Plus vivant que le loup…
Yvan Noé Girouard
Directeur général de l’Association des médias écrits communautaires du Québec
1995, un nouveau journal fait une demande d’adhésion à l’Association des médias écrits communautaires du Québec (AMECQ). Un journal bizarre qui sort de l’ordinaire avec un slogan intriguant, « … plus mordant que le loup », et son format à l’ancienne mode des journaux imprimés. Qui aurait dit que ce journal allait un jour fêter son 30e anniversaire d’existence.
Un journal d’opinion, un journal engagé qui défend des idées qui ne sont pas publiées dans les médias traditionnels. Un journal à contre-courant. Bien que ce journal émette des opinions qui transgressent les régions, ce que j’apprécie le plus des textes que l’on retrouve dans Le Mouton Noir, c’est lorsqu’on me parle des problématiques propres à la région du Bas-Saint-Laurent et des solutions présentées. J’aime aussi qu’on me fasse découvrir les arts et la culture de la région de Rimouski.
Pas facile pour un tel journal de faire sa niche. Pourtant Le Mouton a réussi. En 2025, plusieurs journaux sont à la croisée des chemins. Plusieurs embûches se dressent devant eux : le coût des envois postaux, la hausse du coût du papier et des tarifs d’impression, les coûts exagérés liés à la collecte sélective d’Éco Entreprises Québec (la taxe du bac bleu), la mission d’examen obligatoire pour les journaux recevant une subvention supérieure à 25 000 $, l’adaptation numérique, la publicité gouvernementale qui n’est pas au rendez-vous, etc.
Bientôt, les journaux n’auront peut-être plus le choix, il va leur falloir se réorganiser ou bien fermer. Je souhaite au Mouton Noir un minimum d’au moins 30 autres années de vie à mordre dans l’actualité!
Le Mouton Noir : tenir bon, encore et toujours
Marie-Pier Lacombe, Présidente, Le Mouton Noir
Depuis bientôt 30 ans, Le Mouton Noir traverse vents et marées. Et malgré tout, il est toujours là, fidèle au poste, distribué gratuitement dans l’Est-du-Québec, porté par une voix indépendante, curieuse, critique et humaine. Dans un monde médiatique en constant bouleversement, à une époque où les mots coûtent cher et où l’attention est une denrée rare. Le fait que notre petite équipe arrive encore à publier un journal n’est pas un mince exploit.
Comment y arrive-t-on?
Par miracle? Non. Par passion, par débrouillardise et par solidarité. Publier Le Mouton Noir aujourd’hui, c’est faire preuve d’une rigueur artisanale : trouver des sujets qui comptent, coordonner des bénévoles motivés, planifier la production, boucler des mises en page jusqu’à tard le soir. C’est aussi composer avec une précarité constante : un financement limité, des imprévus budgétaires, des frais d’impression qui augmentent, des revenus publicitaires qui stagnent ou chutent.
Et pourtant, l’équipe ne lâche pas. Mieux : elle innove, elle rallie, elle s’ancre toujours plus dans sa communauté. Parce que Le Mouton Noir, c’est bien plus qu’un journal — c’est un projet de société, un espace de parole, un laboratoire d’idées. Un média qui appartient à tout le monde et à personne à la fois, enraciné dans un territoire, porté par des convictions, habité par une certaine idée de la liberté.
Nos piliers invisibles
Derrière chaque numéro, il y a des dizaines de personnes qui donnent du temps, de l’énergie, du cœur. Les bénévoles sont la colonne vertébrale du journal. Sans elles et eux, il n’y aurait pas de distribution, pas de correction de textes, pas de comités, pas de soutien moral dans les moments plus durs. Le conseil d’administration, lui aussi bénévole, veille au grain, garde le cap, pose les bonnes questions, prend des décisions difficiles.
Être bénévole au Mouton Noir, c’est croire qu’un média indépendant a encore sa place. C’est faire preuve d’une foi immense dans la force des idées, dans l’intelligence collective et dans l’importance de penser autrement.
Une bonne tape dans le dos (et peut-être un coup de main)
Il faut le dire : tenir un journal comme Le Mouton Noir, aujourd’hui, c’est un exploit. Et cet exploit mérite d’être célébré. Alors à toutes celles et à tous ceux qui font vivre ce projet : bravo. À celles et ceux qui nous lisent, nous soutiennent, nous partagent : merci.
Mais pour continuer, il nous faut plus qu’un bravo. Il nous faut du soutien concret. Il nous faut des dons, des abonnements, des commanditaires, des idées, des bras, des voix. Il nous faut une communauté qui croit, encore et toujours, qu’un autre journalisme est possible.
