Jean-François Vallée, enseignant, cégep de La Pocatière
Qu’on le veuille ou non, le numérique a envahi presque toutes les sphères de nos vies. Le système d’éducation n’y fait pas exception. C’est pourquoi j’ai pensé que, dans le cadre du cours collégial Genres et pratiques journalistiques, il serait intéressant de tâter le pouls de nos étudiants sur la question, eux qui se trouvent au cœur de ce véritable tsunami technologique. Pour les aider à mieux cerner les enjeux de ce débat, j’ai d’abord invité l’ancien journaliste et ex-directeur de Radio-Canada Alain Saulnier à nous présenter son dernier essai, Tenir tête aux géants du web. Puis, je leur ai demandé de réagir. Les textes qui en résultent étonnent : nos jeunes se révèlent plus nuancés et critiques qu’on pourrait le croire. Qu’on se le tienne pour dit : il reste de l’espoir, puisque notre jeunesse ne se laisse pas embrigader si aveuglément qu’on pourrait le craindre.
C’est donc avec fierté que je partage avec Le Mouton Noir, pour ses 30 ans bien sonnés, quatre textes des étudiants du programme Arts, lettres et communication, options Médias du cégep de La Pocatière.
Bonne lecture !
Merci à la Fondation du Cégep, à l’Association étudiante, à la coopérative scolaire (Coopsco), au Département de lettres et communication et à la Formation continue d’avoir rendu possible la publication de ce dossier.
Les réseaux sociaux : d’option à obligation
Nelly Leblanc
Instagram, Tiktok et Facebook sont des « plateformes de divertissement », selon la définition. Leur popularité auprès des jeunes a pris de l’ampleur au cours des dernières années et sont de plus en plus incontournables. Sur le marché du travail, elles deviennent nécessaires pour plusieurs entreprises qui n’ont aucun autre moyen de se faire connaître. Ce phénomène de nécessité numérique s’observe-t-il dans d’autres milieux? Absolument. La connexion aux réseaux sociaux est passée également d’optionnelle à primordiale pour… les étudiants que nous sommes.
Du point de vue des entreprises, la visibilité en ligne a commencé comme un simple atout, pour rapidement devenir une manière indispensable de faire des ventes, de générer des profits. Parlons simplement des entreprises qui existent uniquement sur le Web, comme la compagnie québécoise Hoaka Swimwear. La publicité de l’entreprise se fait uniquement par l’entremise des réseaux sociaux à partir de la page de la compagnie, et par les influenceurs avec qui elle fait affaire. Instagram et Facebook ne servent plus seulement à divertir, mais sont devenus le nouveau centre commercial du moment. C’est une bonne option, puisqu’elle ne nécessite pas la location de locaux de boutiques et évite bien évidemment les risques de vol à l’étalage. En revanche, dépendre d’Internet illustre parfaitement l’évolution de sa place dans nos vies de consommateurs. Dans le cas hypothétique où les plateformes populaires disparaissaient, Hoaka ne pourrait plus se faire connaître et les profits descendraient près de zéro.
Si vous avez étudié au cégep il y a vingt ans, vous seriez complètement dépaysés de voir l’importance qu’ont prise les médias sociaux et les changements que ces outils provoquent sur la vie étudiante. Vous croyez que seuls les étudiants utilisent ces nouvelles technologies? Détrompez-vous : les profs aussi, et abondamment. Ils présentent fréquemment des vidéos sur YouTube qui expliquent et illustrent différemment la matière. De plus, plusieurs programmes d’études recourent aux réseaux sociaux pour se faire de la publicité, se donner une visibilité… Quoi de mieux que d’utiliser les applications où tous les jeunes se trouvent? Quant aux responsables de la vie étudiante des cégeps, ils ont compris qu’il est impératif d’exploiter ces plateformes s’ils veulent garder les étudiants actifs dans la vie collégiale.
Au cégep de La Pocatière, s’impliquer dans la vie étudiante signifie être actif sur les réseaux sociaux. Colnet, la plateforme privée officielle du cégep, ne constitue pas une plateforme efficace pour diffuser l’information, les étudiants n’ont donc pas le choix de se tourner vers les réseaux sociaux. Quand on leur demande, la grande majorité avoue ne pas utiliser Colnet, puisqu’il est « difficile à naviguer, ne suit pas la modernité, n’a pas évolué avec la technologie » et n’est tout simplement « pas attrayant pour les jeunes1 ». Ces défauts limitent la transmission de l’information, vu le faible nombre d’étudiants qui aiment l’utiliser.
