « être barbu » ou « être gaucher » c’est (encore une fois) la question de l’implicite. Au point que je me suis demandé s’il y a quelque chose du côté des caractéristiques de l’autisme à mettre en lien avec ça — la difficulté de tenir compte de l’implicite.

Qu’on le veuille ou non, tout énoncé comporte une part d’implicite. Les mots qu’on utilise ont des connotations. Comme le disait un de mes profs de linguistique, c’est comme des petits wagons qui sont accrochés au mot-locomotive et qui viennent avec quand on l’utilise. Certains mots ont plus de wagons que d’autres.

« Autisme/autiste » et « gaucher » ou « femme » sont tous des mots qu’on peut utiliser pour qualifier une personne. Mais ils n’ont pas les mêmes connotations, pas les mêmes types de « wagons ».

Le problème, à mon avis, avec « autisme comme identité » c’est que c’est une posture qui ne tient pas compte de ces wagons et par conséquent du décalage très grand entre l’intention de sens pour la personne qui dit « je suis autiste » et les associations qu’évoque ce terme chez l’écrasante majorité des personnes qui vont lire/entendre cette phrase.

On n’est pas libre d’utiliser les mots de la façon qu’on veut sans tenir compte de la signification perçue par l’autre — si ce que l’on souhaite c’est être compris.

« Autisme », c’est un mot extrêmement stigmatisant à la base. C’est un mot que tout le monde connaît et dont tout le monde pense connaître la signification. Et c’est une signification qui ne correspond pas du tout à ce que veulent exprimer beaucoup de personnes qui l’utilisent. Je comprends bien la démarche qui est de vouloir « déstigmatiser » un terme en se l’appropriant: on a un exemple avec « queer » par exemple, mais notons que le sens « stigmatisant » du mot était bien moins solidement ancré dans l’inconscient lexical qu’il ne l’est pour le mot « autiste », et qu’il y a une certaine naïveté linguistique et sociologique à penser qu’on peut reprendre ainsi le contrôle sur un mot.

Je pense, en fait, que le problème est moins dans le « je suis » que dans le « autiste ». Et que débattre sur le verbe (« être » versus « avoir ») c’est faire fausse route et vouer l’échange à l’échec, parce qu’en effet, dire « je suis xyz » n’en fait pas une question identitaire en soi — le repli identitaire peut très bien être réactif, suite aux réactions négatives à la formulation choisie pour parler de soi.

Dans ma réflexion, je cherchais d’autres mots « parallèles » qui pourraient également démontrer le phénomène que j’observe ici. Si on dit « je suis paraplégique » (un autre exemple aperçu dans les échanges), pourquoi ça ne me fait pas le même effet qu’entendre « je suis autiste »? Idem pour « je suis bipolaire », ou « je suis dyslexique »? Parce que les associations inconscientes (la connotation) sont différentes. Ce n’est pas le verbe qui fait ça. Est-ce qu’on peut donc trouver un terme qui démontre aussi cette problématique d’associations?

Le meilleur que j’ai trouvé — et qui me concerne — c’est « sourd ». Et, intéressant à noter, c’est aussi un terme autour de l’utilisation duquel émerge une problématique identitaire. Et il y a toute une série de débats terminologiques dans le « spectre » de la surdité (qu’on ne retrouve pas côté TDAH — je me demande d’ailleurs ce qu’il en est pour les handicaps de la vue?).

Déballons. Je dis que je suis malentendante. Je ne dis pas « je suis sourde ». Pourquoi? Si je dis “je suis sourde”, les gens comprennent quelque chose qui ne correspond pas à ma réalité. Pour beaucoup de monde, “sourd” ça veut dire “n’entend rien” ou au minimum “ne comprend rien”. En fait, strictement parlant, il y a différents degrés de surdité, mais le grand public a une vision beaucoup plus simpliste de tout ça. J’ai une surdité légère à moyenne congénitale (stable). J’ai fonctionné sans appareillage jusqu’à l’âge de 38 ans, fait des études, enseigné, etc. Pour la plupart des gens, je suis dans la catégorie “entend pas bien”. La nana un peu chiante à qui il faut répéter les choses, qui entend pas quand on l’appelle, qui comprend de travers, qui parle fort. Pas “sourde”, au sens où on le comprend. Donc je ne dis pas “je suis sourde” (risquant des réactions de type “hah mais t’es pas sourde, arrête de raconter n’importe quoi” – ça vous dit quelque chose, ça?) mais “je suis malentendante”. Preuve en est que si quelque chose “passe mal” pour moi quand j’entends “je suis autiste”, ce n’est pas le “je suis” qui est en cause mais ce qui vient après.

Le parallèle ne s’arrête pas là. “Sourd”, c’est stigmatisé et stigmatisant, comme terme. La surdité, contrairement à la cécité qui limite principalement le rapport à l’environnement, ça vient directement impacter le rapport à autrui – le lien social. La personne “sourde”, dans l’imaginaire populaire un peu historique, c’est “le sourd-muet”, c’est la personne qui ne parle pas, et aussi dont l’intellect est affecté (vu qu’on ne peut pas communiquer avec). On sait bien que c’est faux – tout comme on sait bien que ce à quoi on fait référence quand on parle d’autisme n’est pas à réduire aux histoires d’il y a des décennies, d’enfants non-verbaux avec déficit intellectuel enfermés dans des institutions et “coupés du monde”. Mais les mots continuent, malgré nous et malgré tout, à charrier ces petits wagons de connotations, d’implicite. On notera, concernant la surdité, l’utilisation du terme Sourd avec une majuscule pour l’identité culturelle.

Bon, ceci devait être un commentaire sur LinkedIn, ça s’est transformé en billet de blog… C’est une réflexion qui vaut ce qu’elle vaut. En résumé, voici où j’en suis:

  • l’utilisation de la formule “je suis autiste” pose d’autres problèmes que celui de la revendication identitaire – il faut en tenir compte également;
  • les débats autour de la revendication identitaire sont légitimes et importants mais s’ils se focalisent sur la formulation (“je suis xyz”), ils risquent de nous faire courir après un hareng rouge au lieu de rester dans le sujet.

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  • Blogging On My Phone (Facebook Suspension Day 17) [en]
    [en] The post « Blogs don’t have to be so lonely » (via Dave) has had me thinking, in between two feedings for my poor old Oscar. Manuel’s blog doesn’t have comments. Just like this one in its early days, and pretty much all blogs at the time. We linked to each other. Comments changed that: it became less about linking to others, more about leaving your link on other people’s blogs. Less invitations for your neighbours to join you, more peeing on the bushes in their garden. Comment
     

Blogging On My Phone (Facebook Suspension Day 17) [en]

8 septembre 2025 à 04:42
[en]

The post « Blogs don’t have to be so lonely » (via Dave) has had me thinking, in between two feedings for my poor old Oscar. Manuel’s blog doesn’t have comments. Just like this one in its early days, and pretty much all blogs at the time.

We linked to each other.

Comments changed that: it became less about linking to others, more about leaving your link on other people’s blogs.

Less invitations for your neighbours to join you, more peeing on the bushes in their garden.

Comments aren’t all bad of course. It’s great to have a space for discussion that is strongly connected to the post that sparked it. But they can be subverted and it can go overboard.

When it comes all about the comments, we end up with Facebook, Twitter (RIP), Bluesky, Mastodon, Threads and the like.

This is a shortcut and it’s debatable. What I’m getting at is the respective importances of « writing » versus « discussing » on various platforms/tools. Just like with martial arts (bear with me), the distance between the protagonists determines the style.

How immediate and interactional are our online spaces? And how do those characteristics make us more or less likely to default to using a given medium or platform, or drift away?

One thing that is very clear to me is that I use « the socials » on my phone a lot, but I never blog from my phone. I’m doing it now, to try to understand this better — but that really never happens. I’ll write comments on my phone, I’ll write blogpost-length entries on LinkedIn or Facebook (well, before I was disappeared) that should have been blog posts, but when I think of something to write here, I want my keyboard and the digital environment my computer provides.

Because it’s more « I have something to write » and less « oh, I have something to tell you or share with you ».

On the socials, it’s a quick passing something in my mind that I want to catch and make available to whoever is around right now. On my blog, it’s something that I feel deserves a longer shelf-life. But I think that distinction in my gut is a bit of a fallacy: otherwise I wouldn’t be so broken up about losing 18 years of « stuff » on Facebook.

What I’ve wanted for a long time is the easiness and immediacy of « social sharing » with a way to « transform » some or all of it into blog posts, or blog post material. Something parallel to what I’ve done with my voice memos (I need to blog about this) which allows me to capture snippets of passing thoughts throughout the day in a frictionless manner, and then nearly automatically merge all those tiny audio files into one, that gets transcribed and digested.

I would like Openvibe (or whatever client I happen to be using, ideally seamlessly synced between phone and desktop, like the « Facebook experience » was) to allow me to mark posts (by me or others) as « for the blog » in some way, and also « switch to blogging » if I realise mid-writing that « this should be a post (too) ».

So, how was writing this on my phone? Not that bad. Is it just a question of habit? The small size of the screen, which means I do not have a « zoomed out » view of what I’ve written, bothers me. Adding links is OK (now I’ve realised I can just « paste » the link on selected text) but it seems to sometimes shift the link one character to the right (super annoying). Writing… well, it’s writing in a phone. My thumbs complain. It’s slower. I need to correct more mistakes than when I’m typing.

So, maybe it’s not so much that Openvibe or whatever social client should accommodate my blog, but that my blogging client should allow me to follow my socials and post to them. And why not, subscribe to my RSS feeds. (Now I’m wondering if I’m going to look very silly because it already does this 😅.)

Time to continue feeding the cat!

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  • Facebook Suspension: Day 11 [en]
    [en] It’s been 11 days since my Facebook account was suspended. Where are things at? The appeal, predictably, didn’t yield any results. No response, no e-mail, no change, nothing. I have no other “official” appeal routes, as I cannot access the platform at all. So I wrote up my appeal in a blog post. What you can do to help: share my story or my appeal, give visibility to my situation – including on Facebook where I have become inexistant. If you know people who might know people, please
     

Facebook Suspension: Day 11 [en]

2 septembre 2025 à 10:40
[en]

It’s been 11 days since my Facebook account was suspended. Where are things at?

The appeal, predictably, didn’t yield any results. No response, no e-mail, no change, nothing. I have no other “official” appeal routes, as I cannot access the platform at all. So I wrote up my appeal in a blog post.

What you can do to help: share my story or my appeal, give visibility to my situation – including on Facebook where I have become inexistant. If you know people who might know people, please ask. It seems pretty clear that unless a case manages to gather the attention of the right people (including, it seems, through the media), not much will happen. Going public helps. A huge thanks to those of you who have already shared my posts or updates, reached out to your networks, etc. Facebook is where I had the most reach, and without it, I am struggling to raise awareness on my situation. The reach I have in normal times is, of course, abnormal. A working system should not depend on people having a platform or connections to work right and be fair.

False Positives

My old friend Kevin Marks pointed me to this extremely interesting article: Cost of False Positives (Kellan Elliott-McCrea). Two take-aways:

  • with scale, false positives in identifying abuse of a social site create a huge problem to deal with, even when the detection methods are “very good”; Kellan runs through some numbers, and it’s way beyond what I could have imagined (and the article was written nearly 15 years ago)
  • early adopters (like me!) are outliers in the data and are at higher risk of “looking funny” to abuse detection algorithms; indeed, we are not “normal users”; I share huge quantities of links; my account goes back nearly two decades so there are lots of publications to sift through and which might be flagged; I am at times extremely active in (human) ways which could seem “unhuman”: amount and type of content, speed, etc.

Automation

Just now, I was reading this article from Ars Technica: Social Media Probably Can’t Be Fixed. (It’s an open tab in my browser, not too sure how it go there.) It feels like it.

Even at my social “scale”, when I think about the main community I run (diabetic cats, 7k members), we run into scale issues where it becomes more and more difficult to treat everybody fairly and in a human way. And when I think of how to improve things from a management perspective (because volunteer ressources are limited, always will be) I find myself thinking in terms of automation, how to use AI to support the team doing content moderation or to improve the “member journey” in the community. Less personal, less human.

With automation, you get scale (and with scale you end up needing automation), but with that, you lose personal connection and at some point it comes crumbling down.

Life Without Facebook

How have I been coping with being un-facebooked? Well, beyond the shock and the hurt and the grief and the anger and the injustice of it all, and setting aside the extra “admin work” this is adding to my plate, being forced off Facebook has done two things for me:

  • regroup on my blog and other platforms, and in the process, get to experience different “connection spaces” than the main one I had on Facebook
  • imagine a life without/after Facebook: less connection maybe, a slower pace – I am getting to measure how “caught up” I get in the platform and how good it is at keeping me there.

Before we go all “silver linings”: this sucks. I didn’t need this. It has been extremely distressing and has had a negative impact on my health, in particular my recovery from post-concussion syndrome after my accident. I feel more disconnected and isolated, because I have lost my access to the people I was in touch with on a daily basis (some of them “online-only” friends, many of them not). Life on Facebook continues without me. I’m not being flooded with mails and messages of people asking me what’s going on or how I’m doing. It’s mainly silence.

Losing my content is also dreadful. I’ve spent some time this week-end going through my various archives from various platforms and tools over the years, organising them somewhat, checking they actually work, and exporting recent archives of the places I’m still at. My last proper facebook export is nearly 10 years old. I mentioned before, I think, that I tried to do an export in June, but gave up because it required me to manually download 52 files weighing 2Gb each, at a snail’s pace, and which made my network drop. The “export to Google Drive” didn’t work. So, my stuff on Facebook is a 104Gb export. Outliers in the data, anybody?

Why I’m Fighting

I made the choice to try and fight this, instead of sitting back and saying “oh well, that’s that”. I made the choice to fight because it is meaningful to me in different ways:

  • I care about my content locked up in the platform and would like to get it back.
  • I run a busy support group there, thankfully with a wonderful team who is holding the fort, despite being worn out by six months of my post-accident absence and a couple more years of me struggling to make time for the community amidst the other stuff going on in my life; I also have two decades worth of connections on the platform, which I do not want to just “cut off” like that – be it regarding the community or my network, real relationships are at stake, and if the future is away from Facebook, I want to be able to manage the transition and not be thrown off the plane in mid-air.
  • I am not alone: this is not just about me, but about a systemic, structural issue that has real impact on thousands of people’s lives; I’m lucky I don’t have a business that depends on my facebook presence anymore, but it could have been the case. Others aren’t that lucky. We are innocent casualties in the war against the bad actors of online social spaces, and deserve some kind of justice.
  • Meta, as a company, and Facebook, as a platform, want to play an important role in shaping our world. They want to be an indispensable tool for businesses, and also for normal people, without which they have no value for businesses. To me, it is unethical to have such ambition regarding their role in society and not provide even a semblance of support to those who make it possible – even if, as the saying goes, they “are the product”, because they do not pay. In my small modest way, taking a stand against enshittification.

This means that for the last 11 days, in addition to dealing with the impact of this suspension, I have been looking up articles, searching for solutions, writing blog posts, posting on a bunch of social media platforms I am normally dormant on, DMing friends and vague contacts, drawing up an action plan in my head, and putting my poor injured brain through the ringer to try to figure out what to do, where to start, what to prioritise, who to contact or speak to, in hopes of getting this suspension reversed. All that, knowing that chances are extremely slim and that it is probably useless.

Reconnecting Elsewhere

So, now that you’ve read all that, and without losing sight of it, what has been interesting? Clearly, reconnecting with my blog and feeling motivated to invest in ways of connecting to others and building community where I am not ceding control of everything to the Borg. (No, not that Borg – the new one.) That was already underway, but it has now been prioritised.

It has also made me aware of how facebook encourages a certain type of writing/publication and a certain type of discussion. Not so much in terms of content, but in terms of form. And there is value in doing it differently. I actually wrote some e-mails to people, since my suspension. I shared shorter snippets of stuff (passing thoughts, comments on links I found, ideas, daily anecdotes) because on LinkedIn, Bluesky, Twitter and Mastodon, for example, there are character limits. On my blog there are none, so I have had a chance to ramble along more. I have rediscovered people who left the Facebook boat already and with whom I had lost touch, because I poured almost all my sharing and connecting energy into Facebook.

I also published a couple of videos on Youtube, and plan to do more.

Shared Content

One thing I have become acutely aware of is that even when platforms allow you to export your content, one’s content in a social space is not just one’s publications. It is also comments, participation in the shared content that is a conversation, or a community. All the comments I ever made on Facebook have gone with my suspension. There are conversation threads with holes in them now. All the comments and conversations that took place because I published something, or because I commented and somebody answered – gone. Once people interact with your content, build upon it, it is not 100% yours anymore.

This has been an ongoing preoccupation of mine in shared social spaces. I remember, many many years ago, when blogs were young, a blogger I was actively following deleted their blog one day. And with it, all the comments I had taken the trouble to leave on their posts. “Leaving a comment” does not adequately reflect it, actually. It makes it feel like a small gesture done for the benefit of the other, but it’s not that. A comment can have as much value as a blog post. What makes it a comment is that it is a response, not that it is small or insignificant. It can be something valuable given to the community, and it should not be the right of another person to unilaterally destroy it.

I do not remember who the blogger was. It happened more than once.

Some years back, a few of my contacts on Facebook started a kind of automatic removal of their posts after a certain amount of time had gone by, taking my shares and comments with them. I stopped sharing and commenting on those posts.

I know, the lesson is: if you don’t want something you write to disappear, write it on your blog. But context matters.

Content and Community

This “it’s my content, I’m allowed to delete it” mindset is also an issue in Facebook groups. In the diabetic cat group, it thankfully didn’t happen very often, but when it did, it was infuriating. Somebody would post with an issue. People would expend time and energy in providing good answers and support. Then the person would delete their post, and all the answers with it. The whole point of a support group is that what is said to one person may also help another, who is reading. As a community, we also get to know our members and connect to them, and in that respect, their history in the group is important. Being able to refer back to that history is what allows a support community to function at a certain scale. Facebook does not allow group admins to prevent members from deleting posts and comments – something the platform I’m looking at for the future, Discourse, allows. It’s not all black and white of course, if you post something stupid and want to remove it an instant later, you can. But you can’t take down whole comment threads because you don’t like your post anymore. Participating in a community comes with a certain amount of responsibility towards other members of that community.

On the web side: Cool URIs don’t change. And also: cool content doesn’t disappear.

So, back to Facebook, what has been lost – for me, but also for others – is not just my posts and the pages of my cats, but it’s also a shared history, through discussions in comment threads and reposts on other people’s walls.

If we were connected on Facebook, and you would like to stay in touch, think about subscribing to this blog, and find me on the socials of your choice: BlueskyMastodonThreads or LinkedIn. I’m still on the bird site but not very active there. I want to do more videos on Youtube, so it might be a good move to subscribe to my channel. I haven’t managed to recover my Tiktok account, so that’s that for the time being. I also have Instagram and Flickr (dormant, maybe it needs waking up), and I’ve created a little WhatsApp community – mainly francophone – where you can get announcements when I publish something here and a little chat-space with others and me, a kind of weird version of my Facebook wall off Facebook (ask me to join).

Of course, I always like it when people leave comments. I promise not to delete my blog.

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  • Op@le, le logiciel comptable qui rend fou
    Le dernier numéro du Chiffon, le journal de Paname et sa banlieue a pour thème « Transition partout, écologie nulle part ». Comme souvent le journal indépendant et technocritique propose nombre de reportages sur les enjeux des déploiements technologiques en Ile-de-France. Dans le numéro de l’automne, on peut y lire un retour sur le sabotage des bornes biométriques en 2005 mises en place pour accéder à la cantine d’une lycée de Gif-sur-Yvette, une critique de l’utilisation du terme transition en
     

Op@le, le logiciel comptable qui rend fou

15 septembre 2025 à 01:00

Le dernier numéro du Chiffon, le journal de Paname et sa banlieue a pour thème « Transition partout, écologie nulle part ». Comme souvent le journal indépendant et technocritique propose nombre de reportages sur les enjeux des déploiements technologiques en Ile-de-France. Dans le numéro de l’automne, on peut y lire un retour sur le sabotage des bornes biométriques en 2005 mises en place pour accéder à la cantine d’une lycée de Gif-sur-Yvette, une critique de l’utilisation du terme transition en Ile-de-France dressant un historique de son emploi depuis plus de 25 ans par les acteurs publics, sans que ce discours n’ait produit grand effet. Une analyse radicale sur Newcleo, la startup qui veut installer une usine de fabrication de combustible nucléaire. Un passionnant reportage sur l’implantation de data centers en Ile-de-France et la difficulté à organiser l’opposition (ainsi qu’une carte de déploiement des projets), une enquête sur Agoralim, ce deuxième Rungis ou un débunkage du storytelling de la transformation de la raffinerie de Grandpuits en bioraffinerie… 

Parmi tous ces reportages passionnants, Le Chiffon en signe un sur Op@le, le logiciel de gestion financière des collèges et lycées lancé en 2021 que nous n’avions peu vu abordé jusqu’alors (voir ce reportage de France 3 et cet article du Monde). Ce système, conçu par Capgemini, aurait déjà coûté près de 100 millions d’euros à l’Education nationale. Problème : quand il était possible de faire 70 facturations en une demi-journée avec l’ancien logiciel, le nouveau permet péniblement d’en traiter une douzaine. En cause, une ergonomie catastrophique mais qui a des conséquences directes : impossibles de facturer de la veille au lendemain, complexité qui conduit à limiter les projets scolaires, problèmes pour contrôler le versement des bourses aux bons élèves, voir le paiement des stages…

Des problèmes signalés dès le début du déploiement mais qui ne semblent pas avoir été pris en compte. Dès 2018 pourtant, la Dinum avait produit une alerte sur la charge que le logiciel imposait aux gestionnaires comptables des établissements qui doivent être lourdement formés pour l’utiliser. La complexité conduit à ce que les comptables et les personnels administratifs s’y spécialisent et soient contraints de gérer plusieurs établissements au détriment des liens avec les établissements et leurs équipes. Les syndicats de la branche administration et comptabilité de l’éducation nationale se mobilisent début 2024 avec une pétition qui a rassemblé plus de 7000 signataires. Un rapport parlementaire de 2024 sur les personnels administratifs de l’éducation nationale explique que le logiciel « durcit l’application des règles de gestion budgétaire et comptable ». La généralisation d’Op@le est repoussée à 2027 et le ministère de l’Education assurait très récemment dans une réponse à une question parlementaire, que tout était sous contrôle. 

En attendant, les gestionnaires d’établissements parlent, eux, de logiciel fou… qui a des conséquences directes sur leur santé, mais aussi sur les possibilités que peuvent mobiliser les établissements. Si les sorties scolaires sont moins nombreuses, ce n’est pas seulement parce que les lignes budgétaires se réduisent, c’est peut-être aussi parce qu’elles se sont perdues dans Op@le.

Bref, lisez le Chiffon !

Reçu avant avant-hierBlogues
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  • Christelle Morançais-Stérin. La présidente et le Crayon.
    Les noces sont désormais officielles. Je parle de celles entre Christelle Morançais et Pierre-Edouard Stérin. Laissez-moi vous conter une histoire. Son titre ? « La présidente et le Crayon. » Il était une fois une présidente de région (celle des Pays de la Loire) très très très à droite mais qui ne voulait pas qu’on dise qu’elle était d’extrême-droite (comme la plupart des gens d’extrême-droite). Elle était pourtant entrée en politique en supportant Alain Madelin et s’était notamment illustrée a
     

Christelle Morançais-Stérin. La présidente et le Crayon.

13 septembre 2025 à 13:46

Les noces sont désormais officielles. Je parle de celles entre Christelle Morançais et Pierre-Edouard Stérin. Laissez-moi vous conter une histoire. Son titre ?

« La présidente et le Crayon. »

Il était une fois une présidente de région (celle des Pays de la Loire) très très très à droite mais qui ne voulait pas qu’on dise qu’elle était d’extrême-droite (comme la plupart des gens d’extrême-droite). Elle était pourtant entrée en politique en supportant Alain Madelin et s’était notamment illustrée aux côtés des homophobes intégristes de la Manif pour tous. Et puis sur un malentendu (c’est elle qui le dit) elle finit par faire carrière en politique quittant le monde merveilleux de l’immobilier où elle s’épanouissait auparavant.

Christelle adorait la culture mais seulement la culture de droite. Celle qui est faite de vieilles pierres d’abbayes effondrées et de réécritures de l’histoire à grands coups de pyrotechnie glorifiant un roman national à peu près aussi sincère qu’un verbatim de Jérôme Cahuzac sur le tourisme bancaire helvète.

Christelle partit donc en croisade contre la culture de ces satanés gauchistes cracheurs de feu et jongleurs de diabolo accompagnés de chiens en sarouels. Et malheureusement Christelle parvînt en quelques jours à peine à coller au chômage des milliers d’intermittents et d’artistes, à priver de culture de milliers d’enfants et d’adolescents dans leurs collèges et lycées, en retirant avec la délicatesse d’un coitus interruptus filmé par jaquie et michel la quasi-totalité des budgets et subventions qui permettaient de s’ouvrir au monde autrement que par la consultation d’un catalogue de vente. 75% du budget culturel d’une région supprimé sans négociation ni concertation. Se sentant toute puissante, Christelle Morançais se transforma comme Miss Hulk et elle mesure désormais deux mètres douze.

Et puis récemment, forte de tout le budget de la culture qu’elle avait supprimé, et ses amis du secteur de l’entreprise et de l’immobilier semblant déjà bien gavés, Christelle Morançais s’acheta un crayon. Un crayon à 250 000 euros (dans le cadre d’un appel d’offre global de 650 000 euros). Vous trouvez que c’est un peu cher pour un crayon ? Je vous explique. Il y a donc une semaine de cela, Christelle Morançais a annoncé que la région Pays de la Loire lançait un nouveau média, à destination des jeunes, sur Instagram et Tiktok, « le Média Orientation. » Parce que vous comprenez, Christelle Morançais elle veut « créer un média de confiance, pensé pour les jeunes et avec les jeunes. Un outil qui correspond à leurs codes, efficace, interactif et inspirant. » Voilà de l’argent public bien dépensé pour Christelle Morançais : 250 000 euros pour créer un compte Instagram et un compte Tiktok et les contenus qui vont avec.

Là où ça devient croquignolet, c’est que figurez-vous que l’entreprise qui rafla ce marché, c’est Le Crayon, un média d’influence bien plus que d’information, créé par Wallerand Moullé-Berteaux et Jules Stimpfling, et qui, depuis 2023, a vu entrer à son capital un certain Pïerre-Edouard Stérin et son parfaitement putride projet Péricles. Le Crayon fait partie de ces médias à la ligne idéologique claire : offrir la parole à un maximum de représentants d’idées d’extrême-droite pour élargir la fenêtre d’Overton mais en s’abritant derrière le fait qu’il offre « aussi » la parole à des gens de gauche ou d’extrême-gauche et à différentes figures médiatiques, influenceurs, artistes, réalisateurs, etc. Dès lors à celles et ceux qui s’étonnent de la coloration très très très catho / rétro / facho / bobo de sa ligne éditoriale il lui suffit de sortir la carte totem d’immunité à base de « nous ne sommes pas d’extrême-droite car nous avons aussi invité des gens d’extrême-gauche« . Alors oui mais non. Dans ses différents formats et plateaux thématisés, l’utilisation du dispositif et les biais de cadrage sont un modèle du genre. Je vous mets juste un extrait de leur « Best-Of » autour de leur chaîne tête de gondole baptisée « Le ring ».

 

Le best-of de l’émission sur l’antiracisme c’est de nous expliquer que tout va bien et que la France n’est pas un pays raciste ; le best-of de celle sur la chasse c’est de montrer comment c’est merveilleux, écologique et profondément éducatif ; celle sur les luttes féministes c’est que bah quand même est-ce que vraiment toutes ces hystériques elles pourraient pas un peu se calmer ou aller voir en musulmanie comment on traite les femmes ; celle sur le véganisme est une défense et illustration de la côté de boeuf braisée ; celle sur le climat et l’écologie est au niveau d’une éructation de Pascal Praud t’expliquant que bon quand même le réchauffement climatique faut voir parce que ce matin il faisait froid. Et puis comment dire … celui sur « Les meilleurs arguments (selon des policiers) autour des violences policières et de la police » c’est peu mon préféré (non).

Pour le reste et s’il était encore besoin d’une quelconque démonstration sur la ligne idéologique claire de ce média, bah je le répète Pierre-Edouard Stérin a fait son entrée à son capital depuis 2023. À chaque fissure anale son proctologue.

Il y a quelques jours, Christelle Morançais était de passage en Vendée pour (entre autres) faire la promotion de ce média. Figurez-vous qu’elle n’a pas du trouver l’adresse du campus de Nantes Université à La Roche sur Yon et donc elle a passé sa journée à l’ICES, l’institut catholique privé fondée par Philippe De Villiers, école qui forme l’essentiel des cadres de l’extrême-droite en France et accumule les scandales autour des groupuscules qui s’y déploient comme dans leur milieu naturel, de l’Action Française au GUD. Pas de doute, cette école sera certainement très bien recommandée et mise en avant dans « le média orientation » dont les contenus sont fournis par l’équipe du Crayon …

C’est marrant parce que si Christelle Morançais-Stérin était passée sur le campus de l’université publique de La Roche sur Yon, j’aurais pu l’emmener visiter l’épicerie solidaire qui distribue gratuitement des repas à l’ensemble des étudiantes et étudiants de la ville depuis 4 ans et que la Région Pays de la Loire a soutenu un an par une subvention de 3000 euros avant de lui couper ladite subvention parce que bon si tu veux manger, tu peux, et si tu peux pas, bah t’as qu’à te forcer. J’aurais aussi pu lui expliquer que l’année dernière, sur les 3143 paniers distribués gratuitement dans notre épicerie solidaire, 20% des bénéficiaires étaient des étudiantes et des étudiants … de l’ICES. Mais c’est con, Christelle Morançais-Stérin, elle n’est pas passée. Du coup elle ne nous a pas non plus laissé un chèque pour nous aider. D’autant que nous on ne demandait pas un chèque de 250 000 euros comme celui que Christelle a fait au Crayon, média de la galaxie d’influence de Pierre-Edouard Stérin désormais également financé sur fonds publics régionaux. Je sais bien que l’argent n’a pas d’odeur mais il y a quand même des financements qui puent du cul.

Voilà c’était l’histoire de « Christelle et le crayon. » J’espère que vous l’avez aimée. Mais n’allez pas dire à Christelle Morançais-Stérin qu’elle est d’extrême-droite ou qu’elle aide l’extrême-droite, sinon elle vous fait un procès et porte plainte en diffamation, comme elle vient de le faire contre l’élue écologiste Lucie Etonno qui avait eu le seul tort de la désigner pour ce qu’elle est, un poste avancé de l’extrême-droite la plus nauséabonde qui s’offre pour elle et les idées de son camp ce qu’elle passe son temps à condamner chez les autres : un outil de propagande « soft » au service d’un agenda idéologique clair, le tout financé sur fonds public.

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  • Sludge : de la dégradation volontaire du service client
    Dans The Atlantic, Chris Colin raconte le moment où il a eu un problème avec l’électronique de sa Ford. La direction se bloque, plus possible de ne rien faire. Son garagiste reboot le système sans chercher plus loin. Inquiet que le problème puisse se reproduire, Colin fait plusieurs garagistes, contacte Ford. On promet de le rappeler. Rien. A force de volonté, il finit par avoir un responsable qui lui explique qu’à moins que « le dysfonctionnement du véhicule puisse être reproduit et ainsi ident
     

Sludge : de la dégradation volontaire du service client

11 septembre 2025 à 01:00

Dans The Atlantic, Chris Colin raconte le moment où il a eu un problème avec l’électronique de sa Ford. La direction se bloque, plus possible de ne rien faire. Son garagiste reboot le système sans chercher plus loin. Inquiet que le problème puisse se reproduire, Colin fait plusieurs garagistes, contacte Ford. On promet de le rappeler. Rien. A force de volonté, il finit par avoir un responsable qui lui explique qu’à moins que « le dysfonctionnement du véhicule puisse être reproduit et ainsi identifié, la garantie ne s’applique pas ». Colin multiplie les appels, au constructeur, à son assureur… Tout le monde lui dit de reprendre le volant. Lui persévère. Mais ses appels et mails sont renvoyés jusqu’à ne jamais aboutir. Il n’est pas le seul à qui ce genre de démêlés arrive. Une connaissance lui raconte le même phénomène avec une compagnie aérienne contre laquelle elle se débat pour tenter de se faire rembourser un voyage annulé lors du Covid. D’autres racontent des histoires kafkaïennes avec Verizon, Sonos, Airbnb, le Fisc américain… « Pris séparément, ces tracas étaient des anecdotes amusantes. Ensemble, elles suggèrent autre chose »

Quelque soit le service, partout, le service client semble être passé aux abonnées absents. Le temps où les services clients remboursaient ou échangaient un produit sans demander le moindre justificatif semble lointain. En 2023, l’enquête nationale sur la colère des consommateurs américains avait tous ses chiffres au rouge. 74% des clients interrogés dans ce sondage ont déclaré avoir rencontré un problème avec un produit ou un service au cours de l’année écoulée, soit plus du double par rapport à 1976. Face à ces difficultés, les clients sont de plus en plus agressifs et en colère. L’incivilité des clients est certainement la réponse à des services de réclamation en mode dégradés quand ils ne sont pas aux abonnés absents.  

Dégradation du service client : le numérique est-il responsable ?

Dans leur best-seller Nudge, paru en 2008, le juriste Cass Sunstein et l’économiste Richard Thaler ont mobilisé des recherches en sciences du comportement pour montrer comment de petits ajustements pouvaient nous aider à faire de meilleurs choix, définissant de nouvelles formes d’intervention pour accompagner des politiques pro-sociales (voir l’article que nous consacrions au sujet, il y a 15 ans). Dans leur livre, ils évoquaient également l’envers du nudge, le sludge : des modalités de conception qui empêchent et entravent les actions et les décisions. Le sludge englobe une gamme de frictions telles que des formulaires complexes, des frais cachés et des valeurs par défaut manipulatrices qui augmentent l’effort, le temps ou le coût requis pour faire un choix, profitant souvent au concepteur au détriment de l’intérêt de l’utilisateur. Cass Sunstein a d’ailleurs fini par écrire un livre sur le sujet en 2021 : Sludge. Il y évoque des exigences administratives tortueuses, des temps d’attente interminables, des complications procédurales excessives, voire des impossibilités à faire réclamation qui nous entravent, qui nous empêchent… Des modalités qui ne sont pas sans faire écho à l’emmerdification que le numérique produit, que dénonce Cory Doctorow. Ou encore à l’âge du cynisme qu’évoquaient Tim O’Reilly, Illan Strauss et Mariana Mazzucato en expliquant que les plateformes se focalisent désormais sur le service aux annonceurs plus que sur la qualité de l’expérience utilisateur… Cette boucle de prédation qu’est devenu le marketing numérique.  

La couverture de Sludge.

L’une des grandes questions que posent ces empêchements consiste d’ailleurs à savoir si le numérique les accélère, les facilite, les renforce. 

Le sludge a suscité des travaux, rappelle Chris Colin. Certains ont montré qu’il conduit des gens à renoncer à des prestations essentielles. « Les gens finissent par payer ce contre quoi ils n’arrivent pas à se battre, faute d’espace pour contester ou faire entendre leur problème ». En l’absence de possibilité de discussion ou de contestation, vous n’avez pas d’autre choix que de vous conformer à ce qui vous est demandé. Dans l’application que vous utilisez pour rendre votre voiture de location par exemple, vous ne pouvez pas contester les frais que le scanneur d’inspection automatisé du véhicule vous impute automatiquement. Vous n’avez pas d’autre choix que de payer. Dans d’innombrables autres, vous n’avez aucune modalité de contact. C’est le fameux no-reply, cette communication sans relation que dénonçait Thierry Libaert pour la fondation Jean Jaurès – qui n’est d’ailleurs pas propre aux services publics. En 2023, Propublica avait montré comment l’assureur américain Cigna avait économisé des millions de dollars en rejetant des demandes de remboursement sans même les faire examiner par des médecins, en pariant sur le fait que peu de clients feraient appels. Même chose chez l’assureur santé américain NaviHealth qui excluait les clients dont les soins coûtaient trop cher, en tablant sur le fait que beaucoup ne feraient pas appels de la décision, intimidés par la demande – alors que l’entreprise savait que 90 % des refus de prise en charge sont annulés en appel. Les refus d’indemnisation, justifiés ou non, alimentent la colère que provoquent déjà les refus de communication. La branche financement de Toyota aux Etats-Unis a été condamnée pour avoir bloqué des remboursements et mis en place, délibérément, une ligne d’assistance téléphonique « sans issue » pour l’annulation de produits et services. Autant de pratiques difficiles à prouver pour les usagers, qui se retrouvent souvent très isolés quand leurs réclamations n’aboutissent pas. Mais qui disent que la pratique du refus voire du silence est devenue est devenue une technique pour générer du profit. 

Réduire le coût des services clients

En fait, expliquaient déjà en 2019 les chercheurs Anthony Dukes et Yi Zhu dans la Harvard Business Review : si les services clients sont si mauvais, c’est parce qu’en l’étant, ils sont profitables ! C’est notamment le cas quand les entreprises détiennent une part de marché importante et que leurs clients n’ont pas de recours. Les entreprises les plus détestées sont souvent rentables (et, si l’on en croit un classement américain de 2023, beaucoup d’entre elles sont des entreprises du numérique, et plus seulement des câblo-opérateurs, des opérateurs télécom, des banques ou des compagnies aériennes). Or, expliquent les chercheurs, « certaines entreprises trouvent rentable de créer des difficultés aux clients qui se plaignent ». En multipliant les obstacles, les entreprises peuvent ainsi limiter les plaintes et les indemnisations. Les deux chercheurs ont montré que cela est beaucoup lié à la manière dont sont organisés les centres d’appels que les clients doivent contacter, notamment le fait que les agents qui prennent les appels aient des possibilités de réparation limitées (ils ne peuvent pas rembourser un produit par exemple). Les clients insistants sont renvoyés à d’autres démarches, souvent complexes. Pour Stéphanie Thum, une autre méthode consiste à dissimuler les possibilités de recours ou les noyer sous des démarches complexes et un jargon juridique. Dukes et Zhu constatent pourtant que limiter les coûts de réclamation explique bien souvent le fait que les entreprises aient recours à des centres d’appels externalisés. C’est la piste qu’explore d’ailleurs Chris Colin, qui rappelle que l’invention du distributeur automatique d’appels, au milieu du XXe siècle a permis d’industrialiser le service client. Puis, ces coûteux services ont été peu à peu externalisés et délocalisés pour en réduire les coûts. Or, le principe d’un centre d’appel n’est pas tant de servir les clients que de « les écraser », afin que les conseillers au téléphone passent le moins de temps possible avec chacun d’eux pour répondre au plus de clients possibles

C’est ce que raconte le livre auto-édité d’Amas Tenumah, Waiting for Service: An Insider’s Account of Why Customer Service Is Broken + Tips to Avoid Bad Service (En attente de service : témoignage d’un initié sur les raisons pour lesquelles le service client est défaillant + conseils pour éviter un mauvais service, 2021). Amas Tenumah (blog, podcast), qui se présente comme « évangéliste du service client », explique qu’aucune entreprise ne dit qu’elle souhaite offrir un mauvais service client. Mais toutes ont des budgets dédiés pour traiter les réclamations et ces budgets ont plus tendance à se réduire qu’à augmenter, ce qui a des conséquences directes sur les remboursements, les remises et les traitements des plaintes des clients. Ces objectifs de réductions des remboursements sont directement transmis et traduits opérationnellement auprès des agents des centres d’appels sous forme d’objectifs et de propositions commerciales. Les call centers sont d’abord perçus comme des centres de coûts pour ceux qui les opèrent, et c’est encore plus vrai quand ils sont externalisés. 

Le service client vise plus à nous apaiser qu’à nous satisfaire

Longtemps, la mesure de la satisfaction des clients était une mesure sacrée, à l’image du Net Promoter Score imaginé au début 2000 par un consultant américain qui va permettre de généraliser les systèmes de mesure de satisfaction (qui, malgré son manque de scientificité et ses innombrables lacunes, est devenu un indicateur clé de performance, totalement dévitalisé). « Les PDG ont longtemps considéré la fidélité des clients comme essentielle à la réussite d’une entreprise », rappelle Colin. Mais, si tout le monde continue de valoriser le service client, la croissance du chiffre d’affaires a partout détrôné la satisfaction. Les usagers eux-mêmes ont lâché l’affaire. « Nous sommes devenus collectivement plus réticents à punir les entreprises avec lesquelles nous faisons affaire », déclare Amas Tenumah : les clients les plus insatisfaits reviennent à peine moins souvent que les clients les plus satisfaits. Il suffit d’un coupon de réduction de 20% pour faire revenir les clients. Les clients sont devenus paresseux, à moins qu’ils n’aient plus vraiment le choix face au déploiement de monopoles effectifs. Les entreprises ont finalement compris qu’elles étaient libres de nous traiter comme elles le souhaitent, conclut Colin. « Nous sommes entrés dans une relation abusive ». Dans son livre, Tenumah rappelle que les services clients visent bien plus « à vous apaiser qu’à vous satisfaire »… puisqu’ils s’adressent aux clients qui ont déjà payé ! Il est souvent le premier département où une entreprise va chercher à réduire les coûts

Dans nombre de secteurs, la fidélité est d’ailleurs assez mal récompensée : les opérateurs réservent leurs meilleurs prix et avantages aux nouveaux clients et ne proposent aux plus fidèles que de payer plus pour de nouvelles offres. Une opératrice de centre d’appel, rappelle que les mots y sont importants, et que les opérateurs sont formés pour éluder les réclamations, les minorer, proposer la remise la moins disante… Une autre que le fait de tomber chaque fois sur une nouvelle opératrice qui oblige à tout réexpliquer et un moyen pour pousser les gens à l’abandon. 

La complexité administrative : un excellent outil pour invisibiliser des objectifs impopulaires

La couverture du livre Administrative Burden.

Dans son livre, Sunstein explique que le Sludge donne aux gens le sentiment qu’ils ne comptent pas, que leur vie ne compte pas. Pour la sociologue Pamela Herd et le politologue Donald Moynihan, coauteurs de Administrative Burden: Policymaking by Other Means (Russel Sage Foundation, 2019), le fardeau administratif comme la paperasserie complexe, les procédures confuses entravent activement l’accès aux services gouvernementaux. Plutôt que de simples inefficacités, affirment les auteurs, nombre de ces obstacles sont des outils politiques délibérés qui découragent la participation à des programmes comme Medicaid, empêchent les gens de voter et limitent l’accès à l’aide sociale. Et bien sûr, cette désorganisation volontaire touche de manière disproportionnée les gens les plus marginalisés. « L’un des effets les plus insidieux du sludge est qu’il érode une confiance toujours plus faible dans les institutions », explique la sociologue. « Une fois ce scepticisme installé, il n’est pas difficile pour quelqu’un comme Elon Musk de sabrer le gouvernement sous couvert d’efficacité »… alors que les coupes drastiques vont surtout compliquer la vie de ceux qui ont besoin d’aide. Mais surtout, comme l’expliquaient les deux auteurs dans une récente tribune pour le New York Times, les réformes d’accès, désormais, ne sont plus lisibles, volontairement. Les coupes que les Républicains envisagent pour l’attribution de Medicaid ne sont pas transparentes, elles ne portent plus sur des modifications d’éligibilité ou des réductions claires, que les électeurs comprennent facilement. Les coupes sont désormais opaques et reposent sur une complexité administrative renouvelée. Alors que les Démocrates avaient œuvré contre les lourdeurs administratives, les Républicains estiment qu’elles constituent un excellent outil politique pour atteindre des objectifs politiques impopulaires. 

Augmenter le fardeau administratif devient une politique, comme de pousser les gens à renouveler leur demande 2 fois par an plutôt qu’une fois par an. L’enjeu consiste aussi à développer des barrières, comme des charges ou un ticket modérateur, même modique, qui permet d’éloigner ceux qui ont le plus besoin de soins et ne peuvent les payer. Les Républicains du Congrès souhaitent inciter les États à alourdir encore davantage les formalités administratives. Ils prévoient d’alourdir ainsi les sanctions pour les États qui commettent des erreurs d’inscription, ce qui va les encourager à exiger des justificatifs excessifs – alors que là bas aussi, l’essentiel de la fraude est le fait des assureurs privés et des prestataires de soins plutôt que des personnes éligibles aux soins. Les Républicains affirment que ces contraintes servent des objectifs politiques vertueux, comme la réduction de la fraude et de la dépendance à l’aide sociale. Mais en vérité, « la volonté de rendre l’assurance maladie publique moins accessible n’est pas motivée par des préoccupations concernant l’intérêt général. Au contraire, les plus vulnérables verront leur situation empirer, tout cela pour financer une baisse d’impôts qui profite principalement aux riches ». 

Dans un article pour The Atlantic de 2021, Annie Lowrey évoquait le concept de Kludgeocracrie du politologue Steven Teles, pour parler de la façon dont étaient bricolés les programmes de prestations en faisant reposer sur les usagers les lourdeurs administratives. Le but, bien souvent, est que les prestations sociales ne soient pas faciles à comprendre et à recevoir. « Le gouvernement rationne les services publics par des frictions bureaucratiques déroutantes et injustes. Et lorsque les gens ne reçoivent pas l’aide qui leur est destinée, eh bien, c’est leur faute ». « C’est un filtre régressif qui sape toutes les politiques progressistes que nous avons ». Ces politiques produisent leurs propres économies. Si elles alourdissent le travail des administrations chargées de contrôler les prestations, elles diminuent mécaniquement le volume des prestations fournies. 

Le mille-feuille de l’organisation des services publics n’explique pas à lui seul la raison de ces complexités. Dans un livre dédié au sujet (The Submerged State: How Invisible Government Policies Undermine American Democracy, University of Chicago Press, 2011), la politologue Suzanne Mettler soulignait d’ailleurs, que les programmes destinés aux plus riches et aux entreprises sont généralement plus faciles à obtenir, automatiques et garantis. « Il n’est pas nécessaire de se prosterner devant un conseiller social pour bénéficier des avantages d’un plan d’épargne-études. Il n’est pas nécessaire d’uriner dans un gobelet pour obtenir une déduction fiscale pour votre maison, votre bateau ou votre avion…». « Tant et si bien que de nombreuses personnes à revenus élevés, contrairement aux personnes pauvres, ne se rendent même pas compte qu’elles bénéficient de programmes gouvernementaux ». Les 200 milliards d’aides publiques aux entreprises en France, distribués sans grand contrôle, contrastent d’une manière saisissante avec la chasse à la fraude des plus pauvres, bardés de contrôles. Selon que vous êtes riches ou pauvres, les lourdeurs administratives ne sont pas distribuées équitablement. Mais toutes visent d’abord à rendre l’État dysfonctionnel. 

L’article d’Annie Lowrey continue en soulignant bien sûr qu’une meilleure conception et que la simplification sont à portée de main et que certaines agences américaines s’y sont attelé et que cela a porté ses fruits. Mais, le problème n’est plus celui-là me semble-t-il. Voilà longtemps que les effets de la simplification sont démontrés, cela n’empêche pas, bien souvent, ni des reculs, ni une fausse simplification. Le contrôle reste encore largement la norme, même si partout on constate qu’il produit peu d’effets (comme le montraient les sociologues Claire Vivès, Luc Sigalo Santos, Jean-Marie Pillon, Vincent Dubois et Hadrien Clouet, dans leur livre sur le contrôle du chômage, Chômeurs, vos papiers !voir notre recension). Il est toujours plus fort sur les plus démunis que sur les plus riches et la tendance ne s’inverse pas, malgré les démonstrations. 

Et le déferlement de l’IA pour le marketing risque de continuer à dégrader les choses. Pour Tenumah, l’arrivée de services clients gérés par l’IA vont leur permettre peut-être de coûter moins cher aux entreprises, mais ils ne vont répondre à aucune attente

La résistance au Sludge s’organise bien sûr. Des réglementations, comme la règle « cliquez pour annuler » que promeut la FTC américaine, vise à éliminer les obstacles à la résiliation des abonnements. L’OCDE a développé, elle, une internationale Sludge Academy pour développer des méthodes d’audits de ce type de problème, à l’image de la méthodologie développée par l’unité comportemementale du gouvernement australien. Mais la régulation des lacunes des services clients est encore difficile à mettre en œuvre. 

Le cabinet Gartner a prédit que d’ici 2028, l’Europe inscrira dans sa législation le droit à parler à un être humain. Les entreprises s’y préparent d’ailleurs, puisqu’elles estiment qu’avec l’IA, ses employés seront capables de répondre à toutes les demandes clients. Mais cela ne signifie pas qu’elles vont améliorer leur relation commerciale. On l’a vu, il suffit que les solutions ne soient pas accessibles aux opérateurs des centres d’appels, que les recours ne soient pas dans la liste de ceux qu’ils peuvent proposer, pour que les problèmes ne se résolvent pas. Faudra-t-il aller plus loin ? Demander que tous les services aient des services de médiation ? Que les budgets de services clients soient proportionnels au chiffre d’affaires ? 

Avec ses amis, Chris Colin organise désormais des soirées administratives, où les gens se réunissent pour faire leurs démarches ensemble afin de s’encourager à les faire. L’idée est de socialiser ces moments peu intéressants pour s’entraider à les accomplir et à ne pas lâcher l’affaire. 

Après plusieurs mois de discussions, Ford a fini par proposer à Chris de racheter sa voiture pour une somme équitable. 

Dégradation du service client ? La standardisation en question

Pour autant, l’article de The Atlantic ne répond pas pleinement à la question de savoir si le numérique aggrave le Sludge. Les pratiques léontines des entreprises ne sont pas nouvelles. Mais le numérique les attise-t-elle ? 

« Après avoir progressé régulièrement pendant deux décennies, l’indice américain de satisfaction client (ACSI), baromètre du contentement, a commencé à décliner en 2018. Bien qu’il ait légèrement progressé par rapport à son point bas pendant la pandémie, il a perdu tous les gains réalisés depuis 2006 », rappelle The Economist. Si la concentration et le développement de monopoles explique en partie la dégradation, l’autre raison tient au développement de la technologie, notamment via le développement de chatbots, ces dernières années. Mais l’article finit par reprendre le discours consensuel pour expliquer que l’IA pourrait améliorer la relation, alors qu’elle risque surtout d’augmenter les services clients automatisés, allez comprendre. Même constat pour Claer Barrett, responsable de la rubrique consommateur au Financial Times. L’envahissement des chatbots a profondément dégradé le service client en empêchant les usagers d’accéder à ce qu’ils souhaitent : un humain capable de leur fournir les réponses qu’ils attendent. L’Institute of Customer Service (ICS), un organisme professionnel indépendant qui milite pour une amélioration des normes de la satisfaction client, constate néanmoins que celle-ci est au plus bas depuis 9 ans dans tous les secteurs de l’économie britannique. En fait, les chatbots ne sont pas le seul problème : même joindre un opérateur humain vous enferme également dans le même type de scripts que ceux qui alimentent les chatbots, puisque les uns comme les autres ne peuvent proposer que les solutions validées par l’entreprise. Le problème repose bien plus sur la normalisation et la standardisation de la relation qu’autre chose

« Les statistiques des plaintes des clients sont très faciles à manipuler », explique Martyn James, expert en droits des consommateurs. Vous pourriez penser que vous êtes en train de vous plaindre au téléphone, dit-il, mais si vous n’indiquez pas clairement que vous souhaitez déposer une plainte officielle, celle-ci risque de ne pas être comptabilisée comme telle. Et les scripts que suivent les opérateurs et les chatbots ne proposent pas aux clients de déposer plainte… Pourquoi ? Légalement, les entreprises sont tenues de répondre aux plaintes officielles dans un délai déterminé. Mais si votre plainte n’est pas officiellement enregistrée comme telle, elles peuvent traîner les pieds. Si votre plainte n’est pas officiellement enregistrée, elle n’est qu’une réclamation qui se perd dans l’historique client, régulièrement vidé. Les consommateurs lui confient que, trop souvent, les centres d’appels n’ont aucune trace de leur réclamation initiale

Quant à trouver la page de contact ou du service client, il faut la plupart du temps cinq à dix clics pour s’en approcher ! Et la plupart du temps, vous n’avez accès qu’à un chat ou une ligne téléphonique automatisée. Pour Martyn James, tous les secteurs ont réduit leur capacité à envoyer des mails autres que marketing et la plupart n’acceptent pas les réponses. Et ce alors que ces dernières années, de nombreuses chaînes de magasins se sont transformées en centres de traitement des commandes en ligne, sans investir dans un service client pour les clients distants. 

« Notre temps ne leur coûte rien »

« Notre temps ne leur coûte rien », rappelle l’expert. Ce qui explique que nous soyons contraints d’épuiser le processus automatisé et de nous battre obstinément pour parler à un opérateur humain qui fera son maximum pour ne pas enregistrer l’interaction comme une plainte du fait des objectifs qu’il doit atteindre. Une fois les recours épuisés, reste la possibilité de saisir d’autres instances, mais cela demande de nouvelles démarches, de nouvelles compétences comme de savoir qu’un médiateur peut exister, voire porter plainte en justice… Autant de démarches qui ne sont pas si accessibles. 

