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    La trentaine de caribous montagnards de la Gaspésie est le vestige de l’immense harde qui peuplait tout le nord-est de l’Amérique avant l’arrivée des Blancs. Dernier troupeau au sud du Saint-Laurent, il a subi une baisse de 80 % de ses effectifs en 15 ans et porte le triste titre d’espèce en voie de disparition. Comme Nature Québec l’énonce sur son site Internet, les causes de ce problème sont bien connues : dégradation de l’habitat causée principalement par les coupes forestières et augmentatio
     

Caribous montagnards« On aime ce qu’on connaît et on protège ce qu’on aime. »

8 août 2025 à 11:29

La trentaine de caribous montagnards de la Gaspésie est le vestige de l’immense harde qui peuplait tout le nord-est de l’Amérique avant l’arrivée des Blancs. Dernier troupeau au sud du Saint-Laurent, il a subi une baisse de 80 % de ses effectifs en 15 ans et porte le triste titre d’espèce en voie de disparition. Comme Nature Québec l’énonce sur son site Internet, les causes de ce problème sont bien connues : dégradation de l’habitat causée principalement par les coupes forestières et augmentation de la prédation qui en découle1. Entrevue avec Alice-Anne Simard, directrice générale de l’organisme.

Philippe Garon – Ça fait longtemps qu’on est au courant de la situation. Comment expliquer qu’on a tant pelleté par en avant?

Alice-Anne Simard – Dans de telles situations, on oppose souvent économie et protection de l’environnement. Pour le caribou, cet équilibre-là n’a jamais été atteint ni même recherché. On reste vraiment dans une économie d’industrie primaire, donc d’exploitation des ressources, alors qu’il existe un potentiel de développement dans la région basé plus sur les secteurs secondaire et tertiaire. Comme pour la crise climatique, on connaît les causes de la perte de biodiversité depuis longtemps. C’est bien documenté, étudié, les scientifiques sont unanimes, mais ça prend de la volonté politique pour qu’on ne considère plus le territoire juste comme quelque chose à exploiter et à gruger.

P. G. – Si les solutions sont connues, pourquoi ne sont-elles pas mises en application?

A. A. S. – Il y a une grosse résistance de la part de certains élus et d’acteurs économiques dans la MRC. J’insiste sur le mot « certains » parce que ce n’est pas tout le monde. Sauf que ceux qui s’opposent à toute forme de protection veulent continuer à faire du développement basé uniquement sur l’extraction des ressources. Là, c’est le caribou qui en subit les conséquences, mais si on croit qu’on peut continuer comme ça à l’infini, non seulement la situation économique de la Haute-Gaspésie va empirer, mais d’autres espèces vont décliner. Les écosystèmes vont s’affaiblir, puis ils seront moins efficaces pour nous rendre des services comme la production de l’eau potable, de l’air qu’on respire, etc. Le gouvernement doit donc écouter l’autre point de vue. Il faut changer de vision et non juste s’opposer au changement.

P. G. – Avez-vous le sentiment que les élus et les représentants économiques sont prêts à faire des concessions?

A. A. S. – Quand tu négocies, tu pars avec un extrême pour essayer d’arriver à un terrain d’entente. C’est une technique que l’on comprend bien. Certains s’opposent à toute forme de protection, voulant même qu’on enlève les mesures intérimaires. Mais il faut qu’ils acceptent de mettre de l’eau dans leur vin. Le gouvernement ne peut pas dire : « On ne protège plus le caribou de la Gaspésie. » C’est une obligation légale. De toute façon, il doit aussi écouter les citoyens et les nombreuses organisations qui demandent qu’on protège le caribou2. Nous, on ne laissera pas le caribou disparaître. C’est au gouvernement de faire de l’arbitrage et d’arriver à un compromis. Tous les élus doivent reconnaître qu’il faut sortir de l’exploitation primaire, qui n’est pas une voie d’avenir. On ne peut plus refuser d’entrer dans le XXIe siècle. Oui, il va y avoir des impacts, mais des mesures de compensation peuvent être adoptées dans un esprit de justice sociale.

P. G. – Quelles sont les conséquences de l’extinction de cette espèce?

A. A. S. – Le caribou est un animal génétiquement distinct. Il fait partie de notre patrimoine naturel, tel que reconnu par le gouvernement. Dans l’identité québécoise, mais aussi dans celle des communautés autochtones, il revêt une grande importance. Il est aussi le canari dans la mine, c’est-à-dire qu’il agit comme un témoin de l’état de la forêt. Il a besoin d’une forêt en bonne santé, alors quand il ne va pas bien, ça nous démontre que la forêt aussi ne va pas bien. On observe d’ailleurs un appauvrissement généralisé de la forêt. Ça a des impacts fauniques, oui, mais aussi économiques. Le caribou est également une espèce parapluie. Si on en prend soin, d’autres espèces vont aller mieux. Dernier point, plus émotif : c’est impossible de mettre un prix sur le fait de sauver une espèce, de lui permettre de continuer à vivre dans son habitat naturel. Comme maman, j’aimerais que mes enfants puissent les observer. Je trouverais ça terrible comme biologiste qu’on n’arrive pas à assurer la survie du troupeau. Ce serait une perte inestimable, un immense échec de l’espèce humaine.

P. G. – Qu’est-ce que vous aimeriez dire aux personnes qui s’opposent à la protection du caribou?

A. A. S. – Je les invite à écouter ce que disent la science et toute la population qui se mobilise pour protéger les caribous. En continuant à tout miser sur le développement économique primaire, on va arriver aux mêmes résultats dans quelques années; non seulement on va avoir perdu le caribou, mais la région va continuer à se dévitaliser. Il faut miser sur une transition vers une économie d’avenir, innovante, durable.

