Oui pour les Kings, non pour la traverse

Alors que la traverse Rimouski–Forestville est à l’arrêt depuis maintenant trois ans, un nouvel espoir s’est récemment présenté. Un projet concret de relance est sur la table, avec un retour potentiel des opérations dès 2026.
Par Carol-Ann Kack
Un bateau a été identifié, les études sont faites, les appuis sont là… mais le gouvernement du Québec refuse d’y injecter les 9 M$ nécessaires pour concrétiser l’achat du navire. Le projet fait consensus. C’est assez rare pour être souligné.
La conférence de presse organisée le 16 juin dernier, pour dévoiler les plans de l’entrepreneur Louis-Olivier Carré, a rassemblé plus d’une centaine d’élus, de gens d’affaires et d’acteurs touristiques, dont le maire de Rimouski, Guy Caron et la mairesse de Forestville, Micheline Anctil. Une mobilisation régionale sans équivoque.

La population, elle aussi, est enthousiaste. Qu’on parle de tourisme, de travail, de loisirs ou simplement de mobilité interrives, personne ne remet en question la pertinence du projet.
Les plus récentes évaluations démontrent même qu’un navire plus imposant que celui utilisé auparavant est nécessaire. Après plus de deux ans de travail et un investissement de 100 000 $, les Industries Rilec ont identifié un traversier construit en 2024, capable d’accueillir 90 véhicules, 300 passagers et 14 camions-remorques.
Un bond qualitatif majeur par rapport à l’ancien modèle. L’affaire semble bien ficelée. Mais l’entreprise prévient qu’elle dispose de quelques semaines pour finaliser l’achat du navire. Sinon, la fenêtre se refermera et la relance de la traverse s’évanouira, une fois de plus.
Or, le projet de relance ne pourra pas se concrétiser dans ces délais, selon la députée-ministre Maïté Blanchette Vézina. « En un mois, on ne donne pas 7 ou 9 M$ », indique-t-elle en entrevue avec Le Soir. Elle rappelle qu’un organisme à but non lucratif (OBNL) avait été créé à l’époque pour la relance de la traverse.
Ce même gouvernement a versé plus de 7 M$ en fonds publics pour accueillir deux matchs préparatoires des Kings de Los Angeles à Québec, sans aucune portée structurante pour les régions. Il finance à coups de millions des entreprises privées comme Glencore ou Northvolt, au nom du développement économique. Il a perdu près de 500 M$ dans le scandale SAAQclic.
Mais lorsqu’il est question de soutenir une liaison de transport cruciale pour la Côte-Nord et le Bas-Saint-Laurent, soudainement, les coffres se ferment ?
Et maintenant, on apprend que le gouvernement refuse de soutenir l’achat du traversier sous prétexte qu’il ne peut pas financer l’achat d’un navire pour un opérateur privé. Voilà une justification pour le moins hypocrite. Il est temps d’arrêter de parler des deux côtés de la bouche.
Si le Québec est capable de financer le spectacle, il doit aussi être capable de financer le service. Ce n’est pas un luxe, c’est une question d’équité territoriale et de cohérence gouvernementale.
Parent pauvre de l’État
Soyons francs. Je ne suis pas la plus grande partisane du financement du privé par l’État. Mais en matière de transport collectif ou interurbain, surtout en région, certaines infrastructures devraient relever du service public. Depuis plus de quinze ans, les services de mobilité dans l’Est-du-Québec sont en constante régression avec les suppressions de trajets, les réductions de fréquence et les interruptions prolongées.
La faible densité démographique rend les modèles privés difficilement viables, mais cela ne devrait pas servir d’excuse pour abandonner les citoyens à leur sort.
Les exemples ne manquent pas. Via Rail a suspendu son service vers la Gaspésie en 2013. Air Canada a retiré Gaspé de ses destinations en 2020. Québec a dû renflouer Keolis (Orléans Express), qui a tout de même réduit ses dessertes.
Du côté maritime, ce n’est guère mieux. Le traversier l’Héritage entre Trois-Pistoles et Les Escoumins n’a survécu qu’à force de mobilisation citoyenne. Celui de Matane–Baie-Comeau–Godbout a multiplié les pannes et interruptions. Cette précarité chronique du transport régional est inacceptable.
Étude… puis l’oubli
En 2021, une étude commandée par le gouvernement du Québec et la Société des traversiers du Québec (STQ) concluait à la pertinence d’intégrer les deux traverses privées de Rimouski–Forestville et Trois-Pistoles-Les Escoumins dans le giron public. Les liaisons entre la Gaspésie, la Côte-Nord, Charlevoix et le Bas-Saint-Laurent y étaient jugées stratégiques.
Or, à la lumière des décisions actuelles, force est de constater que ce rapport a été rangé sur une tablette poussiéreuse… et oublié.