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    Voilà, j’espère en tout cas, la fin de cette histoire. Après avoir dénoncé les agissements peu scrupuleux (euphémisme) du Cabinet Louis Reynaud auprès d’une association de lutte contre la précarité étudiante dont je m’occupe et dont je suis membre, j’avais été mis en demeure par leurs avocats de retirer mon article. Ce que j’avais fait en en donnant les raisons dans cet autre article. J’avais alors formulé plusieurs souhaits : que des journalistes et des associations de défense des libertés num
     

Menacé, bâillonné, délivré. Petite histoire d’un effet Streisand entre le Cabinet Louis Reynaud et moi.

11 mai 2025 à 08:10

Voilà, j’espère en tout cas, la fin de cette histoire. Après avoir dénoncé les agissements peu scrupuleux (euphémisme) du Cabinet Louis Reynaud auprès d’une association de lutte contre la précarité étudiante dont je m’occupe et dont je suis membre, j’avais été mis en demeure par leurs avocats de retirer mon article. Ce que j’avais fait en en donnant les raisons dans cet autre article.

J’avais alors formulé plusieurs souhaits :

  1. que des journalistes et des associations de défense des libertés numériques se saisissent de ces éléments et enquêtent.
  2. que d’autres associations ayant reçu de pareilles sollicitations me contactent ou publient aussi ces éléments.
  3. que les autorités indépendantes que sont la CNIL et l’ANSSI s’expriment sur ce sujet.

Pour l’instant seul mon voeu numéro 1 s’est trouvé exaucé, et de belle manière 🙂 Mais j’ai toujours bon espoir que les autres suivent. Et puis cette affaire m’a également appris plusieurs choses. Je vous raconte.

Côté presse d’abord.

Plusieurs articles et enquêtes vont venir se pencher sur cette affaire et établir qu’a minima la pratique du Cabinet Louis Reynaud est extrêmement tendancieuse et fondamentalement problématique (je n’ai pas droit de dire qu’elle est crapuleuse sinon leurs avocats pourraient encore m’écrire mais vous voyez l’idée hein 🙂

Cela commence avec une brève (mais saignante) dans Stratégies du 23 Avril : « Du don de data organique contre la précarité. »

 

Cela se poursuit avec un long article au format enquête dans dans Next.Ink en date du 24 Avril : « Les étranges méthodes d’un cabinet de conseil pour aller à la pêche aux données biométriques. » Je vous invite vraiment à lire cet article parfaitement respectueux du contradictoire, ainsi que les 10 pages (!) que le cabinet Louis Reynaud a fourni au journaliste en guise de réponse.

 

Cela continue avec un autre article, cette fois dans l’Humanité en date du 25 Avril : « Aide alimentaire contre données biométriques ? L’étrange deal proposé par le cabinet Louis Reynaud, spécialisé dans la cybersécurité, à une épicerie solidaire. »

 

Si vous n’êtes pas abonné à l’Huma (c’est mal mais c’est encore rectifiable) je vous donne, avec l’accord d’Eugénie Barbezat, un pdf de l’article complet : article-huma.pdf

 

Et Ouest-France à son tour sort un papier le 2 Mai : « Comment on a offert à des étudiants bénéficiaires d’une épicerie solidaire de ficher leur visage. »

 

Voici l’article complet (là encore avec l’accord de la journaliste Clémence Holleville).

 

Voilà pour l’essentiel de la couverture médiatique de cette affaire (à ce jour …).

Effet Streisand.

L’effet Streisand c’est cette part consubstancielle de la culture web qui « se produit lorsqu’en voulant empêcher la divulgation d’une information que certains aimeraient cacher, le résultat inverse survient, à savoir que le fait que l’on voulait dissimuler attire et concentre l’attention médiatique. »

Avant le courrier de mise en demeure qui m’a été adressé par les avocats du Cabinet Louis Reynaud, l’article dans lequel je dénonçais leurs agissements en assimilant leurs pratiques à celle de vautours et de crapules culminait à un peu moins de 900 visites. Soit la moyenne d’un article de mon blog dans lequel je m’énerve un peu et use d’un vocabulaire soyeux et chatoyant 🙂 Pour tout dire, la circulation de cet article sur les médias sociaux avait même été plutôt faible à mon goût et j’avais initialement imaginé qu’il puisse déclencher davantage de reprises à proportion de mon indignation et de mon courroux (coucou).

Et puis PAF la lettre de mise en demeure des avocats, et puis POUF l’explication de mon choix d’y céder, et puis PIF PAF POUF des reprises cette fois massives sur les réseaux sociaux et surtout … un nombre de visites cumulées qui explose sur mon blog : plus 10 000 se répartissant entre l’article initial retiré (plus de 4500 vues avant son retrait effectif) et sur son article satellite expliquant les raisons de ce retrait (plus de 6500 vues à ce jour et ça continue de grimper).

L’effet Streisand implique également que l’information que certains aimeraient cacher se retrouve donc librement accessible en d’autres endroits. C’est là que les articles de presse vont jouer une partie de ce rôle, et c’est surtout là aussi que la dynamique du web va opérer puisque sans que j’en fasse la demande, mon article initial, dès l’annonce de la mise en demeure connue, s’est retrouvé archivé et republié dans un très grand nombre d’autres blogs ou forums, le plus souvent sous forme d’extraits choisis, et qu’il a surtout instantanément été intégralement archivé sur le formidable Archive.org et sa « Wayback Machine ». Vous pouvez ainsi continuer d’en lire la version originale si vous le souhaitez. Pour celles et ceux qui découvrent tout cela, je précise que n’importe qui peut solliciter auprès du site Archive.org l’archivage d’une page ou d’un site.

 

 

Je rappelle par ailleurs à toutes fins utiles, que ce blog ést doté depuis Juin 2012, par la Bibliothèque Nationale de France, d’un numéro ISSN, et qu’il est donc régulièrement archivé et conservé à titre patrimonial dans le cadre du dépôt légal numérique (parmi 4 millions d’autres sites).