1. Nature Québec, « Une population unique en train de disparaître », 2025 https://naturequebec.org/projets/caribou_gaspesie/?fbclid=IwY2xjawJjdedleHRuA2FlbQIxMAABHq9ET3hVnry6oLssw5UMCo2M459LENUv1TxsvG8mFiWJGuK5jXvmd1kHjJ5R_aem_cF2y_JiTOWNsvZkgiU-ILw

2. Lire la lettre ouverte du 11 avril 2025 : « Une mobilisation régionale à la défense du caribou et du territoire de la Gaspésie », https://www.hautrement.org/une-mobilisation-regionale-a-la-defense-du-caribou/?fbclid=IwY2xjawJqRfdleHRuA2FlbQIxMQABHtS7GPzX32xdwrp3FsOTAkk9KYR1KfYCJHsMe3SDw0HoQNoGtSWarrCLLd4a_aem_yFBBMTAEOPhELyejzJtf7A

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  • Dossier « Le tsunami numérique »
    Jean-François Vallée, enseignant, cégep de La Pocatière Qu’on le veuille ou non, le numérique a envahi presque toutes les sphères de nos vies. Le système d’éducation n’y fait pas exception. C’est pourquoi j’ai pensé que, dans le cadre du cours collégial Genres et pratiques journalistiques, il serait intéressant de tâter le pouls de nos étudiants sur la question, eux qui se trouvent au cœur de ce véritable tsunami technologique. Pour les aider à mieux cerner les enjeux de ce débat, j’ai d’abor
     

Dossier « Le tsunami numérique »

7 août 2025 à 08:52

Jean-François Vallée, enseignant, cégep de La Pocatière

Qu’on le veuille ou non, le numérique a envahi presque toutes les sphères de nos vies. Le système d’éducation n’y fait pas exception. C’est pourquoi j’ai pensé que, dans le cadre du cours collégial Genres et pratiques journalistiques, il serait intéressant de tâter le pouls de nos étudiants sur la question, eux qui se trouvent au cœur de ce véritable tsunami technologique. Pour les aider à mieux cerner les enjeux de ce débat, j’ai d’abord invité l’ancien journaliste et ex-directeur de Radio-Canada Alain Saulnier à nous présenter son dernier essai, Tenir tête aux géants du web. Puis, je leur ai demandé de réagir. Les textes qui en résultent étonnent : nos jeunes se révèlent plus nuancés et critiques qu’on pourrait le croire. Qu’on se le tienne pour dit : il reste de l’espoir, puisque notre jeunesse ne se laisse pas embrigader si aveuglément qu’on pourrait le craindre.

C’est donc avec fierté que je partage avec Le Mouton Noir, pour ses 30 ans bien sonnés, quatre textes des étudiants du programme Arts, lettres et communication, options Médias du cégep de La Pocatière.

Bonne lecture !

Merci à la Fondation du Cégep, à l’Association étudiante, à la coopérative scolaire (Coopsco), au Département de lettres et communication et à la Formation continue d’avoir rendu possible la publication de ce dossier.

Les réseaux sociaux : d’option à obligation

Nelly Leblanc

Instagram, Tiktok et Facebook sont des « plateformes de divertissement », selon la définition. Leur popularité auprès des jeunes a pris de l’ampleur au cours des dernières années et sont de plus en plus incontournables. Sur le marché du travail, elles deviennent nécessaires pour plusieurs entreprises qui n’ont aucun autre moyen de se faire connaître. Ce phénomène de nécessité numérique s’observe-t-il dans d’autres milieux? Absolument. La connexion aux réseaux sociaux est passée également d’optionnelle à primordiale pour… les étudiants que nous sommes.

Du point de vue des entreprises, la visibilité en ligne a commencé comme un simple atout, pour rapidement devenir une manière indispensable de faire des ventes, de générer des profits. Parlons simplement des entreprises qui existent uniquement sur le Web, comme la compagnie québécoise Hoaka Swimwear. La publicité de l’entreprise se fait uniquement par l’entremise des réseaux sociaux à partir de la page de la compagnie, et par les influenceurs avec qui elle fait affaire. Instagram et Facebook ne servent plus seulement à divertir, mais sont devenus le nouveau centre commercial du moment. C’est une bonne option, puisqu’elle ne nécessite pas la location de locaux de boutiques et évite bien évidemment les risques de vol à l’étalage. En revanche, dépendre d’Internet illustre parfaitement l’évolution de sa place dans nos vies de consommateurs. Dans le cas hypothétique où les plateformes populaires disparaissaient, Hoaka ne pourrait plus se faire connaître et les profits descendraient près de zéro.

Si vous avez étudié au cégep il y a vingt ans, vous seriez complètement dépaysés de voir l’importance qu’ont prise les médias sociaux et les changements que ces outils provoquent sur la vie étudiante. Vous croyez que seuls les étudiants utilisent ces nouvelles technologies? Détrompez-vous : les profs aussi, et abondamment. Ils présentent fréquemment des vidéos sur YouTube qui expliquent et illustrent différemment la matière. De plus, plusieurs programmes d’études recourent aux réseaux sociaux pour se faire de la publicité, se donner une visibilité… Quoi de mieux que d’utiliser les applications où tous les jeunes se trouvent? Quant aux responsables de la vie étudiante des cégeps, ils ont compris qu’il est impératif d’exploiter ces plateformes s’ils veulent garder les étudiants actifs dans la vie collégiale.

Au cégep de La Pocatière, s’impliquer dans la vie étudiante signifie être actif sur les réseaux sociaux. Colnet, la plateforme privée officielle du cégep, ne constitue pas une plateforme efficace pour diffuser l’information, les étudiants n’ont donc pas le choix de se tourner vers les réseaux sociaux. Quand on leur demande, la grande majorité avoue ne pas utiliser Colnet, puisqu’il est « difficile à naviguer, ne suit pas la modernité, n’a pas évolué avec la technologie » et n’est tout simplement « pas attrayant pour les jeunes1 ». Ces défauts limitent la transmission de l’information, vu le faible nombre d’étudiants qui aiment l’utiliser.