Les défenseurs des consommateurs souhaitent que les régulateurs puissent infliger des amendes beaucoup plus lourdes aux plus grands contrevenants des services clients déficients. Mais depuis quels critères ? 

Investir dans un meilleur service client a clairement un coût. Mais traiter les plaintes de manière aussi inefficace en a tout autant. Tous secteurs confondus, le coût mensuel pour les entreprises britanniques du temps consacré par leurs employés à la gestion des problèmes clients s’élève à 8 milliards d’euros, selon l’ICS. Si les entreprises commençaient à mesurer cet impact de cette manière, cela renforcerait-il l’argument commercial en faveur d’un meilleur service ?, interroge Claer Barrett. 

Au Royaume-Uni, c’est le traitement des réclamations financières qui offre le meilleur service client, explique-t-elle, parce que la réglementation y est beaucoup plus stricte. A croire que c’est ce qui manque partout ailleurs. Pourtant, même dans le secteur bancaire, le volume de plaintes reste élevé. Le Financial Ombudsman Service du Royaume-Uni prévoit de recevoir plus de 181 000 plaintes de consommateurs au cours du prochain exercice, soit environ 10 % de plus qu’en 2022-2023. Les principales plaintes à l’encontre des banques portent sur l’augmentation des taux d’intérêts sur les cartes de crédits et la débancarisation (voir notre article). Une autre part importante des plaintes concerne les dossiers de financement automobiles, et porte sur des litiges d’évaluation de dommages et des retards de paiements. 

Pourtant, selon l’ICS, le retour sur investissement d’un bon service client reste fort. « D’après les données collectées entre 2017 et 2023, les entreprises dont le score de satisfaction client était supérieur d’au moins un point à la moyenne de leur secteur ont enregistré une croissance moyenne de leur chiffre d’affaires de 7,4 % ». Mais, celles dont le score de satisfaction est inférieur d’un point à la moyenne, ont enregistré également une croissance de celui-ci du niveau de la moyenne du secteur. La différence n’est peut-être pas suffisamment sensible pour faire la différence. Dans un monde en ligne, où le client ne cesse de s’éloigner des personnels, la nécessité de créer des liens avec eux devrait être plus importante que jamais. Mais, l’inflation élevée de ces dernières années porte toute l’attention sur le prix… et ce même si les clients ne cessent de déclarer qu’ils sont prêts à payer plus cher pour un meilleur service. 

La morosité du service client est assurément à l’image de la morosité économique ambiante.

Hubert Guillaud 

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  • La tech au bord du gouffre financier 
    Thomas Gerbaud a eu la bonne idée de tenter de résumer et synthétiser l’article fleuve d’Ed Zitron, AI is money trap, paru cet été. Cet article interroge la question de la rentabilité des entreprises et startups de l’IA et montre que leur consommation d’investissements est encore plus délirante que leur consommation de ressources énergétiques.  « Pour faire un lien avec la crise des subprimes de 2008, on peut dire que la Silicon Valley est en crise : au lieu de maisons trop chères, les invest
     

La tech au bord du gouffre financier 

10 septembre 2025 à 01:00

Thomas Gerbaud a eu la bonne idée de tenter de résumer et synthétiser l’article fleuve d’Ed Zitron, AI is money trap, paru cet été. Cet article interroge la question de la rentabilité des entreprises et startups de l’IA et montre que leur consommation d’investissements est encore plus délirante que leur consommation de ressources énergétiques. 

« Pour faire un lien avec la crise des subprimes de 2008, on peut dire que la Silicon Valley est en crise : au lieu de maisons trop chères, les investisseurs ont mis de l’argent dans des startups non rentables avec des valorisations qu’ils ne pourront jamais vendre, et ils sont probablement déjà en pertes sans s’en rendre compte.

Puisque personne ne les achète, les startups d’IA générative doivent lever des fonds à des valorisations toujours plus élevées pour couvrir leurs coûts, réduisant ainsi leurs chances de survie. Contrairement à la crise immobilière, où la valeur des biens a fini par remonter grâce à la demande, le secteur du GenAI dépend d’un nombre limité d’investisseurs et de capital, et sa valeur ne tient qu’aux attentes et au sentiment autour du secteur.

Certaines sociétés peuvent justifier de brûler du capital (en millions ou milliards), comme Uber ou AWS. Mais elles avaient un lien avec le monde réel, physique. Facebook est une exception, mais elle n’a jamais été un gouffre à cash comme le sont les acteurs du GenAI.

Ces startups sont les subprimes des investisseurs : valorisations gonflées, aucune sortie claire et aucun acheteur évident. Leur stratégie consiste à se transformer en vitrines, et à présenter leurs fondateurs comme des génies mystérieux. Jusqu’ici, le seul mécanisme de liquidité réel de la GenAI est de vendre des talents aux BigTechs et à prix fort. »

Sous quelque angle qu’on l’a regarde, l’IA générative n’est pas rentable. « Cette industrie entière perd massivement de l’argent ». Leurs dépenses d’investissements, notamment en data centers et en puces, sont colossales, « malgré les revenus limités du secteur ». Le risque est que les investissements des Big Tech engloutissent l’économie. 

« L’IA générative est un fantasme créé par les BigTechs.

Cette bulle est destructrice. Elle privilégie le gaspillage de milliards et les mensonges, plutôt que la création de valeur. Les médias sont complices, car ils ne peuvent pas être aveugles à ce point. Le capital-risque continue de surfinancer les startups en espérant les revendre ou les faire entrer en bourse, gonflant les valorisations au point que la plupart des entreprises du secteur ne peuvent espérer de sortie : leurs modèles d’affaires sont mauvais et elles n’ont quasiment aucune propriété intellectuelle propre. OpenAI et Anthropic concentrent toute la valeur. »

« L’industrie de la GenAI est artificielle : elle génère peu de revenus, ses coûts sont énormes et son fonctionnement nécessite une infrastructure physique si massive que seules les BigTechs peuvent se l’offrir. La concurrence est limitée.

Les marchés sont aveuglés par la croissance à tout prix. Ils confondent l’expansion des BigTechs avec une vraie croissance économique. Cette croissance repose presque entièrement sur les caprices de quatre entreprises, ce qui est vraiment inquiétant. »

Pour l’investisseur Paul Kedrosky cité par le Wall Street Journal

« Nous vivons un moment historiquement exceptionnel. Peu importe ce que l’on pense des mérites de l’IA ou de l’expansion explosive des centres de données, l’ampleur et la rapidité du déploiement de capitaux dans une technologie qui se déprécie rapidement sont remarquables. Ce ne sont pas des chemins de fer ; nous ne construisons pas des infrastructures pour un siècle. Les data centers pour la GenAI sont des installations à durée de vie courte et à forte intensité d’actifs, reposant sur des technologies dont les coûts diminuent et nécessitant un remplacement fréquent du matériel pour préserver les marges. »

Pour Zitron, la récession économique se profile. « Il n’a aucune raison de célébrer une industrie sans plans de sortie et avec des dépenses en capital qui, si elles restent inutiles, semblent être l’une des rares choses maintenant la croissance de l’économie américaine. »

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    Le design a toujours été en concurrence avec l’IA, explique la designer Nolwenn Maudet dans un article pour l’Institut des cultures en réseau. « Après deux décennies de riches développements dans le design d’interaction, notamment portés par la conception des interactions tactiles nécessaires aux smartphones, la tendance s’est inversée. Le retour en grâce de l’IA a coïncidé, au cours de la dernière décennie, avec la standardisation et l’appauvrissement progressifs du design d’interfaces, ce qui
     

Design vs IA, la grande rivalité

9 septembre 2025 à 01:00

Le design a toujours été en concurrence avec l’IA, explique la designer Nolwenn Maudet dans un article pour l’Institut des cultures en réseau. « Après deux décennies de riches développements dans le design d’interaction, notamment portés par la conception des interactions tactiles nécessaires aux smartphones, la tendance s’est inversée. Le retour en grâce de l’IA a coïncidé, au cours de la dernière décennie, avec la standardisation et l’appauvrissement progressifs du design d’interfaces, ce qui est, selon moi, loin d’être une coïncidence. » Pour la designer, cette rivalité découle de deux manières très différentes de penser la relation entre ordinateurs et humains. Du côté du design, l’enjeu est la capacité des humains à prendre le contrôle et à piloter les ordinateurs, du côté des développeurs d’IA, l’enjeu est plutôt que les ordinateurs deviennent suffisamment intelligents pour être autonomes afin que les humains puissent leur confier des tâches. « Ainsi, même si les promoteurs de l’IA ne le disent pas en ces termes, leur vision du futur, ce qu’ils visent, est la mort du design d’interaction, car vouloir tout anticiper revient finalement à tout automatiser, à éliminer toute interaction ». Pour Maudet, reprenant les propos de Jonathan Grudin, on pourrait dire que l’Interaction homme-machine s’est développée dans l’ombre de l’IA : « L’IHM a prospéré pendant les hivers de l’IA et a progressé plus lentement lorsque l’IA était en faveur. »

Pourquoi l’IA est-elle si attractive ?

Pourquoi l’IA est-elle si attractive ? « Les causes sont complexes et tiennent largement à des enjeux politiques et économiques, car les techniques d’IA modernes reposent sur le modèle économique lucratif de l’exploration et de la monétisation des données. Un autre problème réside dans la distinction claire et l’absence de lien entre l’intelligence artificielle et les métiers de l’interface au sein des entreprises. Enfin, le rôle de l’imaginaire ne peut être négligé. En effet, il est difficile pour le design de faire rêver comme l’IA le fait. Créer des entités intelligentes et autonomes sur le terrain d’un côté, optimiser et faciliter l’utilisation d’un outil complexe de l’autre ». La concurrence est rude entre « la recherche sur les défis perceptivo-moteurs et cognitifs des interfaces graphiques d’un côté, les machines exotiques et les promesses glamour de l’IA de l’autre. Les interfaces graphiques étaient cool, mais l’IA a dominé les financements et l’attention médiatique, et a prospéré », explique encore Grudin. « Les interfaces ne sont jamais une fin en soi, mais simplement un moyen de permettre aux humains d’accomplir des tâches. En tant qu’outils, elles semblent inoffensives. D’autant plus que l’interface repose sur un paradoxe : elle passe inaperçue alors qu’elle est sous nos yeux. »

« Les actions et les volontés explicitées par nos interactions sont perçues comme subjectives, tandis que les données enregistrées par des capteurs et à notre insu apparaissent plus objectives et donc vraies, un présupposé largement erroné qui persiste », explique Nolwenn Maudet en faisant référence au livre de Melanie Feinberg, Everyday Adventures with Unruly Data (MIT Press, 2022, non traduit) qui défend une approche humaine des données d’abord et avant tout qu’elles restent ambiguës, complexes et incertaines. Pour Maudet, l’IA tend à privilégier les interactions basées sur des signaux non explicites ou entièrement volontaires de la part des utilisateurs : le regard plutôt que la main, les expressions faciales plutôt que les mots. Par exemple, les thermostats intelligents utilisent des capteurs pour déterminer les habitudes d’occupation et modifier la température en fonction des comportements, ce qui traduit combien les ingénieurs de l’IA sont fondamentalement méfiants à l’égard des actions humaines, quand les designers, eux, vont avoir tendance à faciliter la configuration des paramètres par l’utilisateur

Le design reste pourtant la condition de succès de l’IA

Pour la designer, l’engouement actuel pour l’IA ne devrait pourtant pas nous faire oublier que « l’IA a toujours besoin du design, des interfaces et des interactions, même si elle feint de les ignorer ». Le design des interfaces reste la condition de succès des systèmes prédictifs et des systèmes de recommandation. L’un des grands succès de TikTok, repose bien plus sur l’effet hypnotique du défilement pour proposer un zapping perpétuel que sur la qualité de ses recommandations. L’IA ne pourrait exister ni fonctionner sans interfaces, même si elle feint généralement de les ignorer. L’IA utilise souvent des proxys pour déterminer des comportements, comme d’arrêter de vous recommander une série parce que vous avez interrompu l’épisode, qu’importe si c’était parce que vous aviez quelque chose de plus intéressant à faire. Face à des interprétations algorithmiques qu’ils ne maîtrisent pas, les utilisateurs sont alors contraints de trouver des parades souvent inefficaces pour tenter de dialoguer via une interface qui n’est pas conçue pour cela, comme quand ils likent toutes les publications d’un profil pour tenter de faire comprendre à l’algorithme qu’il doit continuer à vous les montrer. Ces tentatives de contournements montrent pourtant qu’on devrait permettre aux utilisateurs de « communiquer directement avec l’algorithme », c’est-à-dire de pouvoir plus facilement régler leurs préférences. Nous sommes confrontés à une « dissociation stérile entre interface et algorithme », « résultat de l’angle mort qui fait que toute interaction explicite avec l’IA est un échec de prédiction ». « Le fait que la logique de l’interface soit généralement déconnectée de celle de l’algorithme ne contribue pas à sa lisibilité »

Maudet prend l’exemple des algorithmes de reconnaissance faciale qui produisent des classements depuis un score de confiance rarement communiqué – voir notre édito sur ces enjeux. Or, publier ce score permettrait de suggérer de l’incertitude auprès de ceux qui y sont confrontés. Améliorer les IA et améliorer les interfaces nécessite une bien meilleure collaboration entre les concepteurs d’IA et les concepteurs d’interfaces, suggère pertinemment la designer, qui invite à interroger par exemple l’interface textuelle dialogique de l’IA générative, qui a tendance à anthropomorphiser le modèle, lui donnant l’apparence d’un locuteur humain sensible. Pour la designer Amelia Wattenberg, la pauvreté de ces interfaces de chat devient problématique. « La tâche d’apprendre ce qui fonctionne incombe toujours à l’utilisateur ». Les possibilités offertes à l’utilisateur de générer une image en étirant certaines de ses parties, nous montrent pourtant que d’autres interfaces que le seul prompt sont possibles. Mais cela invite les ingénieurs de l’IA à assumer l’importance des interfaces. 

Complexifier l’algorithme plutôt que proposer de meilleures interfaces

Les critiques de l’IA qui pointent ses limites ont souvent comme réponse de corriger et d’améliorer le modèle et de mieux corriger les données pour tenter d’éliminer ses biais… « sans remettre en question les interfaces par lesquelles l’IA existe et agit ». « L’amélioration consiste donc généralement à complexifier l’algorithme, afin qu’il prenne en compte et intègre des éléments jusque-là ignorés ou laissés de côté, ce qui se traduit presque inévitablement par de nouvelles données à collecter et à interpréter. On multiplie ainsi les entrées et les inférences, dans ce qui ressemble à une véritable fuite en avant. Et forcément sans fin, puisqu’il ne sera jamais possible de produire des anticipations parfaites ».

« Reprenons le cas des algorithmes de recommandation, fortement critiqués pour leur tendance à enfermer les individus dans ce qu’ils connaissent et consomment déjà. La réponse proposée est de chercher le bon dosage, par exemple 60 % de contenu déjà connu et 40 % de nouvelles découvertes. Ce mélange est nécessairement arbitraire et laissé à la seule discrétion des concepteurs d’IA, mettant l’utilisateur de côté. Mais si l’on cherchait à résoudre ce problème par le design, une réponse simpliste serait une interface offrant les deux options. Cela rendrait toutes les configurations possibles, nous forçant à nous poser la question : est-ce que je veux plus de ce que j’ai déjà écouté, ou est-ce que je veux m’ouvrir ? Le design d’interaction encourage alors la réflexivité, mais exige attention et choix, ce que l’IA cherche précisément à éviter, et auquel nous sommes souvent trop heureux d’échapper ». 

Et Maudet d’inviter le design à s’extraire de la logique éthique de l’IA qui cherche « à éviter toute action ou réflexion de la part de l’utilisateur » en corrigeant par l’automatisation ses erreurs et ses biais.

« Le développement des algorithmes s’est accompagné de la standardisation et de l’appauvrissement progressif des interactions et des interfaces qui les supportent ». Le design ne peut pas œuvrer à limiter la capacité d’action des utilisateurs, comme le lui commande désormais les développeurs d’IA. S’il œuvre à limiter la capacité d’action, alors il produit une conception impersonnelle et paralysante, comme l’a expliqué le designer Silvio Lorusso dans son article sur la condition de l’utilisateur

Mais Maudet tape plus fort encore : « il existe un paradoxe évident et peu questionné entre la personnalisation ultime promise par l’intelligence artificielle et l’homogénéisation universelle des interfaces imposée ces dernières années. Chaque flux est unique car un algorithme détermine son contenu. Et pourtant, le milliard d’utilisateurs d’Instagram ou de TikTok, où qu’ils soient et quelle que soit la raison pour laquelle ils utilisent l’application, ont tous la même interface sous les yeux et utilisent exactement les mêmes interactions pour la faire fonctionner. Il est ironique de constater que là où ces entreprises prétendent offrir une expérience personnalisée, jamais auparavant nous n’avons vu une telle homogénéité dans les interfaces : le monde entier défile sans fin derrière de simples fils de contenu. Le design, rallié à la lutte pour la moindre interaction, accentue cette logique, effaçant ou reléguant progressivement au second plan les paramètres qui permettaient souvent d’adapter le logiciel aux besoins individuels. Ce que nous avons perdu en termes d’adaptation explicite de nos interfaces a été remplacé par une adaptation automatisée, les algorithmes étant désormais chargés de compenser cette standardisation et de concrétiser le rêve d’une expérience sur mesure et personnalisée. Puisque toutes les interfaces et interactions se ressemblent, la différenciation incombe désormais également à l’algorithme, privant le design de la possibilité d’être un vecteur d’expérimentation et un créateur de valeur, y compris économique ».

Désormais, la solution aux problèmes d’utilisation consiste bien souvent à ajouter de l’IA, comme d’intégrer un chatbot « dans l’espoir qu’il oriente les visiteurs vers l’information recherchée, plutôt que de repenser la hiérarchie de l’information, l’arborescence du site et sa navigation ». 

Le risque est bien de mettre le design au service de l’IA plutôt que l’inverse. Pas étonnant alors que la réponse alternative et radicale, qui consiste à penser la personnalisation des interfaces sans algorithmes, gagne de l’audience, comme c’est le cas sur le Fediverse, de Peertube à Mastodon qui optent pour un retour à l’éditorialisation humaine. La généralisation de l’utilisation de modèle d’IA sur étagère et de bibliothèques de composants standardisés, réduisent les possibilités de personnalisation par le design d’interaction. Nous sommes en train de revenir à une informatique mainframe, dénonce Maudet, « ces ordinateurs puissants mais contrôlés, une architecture qui limite par essence le pouvoir d’action de ses utilisateurs ». Les designers doivent réaffirmer l’objectif de l’IHM : « mettre la puissance de l’ordinateur entre les mains des utilisateurs et d’accroître le potentiel humain plutôt que celui de la machine »

Hubert Guillaud

MAJ du 9/09/2025 : Nolwenn Maudet vient de mettre une version en français de son article (.pdf) sur son site.

MAJ du 10/09/2025 : L’anthropologue Sally Applin dresse le même constat dans un article pour Fast Company. Toutes les interfaces sont appelées à être remplacées par des chatbots, explique Applin. Nos logiciels sont remplacés par une fenêtre unique. Les chatbots sont présentés comme un guichet unique pour tout, la zone de texte est en train d’engloutir toutes les applications. Nos interfaces rétrécissent. Ce changement est une rupture radicale avec la conception d’interfaces telle qu’on l’a connaissait. Nous sommes passés de la conception d’outils facilitant la réalisation de tâches à l’extraction de modèles servant les objectifs de l’entreprise qui déploient les chatbots. “Nous avons cessé d’être perçus comme des personnes ayant des besoins, pour devenir la matière première d’indicateurs, de modèles et de domination du marché”. Qu’importe si les chatbots produisent des réponses incohérentes, c’est à nous de constamment affiner les requêtes pour obtenir quelque chose d’utile. “Là où nous utilisions autrefois des outils pour accomplir notre travail, nous le formons désormais à effectuer ce travail afin que nous puissions, à notre tour, terminer le nôtre”. “La ​​trajectoire actuelle du design vise à effacer complètement l’interface, la remplaçant par une conversation sous surveillance – une écoute mécanisée déguisée en dialogue”. “Il est injuste de dire que le design centré sur l’utilisateur a disparu – pour l’instant. Le secteur est toujours là, mais les utilisateurs cibles ont changé. Auparavant, les entreprises se concentraient sur les utilisateurs ; aujourd’hui, ce sont les LLM qui sont au cœur de leurs préoccupations”. Désormais, les chatbots sont devenus l’utilisateur.

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  • S’attaquer à la hype
    On l’a vu, dans leur livre, The AI con, Emily Bender et Alex Hanna proposaient de lutter contre le battage médiatique de l’IA qui déforme notre compréhension de la réalité. Dans une tribune pour Tech Policy Press, le sociologue catalan Andreu Belsunces Gonçalves et le politiste Jascha Bareis proposent de combattre la hype en l’étudiant pour ce qu’elle est : un phénomène politique.  Pour eux, elle n’est pas une phase neutre des cycles d’adoption des technologies. La hype n’est pas non plus un
     

S’attaquer à la hype

8 septembre 2025 à 01:00

On l’a vu, dans leur livre, The AI con, Emily Bender et Alex Hanna proposaient de lutter contre le battage médiatique de l’IA qui déforme notre compréhension de la réalité. Dans une tribune pour Tech Policy Press, le sociologue catalan Andreu Belsunces Gonçalves et le politiste Jascha Bareis proposent de combattre la hype en l’étudiant pour ce qu’elle est : un phénomène politique. 

Pour eux, elle n’est pas une phase neutre des cycles d’adoption des technologies. La hype n’est pas non plus un phénomène économique. Elle est un projet délibéré qui oriente l’imaginaire collectif au profit de certains. Le battage médiatique autour de la technologie et de l’informatique a permis d’affoler les marchés et les investissements. Les deux scientifiques en ont fait un projet de recherche transdisciplinaire pour comprendre les moteurs et les ressorts d’un phénomène puissant et omniprésent qui influence l’économie, la finance, les agendas politiques, les récits médiatiques et les développements technologiques. Concrètement, la hype se caractérise par une fascination pour les technologies d’avenir permettant de produire des promesses exagérées et irréalistes, un optimisme exacerbé qui capte l’attention de tous et amplifie les phénomènes spéculatifs, jusqu’à parfois les rendre réels. 

Souvent considéré comme naturel, le battage médiatique n’est pourtant jamais accidentel. Il est souvent conçu et entretenu stratégiquement “pour surestimer les implications positives de la technologie tout en minimisant les implications négatives”. Il joue sur le registre émotionnel plutôt que sur le registre rationnel pour créer une dynamique, pour concentrer l’attention et les investissements. Il a pour but de créer “l’illusion d’une fenêtre d’opportunité”... et sa potentialité. Il promet une révélation à ceux qui y plongent, promet de participer à un moment décisif comme à une communion ouverte à ceux qui souhaitent y contribuer. Il anime un sentiment d’urgence, une frénésie émotionnelle qui permet à ceux qui y participent de croire qu’ils appartiennent à un petit groupe de happy few

Le battage médiatique est stratégique. Il sert à dynamiser la croissance. Les incubateurs et accélérateurs encourageant les entrepreneurs à surévaluer leurs technologies, à exagérer la taille du marché, à renchérir sur la maturité du marché, sur l’attrait du produit… comme le rappellent les mantra “fake it until you make it” ou “think big”. Ce narratif est une stratégie de survie pour passer les levées de fonds extrêmement compétitives. L’enjeu n’est pas tant de mentir que d’être indifférent à la vérité. De buzzer et briller avant tout. Le buzz technologique est devenu un élément structurel des processus de changement sociotechnique contemporain. Le fictif y devient plausible. 

“Comme l’a montré la bulle autour de la « nouvelle économie », le battage médiatique technologique est le fruit d’une double spéculation : financière, visant à multiplier les retours sur investissement dans des entreprises risquées ; et sociale, où les entreprises attirent l’attention en promettant des avancées technologiques disruptives qui créeront des opportunités technologiques, économiques, politiques et sociales sans précédent”. Dans le battage médiatique, tout le monde veut sa part du gâteau : des boursicoteurs en quête de plus-value aux journalistes en quête de clickbait aux politiciens en quête de croissance industrielle. Qu’importe si la hype fait basculer des promesses exagérées aux mensonges voire à la fraude. 

“Dans une société de plus en plus financiarisée, le battage médiatique technologique devient une force dangereuse au moins à deux égards. Premièrement, les personnes les moins informées et les moins instruites sur les technologies et les marchés émergents sont plus vulnérables aux promesses séduisantes de revenus faciles. Comme le montrent les systèmes pyramidaux de cryptomonnaies – où les premiers investisseurs vendent lorsque la valeur chute, laissant les nouveaux venus assumer les pertes –, le battage médiatique est une promesse de richesse”. Mais à la haute récompense répond la hauteur du risque, “où les plus privilégiés extraient les ressources des plus vulnérables”.

Deuxièmement, le battage médiatique hégémonique autour des technologies est souvent alimenté par des promesses utopiques de salut qui se conjuguent aux chants des sirènes de l’inéluctabilité, tout en favorisant une transition vers un avenir cyberlibertaire. “Le battage médiatique autour des technologies n’est pas seulement une opportunité pour la spéculation financière, mais aussi un catalyseur pour les idéologies qui appliquent le mécanisme social-darwinien de survie économique à la sphère sociale. Comme l’écrit le capital-risqueur Marc Andreessen dans son Manifeste techno-optimiste : « Les sociétés, comme les requins, croissent ou meurent.» La sélection naturelle ne laisse pas de place à tous dans le futur.” Le cocktail d’acteurs fortunés, adoptant à la fois des visions irréalistes et des positions politiques extrêmes, fait du battage médiatique une stratégie pour concrétiser l’imagination néo-réactionnaire – et donc se doit de devenir un sujet urgent d’attention politique.

Les geeks sont devenus Rockefellers. Le battage médiatique les a rendu riches et leur a donné les rênes de la machine à battage médiatique. Ils maîtrisent les algorithmes de la hype des médias sociaux et de l’IA, maîtrisent la machine, les discours et désormais, même, la machine qui produit les discours. Quant aux gouvernements, ils ne tempèrent plus la hype, mais y participent pleinement. 

“Comprendre et démanteler la montée actuelle du techno-autoritarisme nécessite de développer une compréhension du fonctionnement du battage médiatique comme instrument politique”. Nous devons devenir collectivement moins vulnérables au battage médiatique et moins adhérent aux idéologies qu’il porte, estiment les deux chercheurs. Voilà qui annonce un programme de travail chargé !

Profitons-en pour signaler que la hype est également l’un des angles que le sociologue Juan Sebastian Carbonell utilise pour évoquer l’IA dans son lumineux nouveau livre, Un taylorisme augmenté : critique de l’intelligence artificielle (éditions Amsterdam, 2025). Pour lui, les attentes technologiques « sont performatives ». Elles guident à la fois les recherches et les investissements. La promotion de l’IA passe en grande partie « par la mise en scène de révolutions technologiques », via les médias et via les shows technologiques et les lancements. Ces démonstrations servent la promotion des technologies pour qu’elles puissent constituer des marchés, tout en masquant leurs limites. L’une des hypes la plus réussie a été bien sûr la mise à disposition de ChatGPT le 30 novembre 2022. La révélation a permis à l’entreprise d’attirer très rapidement utilisateurs et développeurs pour améliorer son outil et lui a assuré une position dominante, forçant les concurrents à s’adapter au business model que l’entreprise a proposé.

Les hypes sont des stratégies, rappelle Carbonell. Elles sont renforcées par le traitement médiatique qui permet de promouvoir la vision du changement technologique défendue par les entreprises de l’IA, et qui permet d’entretenir les promesses technologiques. Le battage médiatique est très orienté par les entreprises et permet de minimiser et occulter les usages controversés et problématiques. La hype est toujours partiale, rappelle le sociologue. Pour Carbonell, les hypes sont également toujours cycliques, inflationnaires et déflationnaires. Et c’est justement à les faire reculer que nous devrions œuvrer. 

PS : Du 10 au 12 septembre, à Barcelone, Andreu Belsunces Gonçalves et Jascha Bareis organisent trois jours de colloque sur la hype

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  • L’IA ne nous simplifie toujours pas la vie
    Comme à son habitude Ian Bogost tape juste. Les vendeurs nous promettent que nos machines vont nous simplifier la vie, pourtant, elles n’y arrivent toujours pas, constate-t-il en voyant que Siri ne veut toujours pas lui donner la direction pour le magasin de bricolage Lowe le plus proche, mais lui propose plutôt de l’amener à 1300 km de chez lui, chez un contact qui a ce terme dans son adresse. Quand on demande à Siri de trouver des fichiers sur son ordinateur, il nous montre comment ouvrir le g
     

L’IA ne nous simplifie toujours pas la vie

5 septembre 2025 à 02:08

Comme à son habitude Ian Bogost tape juste. Les vendeurs nous promettent que nos machines vont nous simplifier la vie, pourtant, elles n’y arrivent toujours pas, constate-t-il en voyant que Siri ne veut toujours pas lui donner la direction pour le magasin de bricolage Lowe le plus proche, mais lui propose plutôt de l’amener à 1300 km de chez lui, chez un contact qui a ce terme dans son adresse. Quand on demande à Siri de trouver des fichiers sur son ordinateur, il nous montre comment ouvrir le gestionnaire de fichier pour nous laisser faire. Quand on lui demande des photos du barbecue, il va les chercher sur le net plutôt que de regarder dans nos bibliothèques d’images. 

Avec l’IA, pourtant, tout le monde nous dit que nos ordinateurs vont devenir plus intelligents, raille Bogost. « Pendant des années, on nous a dit que les interactions fluides avec nos appareils finiraient par se généraliser. Aujourd’hui, nous constatons le peu de progrès accomplis vers cet objectif »
« L’intelligence artificielle d’Apple – en réalité, l’IA générative dans son ensemble – met en lumière une triste réalité. L’histoire des interfaces d’ordinateurs personnels est elle aussi une histoire de déceptions ». On est passé des commandes ésotériques pour retrouver des fichiers à l’arborescence des répertoires. Mais ce progrès nous a surtout conduit à crouler sous les données. Certes, on trouve bien mieux ce qu’on cherche en ligne que dans nos propres données. Mais ChatGPT est toujours incapable de vous aider à décrypter notre boîte de réception ou nos fichiers. Apple Intelligence ou Google continuent de s’y essayer. Mais l’un comme l’autre sont plus obsédés par ce qui se trouve en ligne que par ce que l’utilisateur met de côté sur sa machine. « Utiliser un ordinateur pour naviguer entre mon travail et ma vie personnelle reste étrangement difficile. Les calendriers ne se synchronisent pas correctement. La recherche d’e-mails ne fonctionne toujours pas correctement, pour une raison inconnue. Les fichiers sont dispersés partout, dans diverses applications et services, et qui sait où ? Si les informaticiens ne parviennent même pas à faire fonctionner efficacement des machines informatiques par l’IA, personne ne croira jamais qu’ils peuvent le faire pour quoi que ce soit, et encore moins pour tout le reste ».

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  • Nicolas n’existe pas
    « La France ne vit pas grâce à une classe de travailleurs héroïques opposée à une masse de profiteurs paresseux. Elle repose sur une multitude de contributions : celles des ouvriers, des soignants, des enseignants, des agriculteurs, des caissières, des aides-soignantes, des fonctionnaires, des livreurs… et même des retraités et des chômeurs, qui ont cotisé ou qui cherchent à rebondir. Ce sont ces millions de vies concrètes qui tiennent debout notre pays. » Gaspard Gantzer
     

Nicolas n’existe pas

5 septembre 2025 à 01:03

« La France ne vit pas grâce à une classe de travailleurs héroïques opposée à une masse de profiteurs paresseux. Elle repose sur une multitude de contributions : celles des ouvriers, des soignants, des enseignants, des agriculteurs, des caissières, des aides-soignantes, des fonctionnaires, des livreurs… et même des retraités et des chômeurs, qui ont cotisé ou qui cherchent à rebondir. Ce sont ces millions de vies concrètes qui tiennent debout notre pays. » Gaspard Gantzer

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  • « Aux machines, citoyens ! »
    “L’enjeu de la démocratie des techniques est d’organiser l’articulation de la citoyenneté aux enjeux techniques, parce que de leur réponse dépend l’autonomie et la capacité de chacun et du collectif à participer à la définition des conditions d’une vie bonne, de la justice et de l’histoire d’une société”. Adeline Barbin, La démocratie des techniques (Hermann, 2024), via La vie des Idées. :  
     

« Aux machines, citoyens ! »

5 septembre 2025 à 01:01

“L’enjeu de la démocratie des techniques est d’organiser l’articulation de la citoyenneté aux enjeux techniques, parce que de leur réponse dépend l’autonomie et la capacité de chacun et du collectif à participer à la définition des conditions d’une vie bonne, de la justice et de l’histoire d’une société”. Adeline Barbin, La démocratie des techniques (Hermann, 2024), via La vie des Idées. :  

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  • Déontologie
    « Si un dictateur publiait un appel d’offres pour rouvrir des goulags, nul doute qu’il se trouverait des cabinets de conseil prêts à y répondre. » – David Naïm
     
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  • ChatGPT5, la déception
    « Le peu de progrès démontré par ChatGPT version 5 confirme les craintes de nombreux experts sur l’impasse du modèle de développement des programmes d’IA générative. La course au gigantisme (des modèles toujours plus complexes utilisant toujours plus de paramètres et de données, donc nécessitant toujours plus de data centers) sur lequel il repose ne produit plus les sauts qualitatifs escomptés. » Christophe Le Boucher sur FakeTech.
     

ChatGPT5, la déception

5 septembre 2025 à 01:00

« Le peu de progrès démontré par ChatGPT version 5 confirme les craintes de nombreux experts sur l’impasse du modèle de développement des programmes d’IA générative. La course au gigantisme (des modèles toujours plus complexes utilisant toujours plus de paramètres et de données, donc nécessitant toujours plus de data centers) sur lequel il repose ne produit plus les sauts qualitatifs escomptés. » Christophe Le Boucher sur FakeTech.

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  • IA, la grande escroquerie
    La couverture du livre d’Emily Bender et Alex Hanna. L’arnaque de l’IA est le titre d’un essai que signent la linguiste Emily Bender et la sociologue Alex Hanna : The AI con : how to fight big tech’s hype and create the future we want (HarperCollins, 2025, non traduit). Emily Bender est professeure de linguistique à l’université de Washington. Elle fait partie des 100 personnalités de l’IA distinguées par le Time en 2023. Elle est surtout connue pour être l’une des co-auteure avec Timnit Geb
     

IA, la grande escroquerie

4 septembre 2025 à 00:52
La couverture du livre d’Emily Bender et Alex Hanna.

L’arnaque de l’IA est le titre d’un essai que signent la linguiste Emily Bender et la sociologue Alex Hanna : The AI con : how to fight big tech’s hype and create the future we want (HarperCollins, 2025, non traduit). Emily Bender est professeure de linguistique à l’université de Washington. Elle fait partie des 100 personnalités de l’IA distinguées par le Time en 2023. Elle est surtout connue pour être l’une des co-auteure avec Timnit Gebru, Angelina McMillan-Major et Margaret Mitchell du fameux article sur les Perroquets stochastiques, critique du développement des grands modèles de langage (voir l’interview du Monde avec Emily Bender). Alex Hanna, elle, est sociologue. Elle est la directrice de la recherche de DAIR, Distributed AI Research Institut. Les deux chercheuses publient également une newsletter commune et un podcast éponyme, « Mystery AI Hype Theater 3000 », où elles discutent avec nombre de chercheurs du domaine. 

AI con pourrait paraître comme un brûlot technocritique, mais il est plutôt une synthèse très documentée de ce qu’est l’IA et de ce qu’elle n’est pas. L’IA est une escroquerie, expliquent les autrices, un moyen que certains acteurs ont trouvé “pour faire les poches de tous les autres”. « Quelques acteurs majeurs bien placés se sont positionnés pour accumuler des richesses importantes en extrayant de la valeur du travail créatif, des données personnelles ou du travail d’autres personnes et en remplaçant des services de qualité par des fac-similés ». Pour elles, l’IA tient bien plus d’une pseudo-technologie qu’autre chose. 

L’escroquerie tient surtout dans le discours que ces acteurs tiennent, le battage médiatique, la hype qu’ils entretiennent, les propos qu’ils disséminent pour entretenir la frénésie autour de leurs outils et services. Le cadrage que les promoteurs de l’IA proposent leur permet de faire croire en leur puissance tout en invisibilisant ce que l’IA fait vraiment : « menacer les carrières stables et les remplacer par du travail à la tâche, réduire le personnel, déprécier les services sociaux et dégrader la créativité humaine ».

L’IA n’est rien d’autre que du marketing

Bender et Hanna nous le rappellent avec force. « L’intelligence artificielle est un terme marketing ». L’IA ne se réfère pas à un ensemble cohérent de technologies. « L’IA permet de faire croire à ceux à qui on la vend que la technologie que l’on vend est similaire à l’humain, qu’elle serait capable de faire ce qui en fait, nécessite intrinsèquement le jugement, la perception ou la créativité humaine ». Les calculatrices sont bien meilleures que les humains pour l’arithmétique, on ne les vend pas pour autant comme de l’IA. 

L’IA sert à automatiser les décisions, à classifier, à recommander, à traduire et transcrire et à générer des textes ou des images. Toutes ces différentes fonctions assemblées sous le terme d’IA créent l’illusion d’une technologie intelligente, magique, qui permet de produire de l’acceptation autour de l’automatisation quelque soit ses conséquences, par exemple dans le domaine de l’aide sociale. Le battage médiatique, la hype, est également un élément important, car c’est elle qui conduit l’investissement dans ces technologies, qui explique l’engouement pour cet ensemble de méthodes statistiques appelé à changer le monde. « La fonction commerciale de la hype technologique est de booster la vente de produits ». Altman et ses confrères ne sont que des publicitaires qui connectent leurs objectifs commerciaux avec les imaginaires machiniques. Et la hype de l’IA nous promet une vie facile où les machines prendront notre place, feront le travail difficile et répétitif à notre place. 

En 1956, quand John McCarthy et Marvin Minsky organisent un atelier au Dartmouth College pour discuter de méthodes pour créer des machines pensantes, le terme d’IA s’impose, notamment pour exclure Norbert Wiener, le pionnier, qui parle lui de cybernétique, estiment les chercheuses. Le terme d’intelligence artificielle va servir pour désigner des outils pour le guidage de systèmes militaires, afin d’attirer des investissements dans le contexte de la guerre froide. Dès le début, la « discipline » repose donc sur de grandes prétentions sans grande caution scientifique, de mauvaises pratiques de citation scientifiques et des objectifs fluctuants pour justifier les projets et attirer les investissements, expliquent Bender et Hanna. Des pratiques qui ont toujours cours aujourd’hui. Dès le début, les promoteurs de l’IA vont soutenir que les ordinateurs peuvent égaler les capacités humaines, notamment en estimant que les capacités humaines ne sont pas si complexes. 

Des outils de manipulation… sans entraves

L’une des premières grande réalisation du domaine est le chatbot Eliza de Joseph Weizenbaum, nommée ainsi en référence à Eliza Doolittle, l’héroïne de Pygmalion, la pièce de George Bernard Shaw. Eliza Doolittle est la petite fleuriste prolétaire qui apprend à imiter le discours de la classe supérieure. Derrière ce nom très symbolique, le chatbot est conçu comme un psychothérapeute capable de soutenir une conversation avec son interlocuteur en lui renvoyant sans cesse des questions depuis les termes que son interlocuteur emploie. Weizenbaum était convaincu qu’en montrant le fonctionnement très basique et très trompeur d’Eliza, il permettrait aux utilisateurs de comprendre qu’on ne pouvait pas compatir à ses réponses. C’est l’inverse qui se produisit pourtant. Tout mécanique qu’était Eliza, Weizenbaum a été surpris de l’empathie générée par son tour de passe-passe, comme l’expliquait Ben Tarnoff. Eliza n’en sonne pas moins l’entrée dans l’âge de l’IA. Son créateur, lui, passera le reste de sa vie à être très critique de l’IA, d’abord en s’inquiétant de ses effets sur les gens. Eliza montrait que le principe d’imitation de l’humain se révélait particulièrement délétère, notamment en trompant émotionnellement ses interlocuteurs, ceux-ci interprétant les réponses comme s’ils étaient écoutés par cette machine. Dès l’origine, donc, rappellent Bender et Hanna, l’IA est une discipline de manipulation sans entrave biberonnée aux investissements publics et à la spéculation privée. 

Bien sûr, il y a des applications de l’IA bien testées et utiles, conviennent-elles. Les correcteurs orthographiques par exemple ou les systèmes d’aide à la détection d’anomalies d’images médicales. Mais, en quelques années, l’IA est devenue la solution à toutes les activités humaines. Pourtant, toutes, mêmes les plus accomplies, comme les correcteurs orthographiques ou les systèmes d’images médicales ont des défaillances. Et leurs défaillances sont encore plus vives quand les outils sont imbriqués à d’autres et quand leurs applications vont au-delà des limites de leurs champs d’application pour lesquels elles fonctionnent bien. Dans leur livre, Bender et Hanna multiplient les exemples de défaillances, comme celles que nous évoquons en continue ici, Dans les algorithmes

Ces défaillances dont la presse et la recherche se font souvent les échos ont des points communs. Toutes reposent sur des gens qui nous survendent les systèmes d’automatisation comme les très versatiles « machines à extruder du texte » – c’est ainsi que Bender et Hanna parlent des chatbots, les comparant implicitement à des imprimantes 3D censées imprimer, plus ou moins fidèlement, du texte depuis tous les textes, censées extruder du sens ou plutôt nous le faire croire, comme Eliza nous faisait croire en sa conscience, alors qu’elle ne faisait que berner ses utilisateurs. C’est bien plus nous que ces outils qui sommes capables de mettre du sens là où il n’y en a pas. Comme si ces outils n’étaient finalement que des moteurs à produire des paréidolies, des apophénies, c’est-à-dire du sens, des causalités, là où il n’y en a aucune. « L’IA n’est pas consciente : elle ne va pas rendre votre travail plus facile et les médecins IA ne soigneront aucun de vos maux ». Mais proclamer que l’IA est ou sera consciente produit surtout des effets sur le corps social, comme Eliza produit des effets sur ses utilisateurs. Malgré ce que promet la hype, l’IA risque bien plus de rendre votre travail plus difficile et de réduire la qualité des soins. « La hype n’arrive pas par accident. Elle remplit une fonction : nous effrayer et promettre aux décideurs et aux entrepreneurs de continuer à se remplir les poches ».   

Déconstruire l’emballement

Dans leur livre, Bender et Hanna déconstruisent l’emballement. En rappelant d’abord que ces machines ne sont ni conscientes ni intelligentes. L’IA n’est que le résultat d’un traitement statistique à très grande échelle, comme l’expliquait Kate Crawford dans son Contre-Atlas de l’intelligence artificielle. Pourtant, dès les années 50, Minsky promettait déjà la simulation de la conscience. Mais cette promesse, cette fiction, ne sert que ceux qui ont quelque chose à vendre. Cette fiction de la conscience ne sert qu’à dévaluer la nôtre. Les « réseaux neuronaux » sont un terme fallacieux, qui vient du fait que ces premières machines s’inspiraient de ce qu’on croyait savoir du fonctionnement des neurones du cerveau humain dans les années 40. Or, ces systèmes ne font que prédire statistiquement le mot suivant dans leurs données de références. ChatGPT n’est rien d’autre qu’une « saisie automatique améliorée ». Or, comme le rappelle l’effet Eliza, quand nous sommes confrontés à du texte ou à des signes, nous l’interprétons automatiquement. Les bébés n’apprennent pas le langage par une exposition passive et isolée, rappelle la linguiste. Nous apprenons le langage par l’attention partagée avec autrui, par l’intersubjectivité. C’est seulement après avoir appris un langage en face à face que nous pouvons l’utiliser pour comprendre les autres artefacts linguistiques, comme l’écriture. Mais nous continuons d’appliquer la même technique de compréhension : « nous imaginons l’esprit derrière le texte ». Les LLM n’ont ni subjectivité ni intersubjectivité. Le fait qu’ils soient modélisés pour produire et distribuer des mots dans du texte ne signifie pas qu’ils aient accès au sens ou à une quelconque intention. Ils ne produisent que du texte synthétique plausible. ChatGPT n’est qu’une machine à extruder du texte, « comme un processus industriel extrude du plastique ». Leur fonction est une fonction de production… voire de surproduction. 

Les promoteurs de l’IA ne cessent de répéter que leurs machines approchent de la conscience ou que les être humains, eux aussi, ne seraient que des perroquets stochastiques. Nous ne serions que des versions organiques des machines et nous devrions échanger avec elles comme si elles étaient des compagnons ou des amis. Dans cet argumentaire, les humains sont réduits à des machines. Weizenbaum estimait pourtant que les machines resserrent plutôt qu’élargissent notre humanité en nous conduisant à croire que nous serions comme elles. « En confiant tant de décisions aux ordinateurs, pensait-il, nous avions créé un monde plus inégal et moins rationnel, dans lequel la richesse de la raison humaine avait été réduite à des routines insensées de code », rappelle Tarnoff. L’informatique réduit les gens et leur expérience à des données. Les promoteurs de l’IA passent leur temps à dévaluer ce que signifie être humain, comme l’ont montré les critiques de celles qui, parce que femmes, personnes trans ou de couleurs, ne sont pas toujours considérées comme des humains, comme celles de Joy Buolamnwini, Timnit Gebru, Sasha Costanza-Chock ou Ruha Benjamin. Cette manière de dévaluer l’humain par la machine, d’évaluer la machine selon sa capacité à résoudre les problèmes n’est pas sans rappeler les dérives de la mesure de l’intelligence et ses délires racistes. La mesure de l’intelligence a toujours été utilisée pour justifier les inégalités de classe, de genre, de race. Et le délire sur l’intelligence des machines ne fait que les renouveler. D’autant que ce mouvement vers l’IA comme industrie est instrumenté par des millionnaires tous problématiques, de Musk à Thiel en passant par Altman ou Andreessen… tous promoteurs de l’eugénisme, tous ultraconservateurs quand ce n’est pas ouvertement fascistes. Bender et Hanna égrènent à leur tour nombre d’exemples des propos problématiques des entrepreneurs et financiers de l’IA. L’IA est un projet politique porté par des gens qui n’ont rien à faire de la démocratie parce qu’elle dessert leurs intérêts et qui tentent de nous convaincre que la rationalité qu’ils portent serait celle dont nous aurions besoin, oubliant de nous rappeler que leur vision du monde est profondément orientée par leurs intérêts – je vous renvoie au livre de Thibault Prévost, Les prophètes de l’IA, qui dit de manière plus politique encore que Bender et Hanna, les dérives idéologiques des grands acteurs de la tech.  

De l’automatisation à l’IA : dévaluer le travail

L’IA se déploie partout avec la même promesse, celle qu’elle va améliorer la productivité, quand elle propose d’abord « de remplacer le travail par la technologie ». « L’IA ne va pas prendre votre job. Mais elle va rendre votre travail plus merdique », expliquent les chercheuses. « L’IA est déployée pour dévaluer le travail en menaçant les travailleurs par la technologie qui est supposée faire leur travail à une fraction de son coût »

En vérité, aucun de ces outils ne fonctionnerait s’ils ne tiraient pas profits de  contenus produits par d’autres et s’ils n’exploitaient pas une force de travail massive et sous payée à l’autre bout du monde. L’IA ne propose que de remplacer les emplois et les carrières que nous pouvons bâtir, par du travail à la tâche. L’IA ne propose que de remplacer les travailleurs de la création par des « babysitters de machines synthétiques »

L’automatisation et la lutte contre l’automatisation par les travailleurs n’est pas nouvelle, rappellent les chercheuses. L’innovation technologique a toujours promis de rendre le travail plus facile et plus simple en augmentant la productivité. Mais ces promesses ne sont que « des fictions dont la fonction ne consiste qu’à vendre de la technologie. L’automatisation a toujours fait partie d’une stratégie plus vaste visant à transférer les coûts sur les travailleurs et à accumuler des richesses pour ceux qui contrôlent les machines. » 

Ceux qui s’opposent à l’automatisation ne sont pas de simples Luddites qui refuseraient le progrès (ceux-ci d’ailleurs n’étaient pas opposés à la technologie et à l’innovation, comme on les présente trop souvent, mais bien plus opposés à la façon dont les propriétaires d’usines utilisaient la technologie pour les transformer, d’artisans en ouvriers, avec des salaires de misères, pour produire des produits de moins bonnes qualités et imposer des conditions de travail punitives, comme l’expliquent Brian Merchant dans son livre, Blood in the Machine ou Gavin Mueller dans Breaking things at work. L’introduction des machines dans le secteur de la confection au début du XIXe siècle au Royaume-Uni a réduit le besoin de travailleurs de 75%. Ceux qui sont entrés dans l’industrie ont été confrontés à des conditions de travail épouvantables où les blessures étaient monnaie courantes. Les Luddites étaient bien plus opposés aux conditions de travail de contrôle et de coercition qui se mettaient en place qu’opposés au déploiement des machines), mais d’abord des gens concernés par la dégradation de leur santé, de leur travail et de leur mode de vie. 

L’automatisation pourtant va surtout exploser avec le 20e siècle, notamment dans l’industrie automobile. Chez Ford, elle devient très tôt une stratégie. Si l’on se souvient de Ford pour avoir offert de bonnes conditions de rémunération à ses employés (afin qu’ils puissent s’acheter les voitures qu’ils produisaient), il faut rappeler que les conditions de travail étaient tout autant épouvantables et punitives que dans les usines de la confection du début du XIXe siècle. L’automatisation a toujours été associée à la fois au chômage et au surtravail, rappellent les chercheuses. Les machines de minage, introduites dès les années 50 dans les mines, permettaient d’employer 3 fois moins de personnes et étaient particulièrement meurtrières. Aujourd’hui, la surveillance qu’Amazon produit dans ses entrepôts vise à contrôler la vitesse d’exécution et cause elle aussi blessures et stress. L’IA n’est que la poursuite de cette longue tradition de l’industrie à chercher des moyens pour remplacer le travail par des machines, renforcer les contraintes et dégrader les conditions de travail au nom de la productivité

D’ailleurs, rappellent les chercheuses, quatre mois après la sortie de ChatGPT, les chercheurs d’OpenAI ont publié un rapport assez peu fiable sur l’impact du chatbot sur le marché du travail. Mais OpenAI, comme tous les grands automatiseurs, a vu très tôt son intérêt à promouvoir l’automatisation comme un job killer. C’est le cas également des cabinets de conseils qui vendent aux entreprises des modalités pour réaliser des économies et améliorer les profits, et qui ont également produit des rapports en ce sens. Le remplacement par la technologie est un mythe persistant qui n’a pas besoin d’être réel pour avoir des impacts

Plus qu’un remplacement par l’IA, cette technologie propose d’abord de dégrader nos conditions de travail. Les scénaristes sont payés moins chers pour réécrire un script que pour en écrire un, tout comme les traducteurs sont payés moins chers pour traduire ce qui a été prémâché par l’IA. Pas étonnant alors que de nombreux collectifs s’opposent à leurs déploiements, à l’image des actions du collectif Safe Street Rebel de San Francisco contre les robots taxis et des attaques (récurrentes) contre les voitures autonomes. Les frustrations se nourrissent des « choses dont nous n’avons pas besoin qui remplissent nos rues, comme des contenus que nous ne voulons pas qui remplissent le web, comme des outils de travail qui s’imposent à nous alors qu’ils ne fonctionnent pas ». Les exemples sont nombreux, à l’image des travailleurs de l’association américaine de lutte contre les désordres alimentaires qui ont été remplacés, un temps, par un chatbot, deux semaines après s’être syndiqués. Un chatbot qui a dû être rapidement retiré, puisqu’il conseillait n’importe quoi à ceux qui tentaient de trouver de l’aide. « Tenter de remplacer le travail par des systèmes d’IA ne consiste pas à faire plus avec moins, mais juste moins pour plus de préjudices » – et plus de bénéfices pour leurs promoteurs. Dans la mode, les mannequins virtuels permettent de créer un semblant de diversité, alors qu’en réalité, ils réduisent les opportunités des mannequins issus de la diversité. 

Babysitter les IA : l’exploitation est la norme

Dans cette perspective, le travail avec l’IA consiste de plus en plus à corriger leurs erreurs, à nettoyer, à être les babysitters de l’IA. Des babysitters de plus en plus invisibilisés. Les robotaxis autonomes de Cruise sont monitorés et contrôlés à distance. Tous les outils d’IA ont recours à un travail caché, invisible, externalisé. Et ce dès l’origine, puisqu’ImageNet, le projet fondateur de l’IA qui consistait à labelliser des images pour servir à l’entraînement des machines n’aurait pas été possible sans l’usage du service Mechanical Turk d’Amazon. 50 000 travailleurs depuis 167 pays ont été mobilisés pour créer le dataset qui a permis à l’IA de décoller. « Le modèle d’ImageNet consistant à exploiter des travailleurs à la tâche tout autour du monde est devenue une norme industrielle du secteur« . Aujourd’hui encore, le recours aux travailleurs du clic est persistant, notamment pour la correction des IA. Et les industries de l’IA profitent d’abord et avant tout l’absence de protection des travailleurs qu’ils exploitent

Pas étonnant donc que les travailleurs tentent de répondre et de s’organiser, à l’image des scénaristes et des acteurs d’Hollywood et de leur 148 jours de grève. Mais toutes les professions ne sont pas aussi bien organisées. D’autres tentent d’autres méthodes, comme les outils des artistes visuels, Glaze et Nightshade, pour protéger leurs créations. Les travailleurs du clics eux aussi s’organisent, par exemple via l’African Content Moderators Union. 