Je sais par ailleurs (puisqu’ils et elles me l’ont dit ou écrit) qu’un certain nombre de lecteurs et lectrices du blog ont saisi des députés (plutôt sur les rangs de la gauche de l’assemblée), des groupes parlementaires ainsi que d’autres élus sur ce sujet (celui de la collecte des données biométriques). Sujet qui est, comme je l’indiquais dès le départ, un sujet d’inquiétude majeur de notre monde contemporain a fortiori lorsqu’il touche les plus précaires et les plus fragiles, ce qui est bien le cas de l’affaire concernée.

J’ai encore tout récemment appris dans l’article de Ouest-France qu’à l’échelle locale, le Parti Communiste vendéen avait publié le 30 Avril un communiqué interpellant le préfet de Vendée sur ce « fichage » et appelant à « protéger les plus exposés. » Et je l’en remercie. Je continue d’espérer que d’autres groupes politiques, locaux ou nationaux se feront le relai des alertes qu’ils ont reçu, et qui vont bien au-delà des seules pratiques du cabinet Louis Reynaud.

Cherry On The Cake.

Si dans cette affaire et à ce jour, la CNIL comme l’ANSSI demeurent à mon goût étonnamment silencieuses, j’ai cependant eu l’heureuse surprise d’échanger avec nombre d’avocats et de conseils juridiques (dont le GOAT, j’ai nommé Maître Eolas) qui m’ont à chaque fois indiqué que s’ils comprenaient ma décision de céder à la mise en demeure, ils la regrettaient, et m’auraient conseillé de n’en rien faire tant, toujours selon mes échanges avec eux, la dimension de la procédure bâillon était manifeste (entre autres). Et tant également le fait d’adresser cette même mise en demeure directement à mon employeur (l’université de Nantes) alors que je n’agis dans cette affaire, jamais en cette qualité mais de manière indépendante de mes fonctions de Maître de Conférences, pouvait selon certains d’entre elles et eux suffire à justifier une plainte déontologique en retour (contre le cabinet d’avocat qui représente les intérêts du cabinet Louis Reynaud)

J’en profite pour les remercier et remercier aussi chacune et chacun d’entre vous du soutien apporté durant cette affaire qui m’occupa bien davantage qu’elle ne m’inquiéta réellement.

Merci aussi aux journalistes qui ont pris le temps de se saisir du sujet, d’enquêter et de qualifier les faits.

Et merci à l’ensemble des élus qui se sont également saisi de ce sujet, ou qui continueront de s’en préoccuper par-delà ce seul cas, et d’y faire valoir et prévaloir toute la vigilance républicaine qu’il nécessite.

Et si vous souhaitez aider l’épicerie sans nous demander de vous envoyer nos bénéficiaires se faire scanner la face, c’est toujours possible par là 😉

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  • Cher grand administrateur de Parcoursup, cher Mister T.
    Cher grand administrateur de Parcoursup, Cher Barracuda, cher Mister T., je vais t’appeler comme cela pour protéger ton anonymat mais aussi parce que c’est un peu comme le héros télévisuel éponyme que je te vois : un type plein de chaînes en or qui brillent et qui ne sait que faire jouer ses muscles en guise de négociation, et jouit en supplément de quelques compétences en mécanique, la mécanique étant ici celle de l’administration de cette saloperie de plateforme. Je suis depuis un quart de siè
     

Cher grand administrateur de Parcoursup, cher Mister T.

2 mai 2025 à 09:35

Cher grand administrateur de Parcoursup,

Cher Barracuda, cher Mister T., je vais t’appeler comme cela pour protéger ton anonymat mais aussi parce que c’est un peu comme le héros télévisuel éponyme que je te vois : un type plein de chaînes en or qui brillent et qui ne sait que faire jouer ses muscles en guise de négociation, et jouit en supplément de quelques compétences en mécanique, la mécanique étant ici celle de l’administration de cette saloperie de plateforme.

Je suis depuis un quart de siècle enseignant-chercheur en IUT, plus précisément dans le département Information et Communication de l’IUT de La Roche-sur-Yon, et depuis quelques années je suis aussi le responsable de ce département de formation et le directeur-adjoint de l’IUT.

Et si je devais être un personnage de l’agence tous risques, je me sentirais assez proche de Looping.

L’agence Parcoursup (allégorie).
[En bas avec un cigare, le discours ministériel en mode « vous allez voir comme j’aime les plans qui se déroulent sans accrocs » ; à gauche les petits futés de l’ingénierie qui déploient un algorithme de hiérarchisation des veux sans permettre la hiérarchisation des voeux ; à droite les gros malins qui sortent leurs muscles et leur fer à souder pour transformer une camionnette haut de gamme en char d’assaut pour défoncer les rêves d’une génération entière ; en haut les doux-dingues qui tentent encore de trouver une forme de cohérence dans toute cette merde.]

 

Voilà donc près q’un quart de siècle que j’enseigne et sélectionne des dossiers dans une formation qui est ce que l’on appelle une formation « sélective ». Certes, depuis 20 ans de mise à mort de l’université publique et d’alignement avec les logiques néo-managériales dont Parcoursup est l’instrument, toutes les formations sont devenues sélectives puisqu’il n’y a jamais assez de places pour accueillir dignement toutes celles et ceux qui demandent à l’être, mais disons que les IUT gardent cette particularité sélective affirmée.

Une particularité sélective qui s’est toujours différemment déclinée. Aujourd’hui et depuis maintenant 3 ans on nous demande et nous impose en complément de tout le reste, des quotas de sélection de bacs technologiques. Et pourquoi pas. On aurait pu penser différemment l’accueil de ces publics, le financer aussi pour leur permettre de compenser certains écarts dans les enseignements que reçoivent les bacheliers généraux, on ne l’a bien sûr pas fait, ou alors on nous a demandé de le faire « à moyens constants », mais bref.