Pour ma part, ma source principale est le compte Instagram de l’association étudiante du cégep (AGEECLP). Ce compte sert à annoncer les événements à venir, à transmettre les informations importantes liées à l’environnement, à la vie sociale et culturelle de l’établissement comme aux affaires internes et externes du cégep. Sans ces publications, la seule technique efficace pour que je reste informée devient le bouche-à-oreille, une source d’information peu fiable. La page Instagram de l’AGEECLP devient alors nécessaire pour que les étudiants demeurent informés des événements prévus, et pour qu’ils restent branchés sur la vie collégiale. La facilité d’accès à l’information constitue un point très positif des médias numériques, ce qui explique le gain de popularité des médias sociaux, et met aussi en relief les lacunes du système collégial et les solutions trouvées pour y remédier.

Bref, on peut constater que le but premier des réseaux sociaux a évolué avec la demande, autant la demande de visibilité des entreprises que celle de la vie étudiante collégiale. Je ne veux pas dénigrer les plateformes sociales, seulement mettre en évidence que leur importance a complètement basculé… Elles sont carrément passées d’option à obligation aux yeux de leurs utilisateurs.

[1] Selon quatre élèves du cégep désirant garder l’anonymat.

Génération connectée ou isolée?

Antoine Renauld

L’écran est devenu notre miroir. Chaque jour, nous sommes en contact avec lui, parfois distraitement, mais toujours longtemps. Nous sommes la génération du « scroll », des notifications, du « dopamine hit » causé par l’exposition aux écrans. En 2025, parler de l’impact du numérique, c’est questionner un mode de vie devenu aussi naturel que le fait de respirer, mais dont on peine à mesurer les conséquences.

J’ai 18 ans. Je suis né dans le Wi-Fi. J’ai appris à lire sur un iPad. Mes premiers mots de français, Antidote les a corrigés. Aujourd’hui, mon apprentissage passe par des vidéos TikTok, des tutoriels YouTube et des forums Reddit. Le numérique m’offre un accès instantané à une encyclopédie mondiale. Mais à quel prix?

Nous vivons à une époque plus connectée que jamais, mais aussi plus seuls que jamais. Les réseaux sociaux devaient nous rapprocher. Malheureusement, ils ont surtout installé un monde numérique dans lequel chacun joue son propre rôle, scripté à coups de filtres et de montages. En 2023, une étude de Statistique Canada révélait que plus de 60 % des jeunes de 15 à 24 ans se sentent « souvent » ou « très souvent » isolés, malgré leur présence constante en ligne.

Ce n’est pas seulement une question de solitude, c’est aussi une question d’authenticité. Comment rester soi quand l’algorithme nous pousse à devenir quelqu’un d’autre? Quand le succès dépend du nombre de « likes », et non de la qualité des pensées?

Le numérique à l’école

On a cru que les écrans allaient révolutionner l’école. Et c’est vrai : ils ont rendu les ressources plus accessibles, ont permis des cours à distance et ont facilité l’apprentissage. Mais dans les faits, leur usage pose aussi de sérieux problèmes.

L’onglet de la classe en ligne côtoie celui de YouTube, Spotify, Discord. Peut-on réellement se concentrer quand tout un monde de distractions se trouve à un clic?

Des chercheurs de l’Université Laval ont démontré que la capacité d’attention moyenne chez les jeunes a chuté de 30 % entre 2012 et 2022, en grande partie à cause du multitâche numérique. Le cerveau humain n’est pas conçu pour gérer autant de sollicitations à la fois. Le résultat? Une génération informée, mais dissipée. Connectée, mais isolée.

L’information en miettes

Autre effet, la manière dont on consomme l’information. Les médias traditionnels peinent à rivaliser avec le sensationnalisme algorithmique. Pourquoi lire un article de fond quand un mème, une story ou un tweet de 280 caractères prétend tout résumer? Le numérique favorise la rapidité, mais pas la qualité.

La désinformation prospère dans cet environnement. Qui prend encore le temps de vérifier une source? De nuancer un propos? Trop souvent, ce sont les émotions qui guident le partage, et non la raison. On parle de « fake news », mais on est souvent confronté à des vérités déformées, rendues virales parce qu’elles confirment ce qu’on veut croire.

Vers une conscience numérique?

Heureusement, tout n’est pas sombre dans ce tableau. Le numérique peut aussi être un formidable levier de créativité ou d’expression. Des mouvements sociaux sont nés en ligne. Des voix y trouvent enfin un espace pour se faire entendre. Le défi ne se réduit pas à rejeter la technologie, mais est de mieux l’apprivoiser.

Il nous faut développer une éducation numérique, savoir non seulement utiliser les outils, mais comprendre leurs impacts, leurs biais, leurs logiques cachées. Il faut enseigner aux jeunes à ne pas se contenter du statut de simples consommateurs, et les inviter à devenir des citoyens critiques du numérique. Une sorte de cours d’éthique 2.0.

L’humain derrière l’écran

Le numérique a transformé nos vies, nos liens, notre manière de penser. C’est un couteau à double tranchant! Ce sont les usages que nous en faisons qui comptent. Bref, ces usages doivent être réfléchis, régulés et équilibrés.

Je ne veux pas vivre dans un monde où tout passe par un écran. Je veux encore voir des visages entendre des voix, sentir des silences. Je veux que l’humain reste au centre, même dans le pixel.

Alors, connectons-nous. Mais pas seulement à Internet. Connectons-nous vraiment. Entre nous.

Quand le numérique redéfinit nos vies

 Oriane Rocher

            Avant de commencer la lecture, demandez-vous ce qu’est un « nouveau média ». En quelques mots, il s’agit de toutes ces applications sociales qu’on retrouve sur tous les téléphones. Les plus connues sont Facebook, Instagram, Snapchat, X, TikTok, et YouTube. Ces géants sont pour la majorité préinstallés sur les appareils neufs, ce qui rend la reconnexion plus rapide lors d’un changement de téléphone.