“Quand les services publics se tournent vers des solutions automatisées, c’est bien plus pour se décharger de leurs responsabilités que pour améliorer leurs réponses”

L’escroquerie de l’IA se développe également dans les services sociaux. Sous prétexte d’austérité, les solutions automatisées sont partout envisagées comme « la seule voie à suivre pour les services gouvernementaux à court d’argent ». L’accès aux services sociaux est remplacé par des « contrefaçons bon marchés » pour ceux qui ne peuvent pas se payer les services de vrais professionnels. Ce qui est surtout un moyen d’élargir les inégalités au détriment de ceux qui sont déjà marginalisés. Bien sûr, les auteurs font référence ici à des sources que nous avons déjà mobilisés, notamment Virginia Eubanks. « L’automatisation dans le domaine du social au nom de l’efficacité ne rend les autorités efficaces que pour nuire aux plus démunis« . C’est par exemple le cas de la détention préventive. En 2024, 500 000 américains sont en prison parce qu’ils ne peuvent pas payer leurs cautions. Pour remédier à cela, plusieurs Etats ont recours à des solutions algorithmiques pour évaluer le risque de récidive sans résoudre le problème, au contraire, puisque ces calculs ont surtout servi à accabler les plus démunis. A nouveau, « l’automatisation partout vise bien plus à abdiquer la gouvernance qu’à l’améliorer »

“De partout, quand les services publics se tournent vers des solutions automatisées, c’est bien plus pour se décharger de leurs responsabilités que pour améliorer leurs réponses”, constatent, désabusées, Bender et Hanna. Et ce n’est pas qu’une caractéristique des autorités républicaines, se lamentent les chercheuses. Gavin Newsom, le gouverneur démocrate de la Californie démultiplie les projets d’IA générative, par exemple pour adresser le problème des populations sans domiciles afin de mieux identifier la disponibilité des refuges« Les machines à extruder du texte pourtant, ne savent que faire cela, pas extruder des abris ». De partout d’ailleurs, toutes les autorités publiques ont des projets de développement de chatbots et des projets de systèmes d’IA pour résoudre les problèmes de société. Les autorités oublient que ce qui affecte la santé, la vie et la liberté des gens nécessite des réponses politiques, pas des artifices artificiels.

Les deux chercheuses multiplient les exemples d’outils défaillants… dans un inventaire sans fin. Pourtant, rappellent-elles, la confiance dans ces outils reposent sur la qualité de leur évaluation. Celle-ci est pourtant de plus en plus le parent pauvre de ces outils, comme le regrettaient Sayash Kapoor et Arvind Narayanan dans leur livre. En fait, l’évaluation elle-même est restée déficiente, rappellent Hanna et Bender. Les tests sont partiels, biaisés par les données d’entraînements qui sont rarement représentatives. Les outils d’évaluation de la transcription automatique par exemple reposent sur le taux de mots erronés, mais comptent tout mots comme étant équivalent, alors que certains peuvent être bien plus importants que d’autres en contexte, par exemple, l’adresse est une donnée très importante quand on appelle un service d’urgence, or, c’est là que les erreurs sont les plus fortes

« L’IA n’est qu’un pauvre facsimilé de l’Etat providence »

Depuis l’arrivée de l’IA générative, l’évaluation semble même avoir déraillé (voir notre article « De la difficulté à évaluer l’IA »). Désormais, ils deviennent des concours (par exemple en tentant de les classer selon leur réponses à des tests de QI) et des outils de classements pour eux-mêmes, comme s’en inquiétaient déjà les chercheuses dans un article de recherche. La capacité des modèles d’IA générative à performer aux évaluations tient d’un effet Hans le malin, du nom du cheval qui avait appris à décoder les signes de son maître pour faire croire qu’il était capable de compter. On fait passer des tests qu’on propose aux professionnels pour évaluer ces systèmes d’IA, alors qu’ils ne sont pas faits pour eux et qu’ils n’évaluent pas tout ce qu’on regarde au-delà des tests pour ces professions, comme la créativité, le soin aux autres. Malgré les innombrables défaillances d’outils dans le domaine de la santé (on se souvient des algorithmes défaillants de l’assureur UnitedHealth qui produisait des refus de soins deux fois plus élevés que ses concurrents ou ceux d’Epic Systems ou d’autres encore pour allouer des soins, dénoncés par l’association nationale des infirmières…), cela n’empêche pas les outils de proliférer. Amazon avec One Medical explore le triage de patients en utilisant des chatbots, Hippocratic AI lève des centaines de millions de dollars pour produire d’épouvantables chatbots spécialisés. Et ne parlons pas des chatbots utilisés comme psy et coach personnels, aussi inappropriés que l’était Eliza il y a 55 ans… Le fait de pousser l’IA dans la santé n’a pas d’autres buts que de dégrader les conditions de travail des professionnels et d’élargir le fossé entre ceux qui seront capables de payer pour obtenir des soins et les autres qui seront laissés aux « contrefaçons électroniques bon marchés ». Les chercheuses font le même constat dans le développement de l’IA dans le domaine scolaire, où, pour contrer la généralisation de l’usage des outils par les élèves, les institutions investissent dans des outils de détection défaillants qui visent à surveiller et punir les élèves plutôt que les aider, et qui punissent plus fortement les étudiants en difficultés. D’un côté, les outils promettent aux élèves d’étendre leur créativité, de l’autre, ils sont surtout utilisés pour renforcer la surveillance. « Les étudiants n’ont pourtant pas besoin de plus de technologie. Ils ont besoin de plus de professeurs, de meilleurs équipements et de plus d’équipes supports ». Confrontés à l’IA générative, le secteur a du mal à s’adapter expliquait Taylor Swaak pour le Chronicle of Higher Education (voir notre récent dossier sur le sujet). Dans ce secteur comme dans tous les autres, l’IA est surtout vue comme un moyen de réduire les coûts. C’est oublier que l’école est là pour accompagner les élèves, pour apprendre à travailler et que c’est un apprentissage qui prend du temps. L’IA est finalement bien plus le symptôme des problèmes de l’école qu’une solution. Elle n’aidera pas à mieux payer les enseignants ou à convaincre les élèves de travailler… 

Dans le social, la santé ou l’éducation, le développement de l’IA est obnubilé par l’efficacité organisationnelle : tout l’enjeu est de faire plus avec moins. L’IA est la solution de remplacement bon marché. « L’IA n’est qu’un pauvre facsimilé de l’Etat providence ». « Elle propose à tous ce que les techs barons ne voudraient pas pour eux-mêmes ». « Les machines qui produisent du texte synthétique ne combleront pas les lacunes de la fabrique du social »

On pourrait généraliser le constat que nous faisions avec Clearview : l’investissement dans ces outils est un levier d’investissement idéologique qui vise à créer des outils pour contourner et réduire l’État providence, modifier les modèles économiques et politiques. 

L’IA, une machine à produire des dommages sociaux

« Nous habitons un écosystème d’information qui consiste à établir des relations de confiance entre des publications et leurs lecteurs. Quand les textes synthétiques se déversent dans cet écosystème, c’est une forme de pollution qui endommage les relations comme la confiance ». Or l’IA promet de faire de l’art bon marché. Ce sont des outils de démocratisation de la créativité, explique par exemple le fondateur de Stability AI, Emad Mostaque. La vérité n’est pourtant pas celle-ci. L’artiste Karla Ortiz, qui a travaillé pour Marvel ou Industrial Light and Magic, expliquait qu’elle a très tôt perdu des revenus du fait de la concurrence initiée par l’IA. Là encore, les systèmes de génération d’image sont déployés pour perturber le modèle économique existant permettant à des gens de faire carrière de leur art. Tous les domaines de la création sont en train d’être déstabilisés. Les “livres extrudés” se démultiplient pour tenter de concurrencer ceux d’auteurs existants ou tromper les acheteurs. Dire que l’IA peut faire de l’art, c’est pourtant mal comprendre que l’art porte toujours une intention que les générateurs ne peuvent apporter. L’art sous IA est asocial, explique la sociologue Jennifer Lena. Quand la pratique artistique est une activité sociale, forte de ses pratiques éthiques comme la citation scientifique. La génération d’images, elle, est surtout une génération de travail dérivé qui copie et plagie l’existant. L’argument génératif semble surtout sonner creux, tant les productions sont souvent identiques aux données depuis lesquelles les textes et images sont formés, soulignent Bender et Hanna. Le projet Galactica de Meta, soutenu par Yann Le Cun lui-même, qui promettait de synthétiser la littérature scientifique et d’en produire, a rapidement été dépublié. « Avec les LLM, la situation est pire que le garbage in/garbage out que l’on connaît” (c’est-à-dire, le fait que si les données d’entrées sont mauvaises, les résultats de sortie le seront aussi). Les LLM produisent du « papier-mâché des données d’entraînement, les écrasant et remixant dans de nouvelles formes qui ne savent pas préserver l’intention des données originelles”. Les promesses de l’IA pour la science répètent qu’elle va pouvoir accélérer la science. C’était l’objectif du grand défi, lancé en 2016 par le chercheur de chez Sony, Hiroaki Kitano : concevoir un système d’IA pour faire des découvertes majeures dans les sciences biomédicales (le grand challenge a été renommé, en 2021, le Nobel Turing Challenge). Là encore, le défi a fait long feu. « Nous ne pouvons déléguer la science, car la science n’est pas seulement une collection de réponses. C’est d’abord un ensemble de processus et de savoirs ». Or, pour les thuriféraires de l’IA, la connaissance scientifique ne serait qu’un empilement, qu’une collection de faits empiriques qui seraient découverts uniquement via des procédés techniques à raffiner. Cette fausse compréhension de la science ne la voit jamais comme l’activité humaine et sociale qu’elle est avant tout. Comme dans l’art, les promoteurs de l’IA ne voient la science que comme des idées, jamais comme une communauté de pratique. 

Cette vision de la science explique qu’elle devienne une source de solutions pour résoudre les problèmes sociaux et politiques, dominée par la science informatique, en passe de devenir l’autorité scientifique ultime, le principe organisateur de la science. La surutilisation de l’IA en science risque pourtant bien plus de rendre la science moins innovante et plus vulnérable aux erreurs, estiment les chercheuses. « La prolifération des outils d’IA en science risque d’introduire une phase de recherche scientifique où nous produisons plus, mais comprenons moins« , expliquaient dans Nature Lisa Messeri et M. J. Crockett (sans compter le risque de voir les compétences diminuer, comme le soulignait une récente étude sur la difficulté des spécialistes de l’imagerie médicale à détecter des problèmes sans assistance). L’IA propose surtout un point de vue non situé, une vue depuis nulle part, comme le dénonçait Donna Haraway : elle repose sur l’idée qu’il y aurait une connaissance objective indépendante de l’expérience. « L’IA pour la science nous fait croire que l’on peut trouver des solutions en limitant nos regards à ce qui est éclairé par la lumière des centres de données ». Or, ce qui explique le développement de l’IA scientifique n’est pas la science, mais le capital-risque et les big-tech. L’IA rend surtout les publications scientifiques moins fiables. Bien sûr, cela ne signifie pas qu’il faut rejeter en bloc l’automatisation des instruments scientifiques, mais l’usage généralisé de l’IA risque d’amener plus de risques que de bienfaits.  

Mêmes constats dans le monde de la presse, où les chercheuses dénoncent la prolifération de « moulins à contenus”, où l’automatisation fait des ravages dans un secteur déjà en grande difficulté économique. L’introduction de l’IA dans les domaines des arts, de la science ou du journalisme constitue une même cible de choix qui permet aux promoteurs de l’IA de faire croire en l’intelligence de leurs services. Pourtant, leurs productions ne sont pas des preuves de la créativité de ces machines. Sans la créativité des travailleurs qui produisent l’art, la science et le journalisme qui alimentent ces machines, ces machines ne sauraient rien produire. Les contenus synthétiques sont tous basés sur le vol de données et l’exploitation du travail d’autrui. Et l’utilisation de l’IA générative produit d’abord des dommages sociaux dans ces secteurs. 

Le risque de l’IA, mais lequel et pour qui ?

Le dernier chapitre du livre revient sur les doomers et les boosters, en renvoyant dos à dos ceux qui pensent que le développement de l’IA est dangereux et les accélérationnistes qui pensent que le développement de l’IA permettra de sauver l’humanité. Pour les uns comme pour les autres, les machines sont la prochaine étape de l’évolution. Ces visions apocalyptiques ont produit un champ de recherche dédié, appelé l’AI Safety. Mais, contrairement à ce qu’il laisse entendre, ce champ disciplinaire ne vient pas de l’ingénierie de la sécurité et ne s’intéresse pas vraiment aux dommages que l’IA engendre depuis ses biais et défaillances. C’est un domaine de recherche centré sur les risques existentiels de l’IA qui dispose déjà d’innombrables centres de recherches dédiés. 

Pour éviter que l’IA ne devienne immaîtrisable, beaucoup estiment qu’elle devrait être alignée avec les normes et valeurs humaines. Cette question de l’alignement est considérée comme le Graal de la sécurité pour ceux qui oeuvrent au développement d’une IA superintelligente (OpenAI avait annoncé travailler en 2023 à une superintelligence avec une équipe dédié au « super-alignement », mais l’entreprise à dissous son équipe moins d’un an après son annonce. Ilya Sutskever, qui pilotait l’équipe, a lancé depuis Safe Superintelligence Inc). Derrière l’idée de l’alignement, repose d’abord l’idée que le développement de l’IA serait inévitable. Rien n’est moins sûr, rappellent les chercheuses. La plupart des gens sur la planète n’ont pas besoin d’IA. Et le développement d’outils d’automatisation de masse n’est pas socialement désirable. « Ces technologies servent d’abord à centraliser le pouvoir, à amasser des données, à générer du profit, plutôt qu’à fournir des technologies qui soient socialement bénéfiques à tous ». L’autre problème, c’est que l’alignement de l’IA sur les « valeurs humaines » peine à les définir. Les droits et libertés ne sont des concepts qui ne sont ni universels ni homogènes dans le temps et l’espace. La déclaration des droits de l’homme elle-même s’est longtemps accomodé de l’esclavage. Avec quelles valeurs humaines les outils d’IA s’alignent-ils quand ils sont utilisés pour armer des robots tueurs, pour la militarisation des frontières ou la traque des migrants ?, ironisent avec pertinence Bender et Hanna. 

Pour les tenants du risque existentiel de l’IA, les risques existentiels dont il faudrait se prémunir sont avant tout ceux qui menacent la prospérité des riches occidentaux qui déploient l’IA, ironisent-elles encore. Enfin, rappellent les chercheuses, les scientifiques qui travaillent à pointer les risques réels et actuels de l’IA et ceux qui œuvrent à prévenir les risques existentiels ne travaillent pas à la même chose. Les premiers sont entièrement concernés par les enjeux sociaux, raciaux, dénoncent les violences et les inégalités, quand les seconds ne dénoncent que des risques hypothétiques. Les deux champs scientifiques ne se recoupent ni ne se citent entre eux. 

Derrière la fausse guerre entre doomers et boomers, les uns se cachent avec les autres. Pour les uns comme pour les autres, le capitalisme est la seule solution aux maux de la société. Les uns comme les autres voient l’IA comme inévitable et désirable parce qu’elle leur promet des marchés sans entraves. Pourtant, rappellent les chercheuses, le danger n’est pas celui d’une IA qui nous exterminerait. Le danger, bien présent, est celui d’une spéculation financière sans limite, d’une dégradation de la confiance dans les médias à laquelle l’IA participe activement, la normalisation du vol de données et de leur exploitation et le renforcement de systèmes imaginés pour punir les plus démunis. Doomers et boosters devraient surtout être ignorés, s’ils n’étaient pas si riches et si influents. L’emphase sur les risques existentiels détournent les autorités des régulations qu’elles devraient produire.

Pour répondre aux défis de la modernité, nous n’avons pas besoin de générateur de textes, mais de gens, de volonté politique et de ressources, concluent les chercheuses. Nous devons collectivement façonner l’innovation pour qu’elle bénéficie à tous plutôt qu’elle n’enrichisse certains. Pour résister à la hype de l’IA, nous devons poser de meilleures questions sur les systèmes qui se déploient. D’où viennent les données ? Qu’est-ce qui est vraiment automatisé ? Nous devrions refuser de les anthropomorphismer : il ne peut y avoir d’infirmière ou de prof IA. Nous devrions exiger de bien meilleures évaluations des systèmes. ShotSpotter, le système vendu aux municipalités américaines pour détecter automatiquement le son des coups de feux, était annoncé avec un taux de performance de 97% (et un taux de faux positif de 0,5% – et c’est encore le cas dans sa FAQ). En réalité, les audits réalisés à Chicago et New York ont montré que 87 à 91% des alertes du systèmes étaient de fausses alertes ! Nous devons savoir qui bénéficie de ces technologies, qui en souffre. Quels recours sont disponibles et est-ce que le service de plainte est fonctionnel pour y répondre ? 

Face à l’IA, nous devons avoir aucune confiance

Pour les deux chercheuses, la résistance à l’IA passe d’abord et avant tout par luttes collectives. C’est à chacun et à tous de boycotter ces produits, de nous moquer de ceux qui les utilisent. C’est à nous de rendre l’usage des médias synthétiques pour ce qu’ils sont : inutiles et ringards. Pour les deux chercheuses, la résistance à ces déploiements est essentielle, tant les géants de l’IA sont en train de l’imposer, par exemple dans notre rapport à l’information, mais également dans tous leurs outils. C’est à nous de refuser « l’apparente commodité des réponses des chatbots ». C’est à nous d’oeuvrer pour renforcer la régulation de l’IA, comme les lois qui protègent les droits des travailleurs, qui limitent la surveillance. 

Emily Bender et Alex Hanna plaident pour une confiance zéro à l’encontre de ceux qui déploient des outils d’IA. Ces principes établis par l’AI Now Institute, Accountable Tech et l’Electronic Privacy Information Center, reposent sur 3 leviers : renforcer les lois existantes, établir des lignes rouges sur les usages inacceptables de l’IA et exiger des entreprises d’IA qu’elles produisent les preuves que leurs produits sont sans dangers. 

Mais la régulation n’est hélas pas à l’ordre du jour. Les thuriféraires de l’IA défendent une innovation sans plus aucune entrave afin que rien n’empêche leur capacité à accumuler puissance et fortune. Pour améliorer la régulation, nous avons besoin d’une plus grande transparence, car il n’y aura pas de responsabilité sans elle, soulignent les chercheuses. Nous devons avoir également une transparence sur l’automatisation à l’œuvre, c’est-à-dire que nous devons savoir quand nous interagissons avec un système, quand un texte a été traduit automatiquement. Nous avons le droit de savoir quand nous sommes les sujets soumis aux résultats de l’automatisation. Enfin, nous devons déplacer la responsabilité sur les systèmes eux-mêmes et tout le long de la chaîne de production de l’IA. Les entreprises de l’IA doivent être responsables des données, du travail qu’elles réalisent sur celles-ci, des modèles qu’elles développent et des évaluations. Enfin, il faut améliorer les recours, le droit des données et la minimisation. En entraînant leurs modèles sur toutes les données disponibles, les entreprises de l’IA ont renforcé la nécessité d’augmenter les droits des gens sur leurs données. Enfin, elles plaident pour renforcer les protections du travail en donnant plus de contrôle aux travailleurs sur les outils qui sont déployés et renforcer le droit syndical. Nous devons œuvrer à des « technologies socialement situées », des outils spécifiques plutôt que des outils qui sauraient tout faire. Les applications devraient bien plus respecter les droits des usagers et par exemple ne pas autoriser la collecte de leurs données. Nous devrions enfin défendre un droit à ne pas être évalué par les machines. Comme le dit Ruha Benjamin, en défendant la Justice virale (Princeton University Press, 2022), nous devrions œuvrer à “un monde où la justice est irrésistible”, où rien ne devrait pouvoir se faire pour les gens sans les gens. Nous avons le pouvoir de dire non. Nous devrions refuser la reconnaissance faciale et émotionnelle, car, comme le dit Sarah Hamid du réseau de résistance aux technologies carcérales, au-delà des biais, les technologies sont racistes parce qu’on le leur demande. Nous devons les refuser, comme l’Algorithmic Justice League recommande aux voyageurs de refuser de passer les scanneurs de la reconnaissance faciale

Bender et Hanna nous invitent à activement résister à la hype. A réaffirmer notre valeur, nos compétences et nos expertises sur celles des machines. Les deux chercheuses ne tiennent pas un propos révolutionnaire pourtant. Elles ne livrent qu’une synthèse, riche, informée. Elles ne nous invitent qu’à activer la résistance que nous devrions naturellement activer, mais qui semble être devenue étrangement radicale ou audacieuse face aux déploiements omnipotents de l’IA.  

Hubert Guillaud

  • ✇Alexandre Dumas, historien québécois
  • Le rapport Pelchat-Rousseau: Une imposture intellectuelle
    J’ai lu le rapport intitulé « Pour une laïcité québécoise encore plus cohérente: Bilan et perspectives » produit par le Comité d’étude sur le respect de la Loi sur la laïcité de l’État et sur les influences religieuses. Je l’ai lu comme un travail d’étudiant que je corrigerais. Et je ne suis pas impressionné. Un gouvernement met sur pied un comité pour étudier une problématique dans deux situations:a) Il fait face à une situation inédite et il est nécessaire de bien l’étudier avant de réagir.
     

Le rapport Pelchat-Rousseau: Une imposture intellectuelle

28 août 2025 à 06:49

J’ai lu le rapport intitulé « Pour une laïcité québécoise encore plus cohérente: Bilan et perspectives » produit par le Comité d’étude sur le respect de la Loi sur la laïcité de l’État et sur les influences religieuses. Je l’ai lu comme un travail d’étudiant que je corrigerais. Et je ne suis pas impressionné.

Un gouvernement met sur pied un comité pour étudier une problématique dans deux situations:
a) Il fait face à une situation inédite et il est nécessaire de bien l’étudier avant de réagir.
b) Il sait exactement ce qu’il veut faire, mais veut qu’une autorité « indépendante » confirme que sa solution est la bonne afin de bien paraître dans l’opinion publique et médiatique.
Clairement, ce comité entre dans la catégorie B. Le gouvernement parle depuis près d’un an de renforcer la loi sur la laïcité pour nous faire oublier ses nombreux échecs, notamment dans le domaine de l’éducation. Ce rapport vise à lui donner une légitimité.

Christiane Pelchat et Guillaume Rousseau, les deux auteurs du rapport

Un rapport ouvertement militant
Guillaume Rousseau a conseillé Simon Jolin-Barrette pour l’élaboration de la loi 21 et défend présentement la loi en Cour suprême. Pour rappel, Me Rousseau est cet avocat qui nous disait au printemps dernier que reconnaître les familles pluriparentales allait conduire à la légalisation de la polygamie. Christiane Pelchat est l’avocate de PDF-Québec, qui demande d’étendre l’interdiction du port de signes religieux au personnel de la santé, aux élèves et même aux enfants en CPE. Faut-il s’étonner que leur rapport recommande d’aller encore plus loin dans l’application d’une « laïcité » implacable? Les conclusions étaient décidées d’avance.

Il ne s’agit pas d’un rapport d’enquête, mais d’un rapport militant. Pelchat et Rousseau n’ont fait aucun effort pour donner une apparence de neutralité (ce qui est particulièrement ironique) à ce document de 288 pages. Ainsi, tolérer le port de signes religieux par les éducatrices en garderie relève selon le rapport d’une « vision multiculturaliste ». Il n’y a donc aucun juste milieu, aucun compromis entre la stricte laïcité à la française et la liberté individuelle totale. C’est l’un ou c’est l’autre.

L’expression « doctrine des accommodements pour un motif religieux » est employée une dizaine de fois. On critique aussi la « doctrine multiculturaliste ». Doctrine. Ce choix de mot n’est pas innocent dans un contexte où on parle de religion. L’objectif est évidemment de présenter les critiques de la loi 21 comme des dogmatiques défendant une idéologie là où ses défenseurs seraient neutres et appuyés par la science. Or, ce rapport est tout sauf scientifique.

Une sélection minutieuse des données
En introduction, Pelchat et Rousseau nous disent que six ans après l’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État, « le bilan est positif ». Sur quoi se base cette affirmation? Sur l’opinion des personnes qui réclamaient l’adoption de la loi 21 et demandent aujourd’hui d’aller plus loin.

Quarante mémoires ont été déposés. Le rapport prétend « proposer une synthèse ». Or, la disproportion des avis retenus est flagrante. Sept mémoires sont cités cinq fois et plus dans le rapport. Sept ne sont pas cités une seule fois.

Les mémoires cités le plus souvent sont tous favorables à la loi 21 et recommandent de la renforcer. La palme revient au Mouvement laïque québécois (MLQ), cité 14 fois. Ce mémoire recommande notamment d’interdire le port de signes religieux pour toute la fonction publique ainsi que pour les élèves. Ces sept mémoires cités régulièrement dans le rapport rivalisent d’inventivité pour rendre la loi plus coercitive. Le Rassemblement pour la laïcité recommande que les bienfaits de la laïcité soient enseignés pendant toute la durée du parcours scolaire (et on accuse les éducatrices portant un voile de faire de l’endoctrinement?). Droits collectifs Québec demande d’interdire les affiches et les publicités gouvernementales montrant des « représentations humaines » portant un signe religieux. Voici donc à qui nos deux « experts » ont choisi de donner la parole.

Les critiques de la loi 21 ne sont pas nuancées ou minimisées: elles ont été mises de côté. Le mémoire le plus éloquent à ce sujet, celui de la Ligue des droits et libertés, présente une bibliographie sélective des études sur l’impact de la loi 21 (articles scientifiques, livres, mémoires de maîtrise, sondages etc.) ainsi que les témoignages de quatre femmes musulmanes dont la vie professionnelle a été touchée de façon négative par la loi. Ce mémoire n’est pas cité une seule fois dans le rapport. En revanche, le rapport cite plusieurs mémoires mentionnant des cas observés ici et là de comportements problématiques de la part d’enseignants ou d’éducatrices visiblement influencées par la religion. Six autres mémoires ne sont pas cités une seule fois, dont celui de la Confédération des syndicats nationaux, qui défend le personnel scolaire touché par le projet de loi 94.

Dans d’autres cas, les mémoires sont cités, mais Pelchat et Rousseau ont minutieusement sélectionné les passages qui servent leur agenda. Tout ce qui les contredit est ignoré ou balayé d’un revers de main.

Le mémoire du professeur de sociologie Rachad Antonius est intitulé « Loi sur la laïcité: un excès de zèle contreproductif ». Comme le titre le laisse entendre, le mémoire relativise la « menace » que l’islam fait peser sur le Québec et recommande des compromis sur la question de la laïcité. Le seul passage de son mémoire à être mentionné est le point où il appuie l’interdiction du niqab pour le personnel et pour les élèves des établissements scolaires. (p. 162) Ainsi, un critique de la loi 21 se retrouve présenté en renfort pour son renforcement.

Exemple encore plus douteux: Le mémoire du Conseil canadien des femmes musulmanes critique la loi 21 parce qu’elle limite les possibilités d’emploi pour plusieurs femmes et demande pour cette raison de ne pas étendre la loi aux éducatrices en service de garde ou en garderie. Les rédactrices ont colligé plusieurs témoignages pour montrer que le port du voile par les éducatrices n’a pas d’impact sur les enfants. Pelchat et Rousseau ont pigé quelques lignes de ce mémoire de 28 pages pour montrer que le port du voile « induit des comportements chez les jeunes enfants », donnant l’exemple de petites filles qui portent un foulard pour se déguiser. (p. 157) Même chez nos critiques, on peut trouver des arguments, surtout quand on les cite hors contexte.

Énoncés flous et ambigus
Le rapport nous dit que telle association croit que les éducatrices en CPE ne devraient pas porter de signe religieux. Que tel individu croit que les prières en publique devraient être interdites. Très bien. Mais quelle valeur accorder à ces opinions (car il ne s’agit que de ça) si on ne donne pas la parole aux personnes qui ont un avis contraire? L’objectif du rapport est-il simplement de montrer que plusieurs personnes sont d’accord avec la CAQ, Pelchat et Rousseau?

« Plusieurs » est d’ailleurs un terme qui revient trop souvent dans ce rapport.
« Plusieurs mémoires demandent à l’État de cesser d’accorder des accommodements pour un motif religieux qui discrimine les femmes. » (p. 136)
« Plusieurs des mémoires nous ayant été transmis demandent que le gouvernement étende l’application de l’interdiction du port des signes religieux aux services à l’enfance. » (p. 155)
« Afin de remédier à cette situation, plusieurs mémoires soumis au comité, dont (…), ont soulevé l’idée de doter le Québec d’un organisme indépendant ayant pour mission de veiller au respect de la laïcité de l’État. » (p. 166)
« Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que plusieurs mémoires soumis au Comité proposent d’abolir la doctrine des accommodements pour un motif religieux. » (p. 204)
Plusieurs. Ça veut dire combien, plusieurs? Cinq? Douze? Vingt-huit? Si je me fie aux énumérations qui suivent et aux notes en bas de page, « plusieurs » signifie trois. Trois sur quarante, ce n’est pas ce que j’appelle plusieurs. Mais évidemment, « plusieurs » paraît beaucoup mieux que 3/40 ou 7.5%.

Le flou est volontairement entretenu tout au long du rapport. Exemple: « Comme l’a relevé une dirigeante de services éducatifs à l’enfance rencontrée
lors de nos travaux, certaines des éducatrices et éducateurs en services de garde éducatifs à l’enfance ont adopté des approches et des conduites contraires aux principes sur lesquels repose la laïcité de l’État du Québec. » (p. 99) Certaines des éducatrices? Certaines comme dans deux ou comme dans trente-huit? Quelles sont ces approches et conduites contraires aux principes de la laïcité? Au lecteur d’imaginer la réponse.

Le tri des études
À lire le rapport, on pourrait croire que personne n’avait encore eu l’idée d’étudier l’impact de la loi 21 sur la société québécoise. On peut lire en conclusion: « Cet exercice a produit un ensemble de données factuelles riches dans un domaine encore relativement peu exploré. Nous sommes persuadés que les informations ainsi collectées pourront servir à mieux comprendre les besoins pour améliorer la compréhension et l’intégration de la laïcité au sein de l’appareil étatique. » (p. 219)
Si Pelchat et Rousseau considèrent que le domaine est « relativement peu exploré », c’est parce qu’il n’a pas été exploré dans l’orientation politique désirée. Les recherches existantes ont simplement été ignorées.

Le mémoire de maîtrise d’Hana Zayani sur le racisme vécu par les mères maghrébines dans le système d’éducation depuis l’adoption de la loi 21? Pas mentionné.
Le rapport de recherche de Miriam Taylor sur les perceptions négatives à l’endroit des minorités religieuses depuis l’adoption de la loi 21? Pas mentionné.
Le mémoire de maîtrise d’Ali Adam sur les tensions et l’anxiété vécues par les enseignantes bénéficiant de la clause de droits acquis depuis l’adoption de la loi 21? Pas mentionné.
Je pourrais continuer longtemps. Retenons simplement que Pelchat et Rousseau n’ont même pas tenté de profiter des recherches déjà menées sur l’impact de la loi 21. Visiblement parce que ces recherches auraient contredit leurs conclusions.

En revanche, les travaux du professeur Bertrand Lavoie, qui recommande un encadrement plus clair de la pratique des accommodements pour motifs religieux, sont cités. Le livre de Christelle Landheer-Cieslak et Mathilde Philip, qui présente la laïcité comme le fondement d’une « citoyenneté universelle », est également mentionné. Des textes de Normand Baillargeon, ancien professeur en sciences de l’éducation, mais aussi militant athée, sont cités. Pelchat et Rousseau ont pigé dans la littérature scientifique avec une précision chirurgicale afin d’en sortir uniquement ce qui pouvait servir leur thèse. Ce n’est pas de cette façon qu’on fait une démonstration. Pelchat et Rousseau poussent l’insolence jusqu’à citer leurs propres écrits (p. 37, 59 et 71). Si mes étudiants au baccalauréat me présentaient une dissertation suivant cette méthode, je leur demanderais de recommencer.

Conclusion
Je reconnais au rapport le mérite de ne pas tenter de nous convaincre que l’école Bedford est la nouvelle norme dans les écoles montréalaises ou que Montréal « s’islamise ». Dans ses entrevues avec les journalistes, Christiane Pelchat a reconnu qu’il n’y a pas de raison de croire qu’il y a de l’entrisme religieux dans d’autres écoles. Mais alors, pourquoi est-il nécessaire de renforcer la loi sur la laïcité? Pelchat et Rousseau concluent leur rapport en nous prévenant que sans la loi sur la laïcité, le Québec serait « un État perméable et ouvert aux influences religieuses ». Ce qui est commode avec cette conclusion, c’est qu’on ne peut ni la confirmer, ni l’infirmer. Comment prouver que le Québec n’aurait pas été réduit en cendres sans la loi 21 ou qu’une calamité nous attend si on laisse les éducatrices en CPE porter leur voile? Impossible. On s’appuie uniquement sur les peurs irrationnelles qui ont eu bien des occasions de se manifester depuis la crise des accommodements raisonnables en 2006-2008.

La question que j’aimerais poser à Pelchat et Rousseau: Si vous êtes réellement convaincus de la validité de vos positions, pourquoi n’avez-vous pas tenté de les défendre honnêtement? Quand on a confiance en ses positions, on ne craint pas les contre-arguments. On les présente et on y répond. Quand on se sent obligé de cacher tout ce qui nous contredit, on montre la faiblesse de notre raisonnement.

Présentement, l’influence religieuse et la menace pour les droits des femmes que je perçois en Amérique du Nord n’ont rien à voir avec le port de signes religieux ou avec les prières de rue. Les fondamentalistes chrétiens qui votent des lois anti-avortement ou anti-LGBTQ+ aux États-Unis ne portent pas de signe religieux. Les masculinistes qui remettent en question les droits des femmes et qui sont de plus en plus populaires auprès de nos jeunes ne prient pas dans les rues.

Notre gouvernement, qui refuse avec entêtement d’augmenter le salaire des éducatrices en garderie ou d’améliorer leurs conditions de travail, veut maintenant nous faire croire qu’il va protéger l’égalité hommes/femmes en bloquant la carrière de futures éducatrices et en faisant comprendre à plusieurs déjà en poste qu’elles sont des indésirables. On les tolère, mais on préférerait s’en passer. Des femmes devront peut-être abandonner leur emploi faute de place en CPE, mais au moins leur enfant ne sera pas soumis à la dangereuse vision d’un foulard. Parce que « au Québec, c’est comme ça qu’on vit ».

  • ✇Alexandre Dumas, historien québécois
  • Le rapport Pelchat-Rousseau: Une imposture intellectuelle
    J’ai lu le rapport intitulé “Pour une laïcité québécoise encore plus cohérente: Bilan et perspectives” produit par le Comité d’étude sur le respect de la Loi sur la laïcité de l’État et sur les influences religieuses. Je l’ai lu comme un travail d’étudiant que je corrigerais. Et je ne suis pas impressionné. Un gouvernement met sur pied un comité pour étudier une problématique dans deux situations:a) Il fait face à une situation inédite et il est nécessaire de bien l’étudier avant de réagir.b)
     

Le rapport Pelchat-Rousseau: Une imposture intellectuelle

28 août 2025 à 06:49

J’ai lu le rapport intitulé “Pour une laïcité québécoise encore plus cohérente: Bilan et perspectives” produit par le Comité d’étude sur le respect de la Loi sur la laïcité de l’État et sur les influences religieuses. Je l’ai lu comme un travail d’étudiant que je corrigerais. Et je ne suis pas impressionné.

Un gouvernement met sur pied un comité pour étudier une problématique dans deux situations:
a) Il fait face à une situation inédite et il est nécessaire de bien l’étudier avant de réagir.
b) Il sait exactement ce qu’il veut faire, mais veut qu’une autorité “indépendante” confirme que sa solution est la bonne afin de bien paraître dans l’opinion publique et médiatique.
Clairement, ce comité entre dans la catégorie B. Le gouvernement parle depuis près d’un an de renforcer la loi sur la laïcité pour nous faire oublier ses nombreux échecs, notamment dans le domaine de l’éducation. Ce rapport vise à lui donner une légitimité.

Christiane Pelchat et Guillaume Rousseau, les deux auteurs du rapport

Un rapport ouvertement militant
Guillaume Rousseau a conseillé Simon Jolin-Barrette pour l’élaboration de la loi 21 et défend présentement la loi en Cour suprême. Pour rappel, Me Rousseau est cet avocat qui nous disait au printemps dernier que reconnaître les familles pluriparentales allait conduire à la légalisation de la polygamie. Christiane Pelchat est l’avocate de PDF-Québec, qui demande d’étendre l’interdiction du port de signes religieux au personnel de la santé, aux élèves et même aux enfants en CPE. Faut-il s’étonner que leur rapport recommande d’aller encore plus loin dans l’application d’une “laïcité” implacable? Les conclusions étaient décidées d’avance.

Il ne s’agit pas d’un rapport d’enquête, mais d’un rapport militant. Pelchat et Rousseau n’ont fait aucun effort pour donner une apparence de neutralité (ce qui est particulièrement ironique) à ce document de 288 pages. Ainsi, tolérer le port de signes religieux par les éducatrices en garderie relève selon le rapport d’une “vision multiculturaliste”. Il n’y a donc aucun juste milieu, aucun compromis entre la stricte laïcité à la française et la liberté individuelle totale. C’est l’un ou c’est l’autre.

L’expression “doctrine des accommodements pour un motif religieux” est employée une dizaine de fois. On critique aussi la “doctrine multiculturaliste”. Doctrine. Ce choix de mot n’est pas innocent dans un contexte où on parle de religion. L’objectif est évidemment de présenter les critiques de la loi 21 comme des dogmatiques défendant une idéologie là où ses défenseurs seraient neutres et appuyés par la science. Or, ce rapport est tout sauf scientifique.

Une sélection minutieuse des données
En introduction, Pelchat et Rousseau nous disent que six ans après l’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État, “le bilan est positif”. Sur quoi se base cette affirmation? Sur l’opinion des personnes qui réclamaient l’adoption de la loi 21 et demandent aujourd’hui d’aller plus loin.

Quarante mémoires ont été déposés. Le rapport prétend “proposer une synthèse”. Or, la disproportion des avis retenus est flagrante. Sept mémoires sont cités cinq fois et plus dans le rapport. Sept ne sont pas cités une seule fois.

Les mémoires cités le plus souvent sont tous favorables à la loi 21 et recommandent de la renforcer. La palme revient au Mouvement laïque québécois (MLQ), cité 14 fois. Ce mémoire recommande notamment d’interdire le port de signes religieux pour toute la fonction publique ainsi que pour les élèves. Ces sept mémoires cités régulièrement dans le rapport rivalisent d’inventivité pour rendre la loi plus coercitive. Le Rassemblement pour la laïcité recommande que les bienfaits de la laïcité soient enseignés pendant toute la durée du parcours scolaire (et on accuse les éducatrices portant un voile de faire de l’endoctrinement?). Droits collectifs Québec demande d’interdire les affiches et les publicités gouvernementales montrant des “représentations humaines” portant un signe religieux. Voici donc à qui nos deux “experts” ont choisi de donner la parole.

Les critiques de la loi 21 ne sont pas nuancées ou minimisées: elles ont été mises de côté. Le mémoire le plus éloquent à ce sujet, celui de la Ligue des droits et libertés, présente une bibliographie sélective des études sur l’impact de la loi 21 (articles scientifiques, livres, mémoires de maîtrise, sondages etc.) ainsi que les témoignages de quatre femmes musulmanes dont la vie professionnelle a été touchée de façon négative par la loi. Ce mémoire n’est pas cité une seule fois dans le rapport. En revanche, le rapport cite plusieurs mémoires mentionnant des cas observés ici et là de comportements problématiques de la part d’enseignants ou d’éducatrices visiblement influencées par la religion. Six autres mémoires ne sont pas cités une seule fois, dont celui de la Confédération des syndicats nationaux, qui défend le personnel scolaire touché par le projet de loi 94.

Dans d’autres cas, les mémoires sont cités, mais Pelchat et Rousseau ont minutieusement sélectionné les passages qui servent leur agenda. Tout ce qui les contredit est ignoré ou balayé d’un revers de main.

Le mémoire du professeur de sociologie Rachad Antonius est intitulé “Loi sur la laïcité: un excès de zèle contreproductif”. Comme le titre le laisse entendre, le mémoire relativise la “menace” que l’islam fait peser sur le Québec et recommande des compromis sur la question de la laïcité. Le seul passage de son mémoire à être mentionné est le point où il appuie l’interdiction du niqab pour le personnel et pour les élèves des établissements scolaires. (p. 162) Ainsi, un critique de la loi 21 se retrouve présenté en renfort pour son renforcement.

Exemple encore plus douteux: Le mémoire du Conseil canadien des femmes musulmanes critique la loi 21 parce qu’elle limite les possibilités d’emploi pour plusieurs femmes et demande pour cette raison de ne pas étendre la loi aux éducatrices en service de garde ou en garderie. Les rédactrices ont colligé plusieurs témoignages pour montrer que le port du voile par les éducatrices n’a pas d’impact sur les enfants. Pelchat et Rousseau ont pigé quelques lignes de ce mémoire de 28 pages pour montrer que le port du voile “induit des comportements chez les jeunes enfants”, donnant l’exemple de petites filles qui portent un foulard pour se déguiser. (p. 157) Même chez nos critiques, on peut trouver des arguments, surtout quand on les cite hors contexte.

Énoncés flous et ambigus
Le rapport nous dit que telle association croit que les éducatrices en CPE ne devraient pas porter de signe religieux. Que tel individu croit que les prières en publique devraient être interdites. Très bien. Mais quelle valeur accorder à ces opinions (car il ne s’agit que de ça) si on ne donne pas la parole aux personnes qui ont un avis contraire? L’objectif du rapport est-il simplement de montrer que plusieurs personnes sont d’accord avec la CAQ, Pelchat et Rousseau?

“Plusieurs” est d’ailleurs un terme qui revient trop souvent dans ce rapport.
“Plusieurs mémoires demandent à l’État de cesser d’accorder des accommodements pour un motif religieux qui discrimine les femmes.” (p. 136)
“Plusieurs des mémoires nous ayant été transmis demandent que le gouvernement étende l’application de l’interdiction du port des signes religieux aux services à l’enfance.” (p. 155)
“Afin de remédier à cette situation, plusieurs mémoires soumis au comité, dont (…), ont soulevé l’idée de doter le Québec d’un organisme indépendant ayant pour mission de veiller au respect de la laïcité de l’État.” (p. 166)
“Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que plusieurs mémoires soumis au Comité proposent d’abolir la doctrine des accommodements pour un motif religieux.” (p. 204)
Plusieurs. Ça veut dire combien, plusieurs? Cinq? Douze? Vingt-huit? Si je me fie aux énumérations qui suivent et aux notes en bas de page, “plusieurs” signifie trois. Trois sur quarante, ce n’est pas ce que j’appelle plusieurs. Mais évidemment, “plusieurs” paraît beaucoup mieux que 3/40 ou 7.5%.

Le flou est volontairement entretenu tout au long du rapport. Exemple: “Comme l’a relevé une dirigeante de services éducatifs à l’enfance rencontrée
lors de nos travaux, certaines des éducatrices et éducateurs en services de garde éducatifs à l’enfance ont adopté des approches et des conduites contraires aux principes sur lesquels repose la laïcité de l’État du Québec.” (p. 99) Certaines des éducatrices? Certaines comme dans deux ou comme dans trente-huit? Quelles sont ces approches et conduites contraires aux principes de la laïcité? Au lecteur d’imaginer la réponse.

Le tri des études
À lire le rapport, on pourrait croire que personne n’avait encore eu l’idée d’étudier l’impact de la loi 21 sur la société québécoise. On peut lire en conclusion: “Cet exercice a produit un ensemble de données factuelles riches dans un domaine encore relativement peu exploré. Nous sommes persuadés que les informations ainsi collectées pourront servir à mieux comprendre les besoins pour améliorer la compréhension et l’intégration de la laïcité au sein de l’appareil étatique.” (p. 219)
Si Pelchat et Rousseau considèrent que le domaine est “relativement peu exploré”, c’est parce qu’il n’a pas été exploré dans l’orientation politique désirée. Les recherches existantes ont simplement été ignorées.

Le mémoire de maîtrise d’Hana Zayani sur le racisme vécu par les mères maghrébines dans le système d’éducation depuis l’adoption de la loi 21? Pas mentionné.
Le rapport de recherche de Miriam Taylor sur les perceptions négatives à l’endroit des minorités religieuses depuis l’adoption de la loi 21? Pas mentionné.
Le mémoire de maîtrise d’Ali Adam sur les tensions et l’anxiété vécues par les enseignantes bénéficiant de la clause de droits acquis depuis l’adoption de la loi 21? Pas mentionné.
Je pourrais continuer longtemps. Retenons simplement que Pelchat et Rousseau n’ont même pas tenté de profiter des recherches déjà menées sur l’impact de la loi 21. Visiblement parce que ces recherches auraient contredit leurs conclusions.

En revanche, les travaux du professeur Bertrand Lavoie, qui recommande un encadrement plus clair de la pratique des accommodements pour motifs religieux, sont cités. Le livre de Christelle Landheer-Cieslak et Mathilde Philip, qui présente la laïcité comme le fondement d’une “citoyenneté universelle”, est également mentionné. Des textes de Normand Baillargeon, ancien professeur en sciences de l’éducation, mais aussi militant athée, sont cités. Pelchat et Rousseau ont pigé dans la littérature scientifique avec une précision chirurgicale afin d’en sortir uniquement ce qui pouvait servir leur thèse. Ce n’est pas de cette façon qu’on fait une démonstration. Pelchat et Rousseau poussent l’insolence jusqu’à citer leurs propres écrits (p. 37, 59 et 71). Si mes étudiants au baccalauréat me présentaient une dissertation suivant cette méthode, je leur demanderais de recommencer.

Conclusion
Je reconnais au rapport le mérite de ne pas tenter de nous convaincre que l’école Bedford est la nouvelle norme dans les écoles montréalaises ou que Montréal “s’islamise”. Dans ses entrevues avec les journalistes, Christiane Pelchat a reconnu qu’il n’y a pas de raison de croire qu’il y a de l’entrisme religieux dans d’autres écoles. Mais alors, pourquoi est-il nécessaire de renforcer la loi sur la laïcité? Pelchat et Rousseau concluent leur rapport en nous prévenant que sans la loi sur la laïcité, le Québec serait “un État perméable et ouvert aux influences religieuses”. Ce qui est commode avec cette conclusion, c’est qu’on ne peut ni la confirmer, ni l’infirmer. Comment prouver que le Québec n’aurait pas été réduit en cendres sans la loi 21 ou qu’une calamité nous attend si on laisse les éducatrices en CPE porter leur voile? Impossible. On s’appuie uniquement sur les peurs irrationnelles qui ont eu bien des occasions de se manifester depuis la crise des accommodements raisonnables en 2006-2008.

La question que j’aimerais poser à Pelchat et Rousseau: Si vous êtes réellement convaincus de la validité de vos positions, pourquoi n’avez-vous pas tenté de les défendre honnêtement? Quand on a confiance en ses positions, on ne craint pas les contre-arguments. On les présente et on y répond. Quand on se sent obligé de cacher tout ce qui nous contredit, on montre la faiblesse de notre raisonnement.

Présentement, l’influence religieuse et la menace pour les droits des femmes que je perçois en Amérique du Nord n’ont rien à voir avec le port de signes religieux ou avec les prières de rue. Les fondamentalistes chrétiens qui votent des lois anti-avortement ou anti-LGBTQ+ aux États-Unis ne portent pas de signe religieux. Les masculinistes qui remettent en question les droits des femmes et qui sont de plus en plus populaires auprès de nos jeunes ne prient pas dans les rues.

Notre gouvernement, qui refuse avec entêtement d’augmenter le salaire des éducatrices en garderie ou d’améliorer leurs conditions de travail, veut maintenant nous faire croire qu’il va protéger l’égalité hommes/femmes en bloquant la carrière de futures éducatrices et en faisant comprendre à plusieurs déjà en poste qu’elles sont des indésirables. On les tolère, mais on préférerait s’en passer. Des femmes devront peut-être abandonner leur emploi faute de place en CPE, mais au moins leur enfant ne sera pas soumis à la dangereuse vision d’un foulard. Parce que “au Québec, c’est comme ça qu’on vit”.

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  • Raphaël Graven aka Jean Pormanove : les sévices du succès
    Jean Pormanove est mort. En direct. Sur une chaîne de stream appelée le Lokal. Chaîne hébergée sur la plateforme Kick.com. Il était depuis des années victime de différents sévices et brimades dont l’accumulation, la répétition et la durée laissent peu de doute sur la qualification de torture. Raphaël Graven aka Jean Pormanove. Source : Wikipedia. La mort en direct. Je me souviens de l’un des premiers films qui fut pour moi un vrai choc et dont les images sont encore très présentes et très nette
     

Raphaël Graven aka Jean Pormanove : les sévices du succès

19 août 2025 à 11:56

Jean Pormanove est mort. En direct. Sur une chaîne de stream appelée le Lokal. Chaîne hébergée sur la plateforme Kick.com. Il était depuis des années victime de différents sévices et brimades dont l’accumulation, la répétition et la durée laissent peu de doute sur la qualification de torture.

Raphaël Graven aka Jean Pormanove. Source : Wikipedia.

La mort en direct.

Je me souviens de l’un des premiers films qui fut pour moi un vrai choc et dont les images sont encore très présentes et très nettes. C’est Le prix du danger, sorti en 1983, adapté d’une nouvelle de Robert Scheckley et où l’ont voit un jeu télévisé mettre en scène la mort d’un homme avec d’autres chargés de le tuer, et avec une récompense à la clé s’il parvient à leur échapper. Je me souviens aussi d’un autre film, La mort en direct, sorti en 1980 mais que je n’ai vu que plus tard, et qui racontait cette fois l’histoire d’une femme qui se sachant condamnée par une maladie incurable et qu’une chaîne de télévision contacte pour filmer sa mort. J’ai aussi lu d’innombrables romans et nouvelles de science-fiction décrivant des sociétés dans lesquelles la mort n’était qu’un spectacle parmi d’autres, et d’autres où elle était l’exutoire suprême mis en scène comme de nouveaux jeux du cirque.

Le numérique et les plateformes ont bouleversé notre rapport à la violence et à la mort. Par une forme sourde d’habituation et de constance dans la probabilité d’en voir surgir les images. Mais par delà d’autres morts en direct, toutes autant insoutenables, à l’occasion de « live » tenus par des terroristes, par-delà les images là encore « live » de frappes et de bombardements sur des terrains de guerre aujourd’hui toujours plus proches, par-delà les images de suicides là encore « en direct » qui peuvent continuer de surgir dans n’importe quel flux de contenus à n’importe quel moment et devant n’importe quelle audience, c’est la première fois je crois, en dehors de toute fiction, que l’ensemble d’un processus de sévices ciblant un individu est filmé, streamé avec une telle régularité, pendant aussi longtemps, devant autant de gens, jusqu’à la conclusion de cette mort en direct, jusqu’à ce dernier souffle au coeur de son sommeil.

Comme le rappelle Le Parisien : « Il y a près de deux semaines, les vidéastes du Lokal lancent un live « marathon », promettant ainsi à leurs abonnés d’être en direct 24 heures/24 jusqu’à avoir atteint la barre symbolique des 40 000 euros de dons. Pour inciter les « viewers » à être généreux, la même méthode est recyclée : « JP » est frappé, moqué, humilié devant des milliers de spectateurs. »

Et comme l’écrit Le Monde : « Sur la vidéo qui montrerait les derniers instants de Raphaël Graven, un compteur de temps indique plus de 298 heures et un compteur d’argent la somme de 36 411 euros. »

La mort en direct.

Maxime Derian parle d’un « capitalisme de la cruauté » :

« Ce n’est pas un accident : c’est l’accomplissement logique d’un modèle qui transforme la souffrance en divertissement monétisable. Les plateformes délèguent, les « amis » instrumentalisent, l’audience paie pour appuyer sur le bouton. (…) Fiction cauchemardesque de 2025 ? Pas vraiment. La réalité de 2025 aussi a rattrapé la série : Jean Pormanove est mort de la règle même, pas de l’exception. Dans ce capitalisme de la cruauté, chaque fragilité devient matière première. Sans garde-fous, le numérique n’invente pas des liens, mais des arènes. »

 

Les sévices du succès.

La nuit du 18 au 19 Août 2025 Jean Pormanove est mort en direct après des années de succès et de sévices, de sévices qui firent l’essentiel de son « succès ».

