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    Changement de culture Un samedi ordinaire : après avoir observé les chardonnerets jaunissants chassés par le quiscale et sa bande de carouges pour picorer les graines de tournesol dans la cour, je pars explorer la plage et ce qu’elle recèle d’incongru, ou ce qui devrait l’être : panneaux de styromousse, plastiques à tous niveaux de fragmentation, mégots à profusion. Ma pince à déchets et mon sac à pain réutilisé ne suffiront pas à la tâche; mais c’est dans la visibilité du travail et de la ré
     

Les cochonneries

23 août 2025 à 11:44

Changement de culture

Un samedi ordinaire : après avoir observé les chardonnerets jaunissants chassés par le quiscale et sa bande de carouges pour picorer les graines de tournesol dans la cour, je pars explorer la plage et ce qu’elle recèle d’incongru, ou ce qui devrait l’être : panneaux de styromousse, plastiques à tous niveaux de fragmentation, mégots à profusion. Ma pince à déchets et mon sac à pain réutilisé ne suffiront pas à la tâche; mais c’est dans la visibilité du travail et de la récolte que l’acte de ramasser prend davantage sens. Les bras chargés, je m’arrête devant la poissonnerie pour jaser : mon interlocuteur tient un sac de crabes, et moi un sac de tout ce qui cohabite avec eux.

Ma présence semble troubler d’autres clients; est-ce parce que je normalise les déchets en les intégrant à ma conversation? Ce faisant, je rappelle que nous cohabitons aussi avec nos rejets, alors que nous avons plutôt envie de nous aménager une bulle qui serait hygiénique, laissant même à d’autres le soin de faire disparaître nos « corps morts » : bouteilles de vin, carapaces de crabes, verres de plastique qui n’auront été fabriqués que pour une soirée… Puis nous n’y repensons jamais.

Tout ce que nous achetons est déchet en devenir – combien de déchets en devenir dans notre chez-nous? Pensons aux gens qui doivent vider la maison de leurs parents décédés ou partis en CHSLD. Le coût écologique de ces objets, l’acheteur ne le paie pas immédiatement; plutôt, il l’impose à tout le monde.

Nous achetons sans penser à qui a fabriqué cet objet trop peu cher (car son prix n’inclut pas ce que d’aucuns nomment de façon barbare ses « externalités »), dans quel atelier de misère (le terme reconnu par l’OQLF pour sweatshop), si ses ouvrières y ont travaillé 60, 72 ou 80 heures cette semaine, si elles ont été obligées d’uriner dans un sac sous leur machine à coudre1, si elles sont mortes au travail de ce que les Japonais appellent karôshi, au bout du rouleau.

Je me rappelle l’expression atterrée de travailleuses chinoises lorsqu’on leur a montré, dans le documentaire Mardi Gras : Made in China2 (que j’ai ironiquement visionné dans un avion, à la fois accélérateur de la mondialisation délétère et symbole des inégalités flagrantes), que les colliers qu’elles fabriquaient étaient offerts, dans une orgie de boisson déguisée en festivités, à des femmes qui dénudaient leur poitrine… puis qu’ils se retrouvaient noyés dans le flot d’ordures couvrant les rues de La Nouvelle-Orléans.

On fait quoi?

On considère la trajectoire de chaque objet dans nos achats et ceux de nos organisations – et on refuse d’acheter. On travaille à changer la culture pour que de ne pas manufacturer quelque chose, même si on peut le faire, soit considéré comme le geste sensé. On rend désirables la sobriété matérielle et la « suffisance intensive », concept de Nathan Ben Kemoun3, tissant des liens intenses avec l’objet (et l’activité qu’il nous permet de faire et les gens qui la pratiquent avec nous) plutôt qu’avec la multiplication des objets; ainsi un instrument de musique, un jeu de cartes ou un livre (pas cinquante…) deviennent-ils sources de nos moments précieux.

On lit

Les choses, de Georges Perec, récit encore d’actualité d’une quête de bonheur inassouvie : « [D]e nos jours et sous nos climats, de plus en plus de gens ne sont ni riches ni pauvres : ils rêvent de richesse et pourraient s’enrichir : c’est ici que leurs malheurs commencent4. »

On regarde

Pourquoi on se bat, de Solal Moisan et Camille Étienne (2023), sur Tou.tv et TV5 unis, pour la suffisance intensive illustrée : amitié, danse devant la mer, observation de la vie des animaux – qui nous enseignent à nous perdre.

1.  Le pire dans cette situation n’est évidemment pas que notre produit manufacturé ait cohabité avec l’urine de quelqu’une d’autre. Cet exemple et le précédent proviennent de No logo : la tyrannie des marques de Naomi Klein (Leméac / Actes Sud, 2001 [2000], chapitre 9).