            Selon le site officiel des Nations Unies, « les progrès du numérique peuvent favoriser et accélérer la réalisation de chacun des 17 objectifs de développement durable ». Très intéressant, n’est-ce pas? Ce passage constitue l’amorce de leur rapport sur l’impact des technologies numériques. Je pense que vous serez d’accord avec moi : il est vrai que la technologie d’aujourd’hui permet de réaliser très rapidement énormément de tâches autrefois complexes et facilite l’accès à une multitude d’informations. Malheureusement, les réseaux sociaux influencent la façon dont les utilisateurs communiquent et ont un impact désastreux sur la population, entraînant l’isolement plus fréquent des individus.

Les réseaux sociaux sont dangereux et une exposition excessive peut être extrêmement néfaste, surtout pour les jeunes. Le fait d’être « caché » derrière son écran permet à plusieurs internautes de s’exprimer plus librement, mais de manière négative. La haine sur les réseaux sociaux s’est banalisée, les commentaires méchants, voire violents, font de plus en plus partie intégrante de ce décor. Par exemple, l’application TikTok utilise un algorithme qui suggère sans cesse d’autres vidéos en fonction des « likes » octroyés aux vidéos sur lesquelles on reste le plus longtemps et en tenant compte de nos abonnements. Cette application, aussi intéressante que divertissante, regorge de « rage-baiting », une pratique qui consiste à ajouter des commentaires négatifs, blessants, et parfois violents sous la vidéo de quelqu’un, et ce, tout à fait gratuitement. X (anciennement Twitter) en constitue un très bon exemple. On y retrouve aussi énormément de désinformation. D’ailleurs, ce problème est encore plus présent depuis qu’Elon Musk a fait retirer le programme de vérification des faits de sa plateforme, qui permettait aux utilisateurs de savoir si la source de l’information était vérifiée ou non, ce qui engendre un chaos encore plus grand quand on navigue sur cette application.

Autre exemple : pensez à vos grands-parents. Il arrive très souvent qu’ils relaient de fausses publications agrémentées d’un petit message du type « Regarde ce qui se passe en ce moment » ou « C’est dangereux, fais attention ». On les prend comme exemple en excusant leur âge, et le fait qu’ils ne sont pas très familiers avec la technologie mais, étonnamment, le problème de désinformation frappe de plus en plus les nouvelles générations, malgré le fait que la technologie fasse partie de leur vie depuis des années. Une telle désinformation de plus en plus répandue représente un fléau pour notre société, laissant place à un manque de réflexion et à une manipulation facile des utilisateurs. Née avant le boom numérique, je ne fais pas partie de cette génération d’« iPad kids » qui, elle, est née un téléphone à la main. En grandissant, j’ai donc eu la chance de conserver un peu de recul par rapport aux réseaux sociaux.

Retenons que le numérique exerce un impact important sur nos vies. D’un point de vue positif, l’ère du numérique aura permis, pendant la crise de la Covid-19, de mettre en place le télétravail et les cours à distance. Certains ont pu continuer de travailler et les étudiants ont pu ne pas prendre trop de retard. De plus, le numérique accroît l’accessibilité à une vaste gamme de connaissances et a permis des avancées en médecine et en recherche. Qui, aujourd’hui, ne supplie pas Google de lui dire quelle maladie il a attrapée selon ses symptômes? Et pourtant, on sait tous qu’il ne faut pas se fier au résultat « cancer des poumons » lorsqu’on décrit un rhume. Qui ne demande pas non plus à Google des petites images sympathiques pour les publier sur les réseaux sociaux? Moi la première, pour partager des mèmes à mes amis.

Malgré tout, le numérique et les nouveaux médias entraînent une solitude de plus en plus importante, notamment chez les plus jeunes. Regardez autour de vous : il est de plus en plus fréquent de voir un groupe d’ados tous penchés sur leur téléphone alors qu’ils pourraient discuter ensemble. De plus, une exposition aux écrans trop tôt dans l’enfance et à une trop grande fréquence retarde, dans certains cas, le développement de la parole, diminue la créativité et affecte la sociabilité.

Le numérique permet énormément, il ne faut pas le réduire à ses conséquences négatives. Le plus important est de l’utiliser à bon escient, de manière responsable et respectueuse afin de limiter ses effets négatifs.

L’invasion numérique dans les écoles

Charlie Ai-Ma Morin

Fin 2023, une nouvelle loi québécoise entrait en vigueur dans les établissements publics d’enseignement de niveau primaire et secondaire. Son but : bannir les téléphones cellulaires des classes. Alors que le gouvernement s’apprête à faire un pas de plus pour interdire les cellulaires non plus seulement dans les classes, mais dans les écoles, on peut se demander si la première loi a réellement changé quelque chose?

Déjà, un premier paradoxe : les institutions privées étaient exemptées de cette réglementation. Un bon exemple est le Collège de Saint-Anne-de-la-Pocatière. L’endroit offre une éducation de qualité à ses élèves. Cependant, il y a une faille de taille : les iPad. J’y ai étudié, je sais de quoi je parle.

Guide pratique de l’utilisation d’un iPad

La veille de la rentrée, nous recevions tous ce nouveau joujou. Peu de temps après, nous étions tous devenus des as dans l’art de manier la tablette numérique. Outil électronique grandement apprécié par certains professeurs, ou tout le contraire chez d’autres, l’iPad est rarement bien loin. Dictionnaire, Antidote, moteur de recherche Google, tableau de statistiques dans le logiciel Excel ou bien encore l’horaire  : tout est là. On voit souvent des étudiants porter des écouteurs sans fil, utiliser un Apple Pencil et pitonner sur un iPhone nouvelle génération. Cependant, le collège doit régir strictement l’utilisation des écrans qu’il confie à ses adolescents. Accès guidés lors d’examens importants, restrictions à distance de toutes les applications jugées non pertinentes et note au dossier si jamais l’un d’eux tente de déjouer le système.

Bien qu’interdit d’usage en classe, le téléphone, quant à lui, reste toujours proche : une notification en trop, une alarme de réveille-matin qui sonne en pleine évaluation ou une vidéo qui repart dès qu’un élève essaye d’ouvrir discrètement ce qu’on pourrait affectueusement surnommer sa « deuxième moitié ». Voilà des situations courantes.