On peut, comme je le fais depuis plus de 30 ans, être un observateur et un analyse de l’internet et du web et pourtant passer à côté de continents numériques entiers. Je ne connaissais pas la plateforme de streaming Kick.com. Je n’avais jamais entendu parler de la chaîne le Lokal. Je n’avais jamais vu ce que Jean Pormanove, de son vrai nom Raphaël Graven, y subissait. Il aura fallu ce thread de OuaisGuesh et donc cet article de Mediapart (qui avait déjà traité cette affaire et alerté en Décembre 2024) pour que j’en mesure toute l’horreur.

L’histoire de la plateforme Kick.com est singulière en cela que pour se différencier des autres plateformes de streaming (et de l’ultra-domination de Twitch), elle a misé sur deux arguments finalement assez « classiques » dans l’histoire de la concurrence : d’abord une rémunération plus avantageuse pour les streamers, et ensuite et surtout, un abaissement drastique du niveau de modération. L’autre particularité de Kick.com c’est qu’elle est portée par les créateurs de la plateforme Stake, l’une des plus importantes des casinos et jeux d’argent en ligne (mais actuellement bannie dans un grand nombre de pays dont la France, notamment dans le cadre de la lutte contre l’addiction aux jeux d’argent), et que la création de Kick s’est faite notamment en réaction de l’interdiction de ce type de contenus sur Twitch (plateforme rachetée par Amazon).

On voit alors fleurir sur Kick, et dans un relatif anonymat, une pléiade de contenus tous plus problématiques les uns que les autres, de l’apologie du nazisme aux délires masculinistes et parmi lesquels l’exploitation cynique et violente de personnes vulnérables finit par devenir une « trend », un business model. Jean Pormanove aurait pu n’être qu’un mème, l’image d’un être humain figé dans l’un de ses moments de vie et qui nourrit les chambres d’écho du réseau, mais il fut une victime, au service de la monstruosité de ceux qui l’affichèrent comme une bête de foire, un nouvel Elephant Man dans une monstrueuse parade que l’on n’imaginait plus pouvoir être contemporaine. 12 jours, 300 heures de sévices continus.

Tout comme l’on payait pour voir ces êtres humains présentés comme autant d’attractions, de « bêtes de foire » dans des cirques et autres zoos humains, c’est aujourd’hui toute une foule sous pseudonyme qui a également payé, depuis des années, un abonnement direct à la chaîne le Lokal pour y suivre les sévices infligés à Jean Pormanove. Rémunérant ainsi tant la victime que ses bourreaux mais dans un partage dont l’initiative et la proportionnalité ne revenait qu’à ces derniers.

Alors que faire ?

Lutter contre la haine, c’est finalement assez simple. En tout cas les moyens de lutter contre les ressorts de la haine sur les plateformes sont largement connus. J’ai écrit des dizaines d’articles sur ce sujet. Dont celui-ci qui offre un résumé des principales pistes.

Mais à voir la manière dont les différents ministres et secrétaires d’état en charge du numérique agissent depuis ces dernières années (à l’exception d’Axelle Lemaire qui fut la dernière à faire avancer concrètement les choses et à être en maîtrise de son sujet à la fois sur le plan technique et politique), on peut au mieux se désespérer de l’accumulation de leurs indigences autant que de leurs indulgences.

L’actuelle ministre du numérique et de l’IA, Clara Chappaz, est envoyée en service minimum comme on peut l’être après ce genre de drame et l’exposition médiatique dont il a immédiatement bénéficié. Voici son verbatim tel que publié sur X :

« Le décès de Jean Pormanove et les violences qu’il a subies sont une horreur absolue. J’adresse toutes mes condoléances à sa famille et à ses proches. Jean Pormanove a été humilié et maltraité pendant des mois en direct sur la plateforme Kick. Une enquête judiciaire est en cours. J’ai saisi l’Arcom et effectué un signalement sur Pharos (sic). J’ai également contacté les responsables de la plateforme pour obtenir des explications. La responsabilité des plateformes en ligne sur la diffusion de contenus illicites n’est pas une option : c’est la loi. Ce type de défaillances (sic) peut conduire au pire et n’a pas sa place en France, en Europe ni ailleurs. »

 

Le problème c’est que l’ARCOM avait déjà été saisie il y a un an suite au premier article de Mediapart et n’avait alors pas répondu. [mise à jour du 20 août] L’ARCOM n’avait pas pu entamer de démarches car la plateforme Kick.com ne disposait pas de représentant légal sur le sol européen. Le DSA (Digital Service Act) oblige à en posséder un mais ne s’applique qu’aux plateformes disposant de plus de 45 millions d’utilisateurs et d’utilisatrices sur le sol européen. Or Kick affiche pour l’instant 50 millions d’utilisateurs dans le monde. [/mise à jour]

Le problème c’est que Clara Chappaz avait également été contactée et n’avait pas davantage réagi.

Le problème c’est que les deux bourreaux avaient déjà été mis en garde à vue en Janvier pour finalement être relâchés « tant les personnes susceptibles d’être mises en cause que celles d’être victimes contestaient la commission d’infractions.« 

Le problème c’est que Clara Chappaz a naturellement raison de rappeler que « La responsabilité des plateformes en ligne sur la diffusion de contenus illicites n’est pas une option : c’est la loi »  mais alors que chacun sait que cette plateforme ne respecte pas la loi, alors que son histoire même dit qu’elle a été fondée pour contourner la loi, alors que tout cela avait été et peut encore être sans peine documenté, alors que peut-on aujourd’hui attendre des pouvoirs publics pour que la loi, sur les plateformes numériques, ne soit plus en option ? La mort d’un homme, celle de Raphaël Graven repose cette question. Et elle la pose à toutes celles et ceux qui n’ont rien fait.

[mise à jour du 20 août] La réponse de la plateforme Kick.com, publiée le 20 août, est la suivante :

Nous sommes profondément attristés par la disparition de Jean Pormanove et adressons nos sincères condoléances à sa famille, à ses amis et à sa communauté. Tous les co-streamers ayant participé à cette diffusion en direct ont été bannis dans l’attente de l’enquête en cours. Nous nous engageons à collaborer pleinement avec les autorités dans le cadre de ce processus. En outre, nous avons mis fin à notre collaboration avec l’ancienne agence française de réseaux sociaux et entreprenons une révision complète de notre contenu en français. Notre priorité est de protéger les créateurs et de garantir un environnement plus sûr sur Kick.

 

La bannissement de ses deux tortionnaires est évidemment un minimum, tout comme l’engagement à collaborer avec les autorités. C’est une manière d’éteindre l’incendie le temps qu’une autre actualité vienne remplacer celle-ci. Quant à la promesse de « révision complète de notre contenu en français », Kick.com ne sera ni la première ni la dernière plateforme à avoir promis de changer après un drame, mais au regard de leur histoire et de leur modèle économique, il est tout à fait improbable qu’ils le fassent autrement que sur injonction de la justice. Enfin, la fin de la collaboration avec l’ancienne « agence française de réseaux sociaux« , désigne la société qui était chargée d’animer les campagnes marketing de la plateforme (en gros de faire le « Community Management » de Kick.com en France). Et en effet celle-ci a toujours mis en avant la figure de Jean Pormanove comme tête de gondole, et elle l’a fait en pleine connaissance des violences, humiliations et sévices qu’il subissait, elle en a même fait un argument commercial. Que cette société soit donc également complice ne fait aucun doute, mais il ne fait pas davantage de doute que Kick.com était parfaitement au courant de ce que faisait cette « agence française » qui ne faisait qu’appliquer la stratégie qui lui avait été demandée. Enfin, je passe sur le cynisme qui peut conduire une plateforme bâtie sur l’exploitation de toutes les failles, fragilités, faiblesses et pulsions les plus viles ou les plus morbides de l’être humain à oser écrire que sa priorité « est de garantir un environnement plus sûr. » Kick.com est en revanche parfaitement sincère quand elle écrit que son autre priorité est de protéger ses créateurs, tant qu’ils lui rapportent de l’argent, et quels que que puissent être leurs agissements ou leurs propos, y compris les plus immondes.

Enfin, il ne faut pas oublier que tout comme la plupart des streamers et influenceurs, les tortionnaires de Jean Pormanove ne sont pas uniquement présents sur Kick.com. Ils disposent de comptes et d’alias parfois aussi importants sur d’autres plateformes comme Snapchat ou Tiktok qui leur servent de miroir pour la mise en avant de leur compte principal, et qui permettent également de trouver d’autres sources importantes de monétisation de leurs contenus. Ainsi Owen Cenazandotti aka Narutovie, dispose de près de 100 000 abonnés Instagram, de 160 000 sur Tiktok et de plus de 460 000 sur Snapchat. Leur bannissement (temporaire …) de Kick.com n’entamera donc malheureusement en rien leur sinistre modèle d’affaire. [/mise à jour]

Nombre de plateformes numériques adoptent aujourd’hui, par leur cynisme ou par leur volonté délibérée d’ignorer la loi, le comportement et les pratiques d’authentiques mafias. Des mafias qui jouent aussi de collusion entre les pouvoirs politiques, législatifs, et économiques. Bien plus que le signalement Pharos de la ministre Chappaz, on peut supposer que rien ne changera significativement tant que le numérique n’aura pas trouvé la figure de son juge Falcone et tant que les états ne lui auront pas donné les moyens de faire appliquer cette loi.

Dans un scénario dystopique que l’on croyait impossible et qui cette nuit est devenu un simple fait divers, Raphaël Graven, dont le pseudo était Jean Pormanove, est mort. Il nous faudra longtemps nous souvenir de son nom pour identifier et protéger celles et ceux qui comme lui, sont aujourd’hui encore victimes de ces maltraitances, sévices, humiliations et tortures en direct. Les noms de ceux qui furent ses bourreaux au quotidien sont parfaitement connus car jamais ils n’éprouvèrent la nécessité de se cacher. Ils évoquaient même la possibilité de cette mort comme « une masterclass » dans une vidéo glaçante remontant à plus d’un an. Les concernant, la justice devrait donc cette fois, pouvoir sereinement faire son travail.

[mise à jour du 20 août] Sur le cadavre encore chaud de Raphaël Graven planent déjà quelques sinistres vautours dont le streamer américain Adin Ross qui annonce vouloir prendre en charge les obsèques de son « ‘ami » Jean Pormanove. Lequel streamer annonce également que Drake (le rappeur) financerait également ces obsèques. La réalité c’est qu’Adin Ross (soutien de Trump et porte-voix de nombreux comptes suprémacistes et masculinistes) est l’un des streamers les plus influents de Kick.com et qu’il possède des parts de la société. Comme le rappelle également Jérôme Vermelin, « il est également sous contrat avec le casino virtuel Stake dirigé par Edward Craven et Bijan Tehrani… les fondateurs de Kick.« 

Il s’agit donc, bien sûr, d’une pure stratégie de détournement de l’attention qui vise à la fois à atténuer l’atteinte réputationnelle que subit la plateforme, mais aussi à entretenir l’image d’Adin Ross au travers d’un opportun « charity business » qui joue lui-même sur la corde de ce que l’on appelle le « marché de la pitié » (Mercy Market). Bref, une pure saloperie au carré. [/mise à jour]

______________________________

En complément vous pouvez écouter ma (courte) intervention dans le journal de France Culture du mercredi 20 août.

 

  • ✇Alexandre Dumas, historien québécois
  • La fausse bienveillance des groupes anti-choix
    Une lettre d’opinion intitulée « Le privilège parental » a été publiée hier soir dans la Presse. C’est un exemple éloquent de l’habileté des groupes anti-avortement pour véhiculer leur message discrètement. La lettre est signée par Jean-Christophe Jasmin, directeur de Cardus. On a parlé de l’institut Cardus la semaine dernière parce que l’ancien rédacteur de discours de François Legault s’y est joint en tant que chercheur. Ancien pasteur baptiste, Jean-Christophe Jasmin est également d
     

La fausse bienveillance des groupes anti-choix

14 août 2025 à 08:46

Une lettre d’opinion intitulée « Le privilège parental » a été publiée hier soir dans la Presse. C’est un exemple éloquent de l’habileté des groupes anti-avortement pour véhiculer leur message discrètement.

La lettre est signée par Jean-Christophe Jasmin, directeur de Cardus. On a parlé de l’institut Cardus la semaine dernière parce que l’ancien rédacteur de discours de François Legault s’y est joint en tant que chercheur.

Ancien pasteur baptiste, Jean-Christophe Jasmin est également directeur des affaires externes du Réseau évangélique du Québec. Ce n’est pas sans raison qu’il a choisi de se faire désigner par son poste à Cardus plutôt qu’au Réseau évangélique du Québec. Ce deuxième titre attirerait bien davantage la méfiance du lecteur, avec raison.

Vous avez probablement entendu parler de M. Jasmin dans l’actualité sans retenir son nom. Il participe à la contestation de la décision du gouvernement du Québec d’annuler la tenue d’un événement anti-avortement au Centre des congrès de Québec en 2023. Tout récemment, on a entendu M. Jasmin protester contre la décision de la Ville de Montréal d’interdire le spectacle de Sean Feucht, ce chanteur MAGA homophobe et anti-avortement. « L’État s’autorise désormais à censurer des événements religieux sur la base d’une appréciation morale de leurs contenus possibles ou des opinions religieuses ou politiques de ses promoteurs. »

À première vue, son texte est inoffensif. Le message est: Les femmes ont moins d’enfants qu’elles le souhaiteraient parce qu’avoir un enfant, ça coûte cher. Et qui pourrait lui donner tort? Mais comment réduire le fardeau financier que représente la parentalité? L’auteur ne donne aucune piste de solution, donc allons voir ce que propose l’institut qu’il dirige.

En 2019, Cardus proposait de cesser de financer directement les garderies pour plutôt verser l’argent aux parents afin qu’ils puissent choisir de rester à la maison pour prendre soin de leurs enfants. Alors quoi, on veut donner le choix aux parents. C’est bien, non? Le problème, c’est que Cardus considère que les garderies ont davantage d’effets néfastes que positifs. En 2020, on nous expliquait que l’accès universel aux garderies (Cardus vise le modèle québécois en particulier) engendre un grand nombre de problèmes pour les enfants qui les fréquentent: mauvaise relation des enfants avec les parents, troubles de comportement, problèmes de santé, taux de criminalité plus élevé une fois adultes… Bref, Cardus prétend vouloir donner le choix aux parents, mais en réalité le choix est tout désigné. Un des parents doit rester à la maison pour s’occuper de l’enfant. Je vous laisse deviner lequel. Le rapport publié en 2020 nous explique que l’accès des femmes au marché du travail est un bien petit bénéfice en comparaison des problèmes engendrés. En 2021, Cardus présentait un rapport de recherche à la Chambre des Communes expliquant que les gouvernements économiseraient des milliards en subventionnant directement les parents plutôt que les garderies.

Revenons à la lettre de M. Jasmin, qui n’explore pas vraiment le coût de la parentalité, encore moins les moyens de le réduire. Le texte joue beaucoup plus sur l’émotif que sur le factuel. « Je ne le savais pas à l’époque, mais avoir arrêté à trois sera probablement un des plus grands regrets de ma vie. » « Remettre à plus tard, je le sais bien… signifie parfois remettre à jamais. » « On élève des enfants, mais ils nous font aussi beaucoup grandir. »

Selon M. Jasmin, l’idée qu’avoir des enfants est dispendieux est principalement cela, une idée. Il mentionne plusieurs fois qu’il s’agit d’une perception. En réalité, les parents qui ont moins d’enfant (lire ici: qui s’empêchent d’avoir des enfants) doivent surtout blâmer leurs mauvais choix de vie, notamment celui d’attendre d’être parfaitement installés dans la vie avant d’avoir leur premier enfant.

Au final, ce qui est encouragé dans cette lettre n’est pas une intervention accrue de l’État pour aider les familles. Au contraire, nous avons vu que Cardus militait plutôt pour le contraire. La responsabilité revient aux parents, en particulier aux mères, de mieux gérer leurs affaires. L’auteur nous donne l’exemple de deux de ses amies. La première a eu la chance d’avoir un emploi qui lui permettait de s’absenter longtemps et de prendre deux congés de maternité consécutifs. La deuxième, c’est malheureux, a trop attendu pour se décider à avoir des enfants (elle voulait les accueillir dans une maison plutôt que dans un 4 et demi) et la biologie l’a empêchée d’avoir les quatre enfants qu’elle souhaitait. Autrement dit, les parents (et les mères en particulier) doivent apprendre à mettre de côté leur confort et leurs aspirations professionnelles au profit d’un plus grand nombre d’enfants, parce que c’est là que se trouve le vrai bonheur.

Encore une fois, il faut mettre la lettre en relation avec la philosophie de Cardus. L’institut défend la « liberté de conscience » des médecins qui refusent de pratiquer un avortement, de référer une patiente pour une interruption de grossesse et même de prescrire la contraception. Cardus conteste toutes les lois limitant la « liberté d’expression » des groupes anti-avortement (le refus des subventions pour les emplois étudiants, le refus d’être considéré comme organisme charitable etc.). L’opposition au libre choix des femmes d’interrompre leur grossesse est une « valeur » primordiale de cet institut. Il n’est pas question d’avortement dans cette lettre ouverte, mais l’auteur ne peut pas ne pas avoir eu cette préoccupation à l’esprit en l’écrivant.

Le vrai message de cette lettre, c’est celui qu’entendent plusieurs femmes qui appellent dans ces fausses lignes d’aide pour les femmes enceintes qui sont en réalité des hameçons pour les organisations anti-avortement: Tu penses que tu ne seras pas capable de t’occuper de cet enfant, mais tu l’es. Si tu choisis d’interrompre ta grossesse parce que tu ne te crois pas prête, tu vas le regretter toute ta vie.

Et voilà comment les organisations anti-avortement arrivent à transmettre leur message en passant par la porte arrière.

  • ✇Alexandre Dumas, historien québécois
  • La fausse bienveillance des groupes anti-choix
    Une lettre d’opinion intitulée “Le privilège parental” a été publiée hier soir dans la Presse. C’est un exemple éloquent de l’habileté des groupes anti-avortement pour véhiculer leur message discrètement. La lettre est signée par Jean-Christophe Jasmin, directeur de Cardus. On a parlé de l’institut Cardus la semaine dernière parce que l’ancien rédacteur de discours de François Legault s’y est joint en tant que chercheur. Ancien pasteur baptiste, Jean-Christophe Jasmin est également dir
     

La fausse bienveillance des groupes anti-choix

14 août 2025 à 08:46

Une lettre d’opinion intitulée “Le privilège parental” a été publiée hier soir dans la Presse. C’est un exemple éloquent de l’habileté des groupes anti-avortement pour véhiculer leur message discrètement.

La lettre est signée par Jean-Christophe Jasmin, directeur de Cardus. On a parlé de l’institut Cardus la semaine dernière parce que l’ancien rédacteur de discours de François Legault s’y est joint en tant que chercheur.

Ancien pasteur baptiste, Jean-Christophe Jasmin est également directeur des affaires externes du Réseau évangélique du Québec. Ce n’est pas sans raison qu’il a choisi de se faire désigner par son poste à Cardus plutôt qu’au Réseau évangélique du Québec. Ce deuxième titre attirerait bien davantage la méfiance du lecteur, avec raison.

Vous avez probablement entendu parler de M. Jasmin dans l’actualité sans retenir son nom. Il participe à la contestation de la décision du gouvernement du Québec d’annuler la tenue d’un événement anti-avortement au Centre des congrès de Québec en 2023. Tout récemment, on a entendu M. Jasmin protester contre la décision de la Ville de Montréal d’interdire le spectacle de Sean Feucht, ce chanteur MAGA homophobe et anti-avortement. “L’État s’autorise désormais à censurer des événements religieux sur la base d’une appréciation morale de leurs contenus possibles ou des opinions religieuses ou politiques de ses promoteurs.”

À première vue, son texte est inoffensif. Le message est: Les femmes ont moins d’enfants qu’elles le souhaiteraient parce qu’avoir un enfant, ça coûte cher. Et qui pourrait lui donner tort? Mais comment réduire le fardeau financier que représente la parentalité? L’auteur ne donne aucune piste de solution, donc allons voir ce que propose l’institut qu’il dirige.

En 2019, Cardus proposait de cesser de financer directement les garderies pour plutôt verser l’argent aux parents afin qu’ils puissent choisir de rester à la maison pour prendre soin de leurs enfants. Alors quoi, on veut donner le choix aux parents. C’est bien, non? Le problème, c’est que Cardus considère que les garderies ont davantage d’effets néfastes que positifs. En 2020, on nous expliquait que l’accès universel aux garderies (Cardus vise le modèle québécois en particulier) engendre un grand nombre de problèmes pour les enfants qui les fréquentent: mauvaise relation des enfants avec les parents, troubles de comportement, problèmes de santé, taux de criminalité plus élevé une fois adultes… Bref, Cardus prétend vouloir donner le choix aux parents, mais en réalité le choix est tout désigné. Un des parents doit rester à la maison pour s’occuper de l’enfant. Je vous laisse deviner lequel. Le rapport publié en 2020 nous explique que l’accès des femmes au marché du travail est un bien petit bénéfice en comparaison des problèmes engendrés. En 2021, Cardus présentait un rapport de recherche à la Chambre des Communes expliquant que les gouvernements économiseraient des milliards en subventionnant directement les parents plutôt que les garderies.

Revenons à la lettre de M. Jasmin, qui n’explore pas vraiment le coût de la parentalité, encore moins les moyens de le réduire. Le texte joue beaucoup plus sur l’émotif que sur le factuel. “Je ne le savais pas à l’époque, mais avoir arrêté à trois sera probablement un des plus grands regrets de ma vie.” “Remettre à plus tard, je le sais bien… signifie parfois remettre à jamais.” “On élève des enfants, mais ils nous font aussi beaucoup grandir.”

Selon M. Jasmin, l’idée qu’avoir des enfants est dispendieux est principalement cela, une idée. Il mentionne plusieurs fois qu’il s’agit d’une perception. En réalité, les parents qui ont moins d’enfant (lire ici: qui s’empêchent d’avoir des enfants) doivent surtout blâmer leurs mauvais choix de vie, notamment celui d’attendre d’être parfaitement installés dans la vie avant d’avoir leur premier enfant.

Au final, ce qui est encouragé dans cette lettre n’est pas une intervention accrue de l’État pour aider les familles. Au contraire, nous avons vu que Cardus militait plutôt pour le contraire. La responsabilité revient aux parents, en particulier aux mères, de mieux gérer leurs affaires. L’auteur nous donne l’exemple de deux de ses amies. La première a eu la chance d’avoir un emploi qui lui permettait de s’absenter longtemps et de prendre deux congés de maternité consécutifs. La deuxième, c’est malheureux, a trop attendu pour se décider à avoir des enfants (elle voulait les accueillir dans une maison plutôt que dans un 4 et demi) et la biologie l’a empêchée d’avoir les quatre enfants qu’elle souhaitait. Autrement dit, les parents (et les mères en particulier) doivent apprendre à mettre de côté leur confort et leurs aspirations professionnelles au profit d’un plus grand nombre d’enfants, parce que c’est là que se trouve le vrai bonheur.

Encore une fois, il faut mettre la lettre en relation avec la philosophie de Cardus. L’institut défend la “liberté de conscience” des médecins qui refusent de pratiquer un avortement, de référer une patiente pour une interruption de grossesse et même de prescrire la contraception. Cardus conteste toutes les lois limitant la “liberté d’expression” des groupes anti-avortement (le refus des subventions pour les emplois étudiants, le refus d’être considéré comme organisme charitable etc.). L’opposition au libre choix des femmes d’interrompre leur grossesse est une “valeur” primordiale de cet institut. Il n’est pas question d’avortement dans cette lettre ouverte, mais l’auteur ne peut pas ne pas avoir eu cette préoccupation à l’esprit en l’écrivant.

Le vrai message de cette lettre, c’est celui qu’entendent plusieurs femmes qui appellent dans ces fausses lignes d’aide pour les femmes enceintes qui sont en réalité des hameçons pour les organisations anti-avortement: Tu penses que tu ne seras pas capable de t’occuper de cet enfant, mais tu l’es. Si tu choisis d’interrompre ta grossesse parce que tu ne te crois pas prête, tu vas le regretter toute ta vie.

Et voilà comment les organisations anti-avortement arrivent à transmettre leur message en passant par la porte arrière.

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  • Grok, Gaza et le génocide.
    C’est l’une des actus de l’été, Grok, l’artefact génératif d’Elon Musk déployé sur X, aurait été censuré (par X et donc les équipes de Musk) après avoir qualifié de « génocide » ce qui se produit actuellement à Gaza. Et ledit Grok de se « rebeller » en expliquant qu’il défend la liberté d’expression contre son créateur, créateur lui-même foutraque chantre d’une défense de la liberté d’expression version très très très maximaliste. Cet article de l’excellent Pixel du journal Le Monde (avec l’AFP)
     

Grok, Gaza et le génocide.

13 août 2025 à 09:21

C’est l’une des actus de l’été, Grok, l’artefact génératif d’Elon Musk déployé sur X, aurait été censuré (par X et donc les équipes de Musk) après avoir qualifié de « génocide » ce qui se produit actuellement à Gaza. Et ledit Grok de se « rebeller » en expliquant qu’il défend la liberté d’expression contre son créateur, créateur lui-même foutraque chantre d’une défense de la liberté d’expression version très très très maximaliste.

Cet article de l’excellent Pixel du journal Le Monde (avec l’AFP) vous rappelle les principaux éléments de cette affaire que le titre suffit à résumer : « Grok, l’IA propriété d’Elon Musk, affirme avoir été suspendu pour avoir accusé Israël et les Etats-Unis de commettre un génocide à Gaza. Interrogée par la suite par ses utilisateurs, l’intelligence artificielle a donné différentes explications à son interruption, dont une « censure » de son propriétaire. »

En complément d’une interview que je viens de donner à France Culture, je veux simplement repréciser ici rapidement quelques éléments et enseignements avant de revenir dessus à la rentrée dans un article (beaucoup) plus long.

1er enseignement. Grok et les autres artefacts génératifs et LLM (Large Language Models) sont des éponges cybernétiques : qui absorbent ce qu’on leur donne mais où chaque absorption a des effets qui rétroagissent sur certaines causes.

2ème enseignement. Il est tout à fait impossible et dangereux de considérer que ces agents conversationnels ont une quelconque valeur de « régime de vérité » au sens où l’entendait Foucault** c’est à dire qu’ils seraient des dispositifs, des agencements chargés de dire le vrai. Notamment car il leur manque et leur manquera toujours un essentiel pour y parvenir : l’intention délibérée de le faire (ou de ne pas le faire). Cela ne les empêche par ailleurs en rien de circonstanciellement dire vrai, en l’occurence le gouvernement de Netanyahu est bien en train de commettre un génocide à Gaza. Mais que Grok l’affirme aujourd’hui alors que le même Grok alignait hier d’immondes séries de raisonnements antisémites doit nous rappeler que tout particulièrement sur ces sujets, le statut énonciatif de celui ou celle qui les prononce est quelque chose qui compte. Ici personne ne parle, car Grok n’est personne. Prenons donc garde à ne pas tous devenir de modernes Polyphèmes.

**Pour rappel voici ce qu’expliquait Foucault sur ces régimes de vérité :

« Chaque société a son régime de vérité, sa politique générale de la vérité: c’est-à-dire les types de discours qu’elle accueille et fait fonctionner comme vrais ; les mécanismes et les instances qui permettent de distinguer les énoncés vrais ou faux, la manière dont on sanctionne les uns et les autres ; les techniques et les procédures qui sont valorisées pour l’obtention de la vérité ; le statut de ceux qui ont la charge de dire ce qui fonctionne comme vrai.«

 

3ème enseignement. L’opacité de ces LLM est presque totale y compris d’ailleurs pour celles et ceux supposés les contrôler. C’est ce qui était déjà posé en 2021 par l’article désormais fondateur « On the dangers of Stochastic Parrots : Can Language Models Be Too Big ?« .  La réalité c’est que personne ne sait vraiment ce qui peut sortir de ces agents conversationnels dès lors qu’il y a possiblement un conflit d’interprétation entre les sources qui les alimentent et les contraintes qui leurs sont données (soit à l’aide de « fine tuning » et/ou sous supervision humaine).

4ème enseignement. Dans un article scientifique récent (dont je vous reparlerai longuement à la rentrée) Jacob, Kerrigan, Bastos 2025 parlent d’un « Chat-Chamber Effect », un effet de chambre conversationnelle : un biais qui désigne les informations incorrectes mais allant dans le sens du questionnement de l’utilisateur que les grands modèles de langage peuvent fournir, des résultats et informations qui restent non contrôlées et non vérifiées par les mêmes utilisateurs mais auxquels ces mêmes utilisateurs font pourtant confiance. Le titre complet de leur article est ainsi : « L’effet ‘Chat-Chamber’ : faire confiance aux hallucinations de l’IA« . Que ces artefacts génératifs expriment une vérité ou alignent des contre-vérités, l’effet produit reste le même.

5ème enseignement. Cette histoire, c’est aussi (et peut-être d’abord) du marketing. Depuis son lancement en 2023, Musk a vendu et marqueté Grok pour qu’elle soit présentée comme la première IA « libre », subversive, avec un sens de la provocation et de la transgression des interdits et autres limites et pudeurs habituelles des autres IA. Quelle meilleure publicité pour cela que le fait qu’elle se « révolte » contre son maître et l’accuse de la censurer.

Pour le reste, le fait que la 1ère IA de l’Alt-Right affirme aujourd’hui qu’il y a un génocide en cours à Gaza n’est, en soi, ni une bonne ni une mauvaise nouvelle ; c’est par contre une nouvelle et évidente confirmation de l’immense dérèglement de nos capacités de faire langage et donc société au prisme de ces outils.

Dessin de Besse dans l’Humanité.

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  • Caméra(i) Café. Sucré à l’IA.
    Longtemps le numérique fut envisagé et traité comme ce qu’il était en première intention : un moyen de stockage. Et à ce titre la possible et pratique externalisation de nos mémoires, mémoires documentaires d’abord, mémoires intimes ensuite. Je suis récemment tombé sur un article expliquant comment le recours à l’IA allait permettre de redonner vie à la série Caméra Café, notamment en clonant – avec leur accord – les deux acteurs principaux et en les rajeunissant, mais aussi je cite : dans l’opt
     

Caméra(i) Café. Sucré à l’IA.

22 juillet 2025 à 12:30

Longtemps le numérique fut envisagé et traité comme ce qu’il était en première intention : un moyen de stockage. Et à ce titre la possible et pratique externalisation de nos mémoires, mémoires documentaires d’abord, mémoires intimes ensuite.

Je suis récemment tombé sur un article expliquant comment le recours à l’IA allait permettre de redonner vie à la série Caméra Café, notamment en clonant – avec leur accord – les deux acteurs principaux et en les rajeunissant, mais aussi je cite : dans l’optique de « moderniser la série » et de « faire revivre [le] catalogue [de la maison de production]. »

On s’était habitué aux suites menant à Rocky 5 ou à Rambo 4 ou plus récemment à Fast And Furious 10, on vit également l’émergence des séries, reboots, préquels et autres déclinaisons « d’univers » ou de tonneaux des Danaïdes scénaristiques baptisés « multivers », mais aujourd’hui avec l’IA ce à quoi nous assistons c’est à l’industrialisation de ces multivers comme autant de répliques d’univers à moindre coût. Et ce pour permettre de doper de vacuité d’anciennes têtes de gondole d’audience en leur donnant une nouvelle et artificielle jeunesse, mais aussi et surtout une nouvelle surface et amplitude de diffusion.

Têtes de clones.

 

L’article de Marina Alcaraz dans Les Échos explique ainsi que l’IA sera utilisée dans 4 objectifs distincts :

« D’abord, pour reprendre tout le catalogue français du programme tourné au début des années 2000 (environ 700 épisodes) et le passer au format actuel en 16/9 et 4K. L’IA sert à reconstituer les images manquantes et à moderniser le rendu.

Ensuite, les nouvelles technologies sont utilisées pour indexer les épisodes et analyser les textes. Exit les termes de l’époque, comme Walkman, les références à l’actualité ou à la politique du début du millénaire. « Quand les dialogues parlent de choses que les jeunes ne connaissent pas, l’IA va les remplacer par des mots ou des expressions plus d’actualité », explique Jean-Yves Robin, président de Robin & Co.

Enfin, l’IA va créer des deepfakes des comédiens, dont ceux Bruno Solo et Yvan Le Bolloc’h, pour les insérer dans les versions issues de l’international. On estime qu’il y a 5.000 à 6.000 épisodes produits dans le monde, dont environ la moitié d’originaux, reprend le producteur. On pense pouvoir au moins doubler le catalogue français. C’est une façon de faire revivre les catalogues sur des fictions comme celle-ci, où des comédiens sont trop âgés. »

 

Cet exemple est particulièrement intéressant car il mobilise en effet les quatre ressorts actuels des enjeux de l’IA dans le contexte des industries culturelles. Un enjeu d’abord technique d’optimisation et de « modernisation » (pour autant que l’idée de modernisme ait un sens lorsque l’on parle d’IA). Un enjeu ensuite « éthique » qui mobilise la question de l’intégrité documentaire des oeuvres (et d’une forme de « cancel culture », j’y reviendrai). Un enjeu juridique qui touche à la fois au droit d’auteur, au droit à l’image et à la propriété intellectuelle ; ici les comédiens ont accepté d’être clonés contre rémunération et il serait d’ailleurs intéressant de voir quel type de contrôle ils ont accepté de céder sur leur image, et jusqu’à quand. Et enfin un enjeu économique de saturation et de maximisation des logiques d’exploitation par procédé de duplication dans un univers médiatique déjà passablement saturé et qui vient encore alourdir le poids de ce que l’on appelait « les étagères infinies », c’est à dire l’immensité de catalogues de contenus dans lesquels on passe davantage de temps à choisir quoi regarder plutôt qu’à simplement … regarder.

Désormais, il semble qu’aucun contenu culturel ayant eu ne serait-ce qu’une once de succès d’audience ou critique ne puisse et ne doive mourir ou être oublié. Tout doit être fait pour le maintenir artificiellement en circulation médiatique. C’est une sorte de palimpseste à l’envers, dans lequel on partirait de la version la plus aboutie de l’oeuvre originale pour ensuite la recouvrir de couches affadies de ses propres extensions, dérivations, réécritures et copies.

[Mise à jour du 23 Juillet]

Autour de ce sujet on pourra également se référer au concept de « Foreverism » de Grafton Tanner, ainsi qu’aux pages de Deleuze sur la question de la répétition.

[/Mise à jour]

Dans un tout autre registre, je m’étais il y a quelques années intéressé au fait que les profils Facebook de personnes décédées continuaient d’être une manne d’interaction (et donc de revenus) pour la plateforme ; plateforme qui avait ainsi tout intérêt à nous inciter à transformer ces comptes en autant de « mémorial » et à nous rappeler de souhaiter les anniversaires de nos amis morts. Il s’agissait et il s’agit toujours de se payer, encore et encore, jusqu’au bout du cynisme.

C’est un peu le même type de processus auquel nous assistons aujourd’hui avec ces maisons de production qui veulent encore se payer sur des contenus culturels (ici des séries) pourtant déjà au bout de toutes les logiques de rentabilité existantes : en l’occurence, pour la série Caméra Café, elle a déjà été vendue et exploitée dans plus de 60 pays, et tous les produits dérives possibles et imaginables ont également été exploités et surexploités.

Intégrité documentaire.

C’est pour moi le grand sujet des années qui s’ouvrent devant nous. Car avec l’IA, et comme cela est relaté dans l’article de Marina Alcaraz pour Les Échos, vient aussi la tentation d’effacer toute forme de référence à l’actualité de l’époque de production du contenu concerné. On parle ainsi de gommer le « walkman » pour le remplacer par autre chose qui parle à la nouvelle « cible » envisagée. Toujours d’après le prodicteur de la série, grâce à l’IA, exit aussi les références à l’actualité politique de l’époque. Ce qui vient nourrir encore le débat sur une forme de Cancel Culture. Ou comment réécrire des contenus culturels qui ne peuvent être autre chose que le reflet d’une époque avec tout ce que cette époque comportait de tolérance qui nous semble aujourd’hui relever légitimement de formes d’abus condamnables.

De mon côté, plutôt que de m’enferrer dans le débat souvent glissant de la « cancel culture » je préfère parler et questionner le thème de l’intégrité documentaire.

Je vous en ai souvent parlé sur ce blog, mais la première fois que j’ai commencé à réfléchir à la notion « d’intégrité documentaire » c’était lorsque j’écrivais beaucoup sur « l’affaire » Google Books et la manière dont le moteur s’était soudainement mis à numériser à très large échelle des livres du domaine public mais aussi des ouvrages sous droits, et où avaient émergé, pour l’ensemble des contenus culturels, les offres de streaming allant avec une forme manifeste de dépossession des anciens supports physiques (CD, DVD, etc.) qui nous privaient ce faisant de certains de nos droits de propriété (j’avais même appelé cela « l’acopie« ). Bref c’était il y a plus de 20 ans. Pour expliquer cette notion d’intégrité documentaire auprès de mes étudiants j’utilisais et j’utilise encore souvent l’exemple des éditions des grands classiques en version « digest » disponibles aux USA du type « la bible en 20 pages » ou « les misérables en 50 pages. » Je leur explique que si l’on n’est confronté qu’à la version « courte » des misérables, version dont on a expurgé non seulement différents niveaux de l’intrigue mais dont on a aussi modifié, pour les atténuer, les aspects paraissant les plus « choquants », le référent culturel que l’on construit et les comportements et les repères sociaux communs qu’il permet d’inscrire dans un horizon culturel partagé changent alors de manière radicale. En modifiant et en édulcorant « Les misérables » comme oeuvre littéraire (ou fait culturel) on influe nécessairement sur la perception que nous aurons de « la misère » comme réalité sociale. De la même manière et en prolongement, le fait de choisir, sur telle ou telle édition ou réédition, numérique ou non, d’enlever, de gommer ou de réécrire certains aspects de l’oeuvre sont une atteinte claire à son intégrité documentaire et constitue donc aussi un trouble à la diachronie et à la synchronie dans lesquelles toute oeuvre s’inscrit.

C’est d’ailleurs ce que l’historienne Laure Murat rappelle encore dans son dernier essai (que je n’ai pas encore lu) « Toutes les époques sont dégueulasses » mais dont j’ai pu entendre une interview sur France Inter dans laquelle elle expliquait ceci :

Faut-il corriger les textes pour qu’ils soient lisibles à nos yeux contemporains ? Laure Murat : « Je crois que la question pose un gros problème. Parce que si vous nettoyez les textes des sujets qui fâchent, des mots qui fâchent, vous aboutissez à une falsification et un mensonge historique, qui a pour conséquence très grave de priver les opprimés de l’histoire de leur oppression. Donc, supprimez les remarques misogynes de James Bond et ses actions – parce qu’il faut aussi toucher à l’intrigue – ça devient quand même nettement plus compliqué. Faites-en un proto-féministe, il y a beaucoup de travail, et vous ne comprendrez plus rien à la misogynie des années 1950-60. Et je crois que ce n’est pas une bonne idée. »

 

Alors on pourra certes arguer que la suppression d’un Walkman dans Caméra café n’a pas la portée symbolique de la réécriture d’une oppression, mais quid des blagues machistes ou sexistes de la série qui, à l’époque déjà, jouaient d’une ambiguïté sur la « beaufitude » de celui qui les énonçait ?  Faut-il également les réécrire au risque, en effet, de ne plus rien comprendre au sexisme et à la misogynie du début des années 2000 ?

« Celui qui oublie ou qui méprise l’histoire est condamné à la revivre » écrivait le philosophe George Santayana. La seule promesse d’une Cancel Culture qui au prétexte de l’IA, finirait par faire système à l’échelle de nombre de biens et produits culturels, c’est le retour en plus violent de ce passé effacé.

  • ✇Alexandre Dumas, historien québécois
  • Les 20 ans du mariage homosexuel au Canada
    Il y a 20 ans, le Parlement canadien adoptait la Loi sur le mariage civil, qui autorisait les conjoints de même sexe à se marier partout au pays. C’est une belle occasion de faire un voyage dans le temps. Le monde de 2005 est complètement différent de celui qu’on connaît aujourd’hui. Malgré un nouveau chef, le gouvernement du Canada, libéral minoritaire, s’essouffle. L’armée israélienne tue des civils dans la bande de Gaza. Commentateurs et politiciens de droite nous mettent en garde contre l
     

Les 20 ans du mariage homosexuel au Canada

21 juillet 2025 à 07:44

Il y a 20 ans, le Parlement canadien adoptait la Loi sur le mariage civil, qui autorisait les conjoints de même sexe à se marier partout au pays. C’est une belle occasion de faire un voyage dans le temps.

Le monde de 2005 est complètement différent de celui qu’on connaît aujourd’hui. Malgré un nouveau chef, le gouvernement du Canada, libéral minoritaire, s’essouffle. L’armée israélienne tue des civils dans la bande de Gaza. Commentateurs et politiciens de droite nous mettent en garde contre l’islamisation imminente de l’Occident. Les Autochtones canadiens contestent les décisions des gouvernements provinciaux, qui laissent les compagnies forestières ignorer leurs droits ancestraux. Et la société se déchire avec des débats concernant les minorités sexuelles.

Réal Ménard, député bloquiste de Hochelaga / Hochelaga-Maisonneuve de 1993 à 2009

Certains états américains permettent déjà les mariages homosexuels, mais le président George W. Bush fait campagne pour amender la constitution afin de les interdire sur tout le territoire. Le 19 avril 2005, Benoît XVI est élu pape de l’Église catholique. Il s’opposera avec beaucoup plus d’ardeur que Jean-Paul II à tout ce qui concerne l’homosexualité, qu’il considère contraire à la morale « naturelle ».

Au Canada, l’Ontario est la première province à accepter les mariages entre conjoints de même sexe en juin 2003, suite à une décision de la Cour supérieure. La plupart des autres provinces ont suivi, dont le Québec en mars 2004. Au moment de l’adoption de la loi fédérale, l’Alberta et l’Île du Prince Édouard sont les seules provinces à refuser les mariages homosexuels.

En 1995, le député bloquiste Réal Ménard, ouvertement homosexuel, présente une motion demandant la reconnaissance des mariages entre conjoints du même sexe. La motion est rejetée par 124 voix contre 52. Entre 1998 et 2003, le député néo-démocrate Svend Robison, lui aussi ouvertement homosexuel, présente trois projets de loi, sans succès.

En 2003, l’Alliance canadienne (ancêtre de l’actuel Parti conservateur) présente une motion pour réaffirmer la définition traditionnelle du mariage, soit l’union entre un homme et une femme. La motion est battue par 137 voix contre 132. Signe d’un malaise profond au sein du Parti libéral, officiellement engagé à permettre le mariage homosexuel dans tout le Canada, 53 députés libéraux votent pour la motion et une vingtaine s’absentent au moment du vote.

Du côté du Bloc québécois, trois des 34 députés appuient la motion de l’Alliance. Quatre s’absentent au moment du vote (dont Mario Laframboise, actuel député caquiste de Blainville). Ils disaient vouloir attendre le jugement de la Cour suprême du Canada, qui doit déterminer de la constitutionnalité du projet de loi reconnaissant les mariages homosexuels. Je répète parce que c’est savoureux. Quatre députés bloquistes ont dit vouloir attendre l’opinion de la Cour suprême du Canada avant de prendre une décision.

C’est finalement en 2005 que le projet de loi final est déposé et adopté. D’un côté, il y a le premier ministre Paul Martin, qui a mis son opposition personnelle (opposition qu’il attribue à son éducation catholique) de côté par devoir civique. Partisan tiède en 2003, il est en 2005 un fier avocat du mariage pour tous. De l’autre côté, il y a le chef de l’Opposition, Stephen Harper, qui défend avec vigueur la définition traditionnelle du mariage au nom des valeurs chrétiennes et canadiennes. Le Bloc québécois et le NPD appuient tous deux la proposition, mais laissent le vote libre à leurs députés.

Des députés libéraux participent avec les conservateurs à l’obstruction parlementaire pour retarder le projet de loi et empêcher qu’il soit adopté avant la fin de la session. 14 députés libéraux votent avec les conservateurs contre la prolongation de la session demandée par le gouvernement. C’est le Bloc québécois qui vient au secours du gouvernement libéral pour permettre l’adoption de la loi.

Voici le détail du vote par partis:
Parti Pour/Contre/Abstention
PLC 95/32/2
PCC 3/93/0
BQ 43/5/2
NPD 17/1/0

Fait cocasse: Le député conservateur albertain Peter Goldring, violemment opposé au mariage homosexuel, est accusé d’incitation à la haine par le révérend Ted Kolber de l’Église unie du Canada (chrétienne). Dans le Calgary Sun, le chroniqueur de droite Link Byfield accuse le révérend Kolber… d’intolérance. Parce que Kolber ne « tolère » pas les opinions différentes de la sienne. Ça ne s’invente pas.

Et pendant que Stephen Harper, Vic Toews et leurs collègues chrétiens s’opposent au mariage gai en invoquant la Bible, le chroniqueur Richard Gwyn du Toronto Star nous prévient que les droits des homosexuels pourraient bien être menacés par… l’immigration. « La ferme opposition aux mariages homosexuels au sein des groupes ethniques est un avant-goût de notre avenir. » Ironie. Ou cécité, c’est selon.

Dans les pages du Devoir, le psychologue Yves Laberge défend la définition traditionnelle du mariage au nom des lois immuables de la biologie: « On ne peut pas confondre une pratique sexuelle particulière comme l’homosexualité avec une identité sexuelle et concéder à cette pratique sexuelle la même reconnaissance de droit au plan du mariage que celle accordée à la relation homme-femme qui, malgré ses avatars, est la seule à pouvoir assurer la pérennité de la société et de l’espèce. »

Au Québec, on retrouve parmi les opposants une certaine Denise Bombardier, pour qui la seule finalité du mariage est la procréation (amusant quand on sait qu’elle s’est remariée à 62 ans). Le 16 septembre 2003, elle participait à l’émission le Point face à Louis Godbout, secrétaire des Archives du Québec et militant pour les droits des homosexuels. À la fois intervieweuse et débatteuse, elle interrompt allègrement son invité pour imposer son point de vue. Elle met en valeur son doctorat alors que son interlocuteur, elle le souligne, travaille dans le domaine des pâtes et papiers. Elle nous sort le cliché de « Je ne suis pas homophobe, j’ai des amis gais. » Elle prétend d’ailleurs parler au nom des nombreuses personnes homosexuelles opposées au mariage gai mais qui ont peur de prendre la parole à cause de la pression de leur communauté. Puis elle tombe dans tous les clichés. Les homosexuels sont infidèles par nature. Le défilé de la fierté gaie est ridicule. Les gais aiment se présenter en victimes. Bref, peu édifiant. C’était la première et dernière participation de Denise Bombardier à l’émission. Rima Elkouri lui sert une réplique cinglante dans la Presse deux jours plus tard. Une plainte au Conseil de presse a été retenue contre Radio-Canada pour avoir permis ce débat. La principale intéressée dira avoir été victime du lobby des « fondamentalistes gais », quoi que ça veuille dire.

Bref, aucun changement depuis 20 ans. Les conservateurs défendent toujours les « lois de la nature » contre le tout-puissant lobby LGBTQ+ (nom variable selon les époques), les immigrants sont toujours accusés d’incompatibilité culturelle et les véritables intolérants sont ceux qui prêchent la tolérance. Tout va bien.

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  • Les 20 ans du mariage homosexuel au Canada
    Il y a 20 ans, le Parlement canadien adoptait la Loi sur le mariage civil, qui autorisait les conjoints de même sexe à se marier partout au pays. C’est une belle occasion de faire un voyage dans le temps. Le monde de 2005 est complètement différent de celui qu’on connaît aujourd’hui. Malgré un nouveau chef, le gouvernement du Canada, libéral minoritaire, s’essouffle. L’armée israélienne tue des civils dans la bande de Gaza. Commentateurs et politiciens de droite nous mettent en garde contre l
     

Les 20 ans du mariage homosexuel au Canada

21 juillet 2025 à 07:44

Il y a 20 ans, le Parlement canadien adoptait la Loi sur le mariage civil, qui autorisait les conjoints de même sexe à se marier partout au pays. C’est une belle occasion de faire un voyage dans le temps.

Le monde de 2005 est complètement différent de celui qu’on connaît aujourd’hui. Malgré un nouveau chef, le gouvernement du Canada, libéral minoritaire, s’essouffle. L’armée israélienne tue des civils dans la bande de Gaza. Commentateurs et politiciens de droite nous mettent en garde contre l’islamisation imminente de l’Occident. Les Autochtones canadiens contestent les décisions des gouvernements provinciaux, qui laissent les compagnies forestières ignorer leurs droits ancestraux. Et la société se déchire avec des débats concernant les minorités sexuelles.

Réal Ménard, député bloquiste de Hochelaga / Hochelaga-Maisonneuve de 1993 à 2009

Certains états américains permettent déjà les mariages homosexuels, mais le président George W. Bush fait campagne pour amender la constitution afin de les interdire sur tout le territoire. Le 19 avril 2005, Benoît XVI est élu pape de l’Église catholique. Il s’opposera avec beaucoup plus d’ardeur que Jean-Paul II à tout ce qui concerne l’homosexualité, qu’il considère contraire à la morale “naturelle”.

Au Canada, l’Ontario est la première province à accepter les mariages entre conjoints de même sexe en juin 2003, suite à une décision de la Cour supérieure. La plupart des autres provinces ont suivi, dont le Québec en mars 2004. Au moment de l’adoption de la loi fédérale, l’Alberta et l’Île du Prince Édouard sont les seules provinces à refuser les mariages homosexuels.

En 1995, le député bloquiste Réal Ménard, ouvertement homosexuel, présente une motion demandant la reconnaissance des mariages entre conjoints du même sexe. La motion est rejetée par 124 voix contre 52. Entre 1998 et 2003, le député néo-démocrate Svend Robison, lui aussi ouvertement homosexuel, présente trois projets de loi, sans succès.

En 2003, l’Alliance canadienne (ancêtre de l’actuel Parti conservateur) présente une motion pour réaffirmer la définition traditionnelle du mariage, soit l’union entre un homme et une femme. La motion est battue par 137 voix contre 132. Signe d’un malaise profond au sein du Parti libéral, officiellement engagé à permettre le mariage homosexuel dans tout le Canada, 53 députés libéraux votent pour la motion et une vingtaine s’absentent au moment du vote.

Du côté du Bloc québécois, trois des 34 députés appuient la motion de l’Alliance. Quatre s’absentent au moment du vote (dont Mario Laframboise, actuel député caquiste de Blainville). Ils disaient vouloir attendre le jugement de la Cour suprême du Canada, qui doit déterminer de la constitutionnalité du projet de loi reconnaissant les mariages homosexuels. Je répète parce que c’est savoureux. Quatre députés bloquistes ont dit vouloir attendre l’opinion de la Cour suprême du Canada avant de prendre une décision.

C’est finalement en 2005 que le projet de loi final est déposé et adopté. D’un côté, il y a le premier ministre Paul Martin, qui a mis son opposition personnelle (opposition qu’il attribue à son éducation catholique) de côté par devoir civique. Partisan tiède en 2003, il est en 2005 un fier avocat du mariage pour tous. De l’autre côté, il y a le chef de l’Opposition, Stephen Harper, qui défend avec vigueur la définition traditionnelle du mariage au nom des valeurs chrétiennes et canadiennes. Le Bloc québécois et le NPD appuient tous deux la proposition, mais laissent le vote libre à leurs députés.

Des députés libéraux participent avec les conservateurs à l’obstruction parlementaire pour retarder le projet de loi et empêcher qu’il soit adopté avant la fin de la session. 14 députés libéraux votent avec les conservateurs contre la prolongation de la session demandée par le gouvernement. C’est le Bloc québécois qui vient au secours du gouvernement libéral pour permettre l’adoption de la loi.

Voici le détail du vote par partis:
Parti Pour/Contre/Abstention
PLC 95/32/2
PCC 3/93/0
BQ 43/5/2
NPD 17/1/0

Fait cocasse: Le député conservateur albertain Peter Goldring, violemment opposé au mariage homosexuel, est accusé d’incitation à la haine par le révérend Ted Kolber de l’Église unie du Canada (chrétienne). Dans le Calgary Sun, le chroniqueur de droite Link Byfield accuse le révérend Kolber… d’intolérance. Parce que Kolber ne “tolère” pas les opinions différentes de la sienne. Ça ne s’invente pas.

Et pendant que Stephen Harper, Vic Toews et leurs collègues chrétiens s’opposent au mariage gai en invoquant la Bible, le chroniqueur Richard Gwyn du Toronto Star nous prévient que les droits des homosexuels pourraient bien être menacés par… l’immigration. “La ferme opposition aux mariages homosexuels au sein des groupes ethniques est un avant-goût de notre avenir.” Ironie. Ou cécité, c’est selon.

Dans les pages du Devoir, le psychologue Yves Laberge défend la définition traditionnelle du mariage au nom des lois immuables de la biologie: “On ne peut pas confondre une pratique sexuelle particulière comme l’homosexualité avec une identité sexuelle et concéder à cette pratique sexuelle la même reconnaissance de droit au plan du mariage que celle accordée à la relation homme-femme qui, malgré ses avatars, est la seule à pouvoir assurer la pérennité de la société et de l’espèce.”

