Je ne feindrai pas la surprise. En publiant une recherche se penchant sur le modèle de développement éolien des dernières années auprès de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS)[1], j’anticipais déjà la réponse de l’Alliance de l’énergie de l’Est (Alliance), un promoteur éolien bien établi dans l’est du Québec. Il faut dire que cette recherche m’ayant demandé près de 300 heures de long et dur travail concluait en soulevant les importants déficits de démocratie dans la planification des projets éoliens québécois. Alors que de nombreux et nombreuses acteur·ices du milieu se targuent de présenter des projets ayant une grande acceptabilité sociale, ma recherche concluait plutôt à l’inverse, soulignant les différentes manières par lesquelles les populations locales peuvent se voir exclues de la planification des projets éoliens.
Cela dit, je ne m’attendais pas à ce que les contre-arguments de l’Alliance et de son président Michel Lagacé, maire de St-Cyprien et préfet de la MRC de Rivière-du-Loup, soient si maladroits. En réduisant cette recherche à un simple fait d’opinion, M. Lagacé a dénigré d’un coup non seulement l’important travail de recherche mené, mais aussi la contribution de nombreux et nombreuses acteur·ices du milieu, plusieurs faisant d’ailleurs partie de ses collègues.(a) L’analyse des faits qui m’ont été rapportés, des documents que j’ai analysés et des données que j’ai compilées m’ont amené à tirer des conclusions informées et non de simples opinions. Qui plus est, ces analyses ont été contrevérifiées par mes collègues de l’IRIS, une équipe de professionnel·les de recherche tout aussi soucieuses de l’importance de suivre de bonnes méthodes de recherche. M. Lagacé et l’Alliance peuvent bien nier cette étude et en dénigrer les analyses, mais cela reviendra à se boucher les oreilles et s’enterrer la tête dans le sable. Cette recherche a été réalisée de manière parfaitement intègre.
Dans une perspective de rétablir certains faits, mais également de contrer le travail de désinformation de cette entreprise privée, j’ai cru nécessaire de rédiger cette réplique revenant sur trois éléments essentiels.
Une acceptabilité sans fondements
L’Alliance utilise dernièrement un sondage qu’elle a récemment commandé pour justifier l’acceptabilité de la population à l’égard de ses projets. Or, n’en déplaise à l’Alliance, cette dernière utilise très mal les données obtenues. Heureusement, en tant que sociologue ayant reçu une formation universitaire sur les méthodes de recherche – incluant la tenue de sondages –, il me fait plaisir de rétablir certains faits.
Réalisé auprès de 1014 adultes de la Gaspésie et du Bas-Saint-Laurent sondés par voie internet et téléphonique, le sondage possède un échantillon respectable. S’il avait été probabiliste, ce dernier aurait une marge d’erreur de +/- 3%, 19 fois sur vingt. Cela veut dire qu’en temps normal, avec un échantillon de cette taille, il serait possible d’extrapoler toute tendance observée à l’ensemble de la population étudiée, avec la possibilité d’une variation de +/- 3%. En d’autres mots, si 25% de l’échantillon aime les corn flakes, on pourrait s’attendre à ce qu’entre 22 et 28% de la population générale aime les corn flakes.
Or l’élément clef, ici, est le terme « probabiliste ». Comme l’échantillon du sondage de l’Alliance est non probabiliste, cela veut dire qu’à cause de la méthode d’échantillonnage choisie, c’est-à-dire à cause de la manière par laquelle les répondant·es au sondage ont été sélectioné·es, il est impossible d’extrapoler les résultats à l’ensemble de la population. Ainsi, il est tout à fait acceptable de référer à ce sondage pour parler de l’opinion des 1014 personnes sondées, mais il est impossible et erroné, statistiquement parlant, d’utiliser ce sondage pour parler de l’opinion de l’ensemble de la population du territoire de l’Alliance.
Cela n’a pas empêché l’Alliance de répéter à tue-tête qu’elle avait l’assentiment de la population pour développer ses projets. Or, si on se fie au rapport de la firme de relations publiques Tact qui a mené le sondage, seulement 26% des 1014 personnes sondées (soit 264 personnes) connaissent l’Alliance ou en ont déjà entendu parler et 83% de ces dernières (219 personnes) ont une opinion favorable à son endroit. Prétendre que l’Alliance à l’assentiment de la population est ici complètement ridicule. Concrètement, la population ignore l’existence de l’Alliance et de ses actions et on ne pourrait en bonne conscience prétendre que cette dernière a un réel mandat pour se comporter en roi et maître dans la région.