Bienvenue dans la cour des grands

Après cinq années de secondaire où l’on s’est vu interdit d’accès aux écrans sans permission, nous voilà au cégep. Ici, tout est autorisé sauf, officiellement, en classe. Cellulaire, ordinateur, montre intelligente et toutes les autres petites bébelles électroniques sont souvent tolérées. Plus aucune nécessité de se cacher! Entretenir son fameux score Snap1, ne pas manquer son BeReal ou voir le nouveau Reel de mon idole sur Instagram s’avèrent des pratiques possibles en classe. Plus besoin de se cacher sous notre bureau pour texter sa best. Désormais, c’est la cour des grands au collégial. Si vous ne comprenez rien à votre cours de philosophie parce que vous voudriez être ailleurs et que vous préférez chatter sur Discord, libre à vous. Cependant, assumez vos erreurs. Vous n’êtes plus tenus par la main comme avec les professeurs du secondaire. Plusieurs de mes confrères choisissent encore la voie de la lumière bleue. Pas grave, c’est leur faute s’ils ne passent pas le prochain examen.

Juste équilibre

J’ai ici décrit deux univers complètement différents dans lesquels nous devons évoluer et trouver un certain équilibre de vie. Les cégeps, comme les écoles secondaires, sont déjà envahis par les écrans et la technologie : les projecteurs BenQ, les laboratoires informatiques, les puces électroniques pour déverrouiller les portes et activer les photocopieurs, les télévisions, les tableaux tactiles, les haut-parleurs ou encore les interphones. Utile dans la vie de tous les jours, la technologie peut grandement aider l’enseignement. Les téléphones, quant à eux, se situent dans une zone grise. Je ne dis pas que la nouvelle loi de la CAQ constitue une mauvaise idée, mais peut-être qu’il aurait fallu l’étendre, ou tout simplement ne pas l’appliquer. Je l’affirme parce que tôt ou tard, les élèves se verront libérés de l’emprise de cette nouvelle règle. Au cégep, le jeune adulte retrouve avec joie tout ce qu’on lui a interdit pendant une grande période de ses études, et peut jouer autant qu’il veut avec ses bijoux technologiques. Trouver un compromis ne serait-il pas une bonne chose, Monsieur Legault ?

1. Le score Snap est ce qui indique depuis combien de jours consécutifs deux personnes échangent des photos.

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  • Des témoignages pour nos 30 ans!
    Plus vivant que le loup… Yvan Noé Girouard Directeur général de l’Association des médias écrits communautaires du Québec 1995, un nouveau journal fait une demande d’adhésion à l’Association des médias écrits communautaires du Québec (AMECQ). Un journal bizarre qui sort de l’ordinaire avec un slogan intriguant, « … plus mordant que le loup », et son format à l’ancienne mode des journaux imprimés. Qui aurait dit que ce journal allait un jour fêter son 30e anniversaire d’existence. Un j
     

Des témoignages pour nos 30 ans!

6 août 2025 à 10:18

Plus vivant que le loup…

Yvan Noé Girouard

Directeur général de l’Association des médias écrits communautaires du Québec

1995, un nouveau journal fait une demande d’adhésion à l’Association des médias écrits communautaires du Québec (AMECQ). Un journal bizarre qui sort de l’ordinaire avec un slogan intriguant, « … plus mordant que le loup », et son format à l’ancienne mode des journaux imprimés. Qui aurait dit que ce journal allait un jour fêter son 30e anniversaire d’existence.

Un journal d’opinion, un journal engagé qui défend des idées qui ne sont pas publiées dans les médias traditionnels. Un journal à contre-courant. Bien que ce journal émette des opinions qui transgressent les régions, ce que j’apprécie le plus des textes que l’on retrouve dans Le Mouton Noir, c’est lorsqu’on me parle des problématiques propres à la région du Bas-Saint-Laurent et des solutions présentées. J’aime aussi qu’on me fasse découvrir les arts et la culture de la région de Rimouski.

Pas facile pour un tel journal de faire sa niche. Pourtant Le Mouton a réussi. En 2025, plusieurs journaux sont à la croisée des chemins. Plusieurs embûches se dressent devant eux : le coût des envois postaux, la hausse du coût du papier et des tarifs d’impression, les coûts exagérés liés à la collecte sélective d’Éco Entreprises Québec (la taxe du bac bleu), la mission d’examen obligatoire pour les journaux recevant une subvention supérieure à 25 000 $, l’adaptation numérique, la publicité gouvernementale qui n’est pas au rendez-vous, etc.

Bientôt, les journaux n’auront peut-être plus le choix, il va leur falloir se réorganiser ou bien fermer. Je souhaite au Mouton Noir un minimum d’au moins 30 autres années de vie à mordre dans l’actualité!

Le Mouton Noir : tenir bon, encore et toujours

Marie-Pier Lacombe, Présidente, Le Mouton Noir

Depuis bientôt 30 ans, Le Mouton Noir traverse vents et marées. Et malgré tout, il est toujours là, fidèle au poste, distribué gratuitement dans l’Est-du-Québec, porté par une voix indépendante, curieuse, critique et humaine. Dans un monde médiatique en constant bouleversement, à une époque où les mots coûtent cher et où l’attention est une denrée rare. Le fait que notre petite équipe arrive encore à publier un journal n’est pas un mince exploit.

Comment y arrive-t-on?

Par miracle? Non. Par passion, par débrouillardise et par solidarité. Publier Le Mouton Noir aujourd’hui, c’est faire preuve d’une rigueur artisanale : trouver des sujets qui comptent, coordonner des bénévoles motivés, planifier la production, boucler des mises en page jusqu’à tard le soir. C’est aussi composer avec une précarité constante : un financement limité, des imprévus budgétaires, des frais d’impression qui augmentent, des revenus publicitaires qui stagnent ou chutent.

Et pourtant, l’équipe ne lâche pas. Mieux : elle innove, elle rallie, elle s’ancre toujours plus dans sa communauté. Parce que Le Mouton Noir, c’est bien plus qu’un journal — c’est un projet de société, un espace de parole, un laboratoire d’idées. Un média qui appartient à tout le monde et à personne à la fois, enraciné dans un territoire, porté par des convictions, habité par une certaine idée de la liberté.