2. David Redmon, 2005.

3.  Alexandre Monnin explique le concept dans une entrevue du 23 février 2024 avec Laure Coromines sur le site de L’ADN : https://www.ladn.eu/nouveaux-usages/futur-proche-comment-vivre-a-8-milliards-sur-terre/

4. Georges Perec, Les choses, Julliard, 1965, p. 71.

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  • L’art de l’enfance: Entrevue avec Nicole Testa
    Il était une fois une Nicole Testa qui passait son temps à lire aux enfants. Après avoir joué du théâtre au Collège LaSalle et obtenu un bac en animation et recherche culturelle à l’UQAM, elle entre sur le marché du travail. Communication-Jeunesse cherche du monde pour former une escouade d’animation du livre dans les écoles. Les années passent. Elle arrive au Bas-Saint-Laurent. Son bénévolat à la bibliothèque de Sainte-Blandine se transforme en emploi. Le plaisir de lire l’obsède. Elle pousse s
     

L’art de l’enfance: Entrevue avec Nicole Testa

20 août 2025 à 10:29

Il était une fois une Nicole Testa qui passait son temps à lire aux enfants. Après avoir joué du théâtre au Collège LaSalle et obtenu un bac en animation et recherche culturelle à l’UQAM, elle entre sur le marché du travail. Communication-Jeunesse cherche du monde pour former une escouade d’animation du livre dans les écoles. Les années passent. Elle arrive au Bas-Saint-Laurent. Son bénévolat à la bibliothèque de Sainte-Blandine se transforme en emploi. Le plaisir de lire l’obsède. Elle pousse sa réflexion jusqu’à la maîtrise, puis monte un cours en littérature jeunesse à l’UQAR. Pour enfin se mettre à l’écriture. Le Gros Méchant Quelque Chose est son quinzième livre depuis 1998. Rencontre avec une éternelle petite fille de quatre ans.

Philippe Garon – Qu’est-ce qui t’a servi de poudre à pâte pour ce nouvel album?

Nicole Testa – C’est la même que pour Papi Noël. Il y a une dizaine d’années, une bourse du CALQ m’a permis de recueillir des histoires auprès de parents. Des papas en fait. Les mamans lisent. Les hommes, eux, inventent. J’avais beaucoup de matériel, mais ça dormait dans mon ordinateur. C’est la source d’inspiration pour ma série Les contes de l’oreiller. Là, on prépare le troisième volume, qui va s’intituler Le hoquet du petit poisson.

P. G. – La lecture à voix haute, c’est une vraie croisade pour toi. Pourquoi?

N. T. – Parce que c’est un partage. Ça rapproche. Quand j’arrive dans une école, je suis une étrangère, puis quinze minutes après, le lien est créé, et ça, juste parce que je lis à voix haute. Depuis 30 ans que je fais ça, à mon avis, c’est la meilleure façon de mettre en scène le plaisir de lire. De partager avec les enfants ce qu’est l’expérience d’un lecteur, peu importe qui on est, peu importe les difficultés. Avec son livre Comme un roman, Daniel Pennac a complètement changé ma vision de la lecture. Parce qu’il dit qu’une fois que t’as éprouvé le plaisir de lire, ça se perd pas. Puis quand le plaisir est là, la motivation pour le reste vient plus facilement.

P. G. – Dans un autre ordre d’idées, le festival littéraire Métropolis bleu t’a invitée…

N. T. – Depuis trois ans, ils veulent se rapprocher des régions. Il fallait que je choisisse un lieu que j’aime et que j’écrive un texte de cinq pages maximum. J’ai pris l’île Saint-Barnabé. Ç’a donné un dialogue entre un grand-père et son petit-fils. Le comédien Sylvain Massé a prêté sa voix à mon histoire. On trouve l’enregistrement sur leur site Internet. Après, je devais aller dans une classe de 3e cycle. N’importe laquelle. J’ai choisi l’école de mon quartier. Je leur ai proposé de vivre un peu la même expérience d’écriture que moi, à partir d’un lieu qu’ils aiment et d’une anecdote, mais en ajoutant un élément imaginaire.

Quand j’approche les enseignantes, je leur demande : « Me prêtes-tu ta classe pour une période? » Des fois, c’est pour trouver des réponses à des questions qui me viennent en écrivant. En général, plus les questions sont saugrenues, plus les discussions sont intéressantes. À quel âge on est grand? À quoi ça sert un papi? Comme ça, je reste connectée sur l’enfance.

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