Pour ma part, ma source principale est le compte Instagram de l’association étudiante du cégep (AGEECLP). Ce compte sert à annoncer les événements à venir, à transmettre les informations importantes liées à l’environnement, à la vie sociale et culturelle de l’établissement comme aux affaires internes et externes du cégep. Sans ces publications, la seule technique efficace pour que je reste informée devient le bouche-à-oreille, une source d’information peu fiable. La page Instagram de l’AGEECLP devient alors nécessaire pour que les étudiants demeurent informés des événements prévus, et pour qu’ils restent branchés sur la vie collégiale. La facilité d’accès à l’information constitue un point très positif des médias numériques, ce qui explique le gain de popularité des médias sociaux, et met aussi en relief les lacunes du système collégial et les solutions trouvées pour y remédier.
Bref, on peut constater que le but premier des réseaux sociaux a évolué avec la demande, autant la demande de visibilité des entreprises que celle de la vie étudiante collégiale. Je ne veux pas dénigrer les plateformes sociales, seulement mettre en évidence que leur importance a complètement basculé… Elles sont carrément passées d’option à obligation aux yeux de leurs utilisateurs.
[1] Selon quatre élèves du cégep désirant garder l’anonymat.
Génération connectée ou isolée?
Antoine Renauld
L’écran est devenu notre miroir. Chaque jour, nous sommes en contact avec lui, parfois distraitement, mais toujours longtemps. Nous sommes la génération du « scroll », des notifications, du « dopamine hit » causé par l’exposition aux écrans. En 2025, parler de l’impact du numérique, c’est questionner un mode de vie devenu aussi naturel que le fait de respirer, mais dont on peine à mesurer les conséquences.
J’ai 18 ans. Je suis né dans le Wi-Fi. J’ai appris à lire sur un iPad. Mes premiers mots de français, Antidote les a corrigés. Aujourd’hui, mon apprentissage passe par des vidéos TikTok, des tutoriels YouTube et des forums Reddit. Le numérique m’offre un accès instantané à une encyclopédie mondiale. Mais à quel prix?
Nous vivons à une époque plus connectée que jamais, mais aussi plus seuls que jamais. Les réseaux sociaux devaient nous rapprocher. Malheureusement, ils ont surtout installé un monde numérique dans lequel chacun joue son propre rôle, scripté à coups de filtres et de montages. En 2023, une étude de Statistique Canada révélait que plus de 60 % des jeunes de 15 à 24 ans se sentent « souvent » ou « très souvent » isolés, malgré leur présence constante en ligne.
Ce n’est pas seulement une question de solitude, c’est aussi une question d’authenticité. Comment rester soi quand l’algorithme nous pousse à devenir quelqu’un d’autre? Quand le succès dépend du nombre de « likes », et non de la qualité des pensées?
Le numérique à l’école
On a cru que les écrans allaient révolutionner l’école. Et c’est vrai : ils ont rendu les ressources plus accessibles, ont permis des cours à distance et ont facilité l’apprentissage. Mais dans les faits, leur usage pose aussi de sérieux problèmes.
L’onglet de la classe en ligne côtoie celui de YouTube, Spotify, Discord. Peut-on réellement se concentrer quand tout un monde de distractions se trouve à un clic?
Des chercheurs de l’Université Laval ont démontré que la capacité d’attention moyenne chez les jeunes a chuté de 30 % entre 2012 et 2022, en grande partie à cause du multitâche numérique. Le cerveau humain n’est pas conçu pour gérer autant de sollicitations à la fois. Le résultat? Une génération informée, mais dissipée. Connectée, mais isolée.
L’information en miettes
Autre effet, la manière dont on consomme l’information. Les médias traditionnels peinent à rivaliser avec le sensationnalisme algorithmique. Pourquoi lire un article de fond quand un mème, une story ou un tweet de 280 caractères prétend tout résumer? Le numérique favorise la rapidité, mais pas la qualité.
La désinformation prospère dans cet environnement. Qui prend encore le temps de vérifier une source? De nuancer un propos? Trop souvent, ce sont les émotions qui guident le partage, et non la raison. On parle de « fake news », mais on est souvent confronté à des vérités déformées, rendues virales parce qu’elles confirment ce qu’on veut croire.
Vers une conscience numérique?
Heureusement, tout n’est pas sombre dans ce tableau. Le numérique peut aussi être un formidable levier de créativité ou d’expression. Des mouvements sociaux sont nés en ligne. Des voix y trouvent enfin un espace pour se faire entendre. Le défi ne se réduit pas à rejeter la technologie, mais est de mieux l’apprivoiser.
Il nous faut développer une éducation numérique, savoir non seulement utiliser les outils, mais comprendre leurs impacts, leurs biais, leurs logiques cachées. Il faut enseigner aux jeunes à ne pas se contenter du statut de simples consommateurs, et les inviter à devenir des citoyens critiques du numérique. Une sorte de cours d’éthique 2.0.