Nos piliers invisibles

Derrière chaque numéro, il y a des dizaines de personnes qui donnent du temps, de l’énergie, du cœur. Les bénévoles sont la colonne vertébrale du journal. Sans elles et eux, il n’y aurait pas de distribution, pas de correction de textes, pas de comités, pas de soutien moral dans les moments plus durs. Le conseil d’administration, lui aussi bénévole, veille au grain, garde le cap, pose les bonnes questions, prend des décisions difficiles.

Être bénévole au Mouton Noir, c’est croire qu’un média indépendant a encore sa place. C’est faire preuve d’une foi immense dans la force des idées, dans l’intelligence collective et dans l’importance de penser autrement.

Une bonne tape dans le dos (et peut-être un coup de main)

Il faut le dire : tenir un journal comme Le Mouton Noir, aujourd’hui, c’est un exploit. Et cet exploit mérite d’être célébré. Alors à toutes celles et à tous ceux qui font vivre ce projet : bravo. À celles et ceux qui nous lisent, nous soutiennent, nous partagent : merci.

Mais pour continuer, il nous faut plus qu’un bravo. Il nous faut du soutien concret. Il nous faut des dons, des abonnements, des commanditaires, des idées, des bras, des voix. Il nous faut une communauté qui croit, encore et toujours, qu’un autre journalisme est possible.

Le Mouton Noir, c’est nous toutes et tous. C’est vous. Continuons de l’écrire ensemble.

La laine des moutons

c’est nous qui la tondaine

Pierre Landry, Rivière-du-Loup

En 2005, à la faveur du dixième anniversaire du Mouton Noir, je faisais paraître aux Éditions Trois-Pistoles un « essai anthologique » où je relatais les épisodes les plus marquants de l’histoire du journal à ce jour, de même que j’y reproduisais une sélection d’articles parus pendant cette période. Le Mouton avait dix ans, déjà un miracle! Et pendant cette première décennie, cet agneau, gringalet à ses tout débuts, avait constamment pris du poil de la bête. Sans compter tous ces scripteurs et autres correspondants plus ou moins connus, il est éloquent de lire du nombre des personnes qui ont fait paraître au moins un texte dans les pages du journal les noms de Richard Desjardins, Victor-Lévy Beaulieu, Claude Laroche, Jean-Claude Germain, Hugo Latulippe, Roméo Bouchard, Colombe St-Pierre, Maxime Catellier. Pas que le journal soit élitiste, mais disons que la présence de ces signatures a de quoi flatter l’ego de ceux et celles qui en sont à l’origine et démontre la pertinence et la notoriété de la publication.

Le journal avait déjà cinq ans quand le hasard de la vie m’a mené à m’approcher de la bergerie. C’était une période charnière. Après les premières années de défi et de fierté, le fondateur, Jacques Bérubé, en avait un peu ras le bol du stress engendré à la fois par la production du journal et à la fois par les contraintes financières. D’autre part, après tant d’années de travail et de succès, allait-il devoir sacrifier ce beau bébé prisé par tant de gens et qui remplissait un rôle de premier plan au cœur d’un désert journalistique où l’opinion était défavorisée? C’est déjà un fait d’armes que de mettre au monde une créature de cette nature, mais en assurer la pérennité, comme Jacques l’a fait, relève d’un véritable exploit.

Les commandes du journal sont passées des Éditions Dubout-Duquai aux Éditions du Berger blanc, délaissant ainsi le giron de ses fondateurs pour atterrir en de toutes nouvelles mains, pleines de bonne volonté mais un peu déroutées quant à la complexité de la tâche qui les attendait. Budget famélique, structures légale, administrative et financière à mettre sur pied, personnel à recruter, en l’occurrence avant tout un rédacteur en chef – mais combien et comment le payer? comment lui assurer un environnement de travail décent? qui s’occupera de la vente de la pub, entrée de fonds d’une importance capitale? Période transitoire, difficile, cahoteuse où deux rédacs chef, Marc Fraser puis Michel Vézina, se succéderont, votre serviteur assurant l’intérim au moment où plus personne ne tient la barre. C’est finalement Sandra Fillion qui prendra la relève et, à partir de sa prise en charge, la course au relais continuera, d’un mandat à l’autre. Le frêle esquif poursuivra sa route, traversant les tempêtes, affrontant les intempéries, mais avec toujours, au bout de la semaine, au bout du mois, au bout du trimestre, un autre petit ovin tout chaud sorti pour porter dans son lainage la parole, les interrogations ou l’indignation de quiconque se sera donné la peine de prendre la plume et d’étoffer sa pensée.

J’avoue que je m’ennuie parfois de cette époque où Le Mouton avait pignon sur rue sur la Saint-Germain, où on pouvait arrêter piquer une jase avec le rédac chef, discuter des enjeux du moment. Cette période où le journal était fleuri de caricatures, où certaines plumes « régulières » jouaient davantage de l’ironie et du sarcasme, où les « correspondants en région » s’affichaient à chaque numéro dans les pages centrales baptisées Le pré, où le journal attestait d’une présence éditoriale plus soutenue. Mais ne boudons pas notre plaisir. À une époque où publier un journal sur papier constitue déjà un exploit, où les médias communautaires et les autres joueurs de « l’industrie » pâtissent de l’omniprésence et de l’outrecuidance des GAFAM de ce monde qui squattent les revenus publicitaires et où les gouvernements brillent par une absence presque totale, considérons avant tout le trésor que nous avons entre les mains. À la manière de Jacques Bérubé et des fondateurs, faisons tout en notre possible pour nous assurer que Le Mouton demeure et prospère, et qu’il se montre toujours plus mordant que le loup, ses dents acérées étant impérieusement nécessaires en ces temps troubles où le fascisme est en train de prendre racine chez nos voisins du sud.