Le Mouton Noir, c’est nous toutes et tous. C’est vous. Continuons de l’écrire ensemble.
La laine des moutons
c’est nous qui la tondaine
Pierre Landry, Rivière-du-Loup
En 2005, à la faveur du dixième anniversaire du Mouton Noir, je faisais paraître aux Éditions Trois-Pistoles un « essai anthologique » où je relatais les épisodes les plus marquants de l’histoire du journal à ce jour, de même que j’y reproduisais une sélection d’articles parus pendant cette période. Le Mouton avait dix ans, déjà un miracle! Et pendant cette première décennie, cet agneau, gringalet à ses tout débuts, avait constamment pris du poil de la bête. Sans compter tous ces scripteurs et autres correspondants plus ou moins connus, il est éloquent de lire du nombre des personnes qui ont fait paraître au moins un texte dans les pages du journal les noms de Richard Desjardins, Victor-Lévy Beaulieu, Claude Laroche, Jean-Claude Germain, Hugo Latulippe, Roméo Bouchard, Colombe St-Pierre, Maxime Catellier. Pas que le journal soit élitiste, mais disons que la présence de ces signatures a de quoi flatter l’ego de ceux et celles qui en sont à l’origine et démontre la pertinence et la notoriété de la publication.
Le journal avait déjà cinq ans quand le hasard de la vie m’a mené à m’approcher de la bergerie. C’était une période charnière. Après les premières années de défi et de fierté, le fondateur, Jacques Bérubé, en avait un peu ras le bol du stress engendré à la fois par la production du journal et à la fois par les contraintes financières. D’autre part, après tant d’années de travail et de succès, allait-il devoir sacrifier ce beau bébé prisé par tant de gens et qui remplissait un rôle de premier plan au cœur d’un désert journalistique où l’opinion était défavorisée? C’est déjà un fait d’armes que de mettre au monde une créature de cette nature, mais en assurer la pérennité, comme Jacques l’a fait, relève d’un véritable exploit.
Les commandes du journal sont passées des Éditions Dubout-Duquai aux Éditions du Berger blanc, délaissant ainsi le giron de ses fondateurs pour atterrir en de toutes nouvelles mains, pleines de bonne volonté mais un peu déroutées quant à la complexité de la tâche qui les attendait. Budget famélique, structures légale, administrative et financière à mettre sur pied, personnel à recruter, en l’occurrence avant tout un rédacteur en chef – mais combien et comment le payer? comment lui assurer un environnement de travail décent? qui s’occupera de la vente de la pub, entrée de fonds d’une importance capitale? Période transitoire, difficile, cahoteuse où deux rédacs chef, Marc Fraser puis Michel Vézina, se succéderont, votre serviteur assurant l’intérim au moment où plus personne ne tient la barre. C’est finalement Sandra Fillion qui prendra la relève et, à partir de sa prise en charge, la course au relais continuera, d’un mandat à l’autre. Le frêle esquif poursuivra sa route, traversant les tempêtes, affrontant les intempéries, mais avec toujours, au bout de la semaine, au bout du mois, au bout du trimestre, un autre petit ovin tout chaud sorti pour porter dans son lainage la parole, les interrogations ou l’indignation de quiconque se sera donné la peine de prendre la plume et d’étoffer sa pensée.
J’avoue que je m’ennuie parfois de cette époque où Le Mouton avait pignon sur rue sur la Saint-Germain, où on pouvait arrêter piquer une jase avec le rédac chef, discuter des enjeux du moment. Cette période où le journal était fleuri de caricatures, où certaines plumes « régulières » jouaient davantage de l’ironie et du sarcasme, où les « correspondants en région » s’affichaient à chaque numéro dans les pages centrales baptisées Le pré, où le journal attestait d’une présence éditoriale plus soutenue. Mais ne boudons pas notre plaisir. À une époque où publier un journal sur papier constitue déjà un exploit, où les médias communautaires et les autres joueurs de « l’industrie » pâtissent de l’omniprésence et de l’outrecuidance des GAFAM de ce monde qui squattent les revenus publicitaires et où les gouvernements brillent par une absence presque totale, considérons avant tout le trésor que nous avons entre les mains. À la manière de Jacques Bérubé et des fondateurs, faisons tout en notre possible pour nous assurer que Le Mouton demeure et prospère, et qu’il se montre toujours plus mordant que le loup, ses dents acérées étant impérieusement nécessaires en ces temps troubles où le fascisme est en train de prendre racine chez nos voisins du sud.