L’humain derrière l’écran
Le numérique a transformé nos vies, nos liens, notre manière de penser. C’est un couteau à double tranchant! Ce sont les usages que nous en faisons qui comptent. Bref, ces usages doivent être réfléchis, régulés et équilibrés.
Je ne veux pas vivre dans un monde où tout passe par un écran. Je veux encore voir des visages entendre des voix, sentir des silences. Je veux que l’humain reste au centre, même dans le pixel.
Alors, connectons-nous. Mais pas seulement à Internet. Connectons-nous vraiment. Entre nous.
Quand le numérique redéfinit nos vies
Oriane Rocher
Avant de commencer la lecture, demandez-vous ce qu’est un « nouveau média ». En quelques mots, il s’agit de toutes ces applications sociales qu’on retrouve sur tous les téléphones. Les plus connues sont Facebook, Instagram, Snapchat, X, TikTok, et YouTube. Ces géants sont pour la majorité préinstallés sur les appareils neufs, ce qui rend la reconnexion plus rapide lors d’un changement de téléphone.
Selon le site officiel des Nations Unies, « les progrès du numérique peuvent favoriser et accélérer la réalisation de chacun des 17 objectifs de développement durable ». Très intéressant, n’est-ce pas? Ce passage constitue l’amorce de leur rapport sur l’impact des technologies numériques. Je pense que vous serez d’accord avec moi : il est vrai que la technologie d’aujourd’hui permet de réaliser très rapidement énormément de tâches autrefois complexes et facilite l’accès à une multitude d’informations. Malheureusement, les réseaux sociaux influencent la façon dont les utilisateurs communiquent et ont un impact désastreux sur la population, entraînant l’isolement plus fréquent des individus.
Les réseaux sociaux sont dangereux et une exposition excessive peut être extrêmement néfaste, surtout pour les jeunes. Le fait d’être « caché » derrière son écran permet à plusieurs internautes de s’exprimer plus librement, mais de manière négative. La haine sur les réseaux sociaux s’est banalisée, les commentaires méchants, voire violents, font de plus en plus partie intégrante de ce décor. Par exemple, l’application TikTok utilise un algorithme qui suggère sans cesse d’autres vidéos en fonction des « likes » octroyés aux vidéos sur lesquelles on reste le plus longtemps et en tenant compte de nos abonnements. Cette application, aussi intéressante que divertissante, regorge de « rage-baiting », une pratique qui consiste à ajouter des commentaires négatifs, blessants, et parfois violents sous la vidéo de quelqu’un, et ce, tout à fait gratuitement. X (anciennement Twitter) en constitue un très bon exemple. On y retrouve aussi énormément de désinformation. D’ailleurs, ce problème est encore plus présent depuis qu’Elon Musk a fait retirer le programme de vérification des faits de sa plateforme, qui permettait aux utilisateurs de savoir si la source de l’information était vérifiée ou non, ce qui engendre un chaos encore plus grand quand on navigue sur cette application.
Autre exemple : pensez à vos grands-parents. Il arrive très souvent qu’ils relaient de fausses publications agrémentées d’un petit message du type « Regarde ce qui se passe en ce moment » ou « C’est dangereux, fais attention ». On les prend comme exemple en excusant leur âge, et le fait qu’ils ne sont pas très familiers avec la technologie mais, étonnamment, le problème de désinformation frappe de plus en plus les nouvelles générations, malgré le fait que la technologie fasse partie de leur vie depuis des années. Une telle désinformation de plus en plus répandue représente un fléau pour notre société, laissant place à un manque de réflexion et à une manipulation facile des utilisateurs. Née avant le boom numérique, je ne fais pas partie de cette génération d’« iPad kids » qui, elle, est née un téléphone à la main. En grandissant, j’ai donc eu la chance de conserver un peu de recul par rapport aux réseaux sociaux.
Retenons que le numérique exerce un impact important sur nos vies. D’un point de vue positif, l’ère du numérique aura permis, pendant la crise de la Covid-19, de mettre en place le télétravail et les cours à distance. Certains ont pu continuer de travailler et les étudiants ont pu ne pas prendre trop de retard. De plus, le numérique accroît l’accessibilité à une vaste gamme de connaissances et a permis des avancées en médecine et en recherche. Qui, aujourd’hui, ne supplie pas Google de lui dire quelle maladie il a attrapée selon ses symptômes? Et pourtant, on sait tous qu’il ne faut pas se fier au résultat « cancer des poumons » lorsqu’on décrit un rhume. Qui ne demande pas non plus à Google des petites images sympathiques pour les publier sur les réseaux sociaux? Moi la première, pour partager des mèmes à mes amis.
Malgré tout, le numérique et les nouveaux médias entraînent une solitude de plus en plus importante, notamment chez les plus jeunes. Regardez autour de vous : il est de plus en plus fréquent de voir un groupe d’ados tous penchés sur leur téléphone alors qu’ils pourraient discuter ensemble. De plus, une exposition aux écrans trop tôt dans l’enfance et à une trop grande fréquence retarde, dans certains cas, le développement de la parole, diminue la créativité et affecte la sociabilité.