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  • Le fleuve Saint-Laurent : trente ans plus tard
    En trente ans, le Saint-Laurent a changé. Pas toujours pour le pire, mais rarement pour le mieux sans y être poussé. Le fleuve que l’on disait grand, nourricier, indomptable est devenu fragile à force d’usure. Et pendant que ses eaux poursuivent leur course vers l’Atlantique, les enjeux qui l’assaillent, eux, s’accumulent. Au milieu des années 1990, le grand souci, c’était la pollution chimique. Des contaminants bien connus — BPC, mercure, plomb — s’invitaient dans les tissus des poissons, de
     

Le fleuve Saint-Laurent : trente ans plus tard

4 août 2025 à 15:25

En trente ans, le Saint-Laurent a changé. Pas toujours pour le pire, mais rarement pour le mieux sans y être poussé. Le fleuve que l’on disait grand, nourricier, indomptable est devenu fragile à force d’usure. Et pendant que ses eaux poursuivent leur course vers l’Atlantique, les enjeux qui l’assaillent, eux, s’accumulent.

Au milieu des années 1990, le grand souci, c’était la pollution chimique. Des contaminants bien connus — BPC, mercure, plomb — s’invitaient dans les tissus des poissons, des oiseaux, des mammifères marins. On surveillait les bélugas comme des indicateurs vivants d’un écosystème intoxiqué. On espérait que la réglementation finirait par inverser la tendance. Et, en partie, elle l’a fait. Les concentrations ont diminué. Mais pendant qu’on applaudissait ces reculs toxiques, d’autres polluants, plus discrets mais tout aussi persistants, prenaient leur place : microplastiques, perturbateurs endocriniens, résidus pharmaceutiques. Invisibles à l’œil nu, omniprésents au microscope.

Le Saint-Laurent, en 1995, était déjà fatigué. Mais il n’était pas encore essoufflé. C’est le climat qui allait accélérer les choses. Car depuis, les eaux se sont réchauffées. Lentement, mais sûrement. D’un à deux degrés Celsius selon les zones, ce qui suffit à bousculer tout un réseau trophique. Le krill comme la crevette nordique se font rares dans l’estuaire. Le homard migre. Le saumon décline. Et pendant que la faune cherche refuge, le niveau de la mer monte, les berges s’érodent, les glaces hivernales se font capricieuses. Les municipalités, elles, cherchent encore la bonne combinaison entre enrochements et prières.

Au fil des ans, j’ai eu le privilège de contribuer, à l’occasion, aux pages du Mouton, pour parler de ce Fleuve auquel nous devons tant. Trente ans après les premiers constats alarmants, l’essentiel demeure : comprendre le Saint-Laurent exige de voir au-delà de la surface, d’embrasser toute sa complexité vivante.

Car la biodiversité du Fleuve n’est plus la même qu’il y a trente ans. L’effondrement de la morue dans les années 1990 a laissé un vide que la crevette nordique avait comblé un temps, jusqu’à ce qu’à son tour elle décline sous la pression du réchauffement et de la surpêche. Aujourd’hui, c’est le sébaste — ce survivant d’une autre époque — qui revient occuper l’espace. Chaque espèce qui recule ou réapparaît raconte, à sa façon, une histoire d’adaptation forcée, de rupture des équilibres.

Bien sûr, tout n’est pas sombre. Des gains ont été réalisés. La mise en place d’aires marines protégées a permis de stabiliser certains habitats sensibles. Des efforts de restauration, notamment dans les zones humides et les herbiers, ont porté fruit. L’idée même de coexistence entre usages humains et écosystèmes n’est plus marginale. Elle s’impose. Lentement, mais elle s’impose.

La science a aussi changé. Elle est plus accessible, plus interdisciplinaire, plus enracinée dans les territoires. Les savoirs autochtones commencent enfin à être pris au sérieux — pas comme anecdotes folkloriques, mais comme corpus de connaissances complémentaires. Et les jeunes scientifiques, aujourd’hui, arrivent armés de drones, de capteurs et d’une conscience écologique qui dépasse les silos.

Malgré cela, le Saint-Laurent reste une promesse incertaine. Un système immense, complexe, vulnérable. Sa biodiversité n’est pas stable. Ses écosystèmes ne sont pas résilients par magie. Et sa santé ne se mesure pas à coups de photos Instagram de baleines à bosse.

Depuis plusieurs années, je parle beaucoup de « léguer un fleuve en santé » quand on me demande mon avis sur le Fleuve. C’est noble, bien sûr. Mais cela suppose qu’on en hérite, qu’on en prend soin, et qu’on le transmet. Or, on agit encore trop souvent comme s’il s’agissait d’un bien jetable, renouvelable à volonté. L’exploitation industrielle, la navigation, l’urbanisation : tout s’accumule. Et le Fleuve, lui, absorbe. Jusqu’à quel point?

Trente ans après, les grandes menaces ne sont plus seulement chimiques ou visibles. Elles sont systémiques. Le Saint-Laurent ne meurt pas d’un coup. Il s’érode, se transforme, se dérègle. Et l’enjeu n’est plus seulement de le « sauver », mais de réapprendre à vivre avec lui. En fonction de lui. Pas contre.

Il reste des raisons d’espérer. Elles ne tiennent pas à des miracles technologiques, mais à la volonté collective. Des communautés riveraines qui refusent le statu quo. Des pêcheurs qui adaptent leurs engins. Des scientifiques qui traduisent leur savoir. Des enfants qui ramassent des déchets sans que personne ne les y oblige.

C’est peut-être là, le vrai basculement des trente dernières années : dans la lente, mais réelle montée d’une écologie de responsabilité. Pas parfaite. Pas suffisante. Mais tenace.

Et si l’on doit, un jour, dresser le bilan de notre passage collectif, peut-être que la seule vraie question sera celle-ci : avons-nous été dignes du Fleuve?