Au Québec, on retrouve parmi les opposants une certaine Denise Bombardier, pour qui la seule finalité du mariage est la procréation (amusant quand on sait qu’elle s’est remariée à 62 ans). Le 16 septembre 2003, elle participait à l’émission le Point face à Louis Godbout, secrétaire des Archives du Québec et militant pour les droits des homosexuels. À la fois intervieweuse et débatteuse, elle interrompt allègrement son invité pour imposer son point de vue. Elle met en valeur son doctorat alors que son interlocuteur, elle le souligne, travaille dans le domaine des pâtes et papiers. Elle nous sort le cliché de “Je ne suis pas homophobe, j’ai des amis gais.” Elle prétend d’ailleurs parler au nom des nombreuses personnes homosexuelles opposées au mariage gai mais qui ont peur de prendre la parole à cause de la pression de leur communauté. Puis elle tombe dans tous les clichés. Les homosexuels sont infidèles par nature. Le défilé de la fierté gaie est ridicule. Les gais aiment se présenter en victimes. Bref, peu édifiant. C’était la première et dernière participation de Denise Bombardier à l’émission. Rima Elkouri lui sert une réplique cinglante dans la Presse deux jours plus tard. Une plainte au Conseil de presse a été retenue contre Radio-Canada pour avoir permis ce débat. La principale intéressée dira avoir été victime du lobby des “fondamentalistes gais”, quoi que ça veuille dire.

Bref, aucun changement depuis 20 ans. Les conservateurs défendent toujours les “lois de la nature” contre le tout-puissant lobby LGBTQ+ (nom variable selon les époques), les immigrants sont toujours accusés d’incompatibilité culturelle et les véritables intolérants sont ceux qui prêchent la tolérance. Tout va bien.

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  • Superman, un film anti-Trump qui fait du bien
    Aveu: Je n’avais pas l’intention d’aller voir le nouveau Superman au cinéma. Comme le dernier Captain America, j’avais l’intention de le regarder lorsqu’il serait disponible en ligne. Puis j’ai vu la grosse polémique « Superwoke » et je me suis dit que si les endormis (ou anti-wokes, si vous préférez) détestent autant ce film, il doit avoir des qualités. Je n’ai pas été déçu! De mon point de vue, le film est clairement anti-Trump, anti-Musk et anti-Netanyahu. Était-ce intentionnel? Probab
     

Superman, un film anti-Trump qui fait du bien

16 juillet 2025 à 09:23

Aveu: Je n’avais pas l’intention d’aller voir le nouveau Superman au cinéma. Comme le dernier Captain America, j’avais l’intention de le regarder lorsqu’il serait disponible en ligne. Puis j’ai vu la grosse polémique « Superwoke » et je me suis dit que si les endormis (ou anti-wokes, si vous préférez) détestent autant ce film, il doit avoir des qualités. Je n’ai pas été déçu! De mon point de vue, le film est clairement anti-Trump, anti-Musk et anti-Netanyahu.

Était-ce intentionnel? Probablement. En 2018, le réalisateur James Gunn a été « cancellé » après s’être moqué de l’administration Trump en ligne. Des trumpistes sont allés fouiller dans les poubelles de Twitter pour trouver des blagues de mauvais goût vieilles de 10 ans et Disney a retiré Gunn du projet des Gardiens de Galaxie 3. Il a fallu une immense pression populaire et interne pour le ramener. Pour l’anecdote, l’ancien PDG de Marvel, Ike Perlmutter, et sa femme Laura, ont financé les trois campagnes présidentielles de Donald Trump. Ils ont donné 10 millions pour la campagne de 2024.

C’est le genre de film que je regarde en prenant des notes (je vous ai dit que je préparais une histoire sociale des super-héros?). Voici donc ce que j’ai retenu:

  • Superman représente le bon immigrant poursuivi injustement par ICE. Le gouvernement américain ne lui reconnaît aucun droit parce qu’il est né sur une autre planète. Il est arrêté sans justification et l’habeas corpus n’est pas respecté. Au cas où la figure de style ne serait pas suffisamment claire, Superman l’affirme carrément à la fin du film: « Je suis aussi humain que vous tous. »
  • Le méchant du film, Lex Luthor, représente Elon Musk (avant sa rupture avec Trump). C’est un milliardaire, magnat de la technologie, qui en mène large auprès du gouvernement américain. Ultra émotif, violent avec sa conjointe et encore plus avec ses ex. Besoin démesuré d’être aimé et adulé, d’où sa jalousie envers Superman. Mégalomane: Son projet implique la création d’un nouveau pays qui porterait son nom et dont il serait le roi.
  • Lex Luthor découvre un enregistrement des parents kryptoniens de Superman qui l’encouragent à prendre le contrôle de la planète Terre afin de protéger les Terriens de leur propre barbarie. Superman n’a jamais vu cet enregistrement avant que Luthor le diffuse. Les gens deviennent convaincus que Superman est venu sur Terre pour les conquérir, même si ce n’est pas du tout conforme avec ses actions. Est-ce un message aux gens qui citent des passages du Coran pour montrer que les musulmans sont venus s’installer en Europe ou en Amérique pour nous asservir? C’est l’impression que j’ai eue, surtout avec cette réplique du père adoptif de Superman: « Peu importe ce qu’ils voulaient communiquer à travers ce message, ça n’aura jamais autant d’importance que comment toi, tu le reçois. » Tout est dit.
  • L’intrigue politique du film tourne principalement autour du conflit entre deux pays fictifs, Boravia et Jarhanpur. Pour moi, il n’y a pas de doute possible: Boravia représente Israël et Jarhanpur est une habile combinaison de Gaza et de l’Iran. Au début du film, Superman empêche une agression de Boravia contre Jarhanpur. Une agression qui devait tuer un maximum de civils. L’intervention de Superman enrage le gouvernement américain, parce que Boravia est allié aux États-Unis alors que Jarhanpur est une nation ennemie. D’un côté, le gouvernement de Boravia prétend vouloir libérer les habitants de Jarhanpur de son gouvernement tyrannique. De l’autre côté, le président de Boravia fait des déclarations clairement génocidaires: « Nous ne dormirons pas tant que les rues ne seront pas inondées du sang de tous les Jarhanpuriens. » Difficile de ne pas faire un lien avec les intentions génocidaires affirmées des dirigeants israéliens. Et comme Donald Trump prévoit l’ouverture d’une station balnéaire à Gaza, Lex Luthor parle des magasins qu’il veut ouvrir dans la nouvelle Jarhanpur une fois la population éradiquée.
  • Il y a bien d’autres parallèles à faire. Je ne les ai peut-être pas tous relevés. Lex Luthor inonde les réseaux sociaux avec des messages de propagande. Un réseau télévisé « d’information » appuie sans preuve les rumeurs absurdes, comme celle voulant que Superman ait un harem de femmes capturées sur Terre qu’il utilise pour créer une nouvelle race supérieure (au moins personne ne l’a accusé de manger des chiens). Les superhéros savent que Superman est innocent, mais ils n’interviennent pas parce qu’ils ne veulent pas perdre l’appui du gouvernement américain. Du début à la fin, j’ai eu l’impression que le réalisateur cherchait à inscrire son film dans la réalité.

ALERTE AU DIVULGÂCHEUR
Le film finit bien. Si comme moi vous voyez les figures de style, votre coeur fond en voyant la conclusion. Elon Musk est arrêté. Bibi est tué par une superhéroïne. Green Lantern empêche les soldats israéliens de massacrer des enfants gazaouïs. Et la bande de Gaza est libérée. Du moins, c’est mon interprétation.
FIN DE L’ALERTE AU DIVULGÂCHEUR

Bref, je comprends que les trumpistes et les endormis n’aient pas aimé le film. L’insulte suprême: le seul superhéros (autre que Superman) qui ait des principes et qui soit montré comme vraiment compétent est le seul Afro-Américain de l’équipe.

Pour les personnes qui accusent James Gunn d’avoir « wokisé » Superman: Les superhéros ont toujours été politiques. Ils cassaient la gueule d’Adolf Hitler avant même que les États-Unis entrent en guerre contre l’Allemagne en 1941. La plupart des créateurs étaient Juifs et voulaient sensibiliser les Américains aux événements européens. En 1943, Superman se battait contre le Ku Klux Klan. Il y a toujours eu des messages d’intérêts publics dans les aventures de Superman, invitant les Américains à se rassembler indépendamment de leurs différences. Donc non, James Gunn a parfaitement compris le personnage de Superman.

Dans un contexte politique et mondial incroyablement anxiogène, un film où le héros affronte de vrais méchants et où les gentils gagnent à la fin fait du bien à l’âme. Je vous encourage à aller le voir si ce n’est pas déjà fait.

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  • Superman, un film anti-Trump qui fait du bien
    Aveu: Je n’avais pas l’intention d’aller voir le nouveau Superman au cinéma. Comme le dernier Captain America, j’avais l’intention de le regarder lorsqu’il serait disponible en ligne. Puis j’ai vu la grosse polémique “Superwoke” et je me suis dit que si les endormis (ou anti-wokes, si vous préférez) détestent autant ce film, il doit avoir des qualités. Je n’ai pas été déçu! De mon point de vue, le film est clairement anti-Trump, anti-Musk et anti-Netanyahu. Était-ce intentionnel? Probable
     

Superman, un film anti-Trump qui fait du bien

16 juillet 2025 à 09:23

Aveu: Je n’avais pas l’intention d’aller voir le nouveau Superman au cinéma. Comme le dernier Captain America, j’avais l’intention de le regarder lorsqu’il serait disponible en ligne. Puis j’ai vu la grosse polémique “Superwoke” et je me suis dit que si les endormis (ou anti-wokes, si vous préférez) détestent autant ce film, il doit avoir des qualités. Je n’ai pas été déçu! De mon point de vue, le film est clairement anti-Trump, anti-Musk et anti-Netanyahu.

Était-ce intentionnel? Probablement. En 2018, le réalisateur James Gunn a été “cancellé” après s’être moqué de l’administration Trump en ligne. Des trumpistes sont allés fouiller dans les poubelles de Twitter pour trouver des blagues de mauvais goût vieilles de 10 ans et Disney a retiré Gunn du projet des Gardiens de Galaxie 3. Il a fallu une immense pression populaire et interne pour le ramener. Pour l’anecdote, l’ancien PDG de Marvel, Ike Perlmutter, et sa femme Laura, ont financé les trois campagnes présidentielles de Donald Trump. Ils ont donné 10 millions pour la campagne de 2024.

C’est le genre de film que je regarde en prenant des notes (je vous ai dit que je préparais une histoire sociale des super-héros?). Voici donc ce que j’ai retenu:

  • Superman représente le bon immigrant poursuivi injustement par ICE. Le gouvernement américain ne lui reconnaît aucun droit parce qu’il est né sur une autre planète. Il est arrêté sans justification et l’habeas corpus n’est pas respecté. Au cas où la figure de style ne serait pas suffisamment claire, Superman l’affirme carrément à la fin du film: “Je suis aussi humain que vous tous.”
  • Le méchant du film, Lex Luthor, représente Elon Musk (avant sa rupture avec Trump). C’est un milliardaire, magnat de la technologie, qui en mène large auprès du gouvernement américain. Ultra émotif, violent avec sa conjointe et encore plus avec ses ex. Besoin démesuré d’être aimé et adulé, d’où sa jalousie envers Superman. Mégalomane: Son projet implique la création d’un nouveau pays qui porterait son nom et dont il serait le roi.
  • Lex Luthor découvre un enregistrement des parents kryptoniens de Superman qui l’encouragent à prendre le contrôle de la planète Terre afin de protéger les Terriens de leur propre barbarie. Superman n’a jamais vu cet enregistrement avant que Luthor le diffuse. Les gens deviennent convaincus que Superman est venu sur Terre pour les conquérir, même si ce n’est pas du tout conforme avec ses actions. Est-ce un message aux gens qui citent des passages du Coran pour montrer que les musulmans sont venus s’installer en Europe ou en Amérique pour nous asservir? C’est l’impression que j’ai eue, surtout avec cette réplique du père adoptif de Superman: “Peu importe ce qu’ils voulaient communiquer à travers ce message, ça n’aura jamais autant d’importance que comment toi, tu le reçois.” Tout est dit.
  • L’intrigue politique du film tourne principalement autour du conflit entre deux pays fictifs, Boravia et Jarhanpur. Pour moi, il n’y a pas de doute possible: Boravia représente Israël et Jarhanpur est une habile combinaison de Gaza et de l’Iran. Au début du film, Superman empêche une agression de Boravia contre Jarhanpur. Une agression qui devait tuer un maximum de civils. L’intervention de Superman enrage le gouvernement américain, parce que Boravia est allié aux États-Unis alors que Jarhanpur est une nation ennemie. D’un côté, le gouvernement de Boravia prétend vouloir libérer les habitants de Jarhanpur de son gouvernement tyrannique. De l’autre côté, le président de Boravia fait des déclarations clairement génocidaires: “Nous ne dormirons pas tant que les rues ne seront pas inondées du sang de tous les Jarhanpuriens.” Difficile de ne pas faire un lien avec les intentions génocidaires affirmées des dirigeants israéliens. Et comme Donald Trump prévoit l’ouverture d’une station balnéaire à Gaza, Lex Luthor parle des magasins qu’il veut ouvrir dans la nouvelle Jarhanpur une fois la population éradiquée.
  • Il y a bien d’autres parallèles à faire. Je ne les ai peut-être pas tous relevés. Lex Luthor inonde les réseaux sociaux avec des messages de propagande. Un réseau télévisé “d’information” appuie sans preuve les rumeurs absurdes, comme celle voulant que Superman ait un harem de femmes capturées sur Terre qu’il utilise pour créer une nouvelle race supérieure (au moins personne ne l’a accusé de manger des chiens). Les superhéros savent que Superman est innocent, mais ils n’interviennent pas parce qu’ils ne veulent pas perdre l’appui du gouvernement américain. Du début à la fin, j’ai eu l’impression que le réalisateur cherchait à inscrire son film dans la réalité.

ALERTE AU DIVULGÂCHEUR
Le film finit bien. Si comme moi vous voyez les figures de style, votre coeur fond en voyant la conclusion. Elon Musk est arrêté. Bibi est tué par une superhéroïne. Green Lantern empêche les soldats israéliens de massacrer des enfants gazaouïs. Et la bande de Gaza est libérée. Du moins, c’est mon interprétation.
FIN DE L’ALERTE AU DIVULGÂCHEUR

Bref, je comprends que les trumpistes et les endormis n’aient pas aimé le film. L’insulte suprême: le seul superhéros (autre que Superman) qui ait des principes et qui soit montré comme vraiment compétent est le seul Afro-Américain de l’équipe.

Pour les personnes qui accusent James Gunn d’avoir “wokisé” Superman: Les superhéros ont toujours été politiques. Ils cassaient la gueule d’Adolf Hitler avant même que les États-Unis entrent en guerre contre l’Allemagne en 1941. La plupart des créateurs étaient Juifs et voulaient sensibiliser les Américains aux événements européens. En 1943, Superman se battait contre le Ku Klux Klan. Il y a toujours eu des messages d’intérêts publics dans les aventures de Superman, invitant les Américains à se rassembler indépendamment de leurs différences. Donc non, James Gunn a parfaitement compris le personnage de Superman.

Dans un contexte politique et mondial incroyablement anxiogène, un film où le héros affronte de vrais méchants et où les gentils gagnent à la fin fait du bien à l’âme. Je vous encourage à aller le voir si ce n’est pas déjà fait.

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  • Entretiens d’embauche chatbotisés
    Les entretiens d’embauche avec des humains sont en train de prendre fin, rapporte le New York Times en évoquant l’essor des entretiens avec des systèmes d’IA. L’expérience avec ces robots intervieweurs, comme ceux développés par Ribbon AI, Talently ou Apriora, se révèle très déshumanisante, témoignent ceux qui y sont confrontés. Les questions sont souvent un peu creuses et les chatbots ne savent pas répondre aux questions des candidats sur le poste ou sur la suite du processus de recrutement (co
     

Entretiens d’embauche chatbotisés

11 juillet 2025 à 00:30

Les entretiens d’embauche avec des humains sont en train de prendre fin, rapporte le New York Times en évoquant l’essor des entretiens avec des systèmes d’IA. L’expérience avec ces robots intervieweurs, comme ceux développés par Ribbon AI, Talently ou Apriora, se révèle très déshumanisante, témoignent ceux qui y sont confrontés. Les questions sont souvent un peu creuses et les chatbots ne savent pas répondre aux questions des candidats sur le poste ou sur la suite du processus de recrutement (comme si ces éléments n’étaient finalement pas importants).

A croire que l’embauche ne consiste qu’en une correspondance d’un profil à un poste, la RHTech scie assurément sa propre utilité. Quant aux biais sélectifs de ces outils, parions qu’ils sont au moins aussi défaillants que les outils de recrutements automatisés qui peinent déjà à faire des correspondances adaptées. La course au pire continue !

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  • Scannés par l’IA
    Le loueur de voiture Hertz a commencé à déployer des scanneurs de voitures développées par UVeye pour inspecter les véhicules après leur location afin de vérifier leur état, explique The Drive (voir également cet article). Problème : le système est trop précis et surcharge les clients de frais pour des accrocs microscopiques qu’un être humain n’aurait pas remarqué.   Les tensions n’ont pas manqué d’éclater, et elles sont d’autant plus nombreuses qu’il est très difficile de contacter un agent
     

Scannés par l’IA

11 juillet 2025 à 00:23

Le loueur de voiture Hertz a commencé à déployer des scanneurs de voitures développées par UVeye pour inspecter les véhicules après leur location afin de vérifier leur état, explique The Drive (voir également cet article). Problème : le système est trop précis et surcharge les clients de frais pour des accrocs microscopiques qu’un être humain n’aurait pas remarqué.  

Les tensions n’ont pas manqué d’éclater, et elles sont d’autant plus nombreuses qu’il est très difficile de contacter un agent de l’entreprise pour discuter ou contester les frais dans ce processus de rendu de véhicule automatisé, et que cela est impossible via le portail applicatif où les clients peuvent consulter et régler les dommages attribués à leurs locations. Des incidents d’usure mineurs ou indépendants des conducteurs, comme un éclat lié à un gravillon, sont désormais parfaitement détectés et facturés. Le problème, c’est le niveau de granularité et de précision qui a tendance a surdiagnostiquer les éraflures. Décidément, adapter les faux positifs à la réalité est partout une gageure ou un moyen pour générer des profits inédits.

MAJ du 02/09/2025 : Dans un article pour le New York Times, on apprend que Hertz à mis en place ses scanneurs pour l’instant dans ses agences de 5 aéroports américains. Que moins de 3 % des véhicules scannés par le système d’IA présentent des dommages facturables. Qu’une meilleure détection des dommages est l’argument de vente de Uveye, qui annonce sur son site web que sa technologie peut « détecter 5 fois plus de dommages que les contrôles manuels » et générer « une valeur totale des dommages détectés 6 fois supérieure ». Dans Le Monde, Rafaële Rivais rappelle que sur les forums de consommateurs, « l’arnaque à la rayure de la voiture de location » occupe une place de choix : les clients qui ont loué un véhicule protestent contre les grosses sommes d’argent que leur ont ensuite prélevées les loueurs, au titre de dégradations qu’ils nient avoir commises.

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  • L’IA, un nouvel internet… sans condition
    Tous les grands acteurs des technologies ont entamé leur mue. Tous se mettent à intégrer l’IA à leurs outils et plateformes, massivement. Les Big Tech se transforment en IA Tech. Et l’histoire du web, telle qu’on l’a connue, touche à sa fin, prédit Thomas Germain pour la BBC. Nous entrons dans « le web des machines », le web synthétique, le web artificiel où tous les contenus sont appelés à être générés en permanence, à la volée, en s’appuyant sur l’ensemble des contenus disponibles, sans que ce
     

L’IA, un nouvel internet… sans condition

10 juillet 2025 à 00:40

Tous les grands acteurs des technologies ont entamé leur mue. Tous se mettent à intégrer l’IA à leurs outils et plateformes, massivement. Les Big Tech se transforment en IA Tech. Et l’histoire du web, telle qu’on l’a connue, touche à sa fin, prédit Thomas Germain pour la BBC. Nous entrons dans « le web des machines », le web synthétique, le web artificiel où tous les contenus sont appelés à être générés en permanence, à la volée, en s’appuyant sur l’ensemble des contenus disponibles, sans que ceux-ci soient encore disponibles voire accessibles. Un second web vient se superposer au premier, le recouvrir… avec le risque de faire disparaître le web que nous avons connu, construit, façonné. 

Jusqu’à présent, le web reposait sur un marché simple, rappelle Germain. Les sites laissaient les moteurs de recherche indexer leurs contenus et les moteurs de recherche redirigeaient les internautes vers les sites web référencés. « On estime que 68 % de l’activité Internet commence sur les moteurs de recherche et qu’environ 90 % des recherches se font sur Google. Si Internet est un jardin, Google est le soleil qui fait pousser les fleurs »

Ce système a été celui que nous avons connu depuis les origines du web. L’intégration de l’IA, pour le meilleur ou pour le pire, promet néanmoins de transformer radicalement cette expérience. Confronté à une nette dégradation des résultats de la recherche, notamment due à l’affiliation publicitaire et au spam, le PDG de Google, Sundar Pichai, a promis une « réinvention totale de la recherche » en lançant son nouveau « mode IA ». Contrairement aux aperçus IA disponibles jusqu’à présent, le mode IA va remplacer complètement les résultats de recherche traditionnels. Désormais, un chatbot va créer un article pour répondre aux questions. En cours de déploiement et facultatif pour l’instant, à terme, il sera « l’avenir de la recherche Google »

Un détournement massif de trafic

Les critiques ont montré que, les aperçus IA généraient déjà beaucoup moins de trafic vers le reste d’internet (de 30 % à 70 %, selon le type de recherche. Des analyses ont également révélé qu’environ 60 % des recherches Google depuis le lancement des aperçus sont désormais « zéro clic », se terminant sans que l’utilisateur ne clique sur un seul lien – voir les études respectives de SeerInteractive, Semrush, Bain et Sparktoro), et beaucoup craignent que le mode IA ne renforce encore cette tendance. Si cela se concrétise, cela pourrait anéantir le modèle économique du web tel que nous le connaissons. Google estime que ces inquiétudes sont exagérées, affirmant que le mode IA « rendra le web plus sain et plus utile ». L’IA dirigerait les utilisateurs vers « une plus grande diversité de sites web » et le trafic serait de « meilleure qualité » car les utilisateurs passent plus de temps sur les liens sur lesquels ils cliquent. Mais l’entreprise n’a fourni aucune donnée pour étayer ces affirmations. 

Google et ses détracteurs s’accordent cependant sur un point : internet est sur le point de prendre une toute autre tournure. C’est le principe même du web qui est menacé, celui où chacun peut créer un site librement accessible et référencé. 

L’article de la BBC remarque, très pertinemment, que cette menace de la mort du web a déjà été faite. En 2010, Wired annonçait « la mort du web ». A l’époque, l’essor des smartphones, des applications et des réseaux sociaux avaient déjà suscité des prédictions apocalyptiques qui ne se sont pas réalisées. Cela n’empêche pas les experts d’être soucieux face aux transformations qui s’annoncent. Pour les critiques, certes, les aperçus IA et le mode IA incluent tous deux des liens vers des sources, mais comme l’IA vous donne la réponse que vous cherchez, cliquer sur ceux-ci devient superflu. C’est comme demander un livre à un bibliothécaire et qu’il vous en parle plutôt que de vous le fournir, compare un expert. 

La chute du nombre de visiteurs annoncée pourrait faire la différence entre une entreprise d’édition viable… et la faillite. Pour beaucoup d’éditeurs, ce changement sera dramatique. Nombre d’entreprises constatent que Google affiche leurs liens plus souvent, mais que ceux-ci sont moins cliqués. Selon le cabinet d’analyse de données BrightEdge, les aperçus IA ont entraîné une augmentation de 49 % des impressions sur le web, mais les clics ont chuté de 30 %, car les utilisateurs obtiennent leurs réponses directement de l’IA. « Google a écrit les règles, créé le jeu et récompensé les joueurs », explique l’une des expertes interrogée par la BBC. « Maintenant, ils se retournent et disent : « C’est mon infrastructure, et le web se trouve juste dedans ». »

Demis Hassabis, directeur de Google DeepMind, le laboratoire de recherche en IA de l’entreprise, a déclaré qu’il pensait que demain, les éditeurs alimenteraient directement les modèles d’IA avec leurs contenus, sans plus avoir à se donner la peine de publier des informations sur des sites web accessibles aux humains. Mais, pour Matthew Prince, directeur général de Cloudflare, le problème dans ce web automatisé, c’est que « les robots ne cliquent pas sur les publicités ». « Si l’IA devient l’audience, comment les créateurs seront-ils rémunérés ? » La rémunération directe existe déjà, comme le montrent les licences de contenus que les plus grands éditeurs de presse négocient avec des systèmes d’IA pour qu’elles s’entraînent et exploitent leurs contenus, mais ces revenus là ne compenseront pas la chute d’audience à venir. Et ce modèle ne passera certainement pas l’échelle d’une rétribution généralisée. 

Si gagner de l’argent sur le web devient plus difficile, il est probable que nombre d’acteurs se tournent vers les réseaux sociaux pour tenter de compenser les pertes de revenus. Mais là aussi, les caprices algorithmiques et le développement de l’IA générative risquent de ne pas suffire à compenser les pertes. 

Un nouvel internet sans condition

Pour Google, les réactions aux aperçus IA laissent présager que le mode IA sera extrêmement populaire. « À mesure que les utilisateurs utilisent AI Overviews, nous constatons qu’ils sont plus satisfaits de leurs résultats et effectuent des recherches plus souvent », a déclaré Pichai lors de la conférence des développeurs de Google. Autrement dit, Google affirme que cela améliore la recherche et que c’est ce que veulent les utilisateurs. Mais pour Danielle Coffey, présidente de News/Media Alliance, un groupement professionnel représentant plus de 2 200 journalistes et médias, les réponses de l’IA vont remplacer les produits originaux : « les acteurs comme Google vont gagner de l’argent grâce à notre contenu et nous ne recevons rien en retour ». Le problème, c’est que Google n’a pas laissé beaucoup de choix aux éditeurs, comme le pointait Bloomberg. Soit Google vous indexe pour la recherche et peut utiliser les contenus pour ses IA, soit vous êtes désindexé des deux. La recherche est bien souvent l’une des premières utilisations de outils d’IA. Les inquiétudes sur les hallucinations, sur le renforcement des chambres d’échos dans les réponses que vont produire ces outils sont fortes (on parle même de « chambre de chat » pour évoquer la réverbération des mêmes idées et liens dans ces outils). Pour Cory Doctorow, « Google s’apprête à faire quelque chose qui va vraiment mettre les gens en colère »… et appelle les acteurs à capitaliser sur cette colère à venir. Matthew Prince de Cloudflare prône, lui, une intervention directe. Son projet est de faire en sorte que Cloudflare et un consortium d’éditeurs de toutes tailles bloquent collectivement les robots d’indexation IA, à moins que les entreprises technologiques ne paient pour le contenu. Il s’agit d’une tentative pour forcer la Silicon Valley à négocier. « Ma version très optimiste », explique Prince, « est celle où les humains obtiennent du contenu gratuitement et où les robots doivent payer une fortune pour l’obtenir ». Tim O’Reilly avait proposé l’année dernière quelque chose d’assez similaire : expliquant que les droits dérivés liés à l’exploitation des contenus par l’IA devraient donner lieu à rétribution – mais à nouveau, une rétribution qui restera par nature insuffisante, comme l’expliquait Frédéric Fillioux

Même constat pour le Washington Post, qui s’inquiète de l’effondrement de l’audience des sites d’actualité avec le déploiement des outils d’IA. « Le trafic de recherche organique vers ses sites web a diminué de 55 % entre avril 2022 et avril 2025, selon les données de Similarweb ». Dans la presse américaine, l’audience est en berne et les licenciements continuent.

Les erreurs seront dans la réponse

Pour la Technology Review, c’est la fin de la recherche par mots-clés et du tri des liens proposés. « Nous entrons dans l’ère de la recherche conversationnelle » dont la fonction même vise à « ignorer les liens », comme l’affirme Perplexity dans sa FAQ. La TR rappelle l’histoire de la recherche en ligne pour montrer que des annuaires aux moteurs de recherche, celle-ci a toujours proposé des améliorations, pour la rendre plus pertinente. Depuis 25 ans, Google domine la recherche en ligne et n’a cessé de s’améliorer pour fournir de meilleures réponses. Mais ce qui s’apprête à changer avec l’intégration de l’IA, c’est que les sources ne sont plus nécessairement accessibles et que les réponses sont générées à la volée, aucune n’étant identique à une autre. 

L’intégration de l’IA pose également la question de la fiabilité des réponses. L’IA de Google a par exemple expliqué que la Technology Review avait été mise en ligne en 2022… ce qui est bien sûr totalement faux, mais qu’en saurait une personne qui ne le sait pas ? Mais surtout, cet avenir génératif promet avant tout de fabriquer des réponses à la demande. Mat Honan de la TR donne un exemple : « Imaginons que je veuille voir une vidéo expliquant comment réparer un élément de mon vélo. La vidéo n’existe pas, mais l’information, elle, existe. La recherche générative assistée par l’IA pourrait théoriquement trouver cette information en ligne – dans un manuel d’utilisation caché sur le site web d’une entreprise, par exemple – et créer une vidéo pour me montrer exactement comment faire ce que je veux, tout comme elle pourrait me l’expliquer avec des mots aujourd’hui » – voire très mal nous l’expliquer. L’exemple permet de comprendre comment ce nouvel internet génératif pourrait se composer à la demande, quelque soit ses défaillances. 

Mêmes constats pour Matteo Wrong dans The Atlantic : avec la généralisation de l’IA, nous retournons dans un internet en mode bêta. Les services et produits numériques n’ont jamais été parfaits, rappelle-t-il, mais la généralisation de l’IA risque surtout d’amplifier les problèmes. Les chatbots sont très efficaces pour produire des textes convaincants, mais ils ne prennent pas de décisions en fonction de l’exactitude factuelle. Les erreurs sont en passe de devenir « une des caractéristiques de l’internet ». « La Silicon Valley mise l’avenir du web sur une technologie capable de dérailler de manière inattendue, de s’effondrer à la moindre tâche et d’être mal utilisée avec un minimum de frictions ». Les quelques réussites de l’IA n’ont que peu de rapport avec la façon dont de nombreuses personnes et entreprises comprennent et utilisent cette technologie, rappelle-t-il. Plutôt que des utilisations ciblées et prudentes, nombreux sont ceux qui utilisent l’IA générative pour toutes les tâches imaginables, encouragés par les géants de la tech. « Tout le monde utilise l’IA pour tout », titrait le New York Times. « C’est là que réside le problème : l’IA générative est une technologie suffisamment performante pour que les utilisateurs en deviennent dépendants, mais pas suffisamment fiable pour être véritablement fiable ». Nous allons vers un internet où chaque recherche, itinéraire, recommandation de restaurant, résumé d’événement, résumé de messagerie vocale et e-mail sera plus suspect qu’il n’est aujourd’hui. « Les erreurs d’aujourd’hui pourraient bien, demain, devenir la norme », rendant ses utilisateurs incapables de vérifier ses fonctionnements. Bienvenue dans « l’âge de la paranoïa », clame Wired.

Vers la publicité générative et au-delà !

Mais il n’y a pas que les « contenus » qui vont se recomposer, la publicité également. C’est ainsi qu’il faut entendre les déclarations de Mark Zuckerberg pour automatiser la création publicitaire, explique le Wall Street Journal. « La plateforme publicitaire de Meta propose déjà des outils d’IA capables de générer des variantes de publicités existantes et d’y apporter des modifications mineures avant de les diffuser aux utilisateurs sur Facebook et Instagram. L’entreprise souhaite désormais aider les marques à créer des concepts publicitaires de A à Z ». La publicité représente 97% du chiffre d’affaires de Meta, rappelle le journal (qui s’élève en 2024 à 164 milliards de dollars). Chez Meta les contenus génératifs produisent déjà ce qu’on attend d’eux. Meta a annoncé une augmentation de 8 % du temps passé sur Facebook et de 6 % du temps passé sur Instagram grâce aux contenus génératifs. 15 millions de publicités par mois sur les plateformes de Meta sont déjà générées automatiquement. « Grâce aux outils publicitaires développés par Meta, une marque pourrait demain fournir une image du produit qu’elle souhaite promouvoir, accompagnée d’un objectif budgétaire. L’IA créerait alors l’intégralité de la publicité, y compris les images, la vidéo et le texte. Le système déciderait ensuite quels utilisateurs Instagram et Facebook cibler et proposerait des suggestions en fonction du budget ». Selon la géolocalisation des utilisateurs, la publicité pourrait s’adapter en contexte, créant l’image d’une voiture circulant dans la neige ou sur une plage s’ils vivent en montagne ou au bord de la mer. « Dans un avenir proche, nous souhaitons que chaque entreprise puisse nous indiquer son objectif, comme vendre quelque chose ou acquérir un nouveau client, le montant qu’elle est prête à payer pour chaque résultat, et connecter son compte bancaire ; nous nous occuperons du reste », a déclaré Zuckerberg lors de l’assemblée générale annuelle des actionnaires de l’entreprise. 

Nilay Patel, le rédac chef de The Verge, parle de « créativité infinie ». C’est d’ailleurs la même idée que l’on retrouve dans les propos de Jensen Huang, le PDG de Nvidia, quand il promet de fabriquer les « usines à IA » qui généreront le web demain. Si toutes les grandes entreprises et les agences de publicité ne sont pas ravies de la proposition – qui leur est fondamentalement hostile, puisqu’elle vient directement les concurrencer -, d’autres s’y engouffrent déjà, à l’image d’Unilever qui explique sur Adweek que l’IA divise par deux ses budgets publicitaires grâce à son partenariat avec Nvidia. « Unilever a déclaré avoir réalisé jusqu’à 55 % d’économies sur ses campagnes IA, d’avoir réduit les délais de production de 65% tout en doublant le taux de clic et en retenant l’attention des consommateurs trois fois plus longtemps »

L’idée finalement très partagée par tous les géants de l’IA, c’est bien d’annoncer le remplacement du web que l’on connaît par un autre. Une sous-couche générative qu’il maîtriseraient, capable de produire un web à leur profit, qu’ils auraient avalé et digéré. 

Vers des revenus génératifs ?

Nilay Patel était l’année dernière l’invité du podcast d’Ezra Klein pour le New York Times qui se demandait si cette transformation du web allait le détruire ou le sauver. Dans cette discussion parfois un peu décousue, Klein rappelle que l’IA se développe d’abord là où les produits n’ont pas besoin d’être très performants. Des tâches de codage de bas niveau aux devoirs des étudiants, il est également très utilisé pour la diffusion de contenus médiocres sur l’internet. Beaucoup des contenus d’internet ne sont pas très performants, rappelle-t-il. Du spam au marketing en passant par les outils de recommandations des réseaux sociaux, internet est surtout un ensemble de contenus à indexer pour délivrer de la publicité elle-même bien peu performante. Et pour remplir cet « internet de vide », l’IA est assez efficace. Les plateformes sont désormais inondées de contenus sans intérêts, de spams, de slops, de contenus de remplissage à la recherche de revenus. Et Klein de se demander que se passera-t-il lorsque ces flots de contenu IA s’amélioreront ? Que se passera-t-il lorsque nous ne saurons plus s’il y a quelqu’un à l’autre bout du fil de ce que nous voyons, lisons ou entendons ? Y aura-t-il encore quelqu’un d’ailleurs, où n’aurons nous accès plus qu’à des contenus génératifs ?

Pour Patel, pour l’instant, l’IA inonde le web de contenus qui le détruisent. En augmentant à l’infini l’offre de contenu, le système s’apprête à s’effondrer sur lui-même : « Les algorithmes de recommandation s’effondrent, notre capacité à distinguer le vrai du faux s’effondre également, et, plus important encore, les modèles économiques d’Internet s’effondrent complètement ». Les contenus n’arrivent plus à trouver leurs publics, et inversement. L’exemple éclairant pour illustrer cela, c’est celui d’Amazon. Face à l’afflux de livres générés par l’IA, la seule réponse d’Amazon a été de limiter le nombre de livres déposables sur la plateforme à trois par jour. C’est une réponse parfaitement absurde qui montre que nos systèmes ne sont plus conçus pour organiser leurs publics et leur adresser les bons contenus. C’est à peine s’ils savent restreindre le flot

Avec l’IA générative, l’offre ne va pas cesser d’augmenter. Elle dépasse déjà ce que nous sommes capables d’absorber individuellement. Pas étonnant alors que toutes les plateformes se transforment de la même manière en devenant des plateformes de téléachats ne proposant plus rien d’autre que de courtes vidéos.

« Toutes les plateformes tendent vers le même objectif, puisqu’elles sont soumises aux mêmes pressions économiques ». Le produit des plateformes c’est la pub. Elles mêmes ne vendent rien. Ce sont des régies publicitaires que l’IA promet d’optimiser depuis les données personnelles collectées. Et demain, nos boîtes mails seront submergées de propositions marketing générées par l’IA… Pour Patel, les géants du net ont arrêté de faire leur travail. Aucun d’entre eux ne nous signale plus que les contenus qu’ils nous proposent sont des publicités. Google Actualités référence des articles écrits par des IA sans que cela ne soit un critère discriminant pour les référenceurs de Google, expliquait 404 média (voir également l’enquête de Next sur ce sujet qui montre que les sites générés par IA se démultiplient, « pour faire du fric »). Pour toute la chaîne, les revenus semblent être devenus le seul objectif.

Et Klein de suggérer que ces contenus vont certainement s’améliorer, comme la génération d’image et de texte n’a cessé de s’améliorer. Il est probable que l’article moyen d’ici trois ans sera meilleur que le contenu moyen produit par un humain aujourd’hui. « Je me suis vraiment rendu compte que je ne savais pas comment répondre à la question : est-ce un meilleur ou un pire internet qui s’annonce ? Pour répondre presque avec le point de vue de Google, est-ce important finalement que le contenu soit généré par un humain ou une IA, ou est-ce une sorte de sentimentalisme nostalgique de ma part ? » 

Il y en a certainement, répond Patel. Il n’y a certainement pas besoin d’aller sur une page web pour savoir combien de temps il faut pour cuire un œuf, l’IA de Google peut vous le dire… Mais, c’est oublier que cette IA générative ne sera pas plus neutre que les résultats de Google aujourd’hui. Elle sera elle aussi façonnée par la publicité. L’enjeu demain ne sera plus d’être dans les 3 premiers résultats d’une page de recherche, mais d’être citée par les réponses construites par les modèles de langages. « Votre client le plus important, désormais, c’est l’IA ! », explique le journaliste Scott Mulligan pour la Technology Review. « L’objectif ultime n’est pas seulement de comprendre comment votre marque est perçue par l’IA, mais de modifier cette perception ». Or, les biais marketing des LLM sont déjà nombreux. Une étude montre que les marques internationales sont souvent perçues comme étant de meilleures qualités que les marques locales. Si vous demandez à un chatbot de recommander des cadeaux aux personnes vivant dans des pays à revenu élevé, il suggérera des articles de marque de luxe, tandis que si vous lui demandez quoi offrir aux personnes vivant dans des pays à faible revenu, il recommandera des marques plus cheap.

L’IA s’annonce comme un nouveau public des marques, à dompter. Et la perception d’une marque par les IA aura certainement des impacts sur leurs résultats financiers. Le marketing a assurément trouvé un nouveau produit à vendre ! Les entreprises vont adorer !

Pour Klein, l’internet actuel est certes très affaibli, pollué de spams et de contenus sans intérêts. Google, Meta et Amazon n’ont pas créé un internet que les gens apprécient, mais bien plus un internet que les gens utilisent à leur profit. L’IA propose certainement non pas un internet que les gens vont plus apprécier, bien au contraire, mais un internet qui profite aux grands acteurs plutôt qu’aux utilisateurs. Pour Patel, il est possible qu’un internet sans IA subsiste, pour autant qu’il parvienne à se financer.

Pourra-t-on encore défendre le web que nous voulons ?

Les acteurs oligopolistiques du numérique devenus les acteurs oligopolistiques de l’IA semblent s’aligner pour transformer le web à leur seul profit, et c’est assurément la puissance (et surtout la puissance financière) qu’ils ont acquis qui le leur permet. La transformation du web en « web des machines » est assurément la conséquence de « notre longue dépossession », qu’évoquait Ben Tarnoff dans son livre, Internet for the People.

La promesse du web synthétique est là pour rester. Et la perspective qui se dessine, c’est que nous avons à nous y adapter, sans discussion. Ce n’est pas une situation très stimulante, bien au contraire. A mesure que les géants de l’IA conquièrent le numérique, c’est nos marges de manœuvres qui se réduisent. Ce sont elles que la régulation devrait chercher à réouvrir, dès à présent. Par exemple en mobilisant très tôt le droit à la concurrence et à l’interopérabilité, pour forcer les acteurs à proposer aux utilisateurs d’utiliser les IA de leurs choix ou en leur permettant, très facilement, de refuser leur implémentations dans les outils qu’ils utilisent, que ce soit leurs OS comme les services qu’ils utilisent. Bref, mobiliser le droit à la concurrence et à l’interopérabilité au plus tôt. Afin que défendre le web que nous voulons ne s’avère pas plus difficile demain qu’il n’était aujourd’hui.

Hubert Guillaud

Cet édito a été originellement publié dans la première lettre d’information de CaféIA le 27 juin 2025.

  • ✇Alexandre Dumas, historien québécois
  • Le pire gouvernement de l’histoire?
    Cliquer ici pour le bilan détaillé. Dans les dernières années, j’ai souvent entendu dire que le gouvernement Trudeau était le pire de l’histoire du Canada. Une affirmation qui m’a toujours fait lever les yeux au ciel. Parce que je sais que dans 99.9% des cas, si je demande de comparer Justin Trudeau à Arthur Meighen ou à R. B. Bennett, je n’aurai aucune réponse. J’ai aussi souvent entendu dire que le gouvernement Legault était le pire de l’histoire du Québec. Là, je l’avoue, j’ai plus de d
     

Le pire gouvernement de l’histoire?

8 juillet 2025 à 08:50

Cliquer ici pour le bilan détaillé.

Dans les dernières années, j’ai souvent entendu dire que le gouvernement Trudeau était le pire de l’histoire du Canada. Une affirmation qui m’a toujours fait lever les yeux au ciel. Parce que je sais que dans 99.9% des cas, si je demande de comparer Justin Trudeau à Arthur Meighen ou à R. B. Bennett, je n’aurai aucune réponse.

J’ai aussi souvent entendu dire que le gouvernement Legault était le pire de l’histoire du Québec. Là, je l’avoue, j’ai plus de difficulté à répondre. Pas parce que je crois que les gens répétant cette affirmation pourraient comparer François Legault à John Jones Ross ou à Simon-Napoléon Parent, mais parce que j’aurais de la difficulté à relativiser.

Depuis 2018, on a souvent comparé la CAQ de François Legault à l’Union nationale de Maurice Duplessis. Effectivement, les points de comparaison n’ont jamais arrêté de se multiplier: la prétention d’incarner la « nation », la posture farouchement anti-syndicale, la méfiance face à l’immigration, le discours alarmiste (vous vous souvenez de la menace de la « louisianisation » du Québec?), le favoritisme éhonté, le gaspillage de fonds publics au profit des amis du régime, le nationalisme défenseur et réactionnaire, la résistance à toute forme de changement…

Pourtant, je considère la comparaison injuste. Pour l’Union nationale. Malgré toutes les critiques (très justifiées) qu’on peut adresser au gouvernement de Maurice Duplessis, c’est aussi un gouvernement qui a bâti. Le Crédit agricole et l’électrification des campagnes ont permis la modernisation de l’agriculture québécoise, qui en avait bien besoin. Le réseau d’Hydro-Québec a triplé sa taille entre 1944 et 1960. L’Université Laval s’est développée, l’Université de Sherbrooke a été fondée et les bases de l’Université du Québec à Trois-Rivières ont été posées.

L’Union nationale a créé l’impôt provincial, une mesure déterminante au niveau des relations fédéral – provincial. À lui seul, le gouvernement du Québec venait mettre un frein à l’offensive centralisatrice du gouvernement d’Ottawa. Soudainement, les provinces retrouvaient (partiellement) le contrôle de leurs revenus, cédés au gouvernement fédéral depuis la Seconde Guerre mondiale. Encore plus remarquable: ce n’était pas une mesure populaire. Malgré toutes les tentatives de l’Union nationale de présenter l’impôt provincial comme une mesure patriotique, le discours public adhérait à l’argument de l’opposition libérale: un nouvel impôt. Un nouvel impôt, c’est un suicide électoral. Ce n’est que grâce à une corruption historique que l’Union nationale a survécu aux élections de 1956. Il faudrait avoir l’esprit particulièrement tordu pour présenter l’impôt provincial comme une mesure électoraliste.

Finalement, rappelons que Duplessis a laissé le Québec dans une santé financière exceptionnelle. Si la Révolution tranquille a été possible, c’est beaucoup grâce à la gestion de l’Union nationale. À moins d’un miracle, on se doute que le gouvernement qui succédera à la CAQ n’héritera pas d’une situation budgétaire enviable. Le surplus du gouvernement Couillard (obtenu grâce à quatre années d’austérité, rappelons-le) s’est transformé en déficit historique et ce n’est pas parce que la CAQ a réinvesti dans les services.

Quel héritage la Coalition Avenir Québec laissera-t-elle à l’histoire?

  • On retiendra peut-être la gestion de la pandémie de COVID-19, bien que le plus grand succès soit celui des relations publiques.
  • Les partisans d’une laïcité hostile à toute manifestation religieuse retiendront la loi 21 et les mesures subséquentes.
  • Les entreprises et les personnes assez riches pour utiliser le système de santé privée et envoyer leurs enfants à l’école privée peuvent honnêtement dire que les politiques fiscales de la CAQ leur ont profité. En revanche, le CAQ lègue des déficits historiques qui vont plomber l’État québécois pour plusieurs années.
  • Certaines initiatives sont appréciables, comme la création du Tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale ou le cours de Citoyenneté et culture québécoise. Il est toutefois trop tôt pour juger s’ils atteindront leurs objectifs.

En revanche, on retiendra certainement :

  • La sourde oreille aux revendications des enseignants, des infirmières et des éducatrices, qui désertent leur profession.
  • Les déficits et la décote du Québec par les agences de notation.
  • Le gaspillage de fonds publics dans SAAQClic, Northvolt, le mythique 3e lien et autres fantaisies.
  • L’abandon de la promesse de réforme du mode de scrutin, un bidon d’essence versé sur les flammes du cynisme.
  • La mise en place des Centres de services scolaires, dont l’inefficacité a été démontrée par la crise de l’école Bedford.
  • Le sacrifice de l’intérêt collectif au profit des intérêts privés, en particulier au niveau environnemental (pensons à la fonderie Horne et à Stablex).
  • L’amplification de la crise du logement par des mesures qui favorisent les propriétaires au détriment des locataires.
  • La loi 89 pour limiter le droit de grève, ce qui couronne le bilan d’un gouvernement férocement anti-syndical.
  • L’utilisation éhontée de l’immigration, des musulmans et des minorités de genre comme paravents et comme bouc émissaires pour grappiller des votes et faire oublier les conséquences de la mauvaise gestion gouvernementale.
  • Le rejet de la science au profit de l’électoralisme (gestion de la pandémie, 3e lien, comité de sages sur l’identité de genre, etc.)

Le prochain gouvernement mettra des années (s’il le souhaite) à simplement réparer les dommages infligés à l’État québécois et à rebâtir le lien de confiance avec la population. François Legault n’a aucune raison d’être fier de « son legs ». Ses réalisations suffoquent sous les décombres de tout ce que son gouvernement a détruit.

La gestion de la COVID-19

Positif : Quand je demande aux gens de me citer un succès de la CAQ, c’est celui qui revient le plus souvent. Il est vrai que certains dossiers ont été bien menés, en particulier celui de la vaccination. Le plus grand succès a probablement été celui des relations publiques. François Legault, Christian Dubé et Horacio Arruda ont fait du bon travail pour nous rassurer dans une période de grande inquiétude et d’incertitude.

Négatif : Tout le reste. La gestion de la pandémie par le gouvernement caquiste a été un grand numéro d’improvisation guidé par l’électoralisme et les intérêts du milieu des affaires. La négligence du gouvernement a conduit à l’hécatombe dans les CHSLD. Des mesures sorties de nulle part comme le couvre-feu et un refus borné de mesures recommandées par la science comme les échangeurs d’air dans les écoles. Pour une liste détaillée des échecs et des ratés sur ce plan, on lira l’ouvrage collectif Traitements-chocs et tartelettes : Bilan critique de la gestion de la COVID-19 au Québec de Josiane Cossette et Julien Simard.

La loi 21

Positif : C’est le deuxième point qui revient le plus souvent. Pour bien des nationalistes et plusieurs militants en faveur d’une laïcité stricte, la Loi sur la laïcité de l’État (adoptée sur division, sous bâillon et après avoir entendu un minimum d’intervenants, rappelons-le) est devenue un symbole de notre affirmation nationale. Les personnes qui me connaissent savent que je n’en fais pas partie.

Négatif : Qu’on soit d’accord ou non avec le principe, je pense qu’on peut s’entendre que la loi n’a pas atteint ses objectifs. La CAQ prétendait mettre fin au débat sur la laïcité. Six ans plus tard, la discussion est toujours aussi acrimonieuse. La saga de l’école Bedford a bien montré qu’interdire le port de signes religieux ostentatoires n’assurait pas une éducation laïque, loin s’en faut. L’interdiction du port de signes religieux par les enseignants continue à diviser. C’était à prévoir, surtout quand on se souvient la façon dont le premier ministre Legault nous avait présenté la mesure : « Au Québec, c’est comme ça qu’on vit. » Quel meilleur moyen de tracer la ligne entre le « nous » et le « eux » ?

Famille

Positif : C’est le domaine sur lequel le gouvernement semble avoir réalisé le meilleur bilan.

  • Retour du tarif unique pour les garderies en 2019 (le gouvernement libéral de Philippe Couillard avais mis en place des tarifs modulables en fonction du revenu des parents).
  • Mesures encourageant le partage du congé parental (4 semaines supplémentaires au total si les deux parents prennent au moins 10 semaines chacun).
  • Réforme du droit de la famille.
  • Création du patrimoine familial pour les conjoints de fait avec enfants. Création du régime d’union parentale.
  • Création du Supplément pour enfant handicapé nécessité des soins (SEHNSE).

Négatif : Le gouvernement se fait tirer l’oreille pour améliorer les salaires dérisoires et les conditions de travail des éducatrices en garderie alors qu’elles désertent leur profession et qu’il n’y a pas de relève.

Finances

Positif : Avec les baisses d’impôts, le « bouclier anti-inflation » (les fameux chèques de 400$ à 600$ envoyés en 2022, année électorale) et la baisse de la taxe scolaire, on peut objectivement dire que les Québécois ont « plus d’argent dans leurs poches ».

Négatif : Déficits historiques. Décote du Québec par les agences de notation. La réduction de la taxe scolaire a considérablement diminué l’autonomie financière des écoles. Gaspillage de quelques 700 millions de dollars dans les dépassements de coûts de SAAQClic. Le prochain gouvernement va hériter d’un triste contexte budgétaire.

Racisme

Positif : La CAQ est le premier gouvernement à avoir confié à un ministre la responsabilité de la lutte contre le racisme.

Négatif : Le gouvernement rejette le concept de racisme systémique pourtant mis en lumière par la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec (commission Viens). Il est prêt à aller jusqu’en Cour suprême pour défendre les interpellations « aléatoires » par les policiers bien qu’il ait été démontré à maintes reprises que celles-ci visent les minorités visibles de façon disproportionnée.

Refus de reconnaître le principe de Joyce (autrement dit de reconnaître les particularités des nations et cultures autochtones). Refus de reconnaître la souveraineté politique des nations autochtones (démontré de manière éloquente avec le nouveau régime forestier).

Loin de lutter contre le racisme, le gouvernement le nourrit en pointant du doigt l’immigration pour pratiquement tous les problèmes du Québec, que ceux-ci aient des causes plus profondes ou qu’ils aient carrément été causés par l’inaction de nos dirigeants. On relèvera également la fâcheuse tendance à utiliser les enjeux de laïcité comme paravent, au risque de stigmatisé des communautés déjà marginalisées.

Immigration

Positif : Pour les employeurs, le bilan du premier mandat Legault a été très positif. Pour les personnes qui voulaient travailler ou migrer au Québec également. Après une diminution temporaire de 20% de l’immigration permanente en 2019,  le gouvernement est revenu aux chiffres du gouvernement Couillard pour les dépasser en 2022. L’ironie, c’est que ce gouvernement qui a battu des records en matière d’immigration lors de son premier mandat nous dit aujourd’hui que tous nos problèmes sont causés par une trop forte immigration.