Dans « mon » département information et communication, nous recevons énormément de dossiers. Enormément. Chaque année. Y compris depuis avant Parcoursup et même avant APB (Admission Post-Bac, ancêtre de Parcoursup). Enormément. Nous avons 60 places et nous recevions autour de 900 à 1000 dossiers complets, 1000 potentiels futurs étudiants qui, comme on dit, « maintiennent leurs voeux ». Et depuis un quart de siècle, y compris à l’époque des dossiers « papier », bah nous les regardons tous. Nous regardons tous les dossiers. Individuellement. En détail. Cela nous prenait et nous prend toujours un temps extrêmement important et dans des fourchettes calendaires de plus en plus ténues (a fortiori si l’on souhaite par exemple organiser des entretiens, procédure à laquelle nous avons renoncé pour cette année).

Cher Barracuda, cher Mister T., cher grand administrateur de Parcoursup, si je t’écris aujourd’hui c’est parce que je viens de t’envoyer ce même mail sur ton adresse universitaire et sur celle du ministère, et que je vais aussi t’envoyer, sur ces mêmes adresses, non pas les 900, non pas les 1000, mais les 1800 dossiers que nous avons reçu cette année.

Mais avant cela je vais t’expliquer la raison de mon courroux, de mon ire, de l’envie qui m’étreint d’enserrer tout élément de ton anatomie dans une presse hydraulique tout en te prodiguant des soins du corps à l’aide de matières abrasives pendant que tu serais contraint de chanter du Céline Dion en Wolof (mon côté Looping qui ressort hein)

Cher Barracuda, cher Mister T., cher grand administrateur de Parcoursup, voilà maintenant plus de 4 ans que chaque année, nous faisons appel à ta magnanimité pour nous autoriser, nous filière sélective, à faire un truc totalement dingue : demander aux candidats de joindre à leur dossier Parcoursup un compte-rendu d’entretien avec un ou une professionnelle du métier dans lequel ils s’imaginent aujourd’hui à l’issue de leur formation. C’est pour nous un document très important car face à des dossiers Parcoursup dont chaque élément (de la lettre de motivation à la fiche avenir en passant par l’inénarrable « activités et centres d’intérêts ») est de plus en plus stéréotypique et rédigé soit par la famille, soit par la famille de ChatGPT, et dans un contexte où les lycéennes et lycéens se voient en effet conseillés de multiplier leurs voeux (sans les hiérarchiser, ce qui est une autre coupable ânerie), et bah figure-toi que notre « compte-rendu d’entretien avec un ou une professionnelle » est une pièce important pour mesurer la pertinence, la sincérité, et l’engagement d’une candidature parmi 1000 autres semblables.

Mais toi, toi cher Barracuda, cher Mister T., cher grand administrateur de Parcoursup, toi cela ne te va pas. Tu trouves que cela « brise l’égalité républicaine ». Tu trouves que c’est même carrément, je te cite, discriminatoire. Et quand je t’interpelle sur le sujet tu m’expliques avec tes gros muscles et tes chaînes en or qui brillent, que « tu sais de quoi tu parles » et que toi aussi tu as déjà enseigné en IUT, et que demander cela privilégierait des jeunes issus de milieux aisés ou avec des familles qui pourraient les aider ou disposeraient de contacts et de réseaux dont d’autres ne bénéficient pas. Et moi depuis des années je te dis et t’explique (ainsi qu’aux services du rectorat et aux points d’entrée ministériels qui portent ta parole), que c’est n’importe quoi.

C’est n’importe quoi parce que primo nous sommes déjà une formation sélective et que le processus de sélection actuel comporte déjà un si grand nombre de biais liés au capital culturel, au capital social et au capital économique que Bourdieu est à deux doigts d’atteindre le noyau terrestre à force de se retourner dans sa tombe.

C’est n’importe quoi parce toutes les années où nous avons pu disposer de ce compte-rendu d’entretien, nous avons, comme pour tous les autres éléments du dossier, naturellement intégré cette question des biais liés au capital social et culturel et que nous n’avons jamais pénalisé celui qui était allé voir son libraire Cultura par rapport à celui qui avait contacté une maison d’édition élitiste parisienne, pas davantage que celui dont le daron lui avait négocié un entretien avec un grand responsable des politiques culturelles au ministère par rapport à celui ou celle qui était allé voir le ou la documentaliste de son lycée. Parce que figure-toi, cher Barracuda, cher Mister T., cher grand administrateur de Parcoursup, figure-toi que nous nous efforçons de manière continue d’oublier d’être totalement cons. Une routine à laquelle possiblement tu pourrais t’astreindre si tu en as le temps, l’envie et le loisir.

Alors voilà. Depuis maintenant 4 ans, c’est chaque année la guerre, et en plus de tout le reste, il faut chaque année t’écrire (enfin écrire au rectorat qui ensuite te transmets …), chaque année il faut réexpliquer tout cela, le réargumenter, chaque année tu nous expliques que non, chaque année on insiste, chaque année on essaie de poser la question dans les visios que tu organises et où se retrouvent plus de 200 personnes en même temps, et chaque année à la faveur d’un malentendu nous finissons par obtenir gain de cause. On s’y épuisait, on y perdait un temps et une énergie considérable, on s’ajoutait des niveaux de stress importants ainsi qu’à nos équipes de collègues, mais à la fin ça passait. Et tout allait aussi bien que possible.

Mais cette année, tu as serré la vis. Et pas simplement pour nous mais pour l’ensemble des IUT dont l’ensemble des BUT Information et communication. Interdiction formelle et définitive d’ajouter d’autres éléments que ceux demandés par Parcoursup (donc que des éléments moisis et caviardés). Pas de pièce complémentaire quelle qu’elle soit. Rien. Nib. Nada. Que Tchi. Que dalle. Peau de zob.