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  • Le premier rédacteur se raconte
    Cinq ans après le lancement du premier Mouton NOIR — je n’abandonne pas les majuscules de sa couleur — j’étais appelé à raconter l’histoire de sa naissance. On me l’a probablement aussi demandé à ses 10 ans et à ses 20 ans. Peut-être. Sans doute. Bref, la revoici. Profitez-en pendant que je m’en rappelle… On est en 1993 ou 1994. Comme d’habitude, le dossier de la salle de spectacle anime les débats aux assemblées publiques du conseil municipal de Rimouski. Après une soirée où les esprits se s
     

Le premier rédacteur se raconte

30 juillet 2025 à 09:38

Cinq ans après le lancement du premier Mouton NOIR — je n’abandonne pas les majuscules de sa couleur — j’étais appelé à raconter l’histoire de sa naissance. On me l’a probablement aussi demandé à ses 10 ans et à ses 20 ans. Peut-être. Sans doute. Bref, la revoici. Profitez-en pendant que je m’en rappelle…

On est en 1993 ou 1994. Comme d’habitude, le dossier de la salle de spectacle anime les débats aux assemblées publiques du conseil municipal de Rimouski. Après une soirée où les esprits se sont particulièrement échauffés, j’écris une fable où des membres du conseil municipal et certaines personnes présentes dans la salle sont transformés en animaux; le maire est le loup, le conseiller municipal le plus grognon devient le blaireau, le conseiller-piéton Joël Simonnet, qui serait bientôt la mascotte de ma chronique Le Stylo sauvage, est la belette à cigare. Et ainsi de suite. Je propose cette fable, « Dans la grande forêt de Rimouski », au journal hebdomadaire Le Rimouskois, alors indépendant, qui la publie en « Libre opinion ». Les réactions, nombreuses et toutes positives, s’enchaînent. L’animateur de l’émission matinale de Radio-Canada, Daniel Mathieu, la lit même en ondes.

Plusieurs mois plus tard, probablement dans les mêmes circonstances, j’écris la suite de cette fable, qui avait animé l’espace public, et je la propose à nouveau au Rimouskois, convaincu qu’ils seraient contents de la publier. Mais entre-temps, le journal était passé aux mains du groupe de presse Bellavance et, autre temps, autres mœurs, la politique éditoriale avait changé de façon drastique. L’éditeur, Jean-Claude Leclerc, regarde le texte sans vraiment le lire. « C’est bien trop long — une page et demie! —, je demande des textes de deux à trois paragraphes à mes journalistes », me dit-il. « Méchants dossiers de fond », me dis-je alors à moi-même…

En sortant du journal, déçu, amer, je me dis, en boutade : « Je vais en partir un journal, il ne pourra pas refuser mes textes. » Arrivé chez moi, je lance ça à ma blonde. « Quelle bonne idée », s’exclame-t-elle. Oh! ça, c’est un signal! Une telle réaction de la part de celle qui est habituée à mes réactions et idées spontanées, qui souvent ne vont nulle part, ça veut peut-être dire que cette fois, il y a un vrai projet.

Le soir même, on a des amis invités à souper. « Mon chum veut partir un journal », lance alors la blonde, Fernande Forest, qui, incidemment, trouverait quelques jours plus tard le nom dudit journal. « Quoi? J’embarque, je vais vendre la publicité et faire les relations publiques », dit alors la belle Pascale. Ben là, voyons… qu’est-ce que vous me dites là, êtes-vous sérieux, on part-tu vraiment un journal? Le lendemain, appels téléphoniques à Denis Leblond, à Eudore Belzile — qui dit : « Je n’ai pas le temps, mais j’embarque! » Et voilà, la mèche était allumée.

Six mois plus tard, à la fin mars 1995, Le Mouton NOIR Plus mordant que le loup était lancé au bar Le Cactus devant 300 personnes, dont le maire de Rimouski, Michel Tremblay, qui avait été élu quelques mois plus tôt — il n’était pas le loup de la fable. Et l’idéateur que je fus se retrouva dès lors catapulté « directeur de la rédaction et camelot », puisque je m’occupais, avec un plaisir manifeste, je précise, de la distribution du journal dans les cafés, bars, commerces, bibliothèques et autres lieux susceptibles de recevoir les lecteurs et lectrices de ce singulier nouveau journal.

Le reste de l’histoire, la suite, ce sont les lecteurs qui l’ont construite. Trois ou quatre jours après le lancement— annoncé de façon un peu mystérieuse, avec de petites affiches placées un peu partout en ville, montrant un mouton noir au sourire narquois, dessiné par Alain Huot, qui disait J’arrive! — voilà que Le Devoir y consacre la une de son cahier « Régions ». Il n’en fallait pas plus pour que les demandes d’abonnement et les offres de collaboration fusent de partout au Québec.

Après cinq ans, les artisans du Mouton étaient surpris qu’il soit toujours là. Et ça fait maintenant 30 ans! Et on me demande si le journal a encore sa raison d’être, avec tous les changements survenus dans les domaines de l’information — concentration de la presse et consanguinité télévision-journaux, réseaux sociaux, influenceurs — pouah ahahaha! Sans hésiter, je réponds OUI.

Cela dit, j’affirme que Le Mouton NOIR pourrait — et devrait — être bien plus présent dans son milieu et jouer un rôle plus actif dans des dossiers de proximité comme la préservation du patrimoine bâti, la protection d’espaces naturels comme la forêt de Pointe-au-Père, les coupures de services en santé dans la région, pour ne nommer que ceux-là. Refaire du journal un outil que la population s’approprie pour véhiculer ses idées et ses positions dans des dossiers locaux et régionaux qui nous touchent au quotidien.

Les vieux moutons noirs que nous étions ont activement contribué à faire débloquer le projet de salle de spectacle à Rimouski, qui taponnait depuis 20 ans. Nous avons aussi contrecarré un inconcevable projet de développement immobilier sur la crête de la Pointe-aux-Anglais, au Bic. Oui, Le Mouton NOIR a encore et toujours sa raison d’être. Je lance un bêlement défiant à la relève : étonnez-nous! indignez-vous! dénoncez! construisez! Et comme je l’écrivais à la une du tout premier numéro, en mars 1995 : Amenez au pré de quoi nourrir un Mouton NOIR plus mordant que le loup!

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