Ainsi, quand M. Lagacé déclare « C’est 87 % des gens qui sont en faveur de la mise en place des projets éoliens, on ne voit pas ça ailleurs », ce dernier insinue un appui fort de la population, négligeant de préciser que ces données représentent uniquement et exclusivement l’opinion de 882 personnes et non pas de l’ensemble de la population appartenant au territoire de l’Alliance.
Sans être nécessairement mauvais en soi, les échantillons non-probabilistes sont très limités et il faut les utiliser avec soin. Les recherches non-probabilistes sont effectivement plus économiques et peuvent être utiles dans le contexte d’études exploratoires. Ce n’est malheureusement pas ce qu’on peut constater dans les communications de l’Alliance. À noter ici que ce n’est pas ma seule opinion, mais bien la posture de la littérature scientifique :
« On peut assimiler à ces techniques celles que les médias appliquent lorsqu’ils sollicitent l’avis de leur public. […] Aussi, les lignes ouvertes, les sondages maison sont-ils au mieux des moyens pour les médias de connaître leur public, au pire des outils pour l’influencer. »[2]
À la lumière de cette citation, difficile d’ignorer l’usage abusif que l’Alliance fait ainsi de ce sondage. S’il faut douter de l’ouverture dont fera l’Alliance devant cette critique, il demeure néanmoins que tout lecteur et toute lectrice qui prendra connaissance de ces nouveaux éléments aura à tout le moins de meilleurs outils pour comprendre les abus de langage de l’Alliance.
Quelle transparence?
L’Alliance s’est largement défendue d’être coupable des déficits de transparence et de démocratie que ma recherche identifie. Revenons d’abord sur ces derniers.
Depuis 2009, les projets éoliens développés au Québec sont des partenariats d’investissement entre des entreprises et des municipalités. Ces dernières sont ainsi appelées à investir, le plus souvent à concurrence de 50% de la valeur totale du parc, et pourront ensuite retirer la part de profits leur revenant.
Or, pour protéger le secret industriel des partenaires privés, la majorité des négociations entre les entreprises et le municipal se font derrière des portes closes. La population n’a pas accès à la nature ou au contenu de ces discussions, voire aux dates où se tiennent ces rencontres. Qui plus est, durant la période de planification entre le privé et les élu·es, la population est rarement informée que de telles rencontres ont lieu. En réalité, la population tend à n’être mise au courant qu’à la toute fin du processus de planification, lorsque le projet est prêt à être soumis à Hydro-Québec dans le cadre d’un appel d’offres.
L’Alliance se targue de tenir de nombreuses séances d’informations et de régulièrement tenir des séances de portes ouvertes, pratiques qui viendraient contredire l’argument que la population n’est pas impliquée.
Or, les deux choses peuvent être vraies.
En effet, une fois les projets planifiés et finalisés, une fois que les projets peuvent être envoyés à Hydro-Québec, rien n’empêche l’Alliance de tenir des séances d’informations et d’ouvrir ses portes à la population. Il n’empêche qu’à ce moment, concrètement, le gros du travail de planification est terminé. De plus, si des élu·es sont bel et bien impliqué·es, ils et elles sont tenu·es au silence par des ententes de confidentialité. La transparence dont se revêt fièrement l’Alliance n’est rien de moins que le linceul des procédures de consultation citoyenne.
Il faut d’ailleurs mentionner que, interrogé à ce sujet dans le cadre de ma recherche, un représentant de l’Alliance m’avait affirmé que la raison pour laquelle les citoyen·nes n’étaient consulté·es qu’à la toute fin du processus était en fait :
« […] un héritage venant des appels d’offres compétitifs où l’ensemble du territoire québécois est prospecté et les partenaires privés tentent de dénicher les meilleurs gisements de vent et de sécuriser les droits fonciers sur ces territoires-là. »[3]
En lui présentant un scénario dans lequel un promoteur éolien commencerait la planification d’un projet en rencontrant la population générale pour l’informer de ses intentions de développer un parc éolien dans une région donnée, l’Alliance répondait ainsi :
« De faire [la planification éolienne] comme vous le proposez, ce n’est pas compatible avec un appel d’offres compétitif. »[4]
Remettant ainsi la faute des déficits de consultation citoyenne sur le modèle de développement des projets actuels, c’est-à-dire le modèle par appel d’offres, l’Alliance se dédouane de toute responsabilité. La malheureuse est contrainte de jouer selon les règles du jeu imposées par le gouvernement, il ne faudrait donc pas lui en vouloir.