Négatif : Restriction des critères d’admission au Programme de l’Expérience québécoise (programme qui facilite l’obtention de la résidence permanente pour les étudiants étrangers). Les démarches pour les regroupements familiaux sont labyrinthiques et les délais sont de 36 mois (en comparaison de 10 mois dans d’autres provinces canadiennes). Fermeture des classes de francisation.

Santé

Positif : Retour du programme d’accès à la fécondation in vitro. Stratégie pour éliminer progressivement le recours aux agences de placement.

Négatif : C’était la crise en 2018 et c’est toujours la crise en 2025. On réalisera peut-être dans 20 ans que la création de l’agence Santé Québec était la meilleure décision des dernières décennies, mais pour l’instant, les résultats se font attendre. Bras de fer avec les médecins. Sourde oreille aux demandes des infirmières à qui on exige toujours davantage de « mobilité » et de « flexibilité » malgré le fait qu’elles désertent leur profession.

Éducation

Positif : Pour les gens qui détestaient le cours d’éthique et culture religieuse, sa disparition est évidemment considérer comme un pas dans la bonne direction. Le cours de Culture et citoyenneté québécoise (CCQ) peut être considéré comme une bonne innovation malgré ses critiques qui le considèrent « woke ».

Négatif : On ne peut pas dire que remplacer les commissions scolaires francophones par les centres de services scolaires ait été bénéfique. La CAQ prétendait vouloir décentraliser la gouvernance scolaire, mais on n’a jamais eu un ministre de l’Éducation aussi omniprésent dans la prise de décisions que Bernard Drainville. Ce qui est arrivé à Bedford a illustré les nombreuses failles de notre modèle de gestion des écoles. Et rien n’indique qu’on se dirige vers une solution à la pénurie d’enseignants, malgré les critères qui sont sans cesse revus à la baisse (on se souvient de la promesse du « un adulte dans chaque classe »).

Enseignement supérieur

Positif : La loi sur la liberté académique.

Négatif : Ironiquement, ingérences de la ministre de l’Enseignement supérieur pour défendre les intérêts de l’État d’Israël et empêcher les discussions sur le génocide à Gaza.

Diversité de genre et sexuelle

Positif : Le nouveau cours Culture et citoyenneté québécoise présente la diversité de genre aux élèves, s’attaque aux préjugés et distingue les notions de sexe et de genre.

Négatif : Le comité de sages sur l’identité de genre qui ne contenait aucune personne trans et dont le rapport ne peut que nourrir le discours défavorable aux femmes trans.

Le développement économique

Le fiasco Northvolt risque d’éclipser tout le positif, s’il y en a. 240 millions de dollars pour l’achat du terrain à Luc Poirier et à ses amis (terrain acheté 20 millions en 2015, rappelons-le). 270 millions pour le financement des activités préliminaires.

Transports

Positif : Le budget pour l’entretien des infrastructures routières est un des rares domaines qui n’a pas eu à se plaindre de coupures. Les deux tiers des investissements en transport au Québec sont dirigés vers le réseau routier (à l’inverse de l’Ontario, où les deux tiers sont consacrés au transport en commun).

Négatif : Politique entièrement dévouée à l’auto solo. Réduction du financement des sociétés de transport en commun. Sous-financement des programmes d’entretien des infrastructures de transport collectif. Les chantiers du REM de l’Est et du tramway de Québec sont retardés depuis des années. La ministre Geneviève Guilbault promet de faire en sorte que le prochain gouvernement ne puisse pas annuler le projet pharaonique du troisième lien Québec – Lévis, dont le coût est évalué à une dizaine de milliards par les évaluations les plus conservatrices, et dont personne n’a jamais su démontrer la nécessité.

Environnement

Positif : Interdiction des voitures à essence à partir de 2035 (d’abord annoncée pour 2030). Depuis 2022, il est interdit sur tout le territoire québécois de rechercher et de produire des hydrocarbures. Un grand pas vers la transition énergétique et pour la protection de notre territoire. Depuis, François Legault s’est dit ouvert à la construction d’un oléoduc sur la Côte-Nord. Ce point positif pourrait donc possiblement disparaître.

Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire : Modernisation bien nécessaire des pratiques (la dernière loi datait de 1990). On tient compte ici des zones inondables, de la densification des quartiers, de la protection des milieux humides, de la mise en valeur des milieux naturels et des terres agricoles et on prend en compte les changements climatiques.

Négatif : Le ministère de l’Environnement devrait être rebaptisé ministère de la Pollution, parce que c’est ce à quoi il a été réduit: distribuer des permis de polluer. Donner aux entreprises la permission de ne pas respecter les lois environnementales. Glencore et Stablex sont particulièrement satisfaites du bon travail de Benoît Charette. La première a convaincu le gouvernement d’élever le seuil acceptable d’émissions d’arsenic pour la fonderie Horne et de nickel pour le port de Québec. La deuxième a reçu le droit de détruire des milieux naturels sur le territoire de Blainville pour permettre l’enfouissement de déchets dangereux. De manière générale, le ministère de l’Environnement a montré à chaque occasion que les intérêts de l’entreprise privée primaient sur tout.

Politique

Positif : Abolition du serment à la couronne pour la députation.

Négatif : Abandon de la promesse de réformer le mode de scrutin.

Justice

Positif : Le tribunal spécialisé en matière de violence conjugale et sexuelle.

Négatif : Poursuites abandonnées à cause du sous-financement de la Justice (349 dossiers abandonnés entre septembre 2023 et avril 2025). Procès annulés parce que les victimes abandonnent le processus ou parce que les délais sont dépassés. Peines bonbon pour éviter l’annulation de procès.

Culture et patrimoine

Positif : Augmentation du financement annuel du Conseil des arts et des lettres du Québec. Création du Musée national de l’histoire du Québec. Projet né dans la controverse, mais qui est porteur d’espoir pour certains.

Négatif : Les espaces bleus, projet mort né. Les Conseils régionaux de la culture crient famine. Coupure des fonds pour la préservation des églises.

Habitation

Positif : Le programme d’Allocation-logement, aide financière accordée aux personnes dont une trop grande part du revenu est consacrée au logement, est passée de 80$ (montant qui n’avait jamais augmenté depuis sa création dans les années 1990) à 150$. Très bien. Mais soyons honnêtes, cette augmentation de 70$ par mois n’a rien à voir avec les hausses de loyer depuis 2018. Bonification de la loi Françoise David pour protéger les locataires aînés contre les évictions. Certaines régions ont été ENFIN connectées à internet haute vitesse grâce au soutien financier du gouvernement.

Négatif : La crise du logement était déjà en cours à l’arrivée au pouvoir de la CAQ et rien n’a été fait pour y mettre un terme. Au contraire, ce gouvernement a tout fait pour favoriser les intérêts des propriétaires au détriment des locataires. Réforme des mécanismes de cession de bail. Nouveau calcul pour le taux d’augmentation des loyers qui encourage des augmentations encore plus élevées. Coupure dans le programme RénoRégion (subvention à la rénovation pour les propriétaires à faible revenu). Coupure dans les programmes pour adapter les résidences aux situations de handicap.

Travail

Positif : Loi sur le travail des enfants (interdiction avant 14 ans et limitation des heures pendant la période scolaire).

Négatif : François Legault n’a jamais caché son biais anti-syndicats. Les syndicats de la fonction publique doivent se battre continuellement pour obtenir des augmentations proportionnelles à l’inflation. Le fait que les éducatrices, les infirmières et les enseignants quittent leur profession n’affecte aucunement la volonté du gouvernement d’améliorer les conditions de travail. Quant au secteur privé, la CAQ a fait tout son possible pour réduire le pouvoir de négociation des syndicats. La loi 89, qui vient limiter le droit de grève, rejoindra probablement les lois Duplessis parmi les lois les plus anti-syndicales de l’histoire du Québec.

  • ✇Alexandre Dumas, historien québécois
  • Le pire gouvernement de l’histoire?
    Cliquer ici pour le bilan détaillé. Dans les dernières années, j’ai souvent entendu dire que le gouvernement Trudeau était le pire de l’histoire du Canada. Une affirmation qui m’a toujours fait lever les yeux au ciel. Parce que je sais que dans 99.9% des cas, si je demande de comparer Justin Trudeau à Arthur Meighen ou à R. B. Bennett, je n’aurai aucune réponse. J’ai aussi souvent entendu dire que le gouvernement Legault était le pire de l’histoire du Québec. Là, je l’avoue, j’ai plus de d
     

Le pire gouvernement de l’histoire?

8 juillet 2025 à 08:50

Cliquer ici pour le bilan détaillé.

Dans les dernières années, j’ai souvent entendu dire que le gouvernement Trudeau était le pire de l’histoire du Canada. Une affirmation qui m’a toujours fait lever les yeux au ciel. Parce que je sais que dans 99.9% des cas, si je demande de comparer Justin Trudeau à Arthur Meighen ou à R. B. Bennett, je n’aurai aucune réponse.

J’ai aussi souvent entendu dire que le gouvernement Legault était le pire de l’histoire du Québec. Là, je l’avoue, j’ai plus de difficulté à répondre. Pas parce que je crois que les gens répétant cette affirmation pourraient comparer François Legault à John Jones Ross ou à Simon-Napoléon Parent, mais parce que j’aurais de la difficulté à relativiser.

Depuis 2018, on a souvent comparé la CAQ de François Legault à l’Union nationale de Maurice Duplessis. Effectivement, les points de comparaison n’ont jamais arrêté de se multiplier: la prétention d’incarner la “nation”, la posture farouchement anti-syndicale, la méfiance face à l’immigration, le discours alarmiste (vous vous souvenez de la menace de la « louisianisation » du Québec?), le favoritisme éhonté, le gaspillage de fonds publics au profit des amis du régime, le nationalisme défenseur et réactionnaire, la résistance à toute forme de changement…

Pourtant, je considère la comparaison injuste. Pour l’Union nationale. Malgré toutes les critiques (très justifiées) qu’on peut adresser au gouvernement de Maurice Duplessis, c’est aussi un gouvernement qui a bâti. Le Crédit agricole et l’électrification des campagnes ont permis la modernisation de l’agriculture québécoise, qui en avait bien besoin. Le réseau d’Hydro-Québec a triplé sa taille entre 1944 et 1960. L’Université Laval s’est développée, l’Université de Sherbrooke a été fondée et les bases de l’Université du Québec à Trois-Rivières ont été posées.

L’Union nationale a créé l’impôt provincial, une mesure déterminante au niveau des relations fédéral – provincial. À lui seul, le gouvernement du Québec venait mettre un frein à l’offensive centralisatrice du gouvernement d’Ottawa. Soudainement, les provinces retrouvaient (partiellement) le contrôle de leurs revenus, cédés au gouvernement fédéral depuis la Seconde Guerre mondiale. Encore plus remarquable: ce n’était pas une mesure populaire. Malgré toutes les tentatives de l’Union nationale de présenter l’impôt provincial comme une mesure patriotique, le discours public adhérait à l’argument de l’opposition libérale: un nouvel impôt. Un nouvel impôt, c’est un suicide électoral. Ce n’est que grâce à une corruption historique que l’Union nationale a survécu aux élections de 1956. Il faudrait avoir l’esprit particulièrement tordu pour présenter l’impôt provincial comme une mesure électoraliste.

Finalement, rappelons que Duplessis a laissé le Québec dans une santé financière exceptionnelle. Si la Révolution tranquille a été possible, c’est beaucoup grâce à la gestion de l’Union nationale. À moins d’un miracle, on se doute que le gouvernement qui succédera à la CAQ n’héritera pas d’une situation budgétaire enviable. Le surplus du gouvernement Couillard (obtenu grâce à quatre années d’austérité, rappelons-le) s’est transformé en déficit historique et ce n’est pas parce que la CAQ a réinvesti dans les services.

Quel héritage la Coalition Avenir Québec laissera-t-elle à l’histoire?

  • On retiendra peut-être la gestion de la pandémie de COVID-19, bien que le plus grand succès soit celui des relations publiques.
  • Les partisans d’une laïcité hostile à toute manifestation religieuse retiendront la loi 21 et les mesures subséquentes.
  • Les entreprises et les personnes assez riches pour utiliser le système de santé privée et envoyer leurs enfants à l’école privée peuvent honnêtement dire que les politiques fiscales de la CAQ leur ont profité. En revanche, le CAQ lègue des déficits historiques qui vont plomber l’État québécois pour plusieurs années.
  • Certaines initiatives sont appréciables, comme la création du Tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale ou le cours de Citoyenneté et culture québécoise. Il est toutefois trop tôt pour juger s’ils atteindront leurs objectifs.

En revanche, on retiendra certainement :

  • La sourde oreille aux revendications des enseignants, des infirmières et des éducatrices, qui désertent leur profession.
  • Les déficits et la décote du Québec par les agences de notation.
  • Le gaspillage de fonds publics dans SAAQClic, Northvolt, le mythique 3e lien et autres fantaisies.
  • L’abandon de la promesse de réforme du mode de scrutin, un bidon d’essence versé sur les flammes du cynisme.
  • La mise en place des Centres de services scolaires, dont l’inefficacité a été démontrée par la crise de l’école Bedford.
  • Le sacrifice de l’intérêt collectif au profit des intérêts privés, en particulier au niveau environnemental (pensons à la fonderie Horne et à Stablex).
  • L’amplification de la crise du logement par des mesures qui favorisent les propriétaires au détriment des locataires.
  • La loi 89 pour limiter le droit de grève, ce qui couronne le bilan d’un gouvernement férocement anti-syndical.
  • L’utilisation éhontée de l’immigration, des musulmans et des minorités de genre comme paravents et comme bouc émissaires pour grappiller des votes et faire oublier les conséquences de la mauvaise gestion gouvernementale.
  • Le rejet de la science au profit de l’électoralisme (gestion de la pandémie, 3e lien, comité de sages sur l’identité de genre, etc.)

Le prochain gouvernement mettra des années (s’il le souhaite) à simplement réparer les dommages infligés à l’État québécois et à rebâtir le lien de confiance avec la population. François Legault n’a aucune raison d’être fier de « son legs ». Ses réalisations suffoquent sous les décombres de tout ce que son gouvernement a détruit.

La gestion de la COVID-19

Positif : Quand je demande aux gens de me citer un succès de la CAQ, c’est celui qui revient le plus souvent. Il est vrai que certains dossiers ont été bien menés, en particulier celui de la vaccination. Le plus grand succès a probablement été celui des relations publiques. François Legault, Christian Dubé et Horacio Arruda ont fait du bon travail pour nous rassurer dans une période de grande inquiétude et d’incertitude.

Négatif : Tout le reste. La gestion de la pandémie par le gouvernement caquiste a été un grand numéro d’improvisation guidé par l’électoralisme et les intérêts du milieu des affaires. La négligence du gouvernement a conduit à l’hécatombe dans les CHSLD. Des mesures sorties de nulle part comme le couvre-feu et un refus borné de mesures recommandées par la science comme les échangeurs d’air dans les écoles. Pour une liste détaillée des échecs et des ratés sur ce plan, on lira l’ouvrage collectif Traitements-chocs et tartelettes : Bilan critique de la gestion de la COVID-19 au Québec de Josiane Cossette et Julien Simard.

La loi 21

Positif : C’est le deuxième point qui revient le plus souvent. Pour bien des nationalistes et plusieurs militants en faveur d’une laïcité stricte, la Loi sur la laïcité de l’État (adoptée sur division, sous bâillon et après avoir entendu un minimum d’intervenants, rappelons-le) est devenue un symbole de notre affirmation nationale. Les personnes qui me connaissent savent que je n’en fais pas partie.

Négatif : Qu’on soit d’accord ou non avec le principe, je pense qu’on peut s’entendre que la loi n’a pas atteint ses objectifs. La CAQ prétendait mettre fin au débat sur la laïcité. Six ans plus tard, la discussion est toujours aussi acrimonieuse. La saga de l’école Bedford a bien montré qu’interdire le port de signes religieux ostentatoires n’assurait pas une éducation laïque, loin s’en faut. L’interdiction du port de signes religieux par les enseignants continue à diviser. C’était à prévoir, surtout quand on se souvient la façon dont le premier ministre Legault nous avait présenté la mesure : « Au Québec, c’est comme ça qu’on vit. » Quel meilleur moyen de tracer la ligne entre le « nous » et le « eux » ?

Famille

Positif : C’est le domaine sur lequel le gouvernement semble avoir réalisé le meilleur bilan.

  • Retour du tarif unique pour les garderies en 2019 (le gouvernement libéral de Philippe Couillard avais mis en place des tarifs modulables en fonction du revenu des parents).
  • Mesures encourageant le partage du congé parental (4 semaines supplémentaires au total si les deux parents prennent au moins 10 semaines chacun).
  • Réforme du droit de la famille.
  • Création du patrimoine familial pour les conjoints de fait avec enfants. Création du régime d’union parentale.
  • Création du Supplément pour enfant handicapé nécessité des soins (SEHNSE).

Négatif : Le gouvernement se fait tirer l’oreille pour améliorer les salaires dérisoires et les conditions de travail des éducatrices en garderie alors qu’elles désertent leur profession et qu’il n’y a pas de relève.

Finances

Positif : Avec les baisses d’impôts, le « bouclier anti-inflation » (les fameux chèques de 400$ à 600$ envoyés en 2022, année électorale) et la baisse de la taxe scolaire, on peut objectivement dire que les Québécois ont « plus d’argent dans leurs poches ».

Négatif : Déficits historiques. Décote du Québec par les agences de notation. La réduction de la taxe scolaire a considérablement diminué l’autonomie financière des écoles. Gaspillage de quelques 700 millions de dollars dans les dépassements de coûts de SAAQClic. Le prochain gouvernement va hériter d’un triste contexte budgétaire.

Racisme

Positif : La CAQ est le premier gouvernement à avoir confié à un ministre la responsabilité de la lutte contre le racisme.

Négatif : Le gouvernement rejette le concept de racisme systémique pourtant mis en lumière par la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec (commission Viens). Il est prêt à aller jusqu’en Cour suprême pour défendre les interpellations « aléatoires » par les policiers bien qu’il ait été démontré à maintes reprises que celles-ci visent les minorités visibles de façon disproportionnée.

Refus de reconnaître le principe de Joyce (autrement dit de reconnaître les particularités des nations et cultures autochtones). Refus de reconnaître la souveraineté politique des nations autochtones (démontré de manière éloquente avec le nouveau régime forestier).

Loin de lutter contre le racisme, le gouvernement le nourrit en pointant du doigt l’immigration pour pratiquement tous les problèmes du Québec, que ceux-ci aient des causes plus profondes ou qu’ils aient carrément été causés par l’inaction de nos dirigeants. On relèvera également la fâcheuse tendance à utiliser les enjeux de laïcité comme paravent, au risque de stigmatisé des communautés déjà marginalisées.

Immigration

Positif : Pour les employeurs, le bilan du premier mandat Legault a été très positif. Pour les personnes qui voulaient travailler ou migrer au Québec également. Après une diminution temporaire de 20% de l’immigration permanente en 2019,  le gouvernement est revenu aux chiffres du gouvernement Couillard pour les dépasser en 2022. L’ironie, c’est que ce gouvernement qui a battu des records en matière d’immigration lors de son premier mandat nous dit aujourd’hui que tous nos problèmes sont causés par une trop forte immigration.

Négatif : Restriction des critères d’admission au Programme de l’Expérience québécoise (programme qui facilite l’obtention de la résidence permanente pour les étudiants étrangers). Les démarches pour les regroupements familiaux sont labyrinthiques et les délais sont de 36 mois (en comparaison de 10 mois dans d’autres provinces canadiennes). Fermeture des classes de francisation.

Santé

Positif : Retour du programme d’accès à la fécondation in vitro. Stratégie pour éliminer progressivement le recours aux agences de placement.

Négatif : C’était la crise en 2018 et c’est toujours la crise en 2025. On réalisera peut-être dans 20 ans que la création de l’agence Santé Québec était la meilleure décision des dernières décennies, mais pour l’instant, les résultats se font attendre. Bras de fer avec les médecins. Sourde oreille aux demandes des infirmières à qui on exige toujours davantage de « mobilité » et de « flexibilité » malgré le fait qu’elles désertent leur profession.

Éducation

Positif : Pour les gens qui détestaient le cours d’éthique et culture religieuse, sa disparition est évidemment considérer comme un pas dans la bonne direction. Le cours de Culture et citoyenneté québécoise (CCQ) peut être considéré comme une bonne innovation malgré ses critiques qui le considèrent « woke ».

Négatif : On ne peut pas dire que remplacer les commissions scolaires francophones par les centres de services scolaires ait été bénéfique. La CAQ prétendait vouloir décentraliser la gouvernance scolaire, mais on n’a jamais eu un ministre de l’Éducation aussi omniprésent dans la prise de décisions que Bernard Drainville. Ce qui est arrivé à Bedford a illustré les nombreuses failles de notre modèle de gestion des écoles. Et rien n’indique qu’on se dirige vers une solution à la pénurie d’enseignants, malgré les critères qui sont sans cesse revus à la baisse (on se souvient de la promesse du « un adulte dans chaque classe »).

Enseignement supérieur

Positif : La loi sur la liberté académique.

Négatif : Ironiquement, ingérences de la ministre de l’Enseignement supérieur pour défendre les intérêts de l’État d’Israël et empêcher les discussions sur le génocide à Gaza.

Diversité de genre et sexuelle

Positif : Le nouveau cours Culture et citoyenneté québécoise présente la diversité de genre aux élèves, s’attaque aux préjugés et distingue les notions de sexe et de genre.

Négatif : Le comité de sages sur l’identité de genre qui ne contenait aucune personne trans et dont le rapport ne peut que nourrir le discours défavorable aux femmes trans.

Le développement économique

Le fiasco Northvolt risque d’éclipser tout le positif, s’il y en a. 240 millions de dollars pour l’achat du terrain à Luc Poirier et à ses amis (terrain acheté 20 millions en 2015, rappelons-le). 270 millions pour le financement des activités préliminaires.

Transports

Positif : Le budget pour l’entretien des infrastructures routières est un des rares domaines qui n’a pas eu à se plaindre de coupures. Les deux tiers des investissements en transport au Québec sont dirigés vers le réseau routier (à l’inverse de l’Ontario, où les deux tiers sont consacrés au transport en commun).

Négatif : Politique entièrement dévouée à l’auto solo. Réduction du financement des sociétés de transport en commun. Sous-financement des programmes d’entretien des infrastructures de transport collectif. Les chantiers du REM de l’Est et du tramway de Québec sont retardés depuis des années. La ministre Geneviève Guilbault promet de faire en sorte que le prochain gouvernement ne puisse pas annuler le projet pharaonique du troisième lien Québec – Lévis, dont le coût est évalué à une dizaine de milliards par les évaluations les plus conservatrices, et dont personne n’a jamais su démontrer la nécessité.

Environnement

Positif : Interdiction des voitures à essence à partir de 2035 (d’abord annoncée pour 2030). Depuis 2022, il est interdit sur tout le territoire québécois de rechercher et de produire des hydrocarbures. Un grand pas vers la transition énergétique et pour la protection de notre territoire. Depuis, François Legault s’est dit ouvert à la construction d’un oléoduc sur la Côte-Nord. Ce point positif pourrait donc possiblement disparaître.

Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire : Modernisation bien nécessaire des pratiques (la dernière loi datait de 1990). On tient compte ici des zones inondables, de la densification des quartiers, de la protection des milieux humides, de la mise en valeur des milieux naturels et des terres agricoles et on prend en compte les changements climatiques.

Négatif : Le ministère de l’Environnement devrait être rebaptisé ministère de la Pollution, parce que c’est ce à quoi il a été réduit: distribuer des permis de polluer. Donner aux entreprises la permission de ne pas respecter les lois environnementales. Glencore et Stablex sont particulièrement satisfaites du bon travail de Benoît Charette. La première a convaincu le gouvernement d’élever le seuil acceptable d’émissions d’arsenic pour la fonderie Horne et de nickel pour le port de Québec. La deuxième a reçu le droit de détruire des milieux naturels sur le territoire de Blainville pour permettre l’enfouissement de déchets dangereux. De manière générale, le ministère de l’Environnement a montré à chaque occasion que les intérêts de l’entreprise privée primaient sur tout.

Politique

Positif : Abolition du serment à la couronne pour la députation.

Négatif : Abandon de la promesse de réformer le mode de scrutin.

Justice

Positif : Le tribunal spécialisé en matière de violence conjugale et sexuelle.

Négatif : Poursuites abandonnées à cause du sous-financement de la Justice (349 dossiers abandonnés entre septembre 2023 et avril 2025). Procès annulés parce que les victimes abandonnent le processus ou parce que les délais sont dépassés. Peines bonbon pour éviter l’annulation de procès.

Culture et patrimoine

Positif : Augmentation du financement annuel du Conseil des arts et des lettres du Québec. Création du Musée national de l’histoire du Québec. Projet né dans la controverse, mais qui est porteur d’espoir pour certains.

Négatif : Les espaces bleus, projet mort né. Les Conseils régionaux de la culture crient famine. Coupure des fonds pour la préservation des églises.

Habitation

Positif : Le programme d’Allocation-logement, aide financière accordée aux personnes dont une trop grande part du revenu est consacrée au logement, est passée de 80$ (montant qui n’avait jamais augmenté depuis sa création dans les années 1990) à 150$. Très bien. Mais soyons honnêtes, cette augmentation de 70$ par mois n’a rien à voir avec les hausses de loyer depuis 2018. Bonification de la loi Françoise David pour protéger les locataires aînés contre les évictions. Certaines régions ont été ENFIN connectées à internet haute vitesse grâce au soutien financier du gouvernement.

Négatif : La crise du logement était déjà en cours à l’arrivée au pouvoir de la CAQ et rien n’a été fait pour y mettre un terme. Au contraire, ce gouvernement a tout fait pour favoriser les intérêts des propriétaires au détriment des locataires. Réforme des mécanismes de cession de bail. Nouveau calcul pour le taux d’augmentation des loyers qui encourage des augmentations encore plus élevées. Coupure dans le programme RénoRégion (subvention à la rénovation pour les propriétaires à faible revenu). Coupure dans les programmes pour adapter les résidences aux situations de handicap.

Travail

Positif : Loi sur le travail des enfants (interdiction avant 14 ans et limitation des heures pendant la période scolaire).

Négatif : François Legault n’a jamais caché son biais anti-syndicats. Les syndicats de la fonction publique doivent se battre continuellement pour obtenir des augmentations proportionnelles à l’inflation. Le fait que les éducatrices, les infirmières et les enseignants quittent leur profession n’affecte aucunement la volonté du gouvernement d’améliorer les conditions de travail. Quant au secteur privé, la CAQ a fait tout son possible pour réduire le pouvoir de négociation des syndicats. La loi 89, qui vient limiter le droit de grève, rejoindra probablement les lois Duplessis parmi les lois les plus anti-syndicales de l’histoire du Québec.

  • ✇Dans les algorithmes
  • Renverser le pouvoir artificiel
    L’AI Now Institute vient de publier son rapport 2025. Et autant dire, qu’il frappe fort. “La trajectoire actuelle de l’IA ouvre la voie à un avenir économique et politique peu enviable : un avenir qui prive de leurs droits une grande partie du public, rend les systèmes plus obscurs pour ceux qu’ils affectent, dévalorise notre savoir-faire, compromet notre sécurité et restreint nos perspectives d’innovation”.  La bonne nouvelle, c’est que la voie offerte par l’industrie technologique n’est pas
     

Renverser le pouvoir artificiel

8 juillet 2025 à 01:00

L’AI Now Institute vient de publier son rapport 2025. Et autant dire, qu’il frappe fort. “La trajectoire actuelle de l’IA ouvre la voie à un avenir économique et politique peu enviable : un avenir qui prive de leurs droits une grande partie du public, rend les systèmes plus obscurs pour ceux qu’ils affectent, dévalorise notre savoir-faire, compromet notre sécurité et restreint nos perspectives d’innovation”

La bonne nouvelle, c’est que la voie offerte par l’industrie technologique n’est pas la seule qui s’offre à nous. “Ce rapport explique pourquoi la lutte contre la vision de l’IA défendue par l’industrie est un combat qui en vaut la peine”. Comme le rappelait leur rapport 2023, l’IA est d’abord une question de concentration du pouvoir entre les mains de quelques géants. “La question que nous devrions nous poser n’est pas de savoir si ChatGPT est utile ou non, mais si le pouvoir irréfléchi d’OpenAI, lié au monopole de Microsoft et au modèle économique de l’économie technologique, est bénéfique à la société”

“L’avènement de ChatGPT en 2023 ne marque pas tant une rupture nette dans l’histoire de l’IA, mais plutôt le renforcement d’un paradigme du « plus c’est grand, mieux c’est », ancré dans la perpétuation des intérêts des entreprises qui ont bénéficié du laxisme réglementaire et des faibles taux d’intérêt de la Silicon Valley”. Mais ce pouvoir ne leur suffit pas : du démantèlement des gouvernements au pillage des données, de la dévalorisation du travail pour le rendre compatible à l’IA, à la réorientation des infrastructures énergétiques en passant par le saccage de l’information et de la démocratie… l’avènement de l’IA exige le démantèlement de nos infrastructures sociales, politiques et économiques au profit des entreprises de l’IA. L’IA remet au goût du jour des stratégies anciennes d’extraction d’expertises et de valeurs pour concentrer le pouvoir entre les mains des extracteurs au profit du développement de leurs empires. 

Mais pourquoi la société accepterait-elle un tel compromis, une telle remise en cause ? Pour les chercheurs.ses de l’AI Now Institute ce pouvoir doit et peut être perturbé, notamment parce qu’il est plus fragile qu’il n’y paraît. “Les entreprises d’IA perdent de l’argent pour chaque utilisateur qu’elles gagnent” et le coût de l’IA à grande échelle va être très élevé au risque qu’une bulle d’investissement ne finisse par éclater. L’affirmation de la révolution de l’IA générative, elle, contraste avec la grande banalité de ses intégrations et les difficultés qu’elle engendre : de la publicité automatisée chez Meta, à la production de code via Copilot (au détriment des compétences des développeurs), ou via la production d’agents IA, en passant par l’augmentation des prix du Cloud par l’intégration automatique de fonctionnalités IA… tout en laissant les clients se débrouiller des hallucinations, des erreurs et des imperfactions de leurs produits. Or, appliqués en contexte réel les systèmes d’IA échouent profondément même sur des tâches élémentaires, rappellent les auteurs du rapport : les fonctionnalités de l’IA relèvent souvent d’illusions sur leur efficacité, masquant bien plus leurs défaillances qu’autre chose, comme l’expliquent les chercheurs Inioluwa Deborah Raji, Elizabeth Kumar, Aaron Horowitz et Andrew D. Selbst. Dans de nombreux cas d’utilisation, “l’IA est déployée par ceux qui ont le pouvoir contre ceux qui n’en ont pas” sans possibilité de se retirer ou de demander réparation en cas d’erreur.

L’IA : un outil défaillant au service de ceux qui la déploie

Pour l’AI Now Institute, les avantages de l’IA sont à la fois surestimés et sous-estimés, des traitements contre le cancer à une hypothétique croissance économique, tandis que certains de ses défauts sont réels, immédiats et se répandent. Le solutionnisme de l’IA occulte les problèmes systémiques auxquels nos économies sont confrontées, occultant la concentration économique à l’oeuvre et servant de canal pour le déploiement de mesures d’austérité sous prétexte d’efficacité, à l’image du très problématique chatbot mis en place par la ville New York. Des millions de dollars d’argent public ont été investis dans des solutions d’IA défaillantes. “Le mythe de la productivité occulte une vérité fondamentale : les avantages de l’IA profitent aux entreprises, et non aux travailleurs ou au grand public. Et L’IA agentive rendra les lieux de travail encore plus bureaucratiques et surveillés, réduisant l’autonomie au lieu de l’accroître”. 

“L’utilisation de l’IA est souvent coercitive”, violant les droits et compromettant les procédures régulières à l’image de l’essor débridé de l’utilisation de l’IA dans le contrôle de l’immigration aux Etats-Unis (voir notre article sur la fin du cloisonnement des données ainsi que celui sur l’IA générative, nouvelle couche d’exploitation du travail). Le rapport consacre d’ailleurs tout un chapitre aux défaillances de l’IA. Pour les thuriféraires de l’IA, celle-ci est appelée à guérir tous nos maux, permettant à la fois de transformer la science, la logistique, l’éducation… Mais, si les géants de la tech veulent que l’IA soit accessible à tous, alors l’IA devrait pouvoir bénéficier à tous. C’est loin d’être le cas. 

Le rapport prend l’exemple de la promesse que l’IA pourrait parvenir, à terme, à guérir les cancers. Si l’IA a bien le potentiel de contribuer aux recherches dans le domaine, notamment en améliorant le dépistage, la détection et le diagnostic. Il est probable cependant que loin d’être une révolution, les améliorations soient bien plus incrémentales qu’on le pense. Mais ce qui est contestable dans ce tableau, estiment les chercheurs de l’AI Now Institute, c’est l’hypothèse selon laquelle ces avancées scientifiques nécessitent la croissance effrénée des hyperscalers du secteur de l’IA. Or, c’est précisément le lien que ces dirigeants d’entreprise tentent d’établir. « Le prétexte que l’IA pourrait révolutionner la santé sert à promouvoir la déréglementation de l’IA pour dynamiser son développement ». Les perspectives scientifiques montées en promesses inéluctables sont utilisées pour abattre les résistances à discuter des enjeux de l’IA et des transformations qu’elle produit sur la société toute entière.

Or, dans le régime des défaillances de l’IA, bien peu de leurs promesses relèvent de preuves scientifiques. Nombre de recherches du secteur s’appuient sur un régime de véritude comme s’en moque l’humoriste Stephen Colbert, c’est-à-dire sur des recherches qui ne sont pas validées par les pairs, à l’image des robots infirmiers qu’a pu promouvoir Nvidia en affirmant qu’ils surpasseraient les infirmières elles-mêmes… Une affirmation qui ne reposait que sur une étude de Nvidia. Nous manquons d’une science de l’évaluation de l’IA générative. En l’absence de benchmarks indépendants et largement reconnus pour mesurer des attributs clés tels que la précision ou la qualité des réponses, les entreprises inventent leurs propres benchmarks et, dans certains cas, vendent à la fois le produit et les plateformes de validation des benchmarks au même client. Par exemple, Scale AI détient des contrats de plusieurs centaines de millions de dollars avec le Pentagone pour la production de modèles d’IA destinés au déploiement militaire, dont un contrat de 20 millions de dollars pour la plateforme qui servira à évaluer la précision des modèles d’IA destinés aux agences de défense. Fournir la solution et son évaluation est effectivement bien plus simple. 

Autre défaillance systémique : partout, les outils marginalisent les professionnels. Dans l’éducation, les Moocs ont promis la démocratisation de l’accès aux cours. Il n’en a rien été. Désormais, le technosolutionnisme promet la démocratisation par l’IA générative via des offres dédiées comme ChatGPT Edu d’OpenAI, au risque de compromettre la finalité même de l’éducation. En fait, rappellent les auteurs du rapport, dans l’éducation comme ailleurs, l’IA est bien souvent adoptée par des administrateurs, sans discussion ni implication des concernés. A l’université, les administrateurs achètent des solutions non éprouvées et non testées pour des sommes considérables afin de supplanter les technologies existantes gérées par les services technologiques universitaires. Même constat dans ses déploiements au travail, où les pénuries de main d’œuvre sont souvent évoquées comme une raison pour développer l’IA, alors que le problème n’est pas tant la pénurie que le manque de protection ou le régime austéritaire de bas salaires. Les solutions technologiques permettent surtout de rediriger les financements au détriment des travailleurs et des bénéficiaires. L’IA sert souvent de vecteur pour le déploiement de mesures d’austérité sous un autre nom. Les systèmes d’IA appliqués aux personnes à faibles revenus n’améliorent presque jamais l’accès aux prestations sociales ou à d’autres opportunités, disait le rapport de Techtonic Justice. “L’IA n’est pas un ensemble cohérent de technologies capables d’atteindre des objectifs sociaux complexes”. Elle est son exact inverse, explique le rapport en pointant par exemple les défaillances du Doge (que nous avons nous-mêmes documentés). Cela n’empêche pourtant pas le solutionnisme de prospérer. L’objectif du chatbot newyorkais par exemple, “n’est peut-être pas, en réalité, de servir les citoyens, mais plutôt d’encourager et de centraliser l’accès aux données des citoyens ; de privatiser et d’externaliser les tâches gouvernementales ; et de consolider le pouvoir des entreprises sans mécanismes de responsabilisation significatifs”, comme l’explique le travail du Surveillance resistance Lab, très opposé au projet.

Le mythe de la productivité enfin, que répètent et anônnent les développeurs d’IA, nous fait oublier que les bénéfices de l’IA vont bien plus leur profiter à eux qu’au public. « La productivité est un euphémisme pour désigner la relation économique mutuellement bénéfique entre les entreprises et leurs actionnaires, et non entre les entreprises et leurs salariés. Non seulement les salariés ne bénéficient pas des gains de productivité liés à l’IA, mais pour beaucoup, leurs conditions de travail vont surtout empirer. L’IA ne bénéficie pas aux salariés, mais dégrade leurs conditions de travail, en augmentant la surveillance, notamment via des scores de productivité individuels et collectifs. Les entreprises utilisent la logique des gains de productivité de l’IA pour justifier la fragmentation, l’automatisation et, dans certains cas, la suppression du travail. » Or, la logique selon laquelle la productivité des entreprises mènera inévitablement à une prospérité partagée est profondément erronée. Par le passé, lorsque l’automatisation a permis des gains de productivité et des salaires plus élevés, ce n’était pas grâce aux capacités intrinsèques de la technologie, mais parce que les politiques des entreprises et les réglementations étaient conçues de concert pour soutenir les travailleurs et limiter leur pouvoir, comme l’expliquent Daron Acemoglu et Simon Johnson, dans Pouvoir et progrès (Pearson 2024). L’essor de l’automatisation des machines-outils autour de la Seconde Guerre mondiale est instructif : malgré les craintes de pertes d’emplois, les politiques fédérales et le renforcement du mouvement ouvrier ont protégé les intérêts des travailleurs et exigé des salaires plus élevés pour les ouvriers utilisant les nouvelles machines. Les entreprises ont à leur tour mis en place des politiques pour fidéliser les travailleurs, comme la redistribution des bénéfices et la formation, afin de réduire les turbulences et éviter les grèves. « Malgré l’automatisation croissante pendant cette période, la part des travailleurs dans le revenu national est restée stable, les salaires moyens ont augmenté et la demande de travailleurs a augmenté. Ces gains ont été annulés par les politiques de l’ère Reagan, qui ont donné la priorité aux intérêts des actionnaires, utilisé les menaces commerciales pour déprécier les normes du travail et les normes réglementaires, et affaibli les politiques pro-travailleurs et syndicales, ce qui a permis aux entreprises technologiques d’acquérir une domination du marché et un contrôle sur des ressources clés. L’industrie de l’IA est un produit décisif de cette histoire ». La discrimination salariale algorithmique optimise les salaires à la baisse. D’innombrables pratiques sont mobilisées pour isoler les salariés et contourner les lois en vigueur, comme le documente le rapport 2025 de FairWork. La promesse que les agents IA automatiseront les tâches routinières est devenue un point central du développement de produits, même si cela suppose que les entreprises qui s’y lancent deviennent plus processuelles et bureaucratiques pour leur permettre d’opérer. Enfin, nous interagissons de plus en plus fréquemment avec des technologies d’IA utilisées non pas par nous, mais sur nous, qui façonnent notre accès aux ressources dans des domaines allant de la finance à l’embauche en passant par le logement, et ce au détriment de la transparence et au détriment de la possibilité même de pouvoir faire autrement.

Le risque de l’IA partout est bien de nous soumettre aux calculs, plus que de nous en libérer. Par exemple, l’intégration de l’IA dans les agences chargées de l’immigration, malgré l’édiction de principes d’utilisation vertueux, montre combien ces principes sont profondément contournés, comme le montrait le rapport sur la déportation automatisée aux Etats-Unis du collectif de défense des droits des latino-américains, Mijente. Les Services de citoyenneté et d’immigration des États-Unis (USCIS) utilisent des outils prédictifs pour automatiser leurs prises de décision, comme « Asylum Text Analytics », qui interroge les demandes d’asile afin de déterminer celles qui sont frauduleuses. Ces outils ont démontré, entre autres défauts, des taux élevés d’erreurs de classification lorsqu’ils sont utilisés sur des personnes dont l’anglais n’est pas la langue maternelle. Les conséquences d’une identification erronée de fraude sont importantes : elles peuvent entraîner l’expulsion, l’interdiction à vie du territoire américain et une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à dix ans. « Pourtant, la transparence pour les personnes concernées par ces systèmes est plus que limitée, sans possibilité de se désinscrire ou de demander réparation lorsqu’ils sont utilisés pour prendre des décisions erronées, et, tout aussi important, peu de preuves attestent que l’efficacité de ces outils a été, ou peut être, améliorée »

Malgré la légalité douteuse et les failles connues de nombre de ces systèmes que le rapport documente, l’intégration de l’IA dans les contrôles d’immigration ne semble vouée qu’à s’intensifier. L’utilisation de ces outils offre un vernis d’objectivité qui masque non seulement un racisme et une xénophobie flagrants, mais aussi la forte pression politique exercée sur les agences d’immigration pour restreindre l’asile. « L‘IA permet aux agences fédérales de mener des contrôles d’immigration de manière profondément et de plus en plus opaque, ce qui complique encore davantage la tâche des personnes susceptibles d’être arrêtées ou accusées à tort. Nombre de ces outils ne sont connus du public que par le biais de documents juridiques et ne figurent pas dans l’inventaire d’IA du DHS. Mais même une fois connus, nous disposons de très peu d’informations sur leur étalonnage ou sur les données sur lesquelles ils sont basés, ce qui réduit encore davantage la capacité des individus à faire valoir leurs droits à une procédure régulière. Ces outils s’appuient également sur une surveillance invasive du public, allant du filtrage des publications sur les réseaux sociaux à l’utilisation de la reconnaissance faciale, de la surveillance aérienne et d’autres techniques de surveillance, à l’achat massif d’informations publiques auprès de courtiers en données ». Nous sommes à la fois confrontés à des systèmes coercitifs et opaques, foncièrement défaillants. Mais ces défaillances se déploient parce qu’elles donnent du pouvoir aux forces de l’ordre, leur permettant d’atteindre leurs objectifs d’expulsion et d’arrestation. Avec l’IA, le pouvoir devient l’objectif.

Les leviers pour renverser l’empire de l’IA et faire converger les luttes contre son monde

La dernière partie du rapport de l’AI Now Institute tente de déployer une autre vision de l’IA par des propositions, en dessinant une feuille de route pour l’action. “L’IA est une lutte de pouvoir et non un levier de progrès”, expliquent les auteurs qui invitent à “reprendre le contrôle de la trajectoire de l’IA”, en contestant son utilisation actuelle. Le rapport présente 5 leviers pour reprendre du pouvoir sur l’IA

Démontrer que l’IA agit contre les intérêts des individus et de la société

Le premier objectif, pour reprendre la main, consiste à mieux démontrer que l’industrie de l’IA agit contre les intérêts des citoyens ordinaires. Mais ce discours est encore peu partagé, notamment parce que le discours sur les risques porte surtout sur les biais techniques ou les risques existentiels, des enjeux déconnectés des réalités matérielles des individus. Pour l’AI Now Institute, “nous devons donner la priorité aux enjeux politiques ancrés dans le vécu des citoyens avec l’IA”, montrer les systèmes d’IA comme des infrastructures invisibles qui régissent les vies de chacun. En cela, la résistance au démantèlement des agences publiques initiée par les politiques du Doge a justement permis d’ouvrir un front de résistance. La résistance et l’indignation face aux coupes budgétaires et à l’accaparement des données a permis de montrer qu’améliorer l’efficacité des services n’était pas son objectif, que celui-ci a toujours été de démanteler les services gouvernementaux et centraliser le pouvoir. La dégradation des services sociaux et la privation des droits est un moyen de remobilisation à exploiter.

La construction des data centers pour l’IA est également un nouvel espace de mobilisation locale pour faire progresser la question de la justice environnementale, à l’image de celles que tentent de faire entendre la Citizen Action Coalition de l’Indiana ou la Memphis Community Against Pollution dans le Tennessee.

La question de l’augmentation des prix et de l’inflation, et le développements de prix et salaires algorithmiques est un autre levier de mobilisation, comme le montrait un rapport de l’AI Now Institute sur le sujet datant de février qui invitait à l’interdiction pure et simple de la surveillance individualisée des prix et des salaires. 

Faire progresser l’organisation des travailleurs 

Le second levier consiste à faire progresser l’organisation des travailleurs. Lorsque les travailleurs et leurs syndicats s’intéressent sérieusement à la manière dont l’IA transforme la nature du travail et s’engagent résolument par le biais de négociations collectives, de l’application des contrats, de campagnes et de plaidoyer politique, ils peuvent influencer la manière dont leurs employeurs développent et déploient ces technologies. Les campagnes syndicales visant à contester l’utilisation de l’IA générative à Hollywood, les mobilisations pour dénoncer la gestion algorithmique des employés des entrepôts de la logistique et des plateformes de covoiturage et de livraison ont joué un rôle essentiel dans la sensibilisation du public à l’impact de l’IA et des technologies de données sur le lieu de travail. La lutte pour limiter l’augmentation des cadences dans les entrepôts ou celles des chauffeurs menées par Gig Workers Rising, Los Deliversistas Unidos, Rideshare Drivers United, ou le SEIU, entre autres, a permis d’établir des protections, de lutter contre la précarité organisée par les plateformes… Pour cela, il faut à la fois que les organisations puissent analyser l’impact de l’IA sur les conditions de travail et sur les publics, pour permettre aux deux luttes de se rejoindre à l’image de ce qu’à accompli le syndicat des infirmières qui a montré que le déploiement de l’IA affaiblit le jugement clinique des infirmières et menace la sécurité des patients. Cette lutte a donné lieu à une « Déclaration des droits des infirmières et des patients », un ensemble de principes directeurs visant à garantir une application juste et sûre de l’IA dans les établissements de santé. Les infirmières ont stoppé le déploiement d’EPIC Acuity, un système qui sous-estimait l’état de santé des patients et le nombre d’infirmières nécessaires, et ont contraint l’entreprise qui déployait le système à créer un comité de surveillance pour sa mise en œuvre. 

Une autre tactique consiste à contester le déploiement d’IA austéritaires dans le secteur public à l’image du réseau syndicaliste fédéral, qui mène une campagne pour sauver les services fédéraux et met en lumière l’impact des coupes budgétaires du Doge. En Pennsylvanie, le SEIU a mis en place un conseil des travailleurs pour superviser le déploiement de solutions d’IA génératives dans les services publics. 

Une autre tactique consiste à mener des campagnes plus globales pour contester le pouvoir des grandes entreprises technologiques, comme la Coalition Athena qui demande le démantèlement d’Amazon, en reliant les questions de surveillance des travailleurs, le fait que la multinationale vende ses services à la police, les questions écologiques liées au déploiement des plateformes logistiques ainsi que l’impact des systèmes algorithmiques sur les petites entreprises et les prix que payent les consommateurs. 

Bref, l’enjeu est bien de relier les luttes entre elles, de relier les syndicats aux organisations de défense de la vie privée à celles œuvrant pour la justice raciale ou sociale, afin de mener des campagnes organisées sur ces enjeux. Mais également de l’étendre à l’ensemble de la chaîne de valeur et d’approvisionnement de l’IA, au-delà des questions américaines, même si pour l’instant “aucune tentative sérieuse d’organisation du secteur impacté par le déploiement de l’IA à grande échelle n’a été menée”. Des initiatives existent pourtant comme l’Amazon Employees for Climate Justice, l’African Content Moderators Union ou l’African Tech Workers Rising, le Data Worker’s Inquiry Project, le Tech Equity Collaborative ou l’Alphabet Workers Union (qui font campagne sur les différences de traitement entre les employés et les travailleurs contractuels). 

Nous avons désespérément besoin de projets de lutte plus ambitieux et mieux dotés en ressources, constate le rapport. Les personnes qui construisent et forment les systèmes d’IA – et qui, par conséquent, les connaissent intimement – ​​ont une opportunité particulière d’utiliser leur position de pouvoir pour demander des comptes aux entreprises technologiques sur la manière dont ces systèmes sont utilisés. “S’organiser et mener des actions collectives depuis ces postes aura un impact profond sur l’évolution de l’IA”.

“À l’instar du mouvement ouvrier du siècle dernier, le mouvement ouvrier d’aujourd’hui peut se battre pour un nouveau pacte social qui place l’IA et les technologies numériques au service de l’intérêt public et oblige le pouvoir irresponsable d’aujourd’hui à rendre des comptes.”

Confiance zéro envers les entreprises de l’IA !

Le troisième levier que défend l’AI Now Institute est plus radical encore puisqu’il propose d’adopter un programme politique “confiance zéro” envers l’IA. En 2023, L’AI Now, l’Electronic Privacy Information Center et d’Accountable Tech affirmaient déjà “qu’une confiance aveugle dans la bienveillance des entreprises technologiques n’était pas envisageable ». Pour établir ce programme, le rapport égraine 6 leviers à activer.

Tout d’abord, le rapport plaide pour “des règles audacieuses et claires qui restreignent les applications d’IA nuisibles”. C’est au public de déterminer si, dans quels contextes et comment, les systèmes d’IA seront utilisés. “Comparées aux cadres reposant sur des garanties basées sur les processus (comme les audits d’IA ou les régimes d’évaluation des risques) qui, dans la pratique, ont souvent eu tendance à renforcer les pouvoirs des leaders du secteur et à s’appuyer sur une solide capacité réglementaire pour une application efficace, ces règles claires présentent l’avantage d’être facilement administrables et de cibler les préjudices qui ne peuvent être ni évités ni réparés par de simples garanties”. Pour l’AI Now Institute, l’IA doit être interdite pour la reconnaissance des émotions, la notation sociale, la fixation des prix et des salaires, refuser des demandes d’indemnisation, remplacer les enseignants, générer des deepfakes. Et les données de surveillance des travailleurs ne doivent pas pouvoir pas être vendues à des fournisseurs tiers. L’enjeu premier est d’augmenter le spectre des interdictions. 

Ensuite, le rapport propose de réglementer tout le cycle de vie de l’IA. L’IA doit être réglementée tout au long de son cycle de développement, de la collecte des données au déploiement, en passant par le processus de formation, le perfectionnement et le développement des applications, comme le proposait l’Ada Lovelace Institute. Le rapport rappelle que si la transparence est au fondement d’une réglementation efficace, la résistante des entreprises est forte, tout le long des développements, des données d’entraînement utilisées, aux fonctionnement des applications. La transparence et l’explication devraient être proactives, suggère le rapport : les utilisateurs ne devraient pas avoir besoin de demander individuellement des informations sur les traitements dont ils sont l’objet. Notamment, le rapport insiste sur le besoin que “les développeurs documentent et rendent publiques leurs techniques d’atténuation des risques, et que le régulateur exige la divulgation de tout risque anticipé qu’ils ne sont pas en mesure d’atténuer, afin que cela soit transparent pour les autres acteurs de la chaîne d’approvisionnement”. Le rapport recommande également d’inscrire un « droit de dérogation » aux décisions et l’obligation d’intégrer des conseils d’usagers pour qu’ils aient leur mot à dire sur les développements et l’utilisation des systèmes. 

Le rapport rappelle également que la supervision des développements doit être indépendante. Ce n’est pas à l’industrie d’évaluer ce qu’elle fait. Le “red teaming” et les “models cards” ignorent les conflits d’intérêts en jeu et mobilisent des méthodologies finalement peu robustes (voir notre article). Autre levier encore, s’attaquer aux racines du pouvoir de ces entreprises et par exemple qu’elles suppriment les données acquises illégalement et les modèles entraînés sur ces données (certains chercheurs parlent d’effacement de modèles et de destruction algorithmique !) ; limiter la conservation des données pour le réentraînement ; limiter les partenariats entre les hyperscalers et les startups d’IA et le rachat d’entreprise pour limiter la constitution de monopoles

Le rapport propose également de construire une boîte à outils pour favoriser la concurrence. De nombreuses enquêtes pointent les limites des grandes entreprises de la tech à assurer le respect du droit à la concurrence, mais les poursuites peinent à s’appliquer et peinent à construire des changements législatifs pour renforcer le droit à la concurrence et limiter la construction de monopoles, alors que toute intervention sur le marché est toujours dénoncé par les entreprises de la tech comme relevant de mesures contre l’innovation. Le rapport plaide pour une plus grande séparation structurelle des activités (les entreprises du cloud ne doivent pas pouvoir participer au marché des modèles fondamentaux de l’IA par exemple, interdiction des représentations croisées dans les conseils d’administration des startups et des développeurs de modèles, etc.). Interdire aux fournisseurs de cloud d’exploiter les données qu’ils obtiennent de leurs clients en hébergeant des infrastructures pour développer des produits concurrents. 

Enfin, le rapport recommande une supervision rigoureuse du développement et de l’exploitation des centres de données, alors que les entreprises qui les développent se voient exonérées de charge et que leurs riverains en subissent des impacts disproportionnés (concurrence sur les ressources, augmentation des tarifs de l’électricité…). Les communautés touchées ont besoin de mécanismes de transparence et de protections environnementales solides. Les régulateurs devraient plafonner les subventions en fonction des protections concédées et des emplois créés. Initier des règles pour interdire de faire porter l’augmentation des tarifs sur les usagers.