Donc pour nous, pas de « compte-rendu d’entretien avec un ou une professionnelle ». Alors avant de prendre cette décision, je t’avais dit ainsi qu’aux services rectoraux qui sont à tes ordres, que c’était n’importe quoi. Parce que si on enlève cette pièce additionnelle, le nombre de dossiers que l’on reçoit va littéralement exploser avec pour l’essentiel des candidatures « de remplissage », c’est à dire des lycéens et lycéennes qui mettent notre formation simplement pour épuiser leur nombre de voeux disponibles. Sauf que bah nous derrière notre recrutement ne change pas : nous continuons d’examiner en détail chacun des dossiers que nous recevons.

Et puis ce que je t’avais déjà dit et expliqué à l’époque où je n’étais responsable de rien et où nous nous emplumions en DM sur Twitter, c’est que c’était tout de même étonnant de considérer que pour des IUT (qui accueillent beaucoup de publics boursiers et de milieux plutôt modestes) cette pièce complémentaire était une rupture de l’égalité républicaine et une discrimination, alors que pour les écoles d’art dont je t’épargne la sociologie, le fait de demander des portfolio, des Books et des recommandations t’en touchait une sans te bousculer l’autre comme se plaisait à la verbaliser un ancien président de la république. Même chose pour toutes les formations (publiques !!) qui dans le cadre de Parcoursup demandent 50 ou 100 euros pour valider le voeux au titre du passage d’un concours (bisous les copains et copines en école d’ingénieurs), là aussi il n’y a visiblement rien qui ne vienne heurter ta sensibilité républicaine. Mais que l’on demande à des étudiants d’aller rencontrer des professionnels (même en visio ou par téléphone pour leur éviter des frais et pour celles et ceux qui sont loin des grands centres urbains) et d’en faire un court compte-rendu pour attester de leur engagmeent et de leur motivation autrement qu’avec 3 paragraphes rédigés par ChatGPT et qu’au travers d’un stage de troisième et des voyages extra-scolaires que leur famille aura été en capacité de leur offrir ou pas, alors là, pour toi cher Barracuda, cher Mister T., cher grand administrateur de Parcoursup, ça c’est un grand scandale inacceptable qui brise toute forme d’égalité républicaine à proportion de ce que ta position sur le sujet me brise les organes reproducteurs.

Mais bon dans toute lutte par mail contre l’administration du rectorat qui est à tes ordres et ne fait que véhiculer ta parole, nos défaites sont avant tout celles de l’épuisement. Mais j’avoue que nous avons, j’avoue que j’ai perdu. Cette année tu as été d’une fermeté toute Bétharamienne. Cette année nous n’avons pas pu demander de compte-rendu d’entretien. Cette année, comme je te l’avais expliqué et annoncé, nous avons donc reçu non pas autour de 900 dossiers complets et confirmés pour 60 places mais plus de 1800 dossiers. Le double. La mathématique est aussi implacable que la bêtise crasse de ton entêtement déplacé autant que malhonnête. Car évidemment parmi ces 1800 dossiers que nous commençons à terminer de traiter, jamais nous n’avions eu autant de candidatures de remplissage, sans aucune volonté réelle de venir dans notre formation, des candidatures bâclées, négligées, presqu’entièrement « fake », des candidatures « copiées-collées ». Des candidatures que nous n’avions jamais (ou de manière très marginale) les années où nous pouvions en toute impunité briser l’égalité républicaine.

Le truc c’est qu’en plus de s’acharner à continuer d’oublier d’être cons, nous continuons aussi à faire preuve de déontologie et d’honnêteté et que nous continuons donc de regarder chaque dossier. Donc cette année nous en regardons deux fois plus que les années précédentes. Mais comme il y a au moins la moitié des dossiers qui sont sans intérêt et que nous disposons du même temps que les années précédentes pour les analyser, le résultat est simple : nous disposons de deux fois moins de temps à passer à analyser des dossiers sincères et engagés. Et ça, cher Barracuda, cher Mister T., cher grand administrateur de Parcoursup, c’est ta pleine et entière responsabilité. Ta putain de pleine et entière responsabilité.

Alors voilà. Je vais maintenant t’envoyer la totalité de ces dossiers par mail. Il y en a 1800. J’espère que la capacité de ta boîte mail est adaptée. Je vais aussi t’adresser directement ce billet de blog. Et je vais conclure en te redisant ce que je t’avais déjà dit et écrit la première fois où nous avions, de manière disons « virile mais correcte » débattu de ce sujet : il n’y a que deux issues possibles dans ton travail. Seulement deux.

La première est de considérer les avis des équipes pédagogiques au plus près de l’analyse des dossiers comme des avis purement torcheculatoires et de nous amener à terme vers un système dans lequel les mêmes équipes finiront par totalement se désengager de l’analyse « humaine » des dossiers et laisseront la grande machine Parcoursup fonctionner comme une saloperie de machine à calculer : on prendra les notes, on appliquera des coefficients, et en un clic on aura un classement. Un classement de merde, un classement totalement arbitraire et profondément inégalitaire, mais un classement. Et on arrêtera de passer une semaine ou quinze jours à temps plein à regarder des dossiers (quand on a la chance d’avoir des équipes pédagogiques avec suffisamment d’enseignant.e.s permanent.e.s pour se le permettre, ce qui est de moins en moins le cas de toute façon).

La seconde issue possible consiste à considérer que les équipes pédagogiques savent ce qu’elles font, et à leur concéder la dernière part d’autonomie dont elles peuvent jouir dans un processus de recrutement et de sélection par ailleurs déjà presque totalement préempté par des cadres et des routines qui ne font qu’accroître les inégalités en automatisant les manières de les détecter, de les analyser et de les envisager.

Sur ce je te laisse parce que tu as un peu de pain sur la planche. Il te reste une quinzaine de jours pour analyser ces 1800 dossiers. Bon courage.

 

Etudiants en situation de précarité ? Vendez-nous vos données. De la biométrie et des cabinets vautours qui tournent autour.