Il faudra toutefois s’interroger sur la véracité de cette impuissance. L’Alliance est désormais un joueur central du milieu éolien. Que cette dernière prétende n’avoir aucune capacité d’influence auprès du gouvernement est en fait un leurre. En effet, c’est bel et bien grâce aux pressions coordonnées des maires et mairesses qui allaient éventuellement former l’Alliance que le gouvernement avait décidé, à l’époque, de modifier le modèle de développement éolien et de créer le modèle communautaire. L’Alliance, plus organisée que jamais, aurait définitivement le capital politique pour pousser le gouvernement à mettre en place un cadre réglementaire demandant plus de transparence et imposant l’implication citoyenne. Si cette dernière ne fait pas usage de ce potentiel politique, c’est que ses intérêts se sont depuis longtemps divorcés de ceux de la population, trouvant du côté de l’entreprise privée un partenaire bien plus attrayant.
BAPE générique et planification
Ainsi, bien que l’Alliance reconnaisse les enjeux du modèle de développement actuel, l’entreprise privée s’est régulièrement opposée à la tenue de consultations publiques visant à créer un cadre réglementaire pour le développement éolien. Ce genre de consultation, qui seraient encadré par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) constitue ce qu’on appelle un BAPE générique. Contrairement au BAPE régulier qui s’intéresse aux impacts environnementaux d’un projet industriel spécifique, un BAPE générique a l’objectif élargi de réfléchir à l’ensemble d’une filière, à son implémentation sur le territoire québécois et aux règlements l’encadrant. S’il semble que le BAPE générique pourrait répondre aux limites du modèle actuel, l’Alliance s’est pourtant prononcée contre de telles procédures, argumentant qu’elle n’y voyait pas la pertinence :
« On considère que les BAPEs projet par projet, c’est ce qui donne la voix la plus forte aux citoyens de s’exprimer sur les enjeux et sur les préoccupations. On ne voit pas comment un BAPE générique viendrait donner cette voix à ces citoyens-là. […] Je pense qu’on a un système en ce moment avec le BAPE qui fonctionne très bien, puis on ne voit pas comment le BAPE générique viendrait donner plus d’information sur les préoccupations visées. »[5]
Or, s’il est vrai qu’un BAPE donne une grande place aux citoyen·nes pour s’exprimer, il n’en demeure pas moins qu’il offre peu de garanties que les prises de position citoyennes mèneront à des modifications significatives des projets. Une fois rédigé, un rapport du BAPE est étudié au conseil des ministres et la décision finale revient ultimement au premier ministre. Si prendre position lors d’un BAPE permet d’inscrire formellement sa parole dans les annales gouvernementales, concrètement, la pratique se résume souvent à crier dans le vide. En d’autres mots, il serait faux de dire que la participation d’un·e citoyen·ne à un BAPE est équivalent à une implication des citoyens et citoyennes dans la planification d’un projet éolien.
Ensuite, comme un BAPE se déroule toujours après l’approbation d’un projet par Hydro-Québec, il faut souligner qu’en présentant le BAPE comme la meilleure manière pour la population de se faire entendre, l’Alliance confirme bel et bien que le gros de la « consultation » ne se réalise qu’à posteriori. Qui plus est, le BAPE est une entité sans relation aux projets, aux municipalités ou aux promoteurs. En misant sur le BAPE, le principe de consultation est délesté à un acteur externe, réitérant la déresponsabilisation des promoteurs privés comme l’Alliance.
Finalement, l’Alliance se méprend sur les différences entre un BAPE et un BAPE générique. La portée d’un BAPE générique ne consiste effectivement pas uniquement à étudier les risques environnementaux, sociaux et économiques d’un projet spécifique, mais plutôt à étudier comment une filière fonctionne et devrait fonctionner. Si l’Alliance reconnaît que le modèle de développement des dernières années et l’absence de cadre réglementaire empêche la population de prendre part aux projets dès les premières étapes de planification, elle ignore délibérément comment un BAPE générique pourrait répondre à ces enjeux.