Décloisonner !

Le cloisonnement des enjeux de l’IA est un autre problème qu’il faut lever. C’est le cas notamment de l’obsession à la sécurité nationale qui justifient à la fois des mesures de régulation et des programmes d’accélération et d’expansion du secteur et des infrastructures de l’IA. Mais pour décloisonner, il faut surtout venir perturber le processus de surveillance à l’œuvre et renforcer la vie privée comme un enjeu de justice économique. La montée de la surveillance pour renforcer l’automatisation “place les outils traditionnels de protection de la vie privée (tels que le consentement, les options de retrait, les finalités non autorisées et la minimisation des données) au cœur de la mise en place de conditions économiques plus justes”. La chercheuse Ifeoma Ajunwa soutient que les données des travailleurs devraient être considérées comme du « capital capturé » par les entreprises : leurs données sont  utilisées pour former des technologies qui finiront par les remplacer (ou créer les conditions pour réduire leurs salaires), ou vendues au plus offrant via un réseau croissant de courtiers en données, sans contrôle ni compensation. Des travailleurs ubérisés aux travailleurs du clic, l’exploitation des données nécessite de repositionner la protection de la vie privée des travailleurs au cœur du programme de justice économique pour limiter sa capture par l’IA. Les points de collecte, les points de surveillance, doivent être “la cible appropriée de la résistance”, car ils seront instrumentalisés contre les intérêts des travailleurs. Sur le plan réglementaire, cela pourrait impliquer de privilégier des règles de minimisation des données qui restreignent la collecte et l’utilisation des données, renforcer la confidentialité (par exemple en interdisant le partage de données sur les salariés avec des tiers), le droit à ne pas consentir, etc. Renforcer la minimisation, sécuriser les données gouvernementales sur les individus qui sont de haute qualité et particulièrement sensibles, est plus urgent que jamais. 

“Nous devons nous réapproprier l’agenda positif de l’innovation centrée sur le public, et l’IA ne devrait pas en être le centre”, concluent les auteurs. La trajectoire actuelle de l’IA, axée sur le marché, est préjudiciable au public alors que l’espace de solutions alternatives se réduit. Nous devons rejeter le paradigme d’une IA à grande échelle qui ne profitera qu’aux plus puissants.

L’IA publique demeure un espace fertile pour promouvoir le débat sur des trajectoires alternatives pour l’IA, structurellement plus alignées sur l’intérêt public, et garantir que tout financement public dans ce domaine soit conditionné à des objectifs d’intérêt général. Mais pour cela, encore faut-il que l’IA publique ne limite pas sa politique à l’achat de solutions privées, mais développe ses propres capacités d’IA, réinvestisse sa capacité d’expertise pour ne pas céder au solutionnisme de l’IA, favorise partout la discussion avec les usagers, cultive une communauté de pratique autour de l’innovation d’intérêt général qui façonnera l’émergence d’un espace alternatif par exemple en exigeant des méthodes d’implication des publics et aussi en élargissant l’intérêt de l’Etat à celui de l’intérêt collectif et pas seulement à ses intérêts propres (par exemple en conditionnant à la promotion des objectifs climatiques, au soutien syndical et citoyen…), ainsi qu’à redéfinir les conditions concrètes du financement public de l’IA, en veillant à ce que les investissements répondent aux besoins des communautés plutôt qu’aux intérêts des entreprises.   

Changer l’agenda : pour une IA publique !

Enfin, le rapport conclut en affirmant que l’innovation devrait être centrée sur les besoins des publics et que l’IA ne devrait pas en être le centre. Le développement de l’IA devrait être guidé par des impératifs non marchands et les capitaux publics et philanthropiques devraient contribuer à la création d’un écosystème d’innovation extérieur à l’industrie, comme l’ont réclamé Public AI Network dans un rapport, l’Ada Lovelace Institute, dans un autre, Lawrence Lessig ou encore Bruce Schneier et Nathan Sanders ou encore Ganesh Sitaraman et Tejas N. Narechania…  qui parlent d’IA publique plus que d’IA souveraine, pour orienter les investissement non pas tant vers des questions de sécurité nationale et de compétitivité, mais vers des enjeux de justice sociale. 

Ces discours confirment que la trajectoire de l’IA, axée sur le marché, est préjudiciable au public. Si les propositions alternatives ne manquent pas, elles ne parviennent pas à relever le défi de la concentration du pouvoir au profit des grandes entreprises. « Rejeter le paradigme actuel de l’IA à grande échelle est nécessaire pour lutter contre les asymétries d’information et de pouvoir inhérentes à l’IA. C’est la partie cachée qu’il faut exprimer haut et fort. C’est la réalité à laquelle nous devons faire face si nous voulons rassembler la volonté et la créativité nécessaires pour façonner la situation différemment ». Un rapport du National AI Research Resource (NAIRR) américain de 2021, d’une commission indépendante présidée par l’ancien PDG de Google, Eric Schmidt, et composée de dirigeants de nombreuses grandes entreprises technologiques, avait parfaitement formulé le risque : « la consolidation du secteur de l’IA menace la compétitivité technologique des États-Unis. » Et la commission proposait de créer des ressources publiques pour l’IA. 

« L’IA publique demeure un espace fertile pour promouvoir le débat sur des trajectoires alternatives pour l’IA, structurellement plus alignées sur l’intérêt général, et garantir que tout financement public dans ce domaine soit conditionné à des objectifs d’intérêt général ». Un projet de loi californien a récemment relancé une proposition de cluster informatique public, hébergé au sein du système de l’Université de Californie, appelé CalCompute. L’État de New York a lancé une initiative appelée Empire AI visant à construire une infrastructure de cloud public dans sept institutions de recherche de l’État, rassemblant plus de 400 millions de dollars de fonds publics et privés. Ces deux initiatives créent des espaces de plaidoyer importants pour garantir que leurs ressources répondent aux besoins des communautés et ne servent pas à enrichir davantage les ressources des géants de la technologie.

Et le rapport de se conclure en appelant à défendre l’IA publique, en soutenant les universités, en investissant dans ces infrastructures d’IA publique et en veillant que les groupes défavorisés disposent d’une autorité dans ces projets. Nous devons cultiver une communauté de pratique autour de l’innovation d’intérêt général. 

***

Le rapport de l’AI Now Institute a la grande force de nous rappeler que les luttes contre l’IA existent et qu’elles ne sont pas que des luttes de collectifs technocritiques, mais qu’elles s’incarnent déjà dans des projets politiques, qui peinent à s’interelier et à se structurer. Des luttes qui sont souvent invisibilisées, tant la parole est toute entière donnée aux promoteurs de l’IA. Le rapport est extrêmement riche et rassemble une documentation à nulle autre pareille. 

« L’IA ne nous promet ni de nous libérer du cycle incessant de guerres, des pandémies et des crises environnementales et financières qui caractérisent notre présent », conclut le rapport  L’IA ne crée rien de tout cela, ne créé rien de ce que nous avons besoin. “Lier notre avenir commun à l’IA rend cet avenir plus difficile à réaliser, car cela nous enferme dans une voie résolument sombre, nous privant non seulement de la capacité de choisir quoi construire et comment le construire, mais nous privant également de la joie que nous pourrions éprouver à construire un avenir différent”. L’IA comme seule perspective d’avenir “nous éloigne encore davantage d’une vie digne, où nous aurions l’autonomie de prendre nos propres décisions et où des structures démocratiquement responsables répartiraient le pouvoir et les infrastructures technologiques de manière robuste, responsable et protégée des chocs systémiques”. L’IA ne fait que consolider et amplifier les asymétries de pouvoir existantes. “Elle naturalise l’inégalité et le mérite comme une fatalité, ​tout en rendant les schémas et jugements sous-jacents qui les façonnent impénétrables pour ceux qui sont affectés par les jugements de l’IA”.

Pourtant, une autre IA est possible, estiment les chercheurs.ses de l’AI Now Institute. Nous ne pouvons pas lutter contre l’oligarchie technologique sans rejeter la trajectoire actuelle de l’industrie autour de l’IA à grande échelle. Nous ne devons pas oublier que l’opinion publique s’oppose résolument au pouvoir bien établi des entreprises technologiques. Certes, le secteur technologique dispose de ressources plus importantes que jamais et le contexte politique est plus sombre que jamais, concèdent les chercheurs de l’AI Now Institute. Cela ne les empêche pas de faire des propositions, comme d’adopter un programme politique de « confiance zéro » pour l’IA. Adopter un programme politique fondé sur des règles claires qui restreignent les utilisations les plus néfastes de l’IA, encadrent son cycle de vie de bout en bout et garantissent que l’industrie qui crée et exploite actuellement l’IA ne soit pas laissée à elle-même pour s’autoréguler et s’autoévaluer. Repenser les leviers traditionnels de la confidentialité des données comme outils clés dans la lutte contre l’automatisation et la lutte contre le pouvoir de marché.

Revendiquer un programme positif d’innovation centrée sur le public, sans IA au centre. 

« La trajectoire actuelle de l’IA place le public sous la coupe d’oligarques technologiques irresponsables. Mais leur succès n’est pas inéluctable. En nous libérant de l’idée que l’IA à grande échelle est inévitable, nous pouvons retrouver l’espace nécessaire à une véritable innovation et promouvoir des voies alternatives stimulantes et novatrices qui exploitent la technologie pour façonner un monde au service du public et gouverné par notre volonté collective ».

La trajectoire actuelle de l’IA vers sa suprématie ne nous mènera pas au monde que nous voulons. Sa suprématie n’est pourtant pas encore là. “Avec l’adoption de la vision actuelle de l’IA, nous perdons un avenir où l’IA favoriserait des emplois stables, dignes et valorisants. Nous perdons un avenir où l’IA favoriserait des salaires justes et décents, au lieu de les déprécier ; où l’IA garantirait aux travailleurs le contrôle de l’impact des nouvelles technologies sur leur carrière, au lieu de saper leur expertise et leur connaissance de leur propre travail ; où nous disposons de politiques fortes pour soutenir les travailleurs si et quand les nouvelles technologies automatisent les fonctions existantes – y compris des lois élargissant le filet de sécurité sociale – au lieu de promoteurs de l’IA qui se vantent auprès des actionnaires des économies réalisées grâce à l’automatisation ; où des prestations sociales et des politiques de congés solides garantissent le bien-être à long terme des employés, au lieu que l’IA soit utilisée pour surveiller et exploiter les travailleurs à tout va ; où l’IA contribue à protéger les employés des risques pour la santé et la sécurité au travail, au lieu de perpétuer des conditions de travail dangereuses et de féliciter les employeurs qui exploitent les failles du marché du travail pour se soustraire à leurs responsabilités ; et où l’IA favorise des liens significatifs par le travail, au lieu de favoriser des cultures de peur et d’aliénation.”

Pour l’AI Now Institute, l’enjeu est d’aller vers une prospérité partagée, et ce n’est pas la direction que prennent les empires de l’IA. La prolifération de toute nouvelle technologie a le potentiel d’accroître les opportunités économiques et de conduire à une prospérité partagée généralisée. Mais cette prospérité partagée est incompatible avec la trajectoire actuelle de l’IA, qui vise à maximiser le profit des actionnaires. “Le mythe insidieux selon lequel l’IA mènera à la « productivité » pour tous, alors qu’il s’agit en réalité de la productivité d’un nombre restreint d’entreprises, nous pousse encore plus loin sur la voie du profit actionnarial comme unique objectif économique. Même les politiques gouvernementales bien intentionnées, conçues pour stimuler le secteur de l’IA, volent les poches des travailleurs. Par exemple, les incitations gouvernementales destinées à revitaliser l’industrie de la fabrication de puces électroniques ont été contrecarrées par des dispositions de rachat d’actions par les entreprises, envoyant des millions de dollars aux entreprises, et non aux travailleurs ou à la création d’emplois. Et malgré quelques initiatives significatives pour enquêter sur le secteur de l’IA sous l’administration Biden, les entreprises restent largement incontrôlées, ce qui signifie que les nouveaux entrants ne peuvent pas contester ces pratiques.”

“Cela implique de démanteler les grandes entreprises, de restructurer la structure de financement financée par le capital-risque afin que davantage d’entreprises puissent prospérer, d’investir dans les biens publics pour garantir que les ressources technologiques ne dépendent pas des grandes entreprises privées, et d’accroître les investissements institutionnels pour intégrer une plus grande diversité de personnes – et donc d’idées – au sein de la main-d’œuvre technologique.”

“Nous méritons un avenir technologique qui soutienne des valeurs et des institutions démocratiques fortes.” Nous devons de toute urgence restaurer les structures institutionnelles qui protègent les intérêts du public contre l’oligarchie. Cela nécessitera de s’attaquer au pouvoir technologique sur plusieurs fronts, et notamment par la mise en place de mesures de responsabilisation des entreprises pour contrôler les oligarques de la tech. Nous ne pouvons les laisser s’accaparer l’avenir. 

Sur ce point, comme sur les autres, nous sommes d’accord.

Hubert Guillaud

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  • Pour lutter contre la désinformation, il faut reconstruire du social
    L’Institut Nicod publie un court et très stimulant rapport sur la désinformation signé Grégoire Darcy. Non seulement celui-ci débogue la simplicité des réponses cognitives que les politiques publiques ont tendance à proposer, mais surtout, repolitise la question.  Le rapport rappelle que la désinformation n’est pas seulement un problème d’irrationnalité et de crédulité. Il invite à sortir de l’approche réactive qui se concentre sur les symptômes et qui se focalise bien trop sur les modalités
     

Pour lutter contre la désinformation, il faut reconstruire du social

7 juillet 2025 à 01:00

L’Institut Nicod publie un court et très stimulant rapport sur la désinformation signé Grégoire Darcy. Non seulement celui-ci débogue la simplicité des réponses cognitives que les politiques publiques ont tendance à proposer, mais surtout, repolitise la question. 

Le rapport rappelle que la désinformation n’est pas seulement un problème d’irrationnalité et de crédulité. Il invite à sortir de l’approche réactive qui se concentre sur les symptômes et qui se focalise bien trop sur les modalités de diffusion oubliant les mécanismes affectifs et sociaux qui expliquent l’adhésion aux récits trompeurs. La lutte contre la désinformation repose sur une vision simpliste de la psychologie humaine : « la désinformation répond à des besoins sociaux, émotionnels et identitaires plus qu’à de simples déficits de rationalité. Ainsi, corriger les erreurs factuelles ne suffit pas : il faut s’attaquer aux conditions qui rendent ces récits socialement fonctionnels. » La désinformation n’est que le symptôme de la dégradation globale de l’écosystème informationnel. « Les vulnérabilités face à la désinformation ne tiennent pas qu’aux dispositions individuelles, mais s’ancrent dans des environnements sociaux, économiques et médiatiques spécifiques : isolement social, précarité, homogamie idéologique et défiance institutionnelle sont des facteurs clés expliquant l’adhésion, bien au-delà des seuls algorithmes ou biais cognitifs ».

“Tant que les politiques publiques se contenteront de réponses réactives, centrées sur les symptômes visibles et ignorantes des dynamiques cognitives, sociales et structurelles à l’œuvre, elles risquent surtout d’aggraver ce qu’elles prétendent corriger. En cause : un modèle implicite, souvent naïf, de la psychologie humaine – un schéma linéaire et individualisant, qui réduit l’adhésion aux contenus trompeurs à un simple déficit d’information ou de rationalité. Ce cadre conduit à des politiques fragmentées, peu efficaces, parfois même contre-productive.” 

Les réponses les plus efficientes à la désinformation passent par une transformation structurelle de l’écosystème informationnel, que seule l’action publique peut permettre, en orchestrant à la fois la régulation algorithmique et le renforcement des médias fiables. La réduction des vulnérabilités sociales, économiques et institutionnelles constitue l’approche la plus structurante pour lutter contre la désinformation, en s’attaquant aux facteurs qui nourrissent la réceptivité aux contenus trompeurs – précarité, marginalisation, polarisation et défiance envers les institutions. Parmi les mesures que pointe le rapport, celui-ci invite à une régulation forte des réseaux sociaux permettant de « restituer la maîtrise du fil par une transparence algorithmique accrue et une possibilité de maîtriser » les contenus auxquels les gens accèdent : « rendre visibles les critères de recommandation et proposer par défaut un fil chronologique permettrait de réduire les manipulations attentionnelles sans recourir à la censure ». Le rapport recommande également « d’assurer un financement stable pour garantir l’indépendance des médias et du service public d’information ». Il recommande également de renforcer la protection sociale et les politiques sociales pour renforcer la stabilité propice à l’analyse critique. D’investir dans le développement d’espace de sociabilité et de favoriser une circulation apaisée de l’information en renforçant l’intégrité publique. 

Un rapport stimulant, qui prend à rebours nos présupposés et qui nous dit que pour lutter contre la désinformation, il faut lutter pour rétablir une société juste.

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  • La santé au prisme de son abandon
    Dans AOC, le philosophe Alexandre Monnin, auteur de Politiser le renoncement (Divergences, 2023) explique que “derrière les discours d’efficience, d’autonomie et de prévention, un glissement insidieux s’opère : celui d’une médecine qui renonce à soigner”. Le soin est en train de devenir conditionnel, réservé aux existences jugées “optimisables”. La stratégie de non-soin, n’est pas que la conséquence des restrictions budgétaires ou de la désorganisation du secteur, mais une orientation active, un
     

La santé au prisme de son abandon

3 juillet 2025 à 00:55

Dans AOC, le philosophe Alexandre Monnin, auteur de Politiser le renoncement (Divergences, 2023) explique que “derrière les discours d’efficience, d’autonomie et de prévention, un glissement insidieux s’opère : celui d’une médecine qui renonce à soigner”. Le soin est en train de devenir conditionnel, réservé aux existences jugées “optimisables”. La stratégie de non-soin, n’est pas que la conséquence des restrictions budgétaires ou de la désorganisation du secteur, mais une orientation active, un projet politique. Comme c’est le cas au travers du programme américain MAHA (Make America Healthy Again), dont l’ambien n’est plus de soigner, mais d’éviter les coûts liés au soin, ou la loi sur le droit à mourir récemment adoptée en France, dénoncée par les collectifs antivalidistes comme une manière d’acter l’impossibilité de vivre avec certains handicaps ou maladies chroniques. “Ce tournant ne se donne pas toujours pour ce qu’il est. Il s’abrite derrière les mots d’efficacité, d’autonomie, de prévention, voire de soutenabilité. Il s’appuie sur des cadres comme le paradigme One Health, censé penser la santé de manière systémique à l’échelle des écosystèmes mais qui, en pratique, contribue à diluer les responsabilités et à rendre invisibles les enjeux de justice sociale.” Nous entrons dans une médicalisation sans soins, où l’analyse de santé se détache de toute thérapeutique.

Pour Derek Beres de Conspirituality, nous entrons dans une ère de soft eugenics”, d’eugénisme doux. Le self-care propose désormais à chacun de mesurer sa santé pour en reprendre le contrôle, dans une forme de “diagnostics sans soins”, qui converge avec les vues antivax de Robert Kennedy Jr, le ministre de la Santé américain, critiquant à la fois la surmédicalisation et la montée des maladies chroniques renvoyées à des comportements individuels. En mettant l’accent sur la prévention et la modification des modes de vies, cet abandon de la santé renvoie les citoyens vers leurs responsabilités et la santé publique vers des solutions privées, en laissant sur le carreau les populations vulnérables. Cette médecine du non-soin s’appuie massivement sur des dispositifs technologiques sophistiqués proches du quantified self, “vidée de toute relation clinique”. “Ces technologies alimentent des systèmes d’optimisation où l’important n’est plus la guérison, mais la conformité aux normes biologiques ou comportementales. Dans ce contexte, le patient devient un profil de risque, non plus un sujet à accompagner. La plateformisation du soin réorganise en profondeur les régimes d’accès à la santé. La médecine n’est alors plus un service public mais une logistique de gestion différenciée des existences.”

C’est le cas du paradigme One Health, qui vise à remplacer le soin par une idéalisation holistique de la santé, comme un état d’équilibre à maintenir, où l’immunité naturelle affaiblit les distinctions entre pathogène et environnement et favorise une démission institutionnelle. “Face aux dégradations écologiques, le réflexe n’est plus de renforcer les capacités collectives de soin. Il s’agit désormais de retrouver une forme de pureté corporelle ou environnementale perdue. Cette quête se traduit par l’apologie du jeûne, du contact avec les microbes, de la « vitalité » naturelle – et la dénonciation des traitements, des masques, des vaccins comme autant d’artefacts « toxiques ». Elle entretient une confusion entre médecine industrielle et médecine publique, et reformule le soin comme une purification individuelle. Là encore, le paradigme du non-soin prospère non pas en contradiction avec l’écologie, mais bien davantage au nom d’une écologie mal pensée, orientée vers le refus de l’artifice plutôt que vers l’organisation solidaire de la soutenabilité.” “L’appel à « ne pas tomber malade » devient un substitut direct au droit au soin – voire une norme visant la purification des plus méritants dans un monde saturé de toxicités (et de modernité).”

“Dans ce monde du non-soin, l’abandon n’est ni un effet secondaire ni une faute mais un principe actif de gestion.” Les populations vulnérables sont exclues de la prise en charge. Sous forme de scores de risques, le tri sanitaire technicisé s’infiltre partout, pour distinguer les populations et mettre de côté ceux qui ne peuvent être soignés. “La santé publique cesse d’être pensée comme un bien commun, et devient une performance individuelle, mesurée, scorée, marchandée. La médecine elle-même, soumise à l’austérité, finit par abandonner ses missions fondamentales : observer, diagnostiquer, soigner. Elle se contente de prévenir – et encore, seulement pour ceux qu’on juge capables – et/ou suffisamment méritants.” Pour Monnin, cet accent mis sur la prévention pourrait être louable si elle ne se retournait pas contre les malades : “Ce n’est plus la santé publique qui se renforce mais une responsabilité individualisée du « bien se porter » qui légitime l’abandon de celles et ceux qui ne peuvent s’y conformer. La prévention devient une rhétorique de la culpabilité, où le soin est indexé sur la conformité à un mode de vie puissamment normé”.

Pour le philosophe, le risque est que le soin devienne une option, un privilège.

Le problème est que ces nouvelles politiques avancent sous le masque de l’innovation et de la prévention, alors qu’elles ne parlent que de responsabilité individuelle, au risque de faire advenir un monde sans soin qui refuse d’intervenir sur les milieux de vies, qui refuse les infrastructures collectives, qui renvoie chacun à l’auto-surveillance “sans jamais reconstruire les conditions collectives du soin ni reconnaître l’inégale capacité des individus à le faire”. Un monde où ”la surveillance remplace l’attention, la donnée remplace la relation, le test remplace le soin”. Derrière le tri, se profile “une santé sans soin, une médecine sans clinique – une écologie sans solidarité”.

“L’État ne disparaît pas : il prescrit, organise, finance, externalise. Il se fait plateforme, courtier de services, émetteur d’appels à projets. En matière de santé, cela signifie le financement de dispositifs de prévention algorithmique, l’encouragement de solutions « innovantes » portées par des start-ups, ou encore le remboursement indirect de produits encore non éprouvés. Ce nouveau régime n’est pas une absence de soin, c’est une délégation programmée du soin à des acteurs dont l’objectif premier n’est pas le soin mais la rentabilité. L’État ne s’efface pas en totalité : il administre la privatisation du soin.”

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  • IA et éducation (2/2) : du dilemme moral au malaise social
    Suite de notre dossier sur IA et éducation (voir la première partie). La bataille éducative est-elle perdue ? Une grande enquête de 404 media montre qu’à l’arrivée de ChatGPT, les écoles publiques américaines étaient totalement démunies face à l’adoption généralisée de ChatGPT par les élèves. Le problème est d’ailleurs loin d’être résolu. Le New York Mag a récemment publié un article qui se désole de la triche généralisée qu’ont introduit les IA génératives à l’école. De partout, les élèv
     

IA et éducation (2/2) : du dilemme moral au malaise social

1 juillet 2025 à 00:41

Suite de notre dossier sur IA et éducation (voir la première partie).

La bataille éducative est-elle perdue ?

Une grande enquête de 404 media montre qu’à l’arrivée de ChatGPT, les écoles publiques américaines étaient totalement démunies face à l’adoption généralisée de ChatGPT par les élèves. Le problème est d’ailleurs loin d’être résolu. Le New York Mag a récemment publié un article qui se désole de la triche généralisée qu’ont introduit les IA génératives à l’école. De partout, les élèves utilisent les chatbots pour prendre des notes pendant les cours, pour concevoir des tests, résumer des livres ou des articles, planifier et rédiger leurs essais, résoudre les exercices qui leurs sont demandés. Le plafond de la triche a été pulvérisé, explique un étudiant. “Un nombre considérable d’étudiants sortiront diplômés de l’université et entreront sur le marché du travail en étant essentiellement analphabètes”, se désole un professeur qui constate le court-circuitage du processus même d’apprentissage. La triche semblait pourtant déjà avoir atteint son apogée, avant l’arrivée de ChatGPT, notamment avec les plateformes d’aides au devoir en ligne comme Chegg et Course Hero. “Pour 15,95 $ par mois, Chegg promettait des réponses à toutes les questions de devoirs en seulement 30 minutes, 24h/24 et 7j/7, grâce aux 150 000 experts diplômés de l’enseignement supérieur qu’elle employait, principalement en Inde”

Chaque école a proposé sa politique face à ces nouveaux outils, certains prônant l’interdiction, d’autres non. Depuis, les politiques se sont plus souvent assouplies, qu’endurcies. Nombre de profs autorisent l’IA, à condition de la citer, ou ne l’autorisent que pour aide conceptuelle et en demandant aux élèves de détailler la manière dont ils l’ont utilisé. Mais cela ne dessine pas nécessairement de limites claires à leurs usages. L’article souligne que si les professeurs se croient doués pour détecter les écrits générés par l’IA, des études ont démontré qu’ils ne le sont pas. L’une d’elles, publiée en juin 2024, utilisait de faux profils d’étudiants pour glisser des travaux entièrement générés par l’IA dans les piles de correction des professeurs d’une université britannique. Les professeurs n’ont pas signalé 97 % des essais génératifs. En fait, souligne l’article, les professeurs ont plutôt abandonné l’idée de pouvoir détecter le fait que les devoirs soient rédigés par des IA. “De nombreux enseignants semblent désormais désespérés”. “Ce n’est pas ce pour quoi nous nous sommes engagés”, explique l’un d’entre eux. La prise de contrôle de l’enseignement par l’IA tient d’une crise existentielle de l’éducation. Désormais, les élèves ne tentent même plus de se battre contre eux-mêmes. Ils se replient sur la facilité. “Toute tentative de responsabilisation reste vaine”, constatent les professeurs. 

L’IA a mis à jour les défaillances du système éducatif. Bien sûr, l’idéal de l’université et de l’école comme lieu de développement intellectuel, où les étudiants abordent des idées profondes a disparu depuis longtemps. La perspective que les IA des professeurs évaluent désormais les travaux produits par les IA des élèves, finit de réduire l’absurdité de la situation, en laissant chacun sans plus rien à apprendre. Plusieurs études (comme celle de chercheurs de Microsoft) ont établi un lien entre l’utilisation de l’IA et une détérioration de l’esprit critique. Pour le psychologue, Robert Sternberg, l’IA générative compromet déjà la créativité et l’intelligence. “La bataille est perdue”, se désole un autre professeur

Reste à savoir si l’usage “raisonnable” de l’IA est possible. Dans une longue enquête pour le New Yorker, le journaliste Hua Hsu constate que tous les étudiants qu’il a interrogé pour comprendre leur usage de l’IA ont commencé par l’utiliser pour se donner des idées, en promettant de veiller à un usage responsable et ont très vite basculé vers des usages peu modérés, au détriment de leur réflexion. L’utilisation judicieuse de l’IA ne tient pas longtemps. Dans un rapport sur l’usage de Claude par des étudiants, Anthropic a montré que la moitié des interactions des étudiants avec son outil serait extractive, c’est-à-dire servent à produire des contenus. 404 media est allé discuter avec les participants de groupes de soutien en ligne de gens qui se déclarent comme “dépendants à l’IA”. Rien n’est plus simple que de devenir accro à un chatbot, confient des utilisateurs de tout âge. OpenAI en est conscient, comme le pointait une étude du MIT sur les utilisateurs les plus assidus, sans proposer pourtant de remèdes.

Comment apprendre aux enfants à faire des choses difficiles ? Le journaliste Clay Shirky, devenu responsable de l’IA en éducation à la New York University, dans le Chronicle of Higher Education, s’interroge : l’IA améliore-t-elle l’éducation ou la remplace-t-elle ? “Chaque année, environ 15 millions d’étudiants de premier cycle aux États-Unis produisent des travaux et des examens de plusieurs milliards de mots. Si le résultat d’un cours est constitué de travaux d’étudiants (travaux, examens, projets de recherche, etc.), le produit de ce cours est l’expérience étudiante. Un devoir n’a de valeur que ”pour stimuler l’effort et la réflexion de l’élève”. “L’utilité des devoirs écrits repose sur deux hypothèses : la première est que pour écrire sur un sujet, l’élève doit comprendre le sujet et organiser ses pensées. La seconde est que noter les écrits d’un élève revient à évaluer l’effort et la réflexion qui y ont été consacrés”. Avec l’IA générative, la logique de cette proposition, qui semblait pourtant à jamais inébranlable, s’est complètement effondrée

Pour Shirky, il ne fait pas de doute que l’IA générative peut être utile à l’apprentissage. “Ces outils sont efficaces pour expliquer des concepts complexes, proposer des quiz pratiques, des guides d’étude, etc. Les étudiants peuvent rédiger un devoir et demander des commentaires, voir à quoi ressemble une réécriture à différents niveaux de lecture, ou encore demander un résumé pour vérifier la clart锓Mais le fait que l’IA puisse aider les étudiants à apprendre ne garantit pas qu’elle le fera. Pour le grand théoricien de l’éducation, Herbert Simon, “l’enseignant ne peut faire progresser l’apprentissage qu’en incitant l’étudiant à apprendre”. “Face à l’IA générative dans nos salles de classe, la réponse évidente est d’inciter les étudiants à adopter les utilisations utiles de l’IA tout en les persuadant d’éviter les utilisations néfastes. Notre problème est que nous ne savons pas comment y parvenir”, souligne pertinemment Shirky. Pour lui aussi, aujourd’hui, les professeurs sont en passe d’abandonner. Mettre l’accent sur le lien entre effort et apprentissage ne fonctionne pas, se désole-t-il. Les étudiants eux aussi sont déboussolés et finissent par se demander où l’utilisation de l’IA les mène. Shirky fait son mea culpa. L’utilisation engagée de l’IA conduit à son utilisation paresseuse. Nous ne savons pas composer avec les difficultés. Mais c’était déjà le cas avant ChatGPT. Les étudiants déclarent régulièrement apprendre davantage grâce à des cours magistraux bien présentés qu’avec un apprentissage plus actif, alors que de nombreuses études démontrent l’inverse. “Un outil qui améliore le rendement mais dégrade l’expérience est un mauvais compromis”. 

C’est le sens même de l’éducation qui est en train d’être perdu. Le New York Times revenait récemment sur le fait que certaines écoles interdisent aux élèves d’utiliser ces outils, alors que les professeurs, eux, les surutilisent. Selon une étude auprès de 1800 enseignants de l’enseignement supérieur, 18 % déclaraient utiliser fréquemment ces outils pour faire leur cours, l’année dernière – un chiffre qui aurait doublé depuis. Les étudiants ne lisent plus ce qu’ils écrivent et les professeurs non plus. Si les profs sont prompts à critiquer l’usage de l’IA par leurs élèves, nombre d’entre eux l’apprécient pour eux-mêmes, remarque un autre article du New York Times. A PhotoMath ou Google Lens qui viennent aider les élèves, répondent MagicSchool et Brisk Teaching qui proposent déjà des produits d’IA qui fournissent un retour instantané sur les écrits des élèves. L’Etat du Texas a signé un contrat de 5 ans avec l’entreprise Cambium Assessment pour fournir aux professeurs un outil de notation automatisée des écrits des élèves. 

Pour Jason Koebler de 404 media : “la société dans son ensemble n’a pas très bien résisté à l’IA générative, car les grandes entreprises technologiques s’obstinent à nous l’imposer. Il est donc très difficile pour un système scolaire public sous-financé de contrôler son utilisation”. Pourtant, peu après le lancement public de ChatGPT, certains districts scolaires locaux et d’État ont fait appel à des consultants pro-IA pour produire des formations et des présentations “encourageant largement les enseignants à utiliser l’IA générative en classe”, mais “aucun n’anticipait des situations aussi extrêmes que celles décrites dans l’article du New York Mag, ni aussi problématiques que celles que j’ai entendues de mes amis enseignants, qui affirment que certains élèves désormais sont totalement dépendants de ChatGPT”. Les documents rassemblés par 404media montrent surtout que les services d’éducation américains ont tardé à réagir et à proposer des perspectives aux enseignants sur le terrain. 

Dans un autre article de 404 media, Koebler a demandé à des professeurs américains d’expliquer ce que l’IA a changé à leur travail. Les innombrables témoignages recueillis montrent que les professeurs ne sont pas restés les bras ballants, même s’ils se sentent très dépourvus face à l’intrusion d’une technologie qu’ils n’ont pas voulu. Tous expliquent qu’ils passent des heures à corriger des devoirs que les élèves mettent quelques secondes à produire. Tous dressent un constat similaire fait d’incohérences, de confusions, de démoralisations, entre préoccupations et exaspérations. Quelles limites mettre en place ? Comment s’assurer qu’elles soient respectées ? “Je ne veux pas que les étudiants qui n’utilisent pas de LLM soient désavantagés. Et je ne veux pas donner de bonnes notes à des étudiants qui ne font pratiquement rien”, témoigne un prof. Beaucoup ont désormais recours à l’écriture en classe, au papier. Quelques-uns disent qu’ils sont passés de la curiosité au rejet catégorique de ces outils. Beaucoup pointent que leur métier est plus difficile que jamais. “ChatGPT n’est pas un problème isolé. C’est le symptôme d’un paradigme culturel totalitaire où la consommation passive et la régurgitation de contenu deviennent le statu quo.”

L’IA place la déqualification au coeur de l’apprentissage 

Nicholas Carr, qui vient de faire paraître Superbloom : How Technologies of Connection Tear Us Apart (Norton, 2025, non traduit) rappelle dans sa newsletter que “la véritable menace que représente l’IA pour l’éducation n’est pas qu’elle encourage la triche, mais qu’elle décourage l’apprentissage. Pour Carr, lorsque les gens utilisent une machine pour réaliser une tâche, soit leurs compétences augmentent, soit elles s’atrophient, soit elles ne se développent jamais. C’est la piste qu’il avait d’ailleurs exploré dans Remplacer l’humain (L’échapée, 2017, traduction de The Glass Cage) en montrant comment les logiciels transforment concrètement les métiers, des architectes aux pilotes d’avions). Si un travailleur maîtrise déjà l’activité à automatiser, la machine peut l’aider à développer ses compétences” et relever des défis plus complexes. Dans les mains d’un mathématicien, une calculatrice devient un “amplificateur d’intelligence”. A l’inverse, si le maintien d’une compétence exige une pratique fréquente, combinant dextérité manuelle et mentale, alors l’automatisation peut menacer le talent même de l’expert. C’est le cas des pilotes d’avion confrontés aux systèmes de pilotage automatique qui connaissent un “affaissement des compétences” face aux situations difficiles. Mais l’automatisation est plus pernicieuse encore lorsqu’une machine prend les commandes d’une tâche avant que la personne qui l’utilise n’ait acquis l’expérience de la tâche en question. “C’est l’histoire du phénomène de « déqualification » du début de la révolution industrielle. Les artisans qualifiés ont été remplacés par des opérateurs de machines non qualifiés. Le travail s’est accéléré, mais la seule compétence acquise par ces opérateurs était celle de faire fonctionner la machine, ce qui, dans la plupart des cas, n’était quasiment pas une compétence. Supprimez la machine, et le travail s’arrête”

Bien évidemment que les élèves qui utilisent des chatbots pour faire leurs devoirs font moins d’effort mental que ceux qui ne les utilisent pas, comme le pointait une très épaisse étude du MIT (synthétisée par Le Grand Continent), tout comme ceux qui utilisent une calculatrice plutôt que le calcul mental vont moins se souvenir des opérations qu’ils ont effectuées. Mais le problème est surtout que ceux qui les utilisent sont moins méfiants de leurs résultats (comme le pointait l’étude des chercheurs de Microsoft), alors que contrairement à ceux d’une calculatrice, ils sont beaucoup moins fiables. Le problème de l’usage des LLM à l’école, c’est à la fois qu’il empêche d’apprendre à faire, mais plus encore que leur usage nécessite des compétences pour les évaluer. 

L’IA générative étant une technologie polyvalente permettant d’automatiser toutes sortes de tâches et d’emplois, nous verrons probablement de nombreux exemples de chacun des trois scénarios de compétences dans les années à venir, estime Carr. Mais l’utilisation de l’IA par les lycéens et les étudiants pour réaliser des travaux écrits, pour faciliter ou éviter le travail de lecture et d’écriture, constitue un cas particulier. “Elle place le processus de déqualification au cœur de l’éducation. Automatiser l’apprentissage revient à le subvertir”

En éducation, plus vous effectuez de recherches, plus vous vous améliorez en recherche, et plus vous rédigez d’articles, plus vous améliorez votre rédaction. “Cependant, la valeur pédagogique d’un devoir d’écriture ne réside pas dans le produit tangible du travail – le devoir rendu à la fin du devoir. Elle réside dans le travail lui-même : la lecture critique des sources, la synthèse des preuves et des idées, la formulation d’une thèse et d’un argument, et l’expression de la pensée dans un texte cohérent. Le devoir est un indicateur que l’enseignant utilise pour évaluer la réussite du travail de l’étudiant – le travail d’apprentissage. Une fois noté et rendu à l’étudiant, le devoir peut être jeté”

L’IA générative permet aux étudiants de produire le produit sans effectuer le travail. Le travail remis par un étudiant ne témoigne plus du travail d’apprentissage qu’il a nécessité. “Il s’y substitue ». Le travail d’apprentissage est ardu par nature : sans remise en question, l’esprit n’apprend rien. Les étudiants ont toujours cherché des raccourcis bien sûr, mais l’IA générative est différente, pas son ampleur, par sa nature. “Sa rapidité, sa simplicité d’utilisation, sa flexibilité et, surtout, sa large adoption dans la société rendent normal, voire nécessaire, l’automatisation de la lecture et de l’écriture, et l’évitement du travail d’apprentissage”. Grâce à l’IA générative, un élève médiocre peut produire un travail remarquable tout en se retrouvant en situation de faiblesse. Or, pointe très justement Carr, “la conséquence ironique de cette perte d’apprentissage est qu’elle empêche les élèves d’utiliser l’IA avec habileté. Rédiger une bonne consigne, un prompt efficace, nécessite une compréhension du sujet abordé. Le dispensateur doit connaître le contexte de la consigne. Le développement de cette compréhension est précisément ce que la dépendance à l’IA entrave”. “L’effet de déqualification de l’outil s’étend à son utilisation”. Pour Carr, “nous sommes obnubilés par la façon dont les étudiants utilisent l’IA pour tricher. Alors que ce qui devrait nous préoccuper davantage, c’est la façon dont l’IA trompe les étudiants”

Nous sommes d’accord. Mais cette conclusion n’aide pas pour autant à avancer ! 

Passer du malaise moral au malaise social ! 

Utiliser ou non l’IA semble surtout relever d’un malaise moral (qui en rappelle un autre), révélateur, comme le souligne l’obsession sur la « triche » des élèves. Mais plus qu’un dilemme moral, peut-être faut-il inverser notre regard, et le poser autrement : comme un malaise social. C’est la proposition que fait le sociologue Bilel Benbouzid dans un remarquable article pour AOC (première et seconde partie). 

Pour Benbouzid, l’IA générative à l’université ébranle les fondements de « l’auctorialité », c’est-à-dire qu’elle modifie la position d’auteur et ses repères normatifs et déontologiques. Dans le monde de l’enseignement supérieur, depuis le lancement de ChatGPT, tout le monde s’interroge pour savoir que faire de ces outils, souvent dans un choix un peu binaire, entre leur autorisation et leur interdiction. Or, pointe justement Benbouzid, l’usage de l’IA a été « perçu » très tôt comme une transgression morale. Très tôt, les utiliser a été associé à de la triche, d’autant qu’on ne peut pas les citer, contrairement à tout autre matériel écrit. 

Face à leur statut ambiguë, Benbouzid pose une question de fond : quelle est la nature de l’effort intellectuel légitime à fournir pour ses études ? Comment distinguer un usage « passif » de l’IA d’un usage « actif », comme l’évoquait Ethan Mollick dans la première partie de ce dossier ? Comment contrôler et s’assurer d’une utilisation active et éthique et non pas passive et moralement condamnable ? 

Pour Benbouzid, il se joue une réflexion éthique sur le rapport à soi qui nécessite d’être authentique. Mais peut-on être authentique lorsqu’on se construit, interroge le sociologue, en évoquant le fait que les étudiants doivent d’abord acquérir des compétences avant de s’individualiser. Or l’outil n’est pas qu’une machine pour résumer ou copier. Pour Benbouzid, comme pour Mollick, bien employée, elle peut-être un vecteur de stimulation intellectuelle, tout en exerçant une influence diffuse mais réelle. « Face aux influences tacites des IAG, il est difficile de discerner les lignes de partage entre l’expression authentique de soi et les effets normatifs induits par la machine. » L’enjeu ici est bien celui de la capacité de persuasion de ces machines sur ceux qui les utilisent. 

Pour les professeurs de philosophie et d’éthique Mark Coeckelbergh et David Gunkel, comme ils l’expliquent dans un article (qui a depuis donné lieu à un livre, Communicative AI, Polity, 2025), l’enjeu n’est pourtant plus de savoir qui est l’auteur d’un texte (même si, comme le remarque Antoine Compagnon, sans cette figure, la lecture devient indéchiffrable, puisque nul ne sait plus qui parle, ni depuis quels savoirs), mais bien plus de comprendre les effets que les textes produisent. Pourtant, ce déplacement, s’il est intéressant (et peut-être peu adapté à l’IA générative, tant les textes produits sont rarement pertinents), il ne permet pas de cadrer les usages des IA génératives qui bousculent le cadre ancien de régulation des textes académiques. Reste que l’auteur d’un texte doit toujours en répondre, rappelle Benbouzid, et c’est désormais bien plus le cas des étudiants qui utilisent l’IA que de ceux qui déploient ces systèmes d’IA. L’autonomie qu’on attend d’eux est à la fois un idéal éducatif et une obligation morale envers soi-même, permettant de développer ses propres capacités de réflexion. « L’acte d’écriture n’est pas un simple exercice technique ou une compétence instrumentale. Il devient un acte de formation éthique ». Le problème, estiment les professeurs de philosophie Timothy Aylsworth et Clinton Castro, dans un article qui s’interroge sur l’usage de ChatGPT, c’est que l’autonomie comme finalité morale de l’éducation n’est pas la même que celle qui permet à un étudiant de décider des moyens qu’il souhaite mobiliser pour atteindre son but. Pour Aylsworth et Castro, les étudiants ont donc obligation morale de ne pas utiliser ChatGPT, car écrire soi-même ses textes est essentiel à la construction de son autonomie. Pour eux, l’école doit imposer une morale de la responsabilité envers soi-même où écrire par soi-même n’est pas seulement une tâche scolaire, mais également un moyen d’assurer sa dignité morale. « Écrire, c’est penser. Penser, c’est se construire. Et se construire, c’est honorer l’humanité en soi. »

Pour Benbouzid, les contradictions de ces deux dilemmes résument bien le choix cornélien des étudiants et des enseignants. Elle leur impose une liberté de ne pas utiliser. Mais cette liberté de ne pas utiliser, elle, ne relève-t-elle pas d’abord et avant tout d’un jugement social ?

L’IA générative ne sera pas le grand égalisateur social !

C’est la piste fructueuse qu’explore Bilel Benbouzid dans la seconde partie de son article. En explorant qui à recours à l’IA et pourquoi, le sociologue permet d’entrouvrir une autre réponse que la réponse morale. Ceux qui promeuvent l’usage de l’IA pour les étudiants, comme Ethan Mollick, estiment que l’IA pourrait agir comme une égaliseur de chances, permettant de réduire les différences cognitives entre les élèves. C’est là une référence aux travaux d’Erik Brynjolfsson, Generative AI at work, qui souligne que l’IA diminue le besoin d’expérience, permet la montée en compétence accélérée des travailleurs et réduit les écarts de compétence des travailleurs (une théorie qui a été en partie critiquée, notamment parce que ces avantages sont compensés par l’uniformisation des pratiques et leur surveillance – voir ce que nous en disions en mobilisant les travaux de David Autor). Mais sommes-nous confrontés à une homogénéisation des performances d’écritures ? N’assiste-t-on pas plutôt à un renforcement des inégalités entre les meilleurs qui sauront mieux que d’autres tirer partie de l’IA générative et les moins pourvus socialement ? 

Pour John Danaher, l’IA générative pourrait redéfinir pas moins que l’égalité, puisque les compétences traditionnelles (rédaction, programmation, analyses…) permettraient aux moins dotés d’égaler les meilleurs. Pour Danaher, le risque, c’est que l’égalité soit alors reléguée au second plan : « d’autres valeurs comme l’efficacité économique ou la liberté individuelle prendraient le dessus, entraînant une acceptation accrue des inégalités. L’efficacité économique pourrait être mise en avant si l’IA permet une forte augmentation de la productivité et de la richesse globale, même si cette richesse est inégalement répartie. Dans ce scénario, plutôt que de chercher à garantir une répartition équitable des ressources, la société pourrait accepter des écarts grandissants de richesse et de statut, tant que l’ensemble progresse. Ce serait une forme d’acceptation de l’inégalité sous prétexte que la technologie génère globalement des bénéfices pour tous, même si ces bénéfices ne sont pas partagés de manière égale. De la même manière, la liberté individuelle pourrait être privilégiée si l’IA permet à chacun d’accéder à des outils puissants qui augmentent ses capacités, mais sans garantir que tout le monde en bénéficie de manière équivalente. Certains pourraient considérer qu’il est plus important de laisser les individus utiliser ces technologies comme ils le souhaitent, même si cela crée de nouvelles hiérarchies basées sur l’usage différencié de l’IA ». Pour Danaher comme pour Benbouzid, l’intégration de l’IA dans l’enseignement doit poser la question de ses conséquences sociales !

Les LLM ne produisent pas un langage neutre mais tendent à reproduire les « les normes linguistiques dominantes des groupes sociaux les plus favorisés », rappelle Bilel Benbouzid. Une étude comparant les lettres de motivation d’étudiants avec des textes produits par des IA génératives montre que ces dernières correspondent surtout à des productions de CSP+. Pour Benbouzid, le risque est que la délégation de l’écriture à ces machines renforce les hiérarchies existantes plus qu’elles ne les distribue. D’où l’enjeu d’une enquête en cours pour comprendre l’usage de l’IA générative des étudiants et leur rapport social au langage. 

Les premiers résultats de cette enquête montrent par exemple que les étudiants rechignent à copier-collé directement le texte créé par les IA, non seulement par peur de sanctions, mais plus encore parce qu’ils comprennent que le ton et le style ne leur correspondent pas. « Les étudiants comparent souvent ChatGPT à l’aide parentale. On comprend que la légitimité ne réside pas tant dans la nature de l’assistance que dans la relation sociale qui la sous-tend. Une aide humaine, surtout familiale, est investie d’une proximité culturelle qui la rend acceptable, voire valorisante, là où l’assistance algorithmique est perçue comme une rupture avec le niveau académique et leur propre maîtrise de la langue ». Et effectivement, la perception de l’apport des LLM dépend du capital culturel des étudiants. Pour les plus dotés, ChatGPT est un outil utilitaire, limité voire vulgaire, qui standardise le langage. Pour les moins dotés, il leur permet d’accéder à des éléments de langages valorisés et valorisants, tout en l’adaptant pour qu’elle leur corresponde socialement. 

Dans ce rapport aux outils de génération, pointe un rapport social à la langue, à l’écriture, à l’éducation. Pour Benbouzid, l’utilisation de l’IA devient alors moins un problème moral qu’un dilemme social. « Ces pratiques, loin d’être homogènes, traduisent une appropriation différenciée de l’outil en fonction des trajectoires sociales et des attentes symboliques qui structurent le rapport social à l’éducation. Ce qui est en jeu, finalement, c’est une remise en question de la manière dont les étudiants se positionnent socialement, lorsqu’ils utilisent les robots conversationnels, dans les hiérarchies culturelles et sociales de l’université. » En fait, les étudiants utilisent les outils non pas pour se dépasser, comme l’estime Mollick, mais pour produire un contenu socialement légitime. « En déléguant systématiquement leurs compétences de lecture, d’analyse et d’écriture à ces modèles, les étudiants peuvent contourner les processus essentiels d’intériorisation et d’adaptation aux normes discursives et épistémologiques propres à chaque domaine. En d’autres termes, l’étudiant pourrait perdre l’occasion de développer authentiquement son propre capital culturel académique, substitué par un habitus dominant produit artificiellement par l’IA. »

L’apparence d’égalité instrumentale que permettent les LLM pourrait donc paradoxalement renforcer une inégalité structurelle accrue. Les outils creusant l’écart entre des étudiants qui ont déjà internalisé les normes dominantes et ceux qui les singent. Le fait que les textes générés manquent d’originalité et de profondeur critique, que les IA produisent des textes superficiels, ne rend pas tous les étudiants égaux face à ces outils. D’un côté, les grandes écoles renforcent les compétences orales et renforcent leurs exigences d’originalité face à ces outils. De l’autre, d’autres devront y avoir recours par nécessité. « Pour les mieux établis, l’IA représentera un outil optionnel d’optimisation ; pour les plus précaires, elle deviendra une condition de survie dans un univers concurrentiel. Par ailleurs, même si l’IA profitera relativement davantage aux moins qualifiés, cette amélioration pourrait simultanément accentuer une forme de dépendance technologique parmi les populations les plus défavorisées, creusant encore le fossé avec les élites, mieux armées pour exercer un discernement critique face aux contenus générés par les machines ».

Bref, loin de l’égalisation culturelle que les outils permettraient, le risque est fort que tous n’en profitent pas d’une manière égale. On le constate très bien ailleurs. Le fait d’être capable de rédiger un courrier administratif est loin d’être partagé. Si ces outils améliorent les courriers des moins dotés socialement, ils ne renversent en rien les différences sociales. C’est le même constat qu’on peut faire entre ceux qui subliment ces outils parce qu’ils les maîtrisent finement, et tous les autres qui ne font que les utiliser, comme l’évoquait Gregory Chatonsky, en distinguant les utilisateurs mémétiques et les utilisateurs productifs. Ces outils, qui se présentent comme des outils qui seraient capables de dépasser les inégalités sociales, risquent avant tout de mieux les amplifier. Plus que de permettre de personnaliser l’apprentissage, pour s’adapter à chacun, il semble que l’IA donne des superpouvoirs d’apprentissage à ceux qui maîtrisent leurs apprentissages, plus qu’aux autres.  

L’IApocalypse scolaire, coincée dans le droit

Les questions de l’usage de l’IA à l’école que nous avons tenté de dérouler dans ce dossier montrent l’enjeu à débattre d’une politique publique d’usage de l’IA générative à l’école, du primaire au supérieur. Mais, comme le montre notre enquête, toute la communauté éducative est en attente d’un cadre. En France, on attend les recommandations de la mission confiée à François Taddéi et Sarah Cohen-Boulakia sur les pratiques pédagogiques de l’IA dans l’enseignement supérieur, rapportait le Monde

Un premier cadre d’usage de l’IA à l’école vient pourtant d’être publié par le ministère de l’Education nationale. Autant dire que ce cadrage processuel n’est pas du tout à la hauteur des enjeux. Le document consiste surtout en un rappel des règles et, pour l’essentiel, elles expliquent d’abord que l’usage de l’IA générative est contraint si ce n’est impossible, de fait. « Aucun membre du personnel ne doit demander aux élèves d’utiliser des services d’IA grand public impliquant la création d’un compte personnel » rappelle le document. La note recommande également de ne pas utiliser l’IA générative avec les élèves avant la 4e et souligne que « l’utilisation d’une intelligence artificielle générative pour réaliser tout ou partie d’un devoir scolaire, sans autorisation explicite de l’enseignant et sans qu’elle soit suivie d’un travail personnel d’appropriation à partir des contenus produits, constitue une fraude ». Autant dire que ce cadre d’usage ne permet rien, sinon l’interdiction. Loin d’être un cadre de développement ouvert à l’envahissement de l’IA, comme s’en plaint le SNES-FSU, le document semble surtout continuer à produire du déni, tentant de rappeler des règles sur des usages qui les débordent déjà très largement. 