Le numérique permet énormément, il ne faut pas le réduire à ses conséquences négatives. Le plus important est de l’utiliser à bon escient, de manière responsable et respectueuse afin de limiter ses effets négatifs.
L’invasion numérique dans les écoles
Charlie Ai-Ma Morin
Fin 2023, une nouvelle loi québécoise entrait en vigueur dans les établissements publics d’enseignement de niveau primaire et secondaire. Son but : bannir les téléphones cellulaires des classes. Alors que le gouvernement s’apprête à faire un pas de plus pour interdire les cellulaires non plus seulement dans les classes, mais dans les écoles, on peut se demander si la première loi a réellement changé quelque chose?
Déjà, un premier paradoxe : les institutions privées étaient exemptées de cette réglementation. Un bon exemple est le Collège de Saint-Anne-de-la-Pocatière. L’endroit offre une éducation de qualité à ses élèves. Cependant, il y a une faille de taille : les iPad. J’y ai étudié, je sais de quoi je parle.
Guide pratique de l’utilisation d’un iPad
La veille de la rentrée, nous recevions tous ce nouveau joujou. Peu de temps après, nous étions tous devenus des as dans l’art de manier la tablette numérique. Outil électronique grandement apprécié par certains professeurs, ou tout le contraire chez d’autres, l’iPad est rarement bien loin. Dictionnaire, Antidote, moteur de recherche Google, tableau de statistiques dans le logiciel Excel ou bien encore l’horaire : tout est là. On voit souvent des étudiants porter des écouteurs sans fil, utiliser un Apple Pencil et pitonner sur un iPhone nouvelle génération. Cependant, le collège doit régir strictement l’utilisation des écrans qu’il confie à ses adolescents. Accès guidés lors d’examens importants, restrictions à distance de toutes les applications jugées non pertinentes et note au dossier si jamais l’un d’eux tente de déjouer le système.
Bien qu’interdit d’usage en classe, le téléphone, quant à lui, reste toujours proche : une notification en trop, une alarme de réveille-matin qui sonne en pleine évaluation ou une vidéo qui repart dès qu’un élève essaye d’ouvrir discrètement ce qu’on pourrait affectueusement surnommer sa « deuxième moitié ». Voilà des situations courantes.
Bienvenue dans la cour des grands
Après cinq années de secondaire où l’on s’est vu interdit d’accès aux écrans sans permission, nous voilà au cégep. Ici, tout est autorisé sauf, officiellement, en classe. Cellulaire, ordinateur, montre intelligente et toutes les autres petites bébelles électroniques sont souvent tolérées. Plus aucune nécessité de se cacher! Entretenir son fameux score Snap1, ne pas manquer son BeReal ou voir le nouveau Reel de mon idole sur Instagram s’avèrent des pratiques possibles en classe. Plus besoin de se cacher sous notre bureau pour texter sa best. Désormais, c’est la cour des grands au collégial. Si vous ne comprenez rien à votre cours de philosophie parce que vous voudriez être ailleurs et que vous préférez chatter sur Discord, libre à vous. Cependant, assumez vos erreurs. Vous n’êtes plus tenus par la main comme avec les professeurs du secondaire. Plusieurs de mes confrères choisissent encore la voie de la lumière bleue. Pas grave, c’est leur faute s’ils ne passent pas le prochain examen.
Juste équilibre
J’ai ici décrit deux univers complètement différents dans lesquels nous devons évoluer et trouver un certain équilibre de vie. Les cégeps, comme les écoles secondaires, sont déjà envahis par les écrans et la technologie : les projecteurs BenQ, les laboratoires informatiques, les puces électroniques pour déverrouiller les portes et activer les photocopieurs, les télévisions, les tableaux tactiles, les haut-parleurs ou encore les interphones. Utile dans la vie de tous les jours, la technologie peut grandement aider l’enseignement. Les téléphones, quant à eux, se situent dans une zone grise. Je ne dis pas que la nouvelle loi de la CAQ constitue une mauvaise idée, mais peut-être qu’il aurait fallu l’étendre, ou tout simplement ne pas l’appliquer. Je l’affirme parce que tôt ou tard, les élèves se verront libérés de l’emprise de cette nouvelle règle. Au cégep, le jeune adulte retrouve avec joie tout ce qu’on lui a interdit pendant une grande période de ses études, et peut jouer autant qu’il veut avec ses bijoux technologiques. Trouver un compromis ne serait-il pas une bonne chose, Monsieur Legault ?
1. Le score Snap est ce qui indique depuis combien de jours consécutifs deux personnes échangent des photos.