D’ailleurs, il est étrange que l’Alliance s’oppose si ardemment à la tenue d’un BAPE générique en préférant plutôt les BAPEs réguliers. En effet une exploration sommaire des récents rapports du BAPE concernant des projets éoliens a permis d’identifier quatre mentions favorables du BAPE générique. Ironiquement, la prise de position la plus claire du BAPE sur la question d’un BAPE générique se trouve dans le rapport d’évaluation du projet Canton MacNider, un projet financé par l’Alliance. Soulignant la récurrence de la demande d’un BAPE générique à chaque nouveau BAPE éolien, la commission du BAPE s’est prononcée en faveur de la tenue d’un BAPE générique mentionnant d’ailleurs que :
« […] la commission considère que l’analyse du projet de parc éolien Canton MacNider, tout comme celle des autres projets éoliens précédemment soumis au BAPE, a ses limites quand vient le temps d’aborder des enjeux plus globaux […] »[6]
Si l’Alliance souhaitait se ranger derrière l’expertise du BAPE, il semble donc qu’elle devrait revoir sa position envers le BAPE générique. Or, si l’opposition obstinée de l’Alliance marque une incohérence dans son propos, ses actions sont au contraire tout ce qu’il y a de plus cohérent. L’Alliance, parfaitement alignée aux intérêts des promoteurs privés, préfère l’accélération des projets aux recommandations du BAPE qui mèneraient inévitablement à une meilleure consultation de la population.
Il m’est difficile de conclure cette section sans répondre directement aux propos de M. Lagacé qui, dans une entrevue en réponse à mon étude, soulevait la menace d’un BAPE générique qui viendrait supposément interrompre le développement éolien et la transition énergétique pendant au moins quatre ans. Entre 2021 et 2023, la CAQ a lancé deux appels d’offres éolien, totalisant 2644 MW de puissance éolienne additionnelle, soit près de 71% de la puissance éolienne déjà installée sur le territoire du Québec. Ces projets sont tous en voie d’être finalisés et plusieurs ont déjà commencé leur construction. Ces projets ne pourraient pas être affectés par un BAPE générique, ils vont déjà de l’avant.
Ce contexte semble idéal pour la tenue d’un BAPE générique. Les projets en cours de construction imposent déjà des pressions sur la chaîne d’approvisionnement québécoise. Par exemple, certains projets ont récemment eu besoin de se procurer des pales d’origine chinoise, permettant de questionner l’urgence d’ajouter davantage de projets dans un futur proche. Cette conjoncture semble parfaite pour la tenue d’un BAPE générique devant prendre quelques années. Il n’y a pas à douter qu’à l’issue de ce processus, il serait alors possible de se relancer dans la production éolienne en pleine paix de conscience. Il semble que la posture de l’Alliance à ce sujet relève ainsi bien plus d’une réaction défensive que d’une analyse bien réfléchie.
Qui plus est, malgré la dévotion de M. Lagacé et de l’Alliance à la transition écologique, rappelons que très peu des MW additionnels seront assignés directement à des initiatives de décarbonation. Peut-être que l’empressement de l’Alliance à ajouter plus de puissance a pour objectif de répondre à ces lacunes (la prochaine sera la bonne!), mais il demeure décevant qu’on n’entende jamais l’Alliance critiquer les usages non écologiques de l’énergie qu’elle aide à produire. De ce point de vue, l’argument de la transition prend des airs cyniques, ne sortant qu’au moment où les critiques remettent en question l’Alliance.
Conclusion
Confrontée au modèle peu démocratique du développement éolien à travers le Québec, l’Alliance de l’énergie de l’Est aura décidé de partir à l’offensive. La publication de ma recherche aurait pu être une belle opportunité pour l’entreprise d’établir un dialogue honnête sur le modèle de développement dans sa région et dans le reste du Québec. Plutôt, elle aura choisi de nier les demandes répétées de la population pour un BAPE générique, de délégitimiser la recherche scientifique et de s’opposer à la bonification des procédures de consultation publique. On ne peut qu’espérer qu’au sortir de ces dialogue parfois difficiles, l’entreprise pourra toutefois se rappeler de la mission qui avait mené à sa fondation, celle d’unir les acteurs et actrices du municipal pour défendre les intérêts de la population.
(a)Rainville, P. (2025, novembre 28). «Far West» de l’éolien : Une étude qui ne passe pas dans l’Est. Le Soleil.
[1] Beaucaire, K. (2025). Énergie éolienne au Québec : Une filière en manque de planification et de transparence (p. 20). IRIS. https://iris-recherche.qc.ca/publications/filiere-eolienne/.
[2] Beaud, J.-P., L’échantillonnage, p. 265 DansGauthier, B. (2009). Recherche sociale : De la problématique à la collecte des données (5e ed). Presses de l’Université du Québec.
[3] Entrevue auprès de l’Alliance de l’énergie de l’Est, 2025-08-18.
[4] Idem.
[5] Idem
[6] BUREAU D’AUDIENCES PUBLIQUES SUR L’ENVIRONNEMENT (2025). Projet de parc éolien Canton MacNider, rapport 389, 86 p