La bataille des régions périphériques, en réponse à l’infâme Plan d’aménagement du Bureau d’Aménagement de l’Est du Québec (BAEQ-1968) qui voulait ni plus ni moins les réduire au rôle de sous-traitantes des grands centres urbains (régions-ressources), a laissé sa marque abondamment dans les chroniques du Mouton Noir.
On en parle moins depuis quelque temps. Sans doute parce que les populations des régions en décroissance se sont un peu stabilisées, grâce entre autres à une migration importante de jeunes urbains en région; mais surtout, je le soupçonne, parce qu’on est las de se buter au mur d’un gouvernement central jaloux de son pouvoir. Nous assistons, en réalité, depuis quelques années, à une lente capitulation des régions, ce qui est un drame national.
Lente capitulation
Au cours des 50 dernières années, on a vu défiler en région,
– du côté citoyen, les Opérations Dignité (manifeste des 19 curés en colère-1970), le JAL (1972), la Coalition urgence rurale (1989), le Rassemblementgaspésien et madelinot (1991), les États généraux du monde rural (1991), des opérations similaires en Abitibi et au Saguenay–Lac-Saint-Jean, des tentatives multiples de développement local dans les villages en décroissance, Solidarité rurale (1992), les rendez-vous Rebâtir les campagnes (1996) et Sauver les campagnes (1998), l’Union paysanne (2001), la Coalition pour un Québec des régions (2006), etc.
– et du côté gouvernemental, la création de 12, puis de 17 régions administratives (1966), l’Office de planification et de développement du Québec (OPDQ-1967), les conseils régionaux de développement (CRD-1974) et les conférences administratives régionales (CAR-1974) , la création de la Commission de protection du territoire agricole (PTAQ-1978) et des MRC (1979), un Secrétariat des régions (1992), un ministère des Régions (1997), des dizaines de politiques de développement régional, la Politique de la ruralité (2001), un sommet des régions (2003), les Conférences régionales des Élus (CRÉ, créées en 2003 et abolies en 2017), la commission Coulombe sur la forêt (2004) et la commission Pronovost sur l’agriculture (2008) : des politiques et structures à peu près toutes disparues ou oubliées.
Au terme de ce dialogue de sourds qui dure depuis plus de 50 ans entre les régions périphériques et le gouvernement du Québec, rien n’a été gagné. Les initiatives gouvernementales n’ont jamais dépassé une certaine déconcentration administrative. Les régions ne sont toujours pas des entités politiques, dotées d’un président ou même d’un gouvernement élu. Même les organismes de concertation régionale, comme les CRÉ, qui permettaient une certaine planification des infrastructures régionales de développement des ressources et des services régionaux, ont été abolis. Le sort réservé aux municipalités, de plus en plus sollicitées, est navrant. La centralisation et la bureaucratisation des décisions et de la gestion des ressources et des services à Québec sont plus que jamais scandaleuses.
L’idée même de développement régional n’existe plus : celui-ci se réduit, d’une part, à des grands projets privés parachutés en région avec plus ou moins de succès et de dégâts (les parcs éoliens, la cimenterie de Port-Daniel, les mines d’or en Abitibi et d’acier sur la Côte-Nord, les projets heureusement bloqués d’oléoducs et de ports méthaniers, les alumineries au Saguenay, les projets hydroélectriques sur la Côte-Nord) et, d’autre part, à des petits programmes à la semaine et sans lendemains structurants dans les MRC pour aider les organismes communautaires et certaines PME. Certains villages ici et là tirent leur épingle du jeu, grâce souvent à quelques néo-ruraux visionnaires. Le réseau des cégeps et des filiales de l’Université du Québec demeure peut-être la seule colonne vertébrale d’une certaine vitalité et identité régionale.
La plupart des défenseurs des régions, notamment les universitaires du réseau de l’Université du Québec, ont disparu ou se sont tus : Bernard Vachon à Montréal, Mario Carrier et les frères Guy à Rouyn-Noranda; Bruno Jean, Clermont Dugas, Hugo Dionne, Gilles Roy, Victor-Lévy Beaulieu au Bas-Saint-Laurent; Louis Favreau en Outaouais; Marc-Urbain Proulx, Charles Côté, Denis Trottier au Saguenay–Lac-Saint-Jean; Paul-Louis Martin en Mauricie; Jacques Proulx en Estrie. Et où est la relève?
Culture de dépendance
Quant aux élus locaux et intervenants régionaux, ils ont capitulé et se sont installés dans une sorte de culture de dépendance. Ils se consolent avec le succès touristique de leur coin de pays, la créativité de leurs organismes communautaires, leur réseau de PME et l’éclosion de jeunes agriculteurs de proximité, appréciés mais marginalisés par les politiques agricoles défendues par l’UPA et le ministère de l’Agriculture.
À part leur succès touristique et migratoire, nos régions périphériques sont bel et bien redevenues des régions-ressources, fournisseuses de richesses naturelles (forêt, minerais, énergie, agriculture, érable, pêche, sites naturels) et de main-d’œuvre, des sous-traitantes des métropoles et de la grande entreprise.
Démocratie territoriale
On attend toujours des politiques d’aménagement du territoire, de gestion de la forêt, de l’énergie, de l’agriculture, des municipalités qui fassent place à une véritable décentralisation et à une démocratie territoriale, voire à ce que certains appellent le concept des biorégions, c’est-à-dire de régions-territoires comme milieu naturel de vie et d’organisation sociale, économique et politique, comme base d’une démocratie citoyenne.
L’autonomie régionale et locale devrait en effet faire partie d’un plan pour réinventer notre démocratie, minée par les partis politiques et l’échec de notre État-providence, et permettre une prise en charge collective de notre écosystème en péril.
Pour faire des régions ce lieu de prise en charge collective, incluant les communautés autochtones présentes sur le territoire, il va de soi qu’il faudrait revoir le découpage des territoires régionaux en fonction du concept de biorégion et d’une démocratie de type communautaire et consensuelle, à l’exemple de celle du gouvernement du Nunavik (Makivvik), plutôt que déléguée à des partis qui usurpent la représentation et la délibération des citoyens.
Mais c’est une autre histoire…