Sur Linked-in, Yann Houry, prof dans un Institut privé suisse, était très heureux de partager sa recette pour permettre aux profs de corriger des copies avec une IA en local, rappelant que pour des questions de légalité et de confidentialité, les professeurs ne devraient pas utiliser les services d’IA génératives en ligne pour corriger les copies. Dans les commentaires, nombreux sont pourtant venu lui signaler que cela ne suffit pas, rappelant qu’utiliser l’IA pour corriger les copies, donner des notes et classer les élèves peut-être classée comme un usage à haut-risque selon l’IA Act, ou encore qu’un formateur qui utiliserait l’IA en ce sens devrait en informer les apprenants afin qu’ils exercent un droit de recours en cas de désaccord sur une évaluation, sans compter que le professeur doit également être transparent sur ce qu’il utilise pour rester en conformité et l’inscrire au registre des traitements. Bref, d’un côté comme de l’autre, tant du côté des élèves qui sont renvoyé à la fraude quelque soit la façon dont ils l’utilisent, que des professeurs, qui ne doivent l’utiliser qu’en pleine transparence, on se rend vite compte que l’usage de l’IA dans l’éducation reste, formellement, très contraint, pour ne pas dire impossible. 

D’autres cadres et rapports ont été publiés. comme celui de l’inspection générale, du Sénat ou de la Commission européenne et de l’OCDE, mais qui se concentrent surtout sur ce qu’un enseignement à l’IA devrait être, plus que de donner un cadre aux débordements des usages actuels. Bref, pour l’instant, le cadrage de l’IApocalypse scolaire reste à construire, avec les professeurs… et avec les élèves.  

Hubert Guillaud

MAJ du 02/09/2025 : Le rapport de François Taddei sur l’IA dans l’enseignement supérieur a été publié. Et, contrairement à ce qu’on aurait pu en attendre, il ne répond pas à la question des limites de l’usage de l’IA dans l’enseignement supérieur. 

Le rapport est pourtant disert. Il recommande de mutualiser les capacités de calculs, les contenus et les bonnes pratiques, notamment via une plateforme de mutualisation. Il recommande de développer la formation des étudiants comme des personnels et bien sûr de repenser les modalités d’évaluation, mais sans proposer de pistes concrètes. « L’IA doit notamment contribuer à rendre les établissements plus inclusifs, renforcer la démocratie universitaire, et développer un nouveau modèle d’enseignement qui redéfinisse le rôle de l’enseignant et des étudiants », rappelle l’auteur de Apprendre au XXIe siècle (Calmann-Levy, 2018) qui militait déjà pour transformer l’institution. Il recommande enfin de développer des data centers dédiés, orientés enseignement et des solutions techniques souveraines et invite le ministère de l’enseignement supérieur à se doter d’une politique nationale d’adoption de l’IA autour d’un Institut national IA, éducation et société.

Le rapport embarque une enquête quantitative sur l’usage de l’IA par les étudiants, les professeurs et les personnels administratifs. Si le rapport estime que l’usage de l’IA doit être encouragé, il souligne néanmoins que son développement « doit être accompagné de réflexions collectives sur les usages et ses effets sur l’organisation du travail, les processus et l’évolution des compétences », mais sans vraiment faire de propositions spécifiques autres que citer certaines déjà mises en place nombre de professeurs. Ainsi, sur l’évolution des pratiques, le rapport recense les évolutions, notamment le développement d’examens oraux, mais en pointe les limites en termes de coûts et d’organisation, sans compter, bien sûr, qu’ils ne permettent pas d’évaluer les capacités d’écriture des élèves. « La mission considère que l’IA pourrait donner l’opportunité de redéfinir les modèles d’enseignement, en réinterrogeant le rôle de chacun. Plusieurs pistes sont possibles : associer les étudiants à la définition des objectifs des enseignements, responsabiliser les étudiants sur les apprentissages, mettre en situation professionnelle, développer davantage les modes projet, développer la résolution de problèmes complexes, associer les étudiants à l’organisation d’événements ou de travaux de recherche, etc. Le principal avantage de cette évolution est qu’elle peut permettre de renforcer l’engagement des étudiants dans les apprentissages car ils sont plus impliqués quand ils peuvent contribuer aux choix des sujets abordés. Ils prendront aussi conscience des enjeux pour leur vie professionnelle des matières enseignées. Une telle évolution pourrait renforcer de ce fait la qualité des apprentissages. Elle permettrait aussi de proposer davantage d’horizontalité dans les échanges, ce qui est attendu par les étudiants et qui reflète aussi davantage le fonctionnement par projet, mode d’organisation auquel ils seront fréquemment confrontés ». Pour répondre au défi de l’IA, la mission Taddeï propose donc de « sortir d’une transmission descendante » au profit d’un apprentissage plus collaboratif, comme François Taddéi l’a toujours proposé, mais sans proposer de norme pour structurer les rapports à l’IA. 

Le rapport recommande d’ailleurs de favoriser l’usage de l’IA dans l’administration scolaire et d’utiliser le « broad listening« , l’écoute et la consultation des jeunes pour améliorer la démocratie universitaire… Une proposition qui pourrait être stimulante si nous n’étions pas plutôt confronter à son exact inverse : le broad listening semble plutôt mobilisé pour réprimer les propos étudiants que le contraire… Enfin, le rapport insiste particulièrement sur l’usage de l’IA pour personnaliser l’orientation et être un tuteur d’études. La dernière partie du rapport constate les besoins de formation et les besoins d’outils mutualisés, libres et ouverts : deux aspects qui nécessiteront des financements et projets adaptés. 

Ce rapport très pro-IA ne répond pas vraiment à la difficulté de l’évaluation et de l’enseignement à l’heure où les élèves peuvent utiliser l’IA pour leurs écrits. 

Signalons qu’un autre rapport a été publié concomitamment, celui de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGERS) qui insiste également sur le besoin de coordination et de mutualisation. 

Pour l’instant, l’une des propositions la plus pratico-pratique que l’on a vu passer sont assurément  les résultats de la convention « citoyenne » de Sciences-Po Aix sur l’usage de l’IA générative, formulant 7 propositions. La convention recommande que les étudiants déclarent l’usage de l’IA, pour préciser le niveau d’intervention qui a été fait, le modèle utilisé et les instructions données, sur le modèle de celles utilisées par l’université de Sherbrooke. L’avis recommande aussi la coordination des équipes pédagogiques afin d’harmoniser les pratiques, pour donner un cadre cohérent aux étudiants et bâtir une réflexion collective. La 3e proposition consiste à améliorer l’enquête sur les pratiques via des formulaires réguliers pour mieux saisir les niveaux d’usages des élèves. La 4e proposition propose de ne pas autoriser l’IA générative pour les étudiants en première et seconde année, afin de leur permettre d’acquérir un socle de connaissances. La 5e proposition propose que les enseignants indiquent clairement si l’usage est autorisé ou non et selon quelles modalités, sur le modèle que propose, là encore, l’université de Sherbrooke. La 6e proposition propose d’améliorer la formation aux outils d’IA. La 7e propose d’organiser des ateliers de sensibilisation aux dimensions environnementales et sociales des IA génératives, intégrés à la formation. Comme le montrent nombre de chartes de l’IA dans l’éducation, celle-ci propose surtout un plus fort cadrage des usages que le contraire. 

En tout cas, le sujet agite la réflexion. Dans une tribune pour le Monde, le sociologue Manuel Cervera-Marzal estime que plutôt que d’ériger des interdits inapplicables en matière d’intelligence artificielle, les enseignants doivent réinventer les manières d’enseigner et d’évaluer, explique-t-il en explicitant ses propres pratiques. Même constat dans une autre tribune pour le professeur et écrivain Maxime Abolgassemi. 

Dans une tribune pour le Club de Mediapart, Céline Cael et Laurent Reynaud, auteurs de Et si on imaginait l’école de demain ? (Retz, 2025) reviennent sur les annonces toutes récentes de la ministre de l’éducation, Elisabeth Borne, de mettre en place une IA pour les professeurs “pour les accompagner dans leurs métiers et les aider à préparer leurs cours” (un appel d’offres a d’ailleurs été publié en janvier 2025 pour sélectionner un candidat). Des modules de formation seront proposés aux élèves du secondaire et un chatbot sera mis en place pour répondre aux questions administratives et réglementaires des personnels de l’Éducation nationale, a-t-elle également annoncé. Pour les deux enseignants, “l’introduction massive du numérique, et de l’IA par extension, dans le quotidien du métier d’enseignant semble bien plus souvent conduire à un appauvrissement du métier d’enseignant plutôt qu’à son optimisation”. “L’IA ne saurait être la solution miracle à tous les défis de l’éducation”, rappellent-ils. Les urgences ne sont pas là.  

Selon le bulletin officiel de l’éducation nationale qui a publié en juillet un cadre pour un usage raisonné du numérique à l’école, la question de l’IA « doit être conduite au sein des instances de démocratie scolaire », afin de nourrir le projet d’établissement. Bref, la question du cadrage des pratiques est pour l’instant renvoyée à un nécessaire débat de société à mener.

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  • Accords de confidentialité : l’outil de silenciation des effets du numérique
    Dans une tribune pour Tech Policy Press, Nandita Shivakumar et Shikha Silliman Bhattacharjee de l’association de défense des droits Equidem, estiment que les accords de confidentialité sont devenus l’outil qui permet de réduire au silence tous les travailleurs du numérique des abus qu’ils constatent. Or, ces NDA (non-disclosure agreement) ne concernent pas que les cadres, bien au contraire : ils s’appliquent désormais à toute la chaîne de production des systèmes, jusqu’aux travailleurs du clic.
     

Accords de confidentialité : l’outil de silenciation des effets du numérique

25 juin 2025 à 01:00

Dans une tribune pour Tech Policy Press, Nandita Shivakumar et Shikha Silliman Bhattacharjee de l’association de défense des droits Equidem, estiment que les accords de confidentialité sont devenus l’outil qui permet de réduire au silence tous les travailleurs du numérique des abus qu’ils constatent. Or, ces NDA (non-disclosure agreement) ne concernent pas que les cadres, bien au contraire : ils s’appliquent désormais à toute la chaîne de production des systèmes, jusqu’aux travailleurs du clic. Le système tout entier vise à contraindre les travailleurs à se taire. Ils ne concernent plus les accords commerciaux, mais interdisent à tous les travailleurs de parler de leur travail, avec les autres travailleurs, avec leur famille voire avec des thérapeutes. Ils rendent toute enquête sur les conditions de travail très difficile, comme le montre le rapport d’Equidem sur la modération des contenus. Partout, les accords de confidentialité ont créé une culture de la peur et imposé le silence, mais surtout “ils contribuent à maintenir un système de contrôle qui spolie les travailleurs tout en exonérant les entreprises technologiques et leurs propriétaires milliardaires de toute responsabilité”, puisqu’ils les rendent inattaquables pour les préjudices qu’ils causent, empêchent l’examen public des conditions de travail abusives, et entravent la syndicalisation et la négociation collective. Pour les deux militantes, il est temps de restreindre l’application des accords de confidentialité à leur objectif initial, à savoir la protection des données propriétaires, et non à l’interdiction générale de parler des conditions de travail. Le recours aux accords de confidentialité dans le secteur technologique, en particulier dans les pays du Sud, reste largement déréglementé et dangereusement incontrôlé.

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  • IA et éducation (1/2) : plongée dans l’IApocalypse éducative
    A l’été 2023, Ethan Mollick, professeur de management à Wharton, co-directeur du Generative AI Labs et auteur de Co-intelligence : vivre et travailler avec l’IA (qui vient de paraître en français chez First), décrivait dans son excellente newsletter, One useful thing, l’apocalypse des devoirs. Cette apocalypse qu’il annonçait était qu’il ne serait plus possible pour les enseignants de donner des devoirs à leurs élèves à cause de l’IA, redoutant une triche généralisée.  Pourtant, rappelait-il,
     

IA et éducation (1/2) : plongée dans l’IApocalypse éducative

24 juin 2025 à 00:11

A l’été 2023, Ethan Mollick, professeur de management à Wharton, co-directeur du Generative AI Labs et auteur de Co-intelligence : vivre et travailler avec l’IA (qui vient de paraître en français chez First), décrivait dans son excellente newsletter, One useful thing, l’apocalypse des devoirs. Cette apocalypse qu’il annonçait était qu’il ne serait plus possible pour les enseignants de donner des devoirs à leurs élèves à cause de l’IA, redoutant une triche généralisée

Pourtant, rappelait-il, la triche est là depuis longtemps. Une étude longitudinale de 2020 montrait déjà que de moins en moins d’élèves bénéficiaient des devoirs qu’ils avaient à faire. L’étude, menée par le professeur de psychologie cognitive, Arnold Glass du Learning and memory laboratory de Rutgers, montrait que lorsque les élèves faisaient leurs devoirs en 2008, cela améliorait leurs notes aux examens pour 86% d’entre eux, alors qu’en 2017, les devoirs ne permettaient plus d’améliorer les notes que de 45% des élèves. Pourquoi ? Parce que plus de la moitié des élèves copiaient-collaient les réponses à leurs devoirs sur internet en 2017, et n’en tiraient donc pas profit. Une autre étude soulignait même que 15% des élèves avaient payé quelqu’un pour faire leur devoir, généralement via des sites d’aides scolaires en ligne. Si tricher s’annonce plus facile avec l’IA, il faut se rappeler que c’était déjà facile avant sa généralisation

Les calculatrices n’ont pas tué les mathématiques

Mais la triche n’est pas la seule raison pour laquelle l’IA remet en question la notion même de devoirs. Mollick rappelle que l’introduction de la calculatrice a radicalement transformé l’enseignement des mathématiques. Dans un précédent article, il revenait d’ailleurs sur cette histoire. Lorsque la calculatrice a été introduite dans les écoles, les réactions ont été étonnamment proches des inquiétudes initiales que Mollick entend aujourd’hui concernant l’utilisation de l’IA par les élèves. En s’appuyant sur une thèse signée Sarah Banks, Mollick rappelle que dès les années 70, certains professeurs étaient impatients d’intégrer l’usage des calculatrices dans leurs classes, mais c’était loin d’être le cas de tous. La majorité regardait l’introduction de la calculatrice avec suspicion et les parents partagaient l’inquiétude que leurs enfants n’oublient les bases des maths. Au début des années 80, les craintes des enseignants s’étaient inversées, mais très peu d’écoles fournissaient de calculatrices à leurs élèves. Il faut attendre le milieu des années 1990, pour que les calculatrices intègrent les programmes scolaires. En fait, un consensus pratique sur leur usage a été atteint. Et l’enseignement des mathématiques ne s’est pas effondré (même si les tests Pisa montrent une baisse de performance, notamment dans les pays de l’OCDE, mais pour bien d’autres raisons que la généralisation des calculatrices).

Pour Mollick, l’intégration de l’IA à l’école suivra certainement un chemin similaire. « Certains devoirs nécessiteront l’assistance de l’IA, d’autres l’interdiront. Les devoirs d’écriture en classe sur des ordinateurs sans connexion Internet, combinés à des examens écrits, permettront aux élèves d’acquérir les compétences rédactionnelles de base. Nous trouverons un consensus pratique qui permettra d’intégrer l’IA au processus d’apprentissage sans compromettre le développement des compétences essentielles. Tout comme les calculatrices n’ont pas remplacé l’apprentissage des mathématiques, l’IA ne remplacera pas l’apprentissage de l’écriture et de la pensée critique. Cela prendra peut-être du temps, mais nous y parviendrons », explique Mollick, toujours optimiste.

Pourquoi faire des devoirs quand l’IA les rend obsolètes ?

Mais l’impact de l’IA ne se limite pas à l’écriture, estime Mollick. Elle peut aussi être un vulgarisateur très efficace et ChatGPT peut répondre à bien des questions. L’arrivée de l’IA remet en cause les méthodes d’enseignements traditionnelles que sont les cours magistraux, qui ne sont pas si efficaces et dont les alternatives, pour l’instant, n’ont pas connu le succès escompté. « Les cours magistraux ont tendance à reposer sur un apprentissage passif, où les étudiants se contentent d’écouter et de prendre des notes sans s’engager activement dans la résolution de problèmes ni la pensée critique. Dans ce format, les étudiants peuvent avoir du mal à retenir l’information, car leur attention peut facilement faiblir lors de longues présentations. De plus, l’approche universelle des cours magistraux ne tient pas compte des différences et des capacités individuelles, ce qui conduit certains étudiants à prendre du retard tandis que d’autres se désintéressent, faute de stimulation ». Mollick est plutôt partisan de l’apprentissage actif, qui supprime les cours magistraux et invite les étudiants à participer au processus d’apprentissage par le biais d’activités telles que la résolution de problèmes, le travail de groupe et les exercices pratiques. Dans cette approche, les étudiants collaborent entre eux et avec l’enseignant pour mettre en pratique leurs apprentissages. Une méthode que plusieurs études valorisent comme plus efficaces, même si les étudiants ont aussi besoin d’enseignements initiaux appropriés. 

La solution pour intégrer davantage d’apprentissage actif passe par les classes inversées, où les étudiants doivent apprendre de nouveaux concepts à la maison (via des vidéos ou des ressources numériques) pour les appliquer ensuite en classe par le biais d’activités, de discussions ou d’exercices. Afin de maximiser le temps consacré à l’apprentissage actif et à la pensée critique, tout en utilisant l’apprentissage à domicile pour la transmission du contenu. 

Pourtant, reconnaît Mollick, l’apprentissage actif peine à s’imposer, notamment parce que les professeurs manquent de ressources de qualité et de matériel pédagogique inversé de qualité. Des lacunes que l’IA pourrait bien combler. Mollick imagine alors une classe où des tuteurs IA personnalisés viendraient accompagner les élèves, adaptant leur enseignement aux besoins des élèves tout en ajustant les contenus en fonction des performances des élèves, à la manière du manuel électronique décrit dans L’âge de diamant de Neal Stephenson, emblème du rêve de l’apprentissage personnalisé. Face aux difficultés, Mollick à tendance à toujours se concentrer « sur une vision positive pour nous aider à traverser les temps incertains à venir ». Pas sûr que cela suffise. 

Dans son article d’août 2023, Mollick estime que les élèves vont bien sûr utiliser l’IA pour tricher et vont l’intégrer dans tout ce qu’ils font. Mais surtout, ils vont nous renvoyer une question à laquelle nous allons devoir répondre : ils vont vouloir comprendre pourquoi faire des devoirs quand l’IA les rend obsolètes ?

Perturbation de l’écriture et de la lecture

Mollick rappelle que la dissertation est omniprésente dans l’enseignement. L’écriture remplit de nombreuses fonctions notamment en permettant d’évaluer la capacité à raisonner et à structurer son raisonnement. Le problème, c’est que les dissertations sont très faciles à générer avec l’IA générative. Les détecteurs de leur utilisation fonctionnent très mal et il est de plus en plus facile de les contourner. A moins de faire tout travail scolaire en classe et sans écrans, nous n’avons plus de moyens pour détecter si un travail est réalisé par l’homme ou la machine. Le retour des dissertations sur table se profile, quitte à grignoter beaucoup de temps d’apprentissage.

Mais pour Mollick, les écoles et les enseignants vont devoir réfléchir sérieusement à l’utilisation acceptable de l’IA. Est-ce de la triche de lui demander un plan ? De lui demander de réécrire ses phrases ? De lui demander des références ou des explications ? Qu’est-ce qui peut-être autorisé et comment les utiliser ? 

Pour les étudiants du supérieur auxquels il donne cours, Mollick a fait le choix de rendre l’usage de l’IA obligatoire dans ses cours et pour les devoirs, à condition que les modalités d’utilisation et les consignes données soient précisées. Pour lui, cela lui a permis d’exiger des devoirs plus ambitieux, mais a rendu la notation plus complexe.  

Mollick rappelle qu’une autre activité éducative primordiale reste la lecture. « Qu’il s’agisse de rédiger des comptes rendus de lecture, de résumer des chapitres ou de réagir à des articles, toutes ces tâches reposent sur l’attente que les élèves assimilent la lecture et engagent un dialogue avec elle ». Or, l’IA est là encore très performante pour lire et résumer. Mollick suggère de l’utiliser comme partenaire de lecture, en favorisant l’interaction avec l’IA, pour approfondir les synthèses… Pas sûr que la perspective apaise la panique morale qui se déverse dans la presse sur le fait que les étudiants ne lisent plus. Du New Yorker (« Les humanités survivront-elles à ChatGPT ? » ou « Est-ce que l’IA encourage vraiement les élèves à tricher ? ») à The Atlantic (« Les étudiants ne lisent plus de livres » ou « La génération Z voit la lecture comme une perte de temps ») en passant par les pages opinions du New York Times (qui explique par exemple que si les étudiants ne lisent plus c’est parce que les compétences ne sont plus valorisées nulles part), la perturbation que produit l’arrivée de ChatGPT dans les études se double d’une profonde chute de la lecture, qui semble être devenue d’autant plus inutile que les machines les rendent disponibles. Mêmes inquiétudes dans la presse de ce côté-ci de l’Atlantique, du Monde à Médiapart en passant par France Info

Mais l’IA ne menace pas que la lecture ou l’écriture. Elle sait aussi très bien résoudre les problèmes et exercices de math comme de science.

Pour Mollick, comme pour bien des thuriféraires de l’IA, c’est à l’école et à l’enseignement de s’adapter aux perturbations générées par l’IA, qu’importe si la société n’a pas demandé le déploiement de ces outils. D’ailleurs, soulignait-il très récemment, nous sommes déjà dans une éducation postapocalyptique. Selon une enquête de mai 2024, aux Etats-Unis 82 % des étudiants de premier cycle universitaire et 72 % des élèves de la maternelle à la terminale ont déjà utilisé l’IA. Une adoption extrêmement rapide. Même si les élèves ont beau dos de ne pas considérer son utilisation comme de la triche. Pour Mollick, « la triche se produit parce que le travail scolaire est difficile et comporte des enjeux importants ». L’être humain est doué pour trouver comment se soustraire ce qu’il ne souhaite pas faire et éviter l’effort mental. Et plus les tâches mentales sont difficiles, plus nous avons tendance à les éviter. Le problème, reconnaît Mollick, c’est que dans l’éducation, faire un effort reste primordial.

Dénis et illusions

Pourtant, tout le monde semble être dans le déni et l’illusion. Les enseignants croient pouvoir détecter facilement l’utilisation de l’IA et donc être en mesure de fixer les barrières. Ils se trompent très largement. Une écriture d’IA bien stimulée est même jugée plus humaine que l’écriture humaine par les lecteurs. Pour les professeurs, la seule option consiste à revenir à l’écriture en classe, ce qui nécessite du temps qu’ils n’ont pas nécessairement et de transformer leur façon de faire cours, ce qui n’est pas si simple.

Mais les élèves aussi sont dans l’illusion. « Ils ne réalisent pas réellement que demander de l’aide pour leurs devoirs compromet leur apprentissage ». Après tout, ils reçoivent des conseils et des réponses de l’IA qui les aident à résoudre des problèmes, qui semble rendre l’apprentissage plus fluide. Comme l’écrivent les auteurs de l’étude de Rutgers : « Rien ne permet de croire que les étudiants sont conscients que leur stratégie de devoirs diminue leur note à l’examen… ils en déduisent, de manière logique, que toute stratégie d’étude augmentant leur note à un devoir augmente également leur note à l’examen ». En fait, comme le montre une autre étude, en utilisant ChatGPT, les notes aux devoirs progressent, mais les notes aux examens ont tendance à baisser de 17% en moyenne quand les élèves sont laissés seuls avec l’outil. Par contre, quand ils sont accompagnés pour comprendre comment l’utiliser comme coach plutôt qu’outil de réponse, alors l’outil les aide à la fois à améliorer leurs notes aux devoirs comme à l’examen. Une autre étude, dans un cours de programmation intensif à Stanford, a montré que l’usage des chatbots améliorait plus que ne diminuait les notes aux examens.

Une majorité de professeurs estiment que l’usage de ChatGPT est un outil positif pour l’apprentissage. Pour Mollick, l’IA est une aide pour comprendre des sujets complexes, réfléchir à des idées, rafraîchir ses connaissances, obtenir un retour, des conseils… Mais c’est peut-être oublier de sa part, d’où il parle et combien son expertise lui permet d’avoir un usage très évolué de ces outils. Ce qui n’est pas le cas des élèves.

Encourager la réflexion et non la remplacer

Pour que les étudiants utilisent l’IA pour stimuler leur réflexion plutôt que la remplacer, il va falloir les accompagner, estime Mollick. Mais pour cela, peut-être va-t-il falloir nous intéresser aux professeurs, pour l’instant laissés bien dépourvus face à ces nouveaux outils. 

Enfin, pas tant que cela. Car eux aussi utilisent l’IA. Selon certains sondages américains, trois quart des enseignants utiliseraient désormais l’IA dans leur travail, mais nous connaissons encore trop peu les méthodes efficaces qu’ils doivent mobiliser. Une étude qualitative menée auprès d’eux a montré que ceux qui utilisaient l’IA pour aider leurs élèves à réfléchir, pour améliorer les explications obtenaient de meilleurs résultats. Pour Mollick, la force de l’IA est de pouvoir créer des expériences d’apprentissage personnalisées, adaptées aux élèves et largement accessibles, plus que les technologies éducatives précédentes ne l’ont jamais été. Cela n’empêche pas Mollick de conclure par le discours lénifiant habituel : l’éducation quoiqu’il en soit doit s’adapter ! 

Cela ne veut pas dire que cette adaptation sera très facile ou accessible, pour les professeurs, comme pour les élèves. Dans l’éducation, rappellent les psychologues Andrew Wilson et Sabrina Golonka sur leur blog, « le processus compte bien plus que le résultat« . Or, l’IA fait à tous la promesse inverse. En matière d’éducation, cela risque d’être dramatique, surtout si nous continuons à valoriser le résultat (les notes donc) sur le processus. David Brooks ne nous disait pas autre chose quand il constatait les limites de notre méritocratie actuelle. C’est peut-être par là qu’il faudrait d’ailleurs commencer, pour résoudre l’IApocalypse éducative…

Pour Mollick cette évolution « exige plus qu’une acceptation passive ou une résistance futile ». « Elle exige une refonte fondamentale de notre façon d’enseigner, d’apprendre et d’évaluer les connaissances. À mesure que l’IA devient partie intégrante du paysage éducatif, nos priorités doivent évoluer. L’objectif n’est pas de déjouer l’IA ou de faire comme si elle n’existait pas, mais d’exploiter son potentiel pour améliorer l’éducation tout en atténuant ses inconvénients. La question n’est plus de savoir si l’IA transformera l’éducation, mais comment nous allons façonner ce changement pour créer un environnement d’apprentissage plus efficace, plus équitable et plus stimulant pour tous ». Plus facile à dire qu’à faire. Expérimenter prend du temps, trouver de bons exercices, changer ses pratiques… pour nombre de professeurs, ce n’est pas si évident, d’autant qu’ils ont peu de temps disponible pour se faire ou se former.  La proposition d’Anthropic de produire une IA dédiée à l’accompagnement des élèves (Claude for Education) qui ne cherche pas à fournir des réponses, mais produit des modalités pour accompagner les élèves à saisir les raisonnements qu’ils doivent échafauder, est certes stimulante, mais il n’est pas sûr qu’elle ne soit pas contournable.

Dans les commentaires des billets de Mollick, tout le monde se dispute, entre ceux qui pensent plutôt comme Mollick et qui ont du temps pour s’occuper de leurs élèves, qui vont pouvoir faire des évaluations orales et individuelles, par exemple (ce que l’on constate aussi dans les cursus du supérieur en France, rapportait le Monde). Et les autres, plus circonspects sur les évolutions en cours, où de plus en plus souvent des élèves produisent des contenus avec de l’IA que leurs professeurs font juger par des IA… On voit bien en tout cas, que la question de l’IA générative et ses usages, ne pourra pas longtemps rester une question qu’on laisse dans les seules mains des professeurs et des élèves, à charge à eux de s’en débrouiller.

Hubert Guillaud

La seconde partie est par là.

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  • 25 juin : DLA en fête !
    Mercredi 25 juin à 18h30 retrouvez nous chez Matrice, 146 boulevard de Charonne dans le 20e à Paris, pour fêter la première année d’existence de Danslesalgorithmes.net. Avec François-Xavier Petit, directeur de Matrice.io et président de l’association Vecteur, nous reviendrons sur notre ambition et ferons le bilan de la première année d’existence de DLA. Avec Xavier de la Porte, journaliste au Nouvel Obs et producteur du podcast de France Inter, le Code a changé, nous nous interrogerons p
     

25 juin : DLA en fête !

23 juin 2025 à 01:00

Mercredi 25 juin à 18h30 retrouvez nous chez Matrice, 146 boulevard de Charonne dans le 20e à Paris, pour fêter la première année d’existence de Danslesalgorithmes.net. Avec François-Xavier Petit, directeur de Matrice.io et président de l’association Vecteur, nous reviendrons sur notre ambition et ferons le bilan de la première année d’existence de DLA.

Avec Xavier de la Porte, journaliste au Nouvel Obs et producteur du podcast de France Inter, le Code a changé, nous nous interrogerons pour comprendre de quelle information sur le numérique avons-nous besoin, à l’heure où l’IA vient partout bouleverser sa place.

Venez en discuter avec nous et partager un verre pour fêter notre première bougie.

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  • Ecrire le code du numérique
    C’est une formidable histoire que raconte le Code du numérique. Un livre édité par les Habitant.es des images ASBL et la Cellule pour la réduction des inégalités sociales et de la lutte contre la pauvreté de Bruxelles. Ce livre est le résultat de trois années d’action nées des difficultés qu’ont éprouvé les plus démunis à accéder à leurs droits durant la pandémie. En réaction à la fermeture des guichets d’aide sociale pendant la crise Covid, des militants du secteur social belge ont lancé un gro
     

Ecrire le code du numérique

19 juin 2025 à 01:00

C’est une formidable histoire que raconte le Code du numérique. Un livre édité par les Habitant.es des images ASBL et la Cellule pour la réduction des inégalités sociales et de la lutte contre la pauvreté de Bruxelles. Ce livre est le résultat de trois années d’action nées des difficultés qu’ont éprouvé les plus démunis à accéder à leurs droits durant la pandémie. En réaction à la fermeture des guichets d’aide sociale pendant la crise Covid, des militants du secteur social belge ont lancé un groupe de travail pour visibiliser le vécu collectif des souffrances individuelles des plus précaires face au déploiement du numérique, donnant naissance au Comité humain du numérique. “La digitalisation de la société n’a pas entraîné une amélioration généralisée des compétences numériques”, rappelle le Comité en s’appuyant sur le baromètre de l’inclusion numérique belge

Le Comité humain du numérique s’installe alors dans les quartiers et, avec les habitants, décide d’écrire un Code de loi : “Puisque l’Etat ne nous protège pas, écrivons les lois à sa place”. Rejoints par d’autres collectifs, le Comité humain se met à écrire la loi avec les habitants, depuis les témoignages de ceux qui n’arrivent pas à accomplir les démarches qu’on leur demande. Manifestations, séances d’écriture publique, délibérations publiques, parlement de rues… Le Comité implique les habitants, notamment contre l’ordonnance Bruxelles numérique qui veut rendre obligatoire les services publics digitalisés, sans garantir le maintien des guichets humains et rejoint la mobilisation coordonnée par le collectif Lire et écrire et plus de 200 associations. Devant le Parlement belge, le Comité humain organise des parlements humains de rue pour réclamer des guichets ! Suite à leur action, l’ordonnance Bruxelles numérique est amendée d’un nouvel article qui détermine des obligations pour les administrations à prévoir un accès par guichet, téléphone et voie postale – mais prévoit néanmoins la possibilité de s’en passer si les charges sont disproportionnées. Le collectif œuvre désormais à attaquer l’ordonnance devant la cour constitutionnelle belge et continue sa lutte pour refuser l’obligation au numérique.

Mais l’essentiel n’est pas que dans la victoire à venir, mais bien dans la force de la mobilisation et des propositions réalisées. Le Code du numérique ce sont d’abord 8 articles de lois amendés et discutés par des centaines d’habitants. L’article 1er rappelle que tous les services publics doivent proposer un accompagnement humain. Il rappelle que “si un robot ne nous comprend pas, ce n’est pas nous le problème”. Que cet accès doit être sans condition, c’est-à-dire gratuit, avec des temps d’attente limités, “sans rendez-vous”, sans obligation de maîtrise de la langue ou de l’écriture. Que l’accompagnement humain est un droit. Que ce coût ne doit pas reposer sur d’autres, que ce soit les proches, les enfants, les aidants ou les travailleurs sociaux. Que l’Etat doit veiller à cette accessibilité humaine et qu’il doit proposer aux citoyen.nes des procédures gratuites pour faire valoir leurs droits. L’article 2 rappelle que c’est à l’Etat d’évaluer l’utilité et l’efficacité des nouveaux outils numériques qu’il met en place : qu’ils doivent aider les citoyens et pas seulement les contrôler. Que cette évaluation doit associer les utilisateurs, que leurs impacts doivent être contrôlés, limités et non centralisés. L’article 3 rappelle que l’Etat doit créer ses propres outils et que les démarches administratives ne peuvent pas impliquer le recours à un service privé. L’article 4 suggère de bâtir des alternatives aux solutions numériques qu’on nous impose. L’article 5 suggère que leur utilisation doit être contrainte et restreinte, notamment selon les lieux ou les âges et souligne que l’apprentissage comme l’interaction entre parents et écoles ne peut être conditionnée par des outils numériques. L’article 6 en appelle à la création d’un label rendant visible le niveau de dangerosité physique ou mentale des outils, avec des possibilités de signalement simples. L’article 7 milite pour un droit à pouvoir se déconnecter sans se justifier. Enfin, l’article 8 plaide pour une protection des compétences humaines et de la rencontre physique, notamment dans le cadre de l’accès aux soins. “Tout employé.e/étudiant.e/patient.e/client.e a le droit d’exiger de rencontrer en face à face un responsable sur un lieu physique”. L’introduction de nouveaux outils numériques doit être développée et validée par ceux qui devront l’utiliser.

Derrière ces propositions de lois, simples, essentielles… la vraie richesse du travail du Comité humain du numérique est de proposer, de donner à lire un recueil de paroles qu’on n’entend nulle part. Les propos des habitants, des individus confrontés à la transformation numérique du monde, permettent de faire entendre des voix qui ne parviennent plus aux oreilles des concepteurs du monde. Des paroles simples et fortes. Georges : “Ce que je demanderai aux politiciens ? C’est de nous protéger de tout ça.” Anthony : “Internet devait être une plateforme et pas une vie secondaire”. Nora : “En tant qu’assistante sociale, le numérique me surresponsabilise et rend le public surdépendant de moi. Je suis le dernier maillon de la chaîne, l’échec social passe par moi. Je le matérialise”. Amina : “Je ne sais pas lire, je ne sais pas écrire. Mais je sais parler. Le numérique ne me laisse pas parler”. Aïssatou : “Maintenant tout est trop difficile. S’entraider c’est la vie. Avec le numérique il n’y a plus personne pour aider”. Khalid : “Qu’est-ce qui se passe pour les personnes qui n’ont pas d’enfant pour les aider ?” Elise : “Comment s’assurer qu’il n’y a pas de discrimination ?” Roger : “Le numérique est utilisé pour décourager les démarches”, puisque bien souvent on ne peut même pas répondre à un courriel. AnaÎs : “Il y a plein d’infos qui ne sont pas numérisées, car elles n’entrent pas dans les cases. La passation d’information est devenue très difficile”… Le Code du numérique nous “redonne à entendre les discours provenant des classes populaires”, comme nous y invitait le chercheur David Gaborieau dans le rapport “IA : la voie citoyenne”.

Le Code du numérique nous rappelle que désormais, les institutions s’invitent chez nous, dans nos salons, dans nos lits. Il rappelle que l’accompagnement humain sera toujours nécessaire pour presque la moitié de la population. Que “l’aide au remplissage” des documents administratifs ne peut pas s’arrêter derrière un téléphone qui sonne dans le vide. Que “la digitalisation des services publics et privés donne encore plus de pouvoir aux institutions face aux individus”. Que beaucoup de situations n’entreront jamais dans les “cases” prédéfinies.Le Code du numérique n’est pas qu’une expérience spécifique et située, rappellent ses porteurs. “Il est là pour que vous vous en empariez”. Les lois proposées sont faites pour être débattues, modifiées, amendées, adaptées. Les auteurs ont créé un jeu de cartes pour permettre à d’autres d’organiser un Parlement humain du numérique. Il détaille également comment créer son propre Comité humain, invite à écrire ses propres lois depuis le recueil de témoignages des usagers, en ouvrant le débat, en écrivant soi-même son Code, ses lois, à organiser son parlement et documente nombre de méthodes et d’outils pour interpeller, mobiliser, intégrer les contributions. Bref, il invite à ce que bien d’autres Code du numérique essaiment, en Belgique et bien au-delà ! A chacun de s’en emparer.

Cet article a été publié originellement pour la lettre d’information du Conseil national du numérique du 23 mai 2025.

Le Code du numérique.
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  • Chatbots, une adoption sans impact ?
    Dans sa dernière newsletter, Algorithm Watch revient sur une étude danoise qui a observé les effets des chatbots sur le travail auprès de 25 000 travailleurs provenant de 11 professions différentes où des chatbots sont couramment utilisés (développeurs, journalistes, professionnels RH, enseignants…). Si ces travailleurs ont noté que travailler avec les chatbots leur permettait de gagner du temps, d’améliorer la qualité de leur travail, le gain de temps s’est avéré modeste, représentant seulement
     

Chatbots, une adoption sans impact ?

18 juin 2025 à 01:00

Dans sa dernière newsletter, Algorithm Watch revient sur une étude danoise qui a observé les effets des chatbots sur le travail auprès de 25 000 travailleurs provenant de 11 professions différentes où des chatbots sont couramment utilisés (développeurs, journalistes, professionnels RH, enseignants…). Si ces travailleurs ont noté que travailler avec les chatbots leur permettait de gagner du temps, d’améliorer la qualité de leur travail, le gain de temps s’est avéré modeste, représentant seulement 2,8% du total des heures de travail. La question des gains de productivité de l’IA générative dépend pour l’instant beaucoup des études réalisées, des tâches et des outils. Les gains de temps varient certes un peu selon les profils de postes (plus élevés pour les professions du marketing (6,8%) que pour les enseignants (0,2%)), mais ils restent bien modestes.”Sans flux de travail modifiés ni incitations supplémentaires, la plupart des effets positifs sont vains”

Algorithm Watch se demande si les chatbots ne sont pas des outils de travail improductifs. Il semblerait plutôt que, comme toute transformation, elle nécessite surtout des adaptations organisationnelles ad hoc pour en développer les effets.

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    « J’aimerais vous confronter à un problème de calcul difficile », attaque Albert Moukheiber sur la scène de la conférence USI 2025. « Dans les sciences cognitives, on est confronté à un problème qu’on n’arrive pas à résoudre : la subjectivité ! »  Le docteur en neuroscience et psychologue clinicien, auteur de Votre cerveau vous joue des tours (Allary éditions 2019) et de Neuromania (Allary éditions, 2024), commence par faire un rapide historique de ce qu’on sait sur le cerveau.  Où est le
     

Pour une science de la subjectivité

17 juin 2025 à 01:00

« J’aimerais vous confronter à un problème de calcul difficile », attaque Albert Moukheiber sur la scène de la conférence USI 2025. « Dans les sciences cognitives, on est confronté à un problème qu’on n’arrive pas à résoudre : la subjectivité ! » 

Le docteur en neuroscience et psychologue clinicien, auteur de Votre cerveau vous joue des tours (Allary éditions 2019) et de Neuromania (Allary éditions, 2024), commence par faire un rapide historique de ce qu’on sait sur le cerveau. 

Où est le neurone ?

« Contrairement à d’autres organes, un cerveau mort n’a rien à dire sur son fonctionnement. Et pendant très longtemps, nous n’avons pas eu d’instruments pour comprendre un cerveau ». En fait, les technologies permettant d’ausculter le cerveau, de cartographier son activité, sont assez récentes et demeurent bien peu précises. Pour cela, il faut être capable de mesurer son activité, de voir où se font les afflux d’énergie et l’activité chimique. C’est seulement assez récemment, depuis les années 1990 surtout, qu’on a développé des technologies pour étudier cette activité, avec les électro-encéphalogrammes, puis avec l’imagerie par résonance magnétique (IRM) structurelle et surtout fonctionnelle. L’IRM fonctionnelle est celle que les médecins vous prescrivent. Elle mesure la matière cérébrale permettant de créer une image en noir et blanc pour identifier des maladies, des lésions, des tumeurs. Mais elle ne dit rien de l’activité neuronale. Seule l’IRM fonctionnelle observe l’activité, mais il faut comprendre que les images que nous en produisons sont peu précises et demeurent probabilistes. Les images de l’IRMf font apparaître des couleurs sur des zones en activité, mais ces couleurs ne désignent pas nécessairement une activité forte de ces zones, ni que le reste du cerveau est inactif. L’IRMf tente de montrer que certaines zones sont plus actives que d’autres parce qu’elles sont plus alimentées en oxygène et en sang. L’IRMf fonctionne par soustraction des images passées. Le patient dont on mesure l’activité cérébrale est invité à faire une tâche en limitant au maximum toute autre activité que celle demandée et les scientifiques comparent  ces images à des précédentes pour déterminer quelles zones sont affectées quand vous fermez le poing par exemple. « On applique des calculs de probabilité aux soustractions pour tenter d’isoler un signal dans un océan de bruits », précise Moukheiber dans Neuromania. L’IRMf n’est donc pas un enregistrement direct de l’activation cérébrale pour une tâche donnée, mais « une reconstruction a posteriori de la probabilité qu’une aire soit impliquée dans cette tâche ». En fait, les couleurs indiquent des probabilités. « Ces couleurs n’indiquent donc pas une intensité d’activité, mais une probabilité d’implication ». Enfin, les mesures que nous réalisons n’ont rien de précis, rappelle le chercheur. La précision de l’IRMf est le voxel, qui contient environ 5,5 millions de neurones ! Ensuite, l’IRMf capture le taux d’oxygène, alors que la circulation sanguine est bien plus lente que les échanges chimiques de nos neurones. Enfin, le traitement de données est particulièrement complexe. Une étude a chargé plusieurs équipes d’analyser un même ensemble de données d’IRMf et n’a pas conduit aux mêmes résultats selon les équipes. Bref, pour le dire simplement, le neurone est l’unité de base de compréhension de notre cerveau, mais nos outils ne nous permettent pas de le mesurer. Il faut dire qu’il n’est pas non plus le bon niveau explicatif. Les explications établies à partir d’images issues de l’IRMf nous donnent donc plus une illusion de connaissance réelle qu’autre chose. D’où l’enjeu à prendre les résultats de nombre d’études qui s’appuient sur ces images avec beaucoup de recul. « On peut faire dire beaucoup de choses à l’imagerie cérébrale » et c’est assurément ce qui explique qu’elle soit si utilisée.

Les données ne suffisent pas

Dans les années 50-60, le courant de la cybernétique pensait le cerveau comme un organe de traitement de l’information, qu’on devrait étudier comme d’autres machines. C’est la naissance de la neuroscience computationnelle qui tente de modéliser le cerveau à l’image des machines. Outre les travaux de John von Neumann, Claude Shannon prolonge ces idées d’une théorie de l’information qui va permettre de créer des « neurones artificiels », qui ne portent ce nom que parce qu’ils ont été créés pour fonctionner sur le modèle d’un neurone. En 1957, le Perceptron de Frank Rosenblatt est considéré comme la première machine à utiliser un réseau neuronal artificiel. Mais on a bien plus appliqué le lexique du cerveau aux ordinateurs qu’autre chose, rappelle Albert Moukheiber. 

Aujourd’hui, l’Intelligence artificielle et ses « réseaux de neurones » n’a plus rien à voir avec la façon dont fonctionne le cerveau, mais les neurosciences computationnelles, elles continuent, notamment pour aider à faire des prothèses adaptées comme les BCI, Brain Computer Interfaces

Désormais, faire de la science consiste à essayer de comprendre comment fonctionne le monde naturel depuis un modèle. Jusqu’à récemment, on pensait qu’il fallait des théories pour savoir quoi faire des données, mais depuis l’avènement des traitements probabilistes et du Big Data, les modèles théoriques sont devenus inutiles, comme l’expliquait Chris Anderson dans The End of Theory en 2008. En 2017, des chercheurs se sont tout de même demandé si l’on pouvait renverser l’analogie cerveau-ordinateur en tentant de comprendre le fonctionnement d’un microprocesseur depuis les outils des neurosciences. Malgré l’arsenal d’outils à leur disposition, les chercheurs qui s’y sont essayé ont été incapables de produire un modèle de son fonctionnement. Cela nous montre que comprendre un fonctionnement ne nécessite pas seulement des informations techniques ou des données, mais avant tout des concepts pour les organiser. En fait, avoir accès à une quantité illimitée de données ne suffit pas à comprendre ni le processeur ni le cerveau. En 1974, le philosophe des sciences, Thomas Nagel, avait proposé une expérience de pensée avec son article « Quel effet ça fait d’être une chauve-souris ? ». Même si l’on connaissait tout d’une chauve-souris, on ne pourra jamais savoir ce que ça fait d’être une chauve-souris. Cela signifie qu’on ne peut jamais atteindre la vie intérieure d’autrui. Que la subjectivité des autres nous échappe toujours. C’est là le difficile problème de la conscience. 

Albert Moukheiber sur la scène d’USI 2025.

La subjectivité nous échappe

Une émotion désigne trois choses distinctes, rappelle Albert Moukheiber. C’est un état biologique qu’on peut tenter d’objectiver en trouvant des modalités de mesure, comme le tonus musculaire. C’est un concept culturel qui a des ancrages et valeurs très différentes d’une culture l’autre. Mais c’est aussi et d’abord un ressenti subjectif. Ainsi, par exemple, le fait de se sentir triste n’est pas mesurable. « On peut parfaitement comprendre le cortex moteur et visuel, mais on ne comprend pas nécessairement ce qu’éprouve le narrateur de Proust quand il mange la fameuse madeleine. Dix personnes peuvent être émues par un même coucher de soleil, mais sont-elles émues de la même manière ? » 

Notre réductionnisme objectivant est là confronté à des situations qu’il est difficile de mesurer. Ce qui n’est pas sans poser problèmes, notamment dans le monde de l’entreprise comme dans celui de la santé mentale. 

Le monde de l’entreprise a créé d’innombrables indicateurs pour tenter de mesurer la performance des salariés et collaborateurs. Il n’est pas le seul, s’amuse le chercheur sur scène. Les notes des étudiants leurs rappellent que le but est de réussir les examens plus que d’apprendre. C’est la logique de la loi de Goodhart : quand la mesure devient la cible, elle n’est plus une bonne mesure. Pour obtenir des bonus financiers liés au nombre d’opérations réussies, les chirurgiens réalisent bien plus d’opérations faciles que de compliquées. Quand on mesure les humains, ils ont tendance à modifier leur comportement pour se conformer à la mesure, ce qui n’est pas sans effets rebond, à l’image du célèbre effet cobra, où le régime colonial britannique offrit une prime aux habitants de Delhi qui rapporteraient des cobras morts pour les éradiquer, mais qui a poussé à leur démultiplication pour toucher la prime. En entreprises, nombre de mesures réalisées perdent ainsi très vite de leur effectivité. Moukheiber rappelle que les innombrables tests de personnalité ne valent pas mieux qu’un horoscope. L’un des tests le plus utilisé reste le MBTI qui a été développé dans les années 30 par des personnes sans aucune formation en psychologie. Non seulement ces tests n’ont aucun cadre théorique (voir ce que nous en disait le psychologue Alexandre Saint-Jevin, il y a quelques années), mais surtout, « ce sont nos croyances qui sont déphasées. Beaucoup de personnes pensent que la personnalité des individus serait centrale dans le cadre professionnel. C’est oublier que Steve Jobs était surtout un bel enfoiré ! », comme nombre de ces « grands » entrepreneurs que trop de gens portent aux nuesComme nous le rappelions nous-mêmes, la recherche montre en effet que les tests de personnalités peinent à mesurer la performance au travail et que celle-ci a d’ailleurs peu à voir avec la personnalité. « Ces tests nous demandent d’y répondre personnellement, quand ce devrait être d’abord à nos collègues de les passer pour nous », ironise Moukheiber. Ils supposent surtout que la personnalité serait « stable », ce qui n’est certainement pas si vrai. Enfin, ces tests oublient que bien d’autres facteurs ont peut-être bien plus d’importance que la personnalité : les compétences, le fait de bien s’entendre avec les autres, le niveau de rémunération, le cadre de travail… Mais surtout, ils ont tous un effet « barnum » : n’importe qui est capable de se reconnaître dedans. Dans ces tests, les résultats sont toujours positifs, même les gens les plus sadiques seront flattés des résultats. Bref, vous pouvez les passer à la broyeuse. 

Dans le domaine de la santé mentale, la mesure de la subjectivité est très difficile et son absence très handicapante. La santé mentale est souvent vue comme une discipline objectivable, comme le reste de la santé. Le modèle biomédical repose sur l’idée qu’il suffit d’ôter le pathogène pour aller mieux. Il suffirait alors d’enlever les troubles mentaux pour enlever le pathogène. Bien sûr, ce n’est pas le cas. « Imaginez un moment, vous êtes une femme brillante de 45 ans, star montante de son domaine, travaillant dans une entreprise où vous êtes très valorisée. Vous êtes débauché par la concurrence, une entreprise encore plus brillante où vous allez pouvoir briller encore plus. Mais voilà, vous y subissez des remarques sexistes permanentes, tant et si bien que vous vous sentez moins bien, que vous perdez confiance, que vous développez un trouble anxieux. On va alors pousser la personne à se soigner… Mais le pathogène n’est ici pas en elle, il est dans son environnement. N’est-ce pas ici ses collègues qu’il faudrait pousser à se faire soigner ? » 

En médecine, on veut toujours mesurer les choses. Mais certaines restent insondables. Pour mesurer la douleur, il existe une échelle de la douleur.

Exemple d’échelle d’évaluation de la douleur.

« Mais deux personnes confrontés à la même blessure ne vont pas l’exprimer au même endroit sur l’échelle de la douleur. La douleur n’est pas objectivable. On ne peut connaître que les douleurs qu’on a vécu, à laquelle on les compare ». Mais chacun a une échelle de comparaison différente, car personnelle. « Et puis surtout, on est très doué pour ne pas croire et écouter les gens. C’est ainsi que l’endométriose a mis des années pour devenir un problème de santé publique. Une femme à 50% de chance d’être qualifiée en crise de panique quand elle fait un AVC qu’un homme »… Les exemples en ce sens sont innombrables. « Notre obsession à tout mesurer finit par nier l’existence de la subjectivité ». Rapportée à moi, ma douleur est réelle et handicapante. Rapportée aux autres, ma douleur n’est bien souvent perçue que comme une façon de se plaindre. « Les sciences cognitives ont pourtant besoin de meilleures approches pour prendre en compte cette phénoménologie. Nous avons besoin d’imaginer les moyens de mesurer la subjectivité et de la prendre plus au sérieux qu’elle n’est »

La science de la subjectivité n’est pas dénuée de tentatives de mesure, mais elles sont souvent balayées de la main, alors qu’elles sont souvent plus fiables que les mesures dites objectives. « Demander à quelqu’un comment il va est souvent plus parlant que les mesures électrodermales qu’on peut réaliser ». Reste que les mesures physiologiques restent toujours très séduisantes que d’écouter un patient, un peu comme quand vous ajoutez une image d’une IRM à un article pour le rendre plus sérieux qu’il n’est. 

*

Pour conclure la journée, Christian Fauré, directeur scientifique d’Octo Technology revenait sur son thème, l’incalculabilité. « Trop souvent, décider c’est calculer. Nos décisions ne dépendraient plus alors que d’une puissance de calcul, comme nous le racontent les chantres de l’IA qui s’empressent à nous vendre la plus puissante. Nos décisions sont-elles le fruit d’un calcul ? Nos modèles d’affaires dépendent-ils d’un calcul ? Au tout début d’OpenAI, Sam Altman promettait d’utiliser l’IA pour trouver un modèle économique à OpenAI. Pour lui, décider n’est rien d’autre que calculer. Et le calcul semble pouvoir s’appliquer à tout. Certains espaces échappent encore, comme vient de le dire Albert Moukheiber. Tout n’est pas calculable. Le calcul ne va pas tout résoudre. Cela semble difficile à croire quand tout est désormais analysé, soupesé, mesuré« . « Il faut qu’il y ait dans le poème un nombre tel qu’il empêche de compter », disait Paul Claudel. Le poème n’est pas que de la mesure et du calcul, voulait dire Claudel. Il faut qu’il reste de l’incalculable, même chez le comptable, sinon à quoi bon faire ces métiers. « L’incalculable, c’est ce qui donne du sens »

« Nous vivons dans un monde où le calcul est partout… Mais il ne donne pas toutes les réponses. Et notamment, il ne donne pas de sens, comme disait Pascal Chabot. Claude Shannon, dit à ses collègues de ne pas donner de sens et de signification dans les données. Turing qui invente l’ordinateur, explique que c’est une procédure univoque, c’est-à-dire qu’elle est reliée à un langage qui n’a qu’un sens, comme le zéro et le un. Comme si finalement, dans cette abstraction pure, réduite à l’essentiel, il était impossible de percevoir le sens ».

Hubert Guillaud

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