6 avril 2025 à 13:10

[Mise à jour du 21 Avril]

J’ai reçu une mise en demeure d’avocats représentant les intérêts du cabinet dont je dénonçais les agissements dans cet article en date du 6 Avril. Cette mise en demeure me laissait jusqu’au 21 Avril minuit (ce soir donc) pour supprimer l’intégralité de l’article, sous peine de poursuites judiciaires pour « diffamation, injure publique et violation du secret des correspondances ». Nous sommes le 21 Avril 19h et je prends la décision de me plier à la mise en demeure. Et vous en explique les raisons dans cet autre article

[Mise à jour du 9 Mai]

Plusieurs articles de presse sont venus traiter de cette affaire et l’article initial qui m’a valu cette mise en demeure a été archivé sur la Wayback Machine de l’Internet Archive.

[Mise à jour du 11 Mai]

Je dresse le bilan de cette affaire et de la couverture médiatique à laquelle elle a donné lieu dans cet article : « Menacé, bâillonné, délivré. Petite histoire d’un effet Streisand entre la cabinet Louis Reynaud et moi. »

 

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  • Frédérique Vidal va présider une fondation de lutte contre la précarité étudiante. Et moi j’ai vomi.
    [Mise à jour du lendemain] Je viens de tomber, sur la page LinkedIn du groupe Abeille Assurances, sur la vidéo promotionnelle réalisée avec Frédérique Vidal. Ils lui ont fait faire un espèce Fast & Curious de chez Wish dans lequel elle donne sa recette de petits-pois carotte au chorizo, sincèrement je ne sais pas si je vais m’en remettre. [/Mise à jour] La définition du malaise.    Voilà. Frédérique Vidal va présider une fondation de lutte contre la précarité étudiante. Et moi j’ai vomi. J
     

Frédérique Vidal va présider une fondation de lutte contre la précarité étudiante. Et moi j’ai vomi.

30 mars 2025 à 10:17

[Mise à jour du lendemain] Je viens de tomber, sur la page LinkedIn du groupe Abeille Assurances, sur la vidéo promotionnelle réalisée avec Frédérique Vidal. Ils lui ont fait faire un espèce Fast & Curious de chez Wish dans lequel elle donne sa recette de petits-pois carotte au chorizo, sincèrement je ne sais pas si je vais m’en remettre. [/Mise à jour]

La définition du malaise. 

 

Voilà. Frédérique Vidal va présider une fondation de lutte contre la précarité étudiante. Et moi j’ai vomi. J’ai vomi métaphoriquement, j’ai vomi dans ma tête, j’ai rêvé de vomir sur la tête de Frédérique Vidal. J’espère bien sûr que c’est purement un titre honorifique qu’elle assurera à titre bénévole (rien n’est très clair là-dessus) parce que s’il devait en être autrement, en plus de lui vomir dessus, c’est d’un tombereau de matière fécales à déverser dont j’aimerais également pouvoir me fendre auprès de Frédérique Vidal.

Frédérique Vidal, je vous en ai souvent parlé sur ce blog, c’est l’ancienne ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche d’Emmanuel Macron. C’est elle qui était là pendant la période du Covid et qui s’est torchée autant qu’il est possible de le faire avec la misère et la détresse étudiante. Frédérique Vidal c’est elle qui après l’immolation par le feu d’un étudiant a mis en place un numéro d’appel payant. Frédérique Vidal c’est elle qui a fait passer la 1ère loi discriminatoire et raciste à l’encontre des étudiants étrangers hors de la communauté européenne en ouvrant la boîte de Pandore de l’augmentation des frais d’inscription les concernant, et qui joignant la pure saloperie au plus dégueulasse cynisme, a osé appeler ça « Bienvenue en France ». Si beaucoup de ministres de l’enseignement supérieur et de la recherche, du gouvernement Macron comme de ceux précédents, ont contribué à désosser et à détruire l’université, et ce depuis la loi LRU dite « d’autonomie » voulue et portée par Valérie Pécresse et le gouvernement Fillon, Frédérique Vidal est sans conteste celle qui aura le plus abîmé ce bien commun que constitue la possibilité, pour chacun.e, d’accéder à l’université dans des conditions dignes. Frédérique Vidal fut aussi le poste avancé de l’extrême-droite en lançant la plus vaste campagne de désinformation dont l’université et ses enseignant.e.s furent victimes en accréditant la rumeur d’une gangrène islamo-gauchiste de l’université et en prétendant mobiliser les moyens de l’état et du CNRS au service de l’agenda de ce qui était déjà, une internationale réactionnaire à l’initiative non pas d’Elon Musk mais de Blanquer, de Macron, d’elle-même et de quelques autres.

Frédérique Vidal dans son biotope médiatique naturel : l’extrême-droite torcheculatoire.

 

Et aujourd’hui voilà qu’après avoir totalement disparue de la vie médiatique, et tenté diverses reconversions ratées pour s’immiscer au board d’écoles de commerce pourries dont elle avait elle-même augmenté les subventions lorsqu’elle était ministre (parce que vraiment non seulement elle née avant la honte mais dans l’insémination artificielle de son éprouvette politique il y avait un donneur de sperme à forte teneur en cynisme et des ovocytes chargés en crapulerie), Frédérique Vidal va donc présider une fondation de lutte contre la précarité étudiante. Et à ce moment là de l’histoire de nos sociétés, alors tout devient possible : que Marc Dutroux soit en charge d’un ministère de la petite enfance, que Xavier Dupont de Ligonnès soit nommé à la tête du ministère de la famille, et qu’Emile Louis prenne la tête d’une fondation pour l’inclusion des personnes handicapées.

Donc j’ai appris que Frédérique Vidal allait présider une fondation de lutte contre la précarité étudiante et j’ai vomi. Et derrière cette nomination et ce pantouflage en mode recyclage d’ordure ministérielle, on trouve des assureurs, « Abeille Assurances » derrière qui se trouve l’assureur Aviva, bien connu pour ses pratiques délétères y compris contre ses propres assurés. On saluera donc cette forme de cohérence dans la mise en avant de l’ex-ministre qui aura le plus agi contre les intérêts des étudiantes et étudiants.

Si je vous parle de cette information c’est parce que de mon côté, avec deux collègues formidables et une tripotée d’étudiant.e.s formidablissimes, cela fait désormais pile 5 ans que nous organisons des distributions alimentaires sur le campus de l’université de Nantes à La Roche sur Yon. Je vous en ai souvent parlé aussi sur ce blog, et de comment on pouvait, à la fois, donner des cours et à manger.

Cinq ans que tous les jeudis ou presque on décharge des camions de la banque alimentaire ; cinq ans que tous les jeudis on range ça dans des désormais vrais rayonnages de supermarché qu’on a récupéré ; cinq ans qu’on se forme aux règles d’hygiène pour ne pas faire n’importe quoi avec les produits frais qu’on reçoit ; cinq ans qu’on jongle entre nos métiers et cette forme étrange de bénévolat qui se fait sur notre temps de travail, sur notre lieu de travail, et auprès des publics avec lesquels on ne devrait surtout pas avoir ce genre de « relation » ; cinq ans qu’on se démène pour embaucher, en complément du bénévolat étudiant, des contrats aidés qu’il faut aussi former et accompagner ; cinq ans qu’on galère à chercher des subventions que les structures publiques nous refusent ou nous minorent de plus en plus, parce qu’elles n’en ont pas les moyens ou qu’elles tentent de rivaliser avec Christelle Morançais en terme de saloperie programmatique.

Alors forcément quand je vois qu’un assureur peu scrupuleux (déjà condamné à une amende de 3,5 millions d’euros pour de lourds manquements et des carences significatives sur la lutte contre la fraude et le financement du terrorisme), confie à Frédérique Vidal la présidence d’une fondation de lutte contre la précarité étudiante, j’ai la même envie que le personnage de Woody Allen quand il écoute trop Wagner : sauf que là c’est pas la Pologne que j’ai envie d’envahir mais le peu de dignité qui reste à Frédérique Vidal et qui doit déjà se trouver dans les gogues des bureaux d’Abeille Assurance.

Aujourd’hui je l’ai déjà dit et écrit, la plupart des campus universitaires se sont transformés en succursales des Restos du coeur, on a même été obligé de publier le classement de Miamïam des universités françaises. Aujourd’hui cette lette contre la précarité alimentaire s’exerce principalement via deux modèles : soit des bricolages circonstanciels (c’est le cas de ce que nous mettons en oeuvre sur le campus de Nantes Université à La Roche sur Yon avec la Ma’Yonnaise épicerie, mais aussi de ce que fait la Surpre’Nantes épicerie sur le campus Nantais, mais d’autres modèles existent comme à Toulouse où c’est l’AGEMP qui met cela en place), soit des externalités qui captent l’essentiel des subventions publiques et privées sur le sujet, avec en première ligne des structures comme Linkee ou Cop1 et sur lesquelles les universités s’appuient de plus en plus en finissant par malheureusement se défausser de ces sujets tout comme l’état a fini de se défausser des questions de précarité alimentaire en les déportant sur des structures associatives comme les Restos du Coeur.

Pour vous donner une idée de la manière dont Frédérique Vidal a pris la mesure de la responsabilité qui lui avait été confiée dans le cadre de la présidence de cette fondation, à la question du journaliste d’Ici Maine qui lui demande « Aujourd’hui, selon vous, combien d’étudiants sont potentiellement concernés par ces difficultés à se nourrir encore aujourd’hui ?« , elle répond :

Frédérique Vidal : Je crois que les derniers sondages indiquent qu’il y a près de 40% des étudiants qui indiquent avoir sauté un repas par manque de moyens. Donc c’est encore quelque chose qui est relativement important et c’est pour ça qu’il faut aider. 

 

Déjà vous noterez le « je crois« . C’est pas comme si c’était un peu supposé être son sujet et qu’elle était supposée être un peu plus au courant que Gilbert qui tient le PMU de l’angle de la rue de la gare et qui lui aussi « croit » que « oui bon quand même c’est pas facile d’être étudiant même s’il y a pas mal de feignasses aussi et que soit dit en passant, Charles Martel aurait pu finir le boulot. »

Presque la moitié des étudiantes et des étudiants qui sautent des repas par manque de moyens et la présidente de la fondation de lutte contre la précarité étudiante ne répond pas que c’est « scandaleux », que c’est « une honte pour un pays comme la France », que ce « devrait être une priorité nationale ». Bah non. Elle te regarde avec ses yeux de teckel mort et te dit avec sa voix tortue neurasthénique : « c’est relativement important. »

Moi je veux bien que l’injure ne soit pas une solution constructive mais franchement devant ce genre de déclaration c’est quand même compliqué, pour décrire le niveau de pertinence de Frédérique Vidal sur ces sujets, de mobiliser autre chose que le champ sémantique et visuel liant les potentielles vertus curatives d’une râpe à fromage et le traitement médical d’un furoncle à l’anus.

On apprend d’ailleurs en même temps que l’info sur cette fondation que c’est l’association Cop1 qui va d’entrée bénéficier de 147 000 euros pour ouvrir « des antennes » sur les sites universitaires de Tours et du Mans. Je n’ose même pas vous raconter tout ce que nous pourrions faire avec ne serait-ce que le quart ou la moitié d’une telle subvention. D’ailleurs nous avons bien entendu rempli le formulaire de cette nouvelle fondation de lutte contre la précarité étudiante pour nous aussi aller croquer un peu des sous d’Abeille Assurance avant qu’elle ne s’en serve pour les défiscaliser. Etant l’une des plus anciennes structures associatives reposant sur un modèle entièrement bénévole (et local et étudiant) qui organise des distributions alimentaires pour les étudiantes et les étudiants en France et avec la plus grande régularité, je n’ai absolument aucun doute sur le fait que non seulement la fondation Abeille Assurance va nous aider mais que nous figurerons parmi les tout premiers à bénéficier de sa munificence. Et vous tiendrai au courant.

Et puis tiens, rien à voir, ou plutôt si.

Rien à voir ou plutôt si parce que donner à manger aux étudiantes et aux étudiantes est une priorité mais pour traiter de la précarité étudiante il faut aussi accepter de considérer que les questions de travail subi (pour financer ses études dans des conditions ne permettant pas … d’étudier), que les questions de logement, et que les questions de santé mentale (pour lesquelles écouter ne suffira plus), fonctionnent comme un tout et s’interpénètrent en permanence pour définir le périmètre réel de ce que l’on nomme « précarité ».

Cette semaine donc Nicolas Demorand a eu ce formidable courage de parler de lui, de sa souffrance, de sa maladie mentale, de sa bipolarité. Une maladie qui se déclenche souvent à l’âge où l’on entre à l’université. Depuis que j’y enseigne, depuis donc 20 ans, nombre des étudiantes et étudiants que j’ai croisés en ont souffert sans que nous n’en sachions rien, et sans qu’ils ne le sachent eux-mêmes. Aujourd’hui, notamment depuis cette période du Covid, ces maladies mentales ont explosé parmi nos étudiantes et nos étudiants, en tout cas elles sont de plus en plus documentées et diagnostiquées. Et nous derrière comme enseignantes et enseignants nous faisons ce que nous pouvons, c’est à dire pas grand-chose d’autre que d’écouter, et que d’essayer d’aménager ce qui peut l’être, ou de renvoyer vers des services de médecine universitaire (lorsque les campus en disposent ce qui est loin d’être tout le temps le cas) totalement exsangues et débordés, soit vers des services d’urgences psychiatriques qui se sont tout autant. Des étudiantes et des étudiants bipolaires ou en présentant les symptômes, diagnostiqués ou en errance médicale, nous en voyons passer plusieurs chaque année dans nos cours et dans nos amphis. Parfois nous avons la pleine connaissance de leur situation, d’autres fois nous l’ignorons totalement et ne la découvrons qu’après coup, ou dans d’autres cercles de nos vies sociales et associatives.

Quand j’ai découvert le témoignage de Nicolas Demorand c’est donc instantanément à l’ensemble de ces étudiantes et étudiants que j’ai pensé, et à ce que ce témoignage médiatique, public, si universellement intime, allait peut-être pouvoir changer pour elles et eux ainsi que pour leurs familles et leurs accompagnants.

Notre ligne de crête pour tenir dans ce monde de fracas, la mienne en tout cas, c’est d’imaginer que pour une pathétique crapule comme l’est Frédérique Vidal il existe aussi des dizaines de Nicolas Demorand dont chaque témoignage resserre nos liens d’empathie et nos capacités d’attention aux autres bien davantage encore que les projets de défiscalisation d’une compagnie d’assurance portés et incarnés par l’opportuniste veulerie d’une personnalité politique plus que jamais étanche à toute autre quête ou cause que celle de la mise en scène de sa propre fatuité sur les ruines à peine froides de l’autel de sa propre indigence.

 

Stand-Up for Science. Quitte à se lever, si on en profitait pour rester debout sur la situation de la science et l’université … en France ?

6 mars 2025 à 12:20

Le 7 Mars (demain) sera une journée de mobilisation « Stand-Up for Science » afin de condamner le naufrage organisé par Trump et ses équipes à l’échelle de la définition même de la science aux Etats-Unis. Ce mouvement s’inscrit aussi en soutien de l’ensemble des pays dans lesquels la science et les scientifiques sont entravés, menacés, opprimés, dénoncés, espionnés, exilés, brimés.

Cette journée, ces paroles et ces banderoles, sont importantes. Essentielles même. Il faut documenter ce qu’il se passe dans des pays pour lesquels la science, ses financements, son éthique,  tout cela est entièrement conditionnée à l’alignement idéologique avec le régime politique en place. A fortiori lorsque ce phénomène touche des pays qui n’étaient pas jusqu’ici réputés pour être des dictatures ou des régimes autoritaires et illibéraux.

Comme la plupart des collègues de la plupart des universités françaises, j’ai été destinataire d’un mail de la présidence (de l’université) dans lequel on nous appelle à rejoindre le mouvement avec nos étudiant.e.s pour un petit quart d’heure de mobilisation entre deux cours. Ok. A regarder le programme annoncé du côté des universités en France, c’est pour l’essentiel un service vraiment minimum : un rassemblement par ci, une vague photo par là, très peu d’appel à manifester, très peu de débats annoncés. La bascule fasciste que l’on observe et que l’on documente actuellement aux USA ne va pas vasciller sous les coups de boutoir d’une photo organisée entre collègues sur les marches d’une université. Signalons au titre de l’exception, l’université marseillaise qui lance un programme (et débloque un budget) pour accueillir des collègues états-uniens. Bon bref. J’ai moi-même alerté (depuis mon champ scientifique) sur l’importance de ce qui se joue actuellement aux USA dans le rapport fasciste que Trump instaure avec la langue et avec la science, pour ne pas me joindre au mouvement de demain.

Donc vendredi, je me lève, on se lève, toutes et tous pour Danette la science. Ok. On se lève. Et on se casse.

Et là … là comme beaucoup de collègues je ne peux m’empêcher de réfléchir au quotidien des universités (et universitaires) français. A nos quotidiens. A ce pays, la France, dans lequel désormais plus de 60 universités sur les 74 que compte l’hexagone sont en situation de faillite ou de quasi-faillite (elles étaient 15 en 2022, 30 en 2023, et donc 60 en 2024 à voter un budget initial en déficit).

Ce pays, la France, dans lequel on ampute encore le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Ce pays, la France, où à chaque étage de l’université publique, de l’enseignement à la recherche en passant par les services administratifs et techniques le précariat explose littéralement.

Ce pays, la France, où la paupérisation des étudiantes et étudiants est alarmante, tout autant que les problématique de santé, physique et mentale qu’ils et elles traversent et affrontent avec comme seule aide la bonne volonté des oreilles tendues à leur écoute.

Ce pays, la France où pendant que prospère un enseignement supérieur privé sous (et hors) contrat qui est une pure usine à merde remplissant des formations (en alternance notamment) sans aucun sens ni aucun contrôle, les universités publiques sont saignées et en permanence auditées et sur-auditées, y compris par des organismes et cabinets (privés).

Ce pays, la France, où des collègues qui sont de purs renégats pantouflent grassement dans des organismes publics de contrôle qui sont le bras armé du néo-management, organismes qu’ils légitiment par leur seule présence (je parle ici notamment de l’HCERES, dont la violence des dernières évaluations est unanimement dénoncée et tant il est désormais absolument évident que certaines de ces évaluations ne sont qu’un prétexte à l’hypocrisie ministérielle qui donne ses instructions pour fermer ou menacer de fermeture des formations par ailleurs souvent simultanément exsangues et pourtant toujours exemplaires).

Pas besoin d’aller regarder outre-atlantique, outre-manche ou outre-tombe pour voir les universités et les universitaires s’effondrer. En France, à Paris, du jour au lendemain suite à sa mise sous tutelle rectorale, l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne voit l’ensemble de son budget amputé non pas de 10, 20, 30 ou de 40% mais de moitié. 13 millions de coupes budgétaires sur ordre du rectorat. Lisez attentivement ce qui suit :

« Ces coupes brutales amputent de plus de 50% les budgets de fonctionnement et d’investissement de nos structures – unités de recherche, écoles doctorales, bibliothèques, départements. Elles n’imposent pas de petites économies : elles mettent à l’arrêt nos activités de recherche ; elles obèrent gravement notre capacité à animer la vie scientifique de nos disciplines, à former et à professionnaliser nos doctorant-es, à faire rayonner notre université à l’international ; elles cassent nos infrastructures de recherche et de formation (alimentation des bibliothèques, renouvellement des abonnements aux plateformes numériques). La brutalité et l’ampleur de ces coupes portent des conséquences graves sur nos métiers, sur la vocation même de notre université, et sur sa capacité à assurer le service public d’enseignement et de recherche.  Les discussions en cours à l’échelle nationale sur le budget 2026 laissent à penser que cette situation n’est qu’un avant-goût de l’austérité à venir. »

Voilà ce qu’écrivent les collègues du Centre Européen de Sociologie et de Science Politique de Paris 1.

Tout comme Paris 1, c’est donc plus de 60 universités sur 74 que compte la France qui du jour au lendemain peuvent aussi, et ainsi, basculer dans un effondrement total.

Dans les soubresauts de l’époque qui s’ouvre, dans les nouvelles alliances géopolitiques que la refaçonnent entièrement sur des lignes de démarcation que personne n’imaginait possibles, dans ce monde là qui vivra certainement nombre d’effondrements écologiques et politiques il n’y a que deux lignes budgétaires à préserver et à augmenter « quoi qu’il en coûte« . La première nous en avons eu un avant-goût dans l’allocution d’Emmanuel Macron hier soir : c’est hélas celle de la défense et des armées. L’autre, c’est celle de la science et des universités (et plus globalement de l’enseignement et de la culture). Mais de l’argent magique, il semble n’y en avoir pour l’instant que pour la défense et les armées. Pourtant l’état du monde est directement lié au financement de la science. Nous ne comprenons rien à l’accession de Trump au pouvoir et à la géopolitique en cours si nous n’avons pas une recherche forte en sciences politiques, en histoire, en économie et plus globalement en sciences sociales. Nous aurions peut-être pu en partie éviter l’accession de Trump au pouvoir ou en tout cas limiter son champ d’action et de nuisance si le monde n’était pas devenu un gigantesque et permanent plateau de Fox News dans lequel plus aucune parole scientifique ne peut exister autrement que sous le mépris, les quolibets ou l’absence.

Si l’on ne veut pas que le monde et le débat public ne se transforment entièrement en plateau de Cnews 24/24h, et si l’on ne veut pas en mesurer les effets dans la prise de pouvoir d’autres Trump, Milei, Meloni, Orban, Le Pen, et consorts, alors il faut mettre en avant les universitaires qui n’ont pas une « expertise » mais une connaissance des sujets. Et il faut à notre époque et aux temps qui s’annoncent des universitaires et des scientifiques qui soient correctement formés et puissent à leur tour en former d’autres. Nombre de nos meilleurs et meilleures docteurs (= titulaires d’un doctorat) ne se barrent pas aux USA parce qu’on y gagne mieux sa vie : la réalité c’est qu’il et elles crèvent de faim et de misère et se rabattent à force sur des postes où leur connaissance cesse de bénéficier au bien commun. Imaginez ces dernières semaines, ces derniers mois, imaginez le traitement du dérèglement climatique sans les scientifiques et universitaires du GIEC, imaginez la couverture du conflit en Ukraine sans Anna Colin-Lebedev ou d’autres de ses collègues universitaires, imaginez …

C’est pour cela que la communication des présidents et présidentes de France Universités m’agace et me met prodigieusement en colère. Parce que je ne parviens pas à lire leur parole autrement qu’au travers d’un pathétique double standard appelant à se mobiliser pour ce qui se passe aux USA (et y’a besoin) mais incapable d’appeler à descendre massivement dans la rue et à entrer en guerre contre l’effondrement programmatique de l’université publique française …

On pourra se lever autant qu’on veut pour la science, nous resterons des culs-de-jatte tant que nous n’aurons pas la force de refuser le sort qui nous est fait au quotidien, ici, chez nous, maintenant, dans nos universités, par nos gouvernements.

Alors le 7 Mars, on se lève, pour la science. Et après on reste debout, et on se casse en manif, dans la rue, dans les amphis, dans les journaux, dans les quartiers, on passe en mode guérilla, on se bat. On bouge.

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