Un illustre oublié de l’histoire régionale

Il arrive parfois qu’un nom gravé sur une plaque de rue cache une histoire extraordinaire. C’est le cas de Séraphin Morissette, dont une voie de Rimouski perpétue la mémoire, sans que la plupart des citoyens connaissent véritablement l’homme derrière ce patronyme.
Né à Saint-Donat-de-Rimouski en 1893, Séraphin Morissette incarne l’esprit d’entreprise et l’engagement social de sa génération. Diplômé de l’Académie commerciale de Mont-Joli en 1911, il n’a que 20 ans lorsqu’il s’installe à Rimouski en 1914 pour travailler dans le domaine des assurances. Il ne se doutait pas qu’il deviendrait, quelques semaines plus tard, le témoin privilégié de la plus grande tragédie maritime de l’histoire canadienne.
Le théâtre de la désolation
Le 29 mai 1914, l’Empress of Ireland sombre au large de Sainte-Luce, emportant avec lui plus de 1000 vies. Fraîchement arrivé à Rimouski, Séraphin observe les conséquences du drame sur sa ville d’adoption.
Selon le jeune homme, la paisible municipalité, qui comptait à l’époque quelque 3200 habitants, s’est transformée en un théâtre de désolation. Ses écrits nous livrent un témoignage saisissant. « La ville était remplie de rescapés. Il y en avait dans toutes les maisons ou presque et les hôtels en regorgeaient. »

Mais, c’est au quai de Rimouski que Séraphin voit l’horreur dans sa forme la plus pure. Sa description du hangar où s’entassaient les corps des victimes est poignante. Devant lui gisent une soixantaine de cadavres d’hommes, de femmes et d’enfants, plus ou moins recouverts de laizes de coton jaune. « Ces images se sont photographiées dans mon esprit pour ne plus jamais le quitter », écrit-il.
Homme aux multiples talents
Au-delà de ce témoignage historique exceptionnel, Séraphin Morissette était un homme aux multiples talents.
Agent d’assurance devenu gérant de la Compagnie de transport du Bas-Saint-Laurent, propriété de l’homme d’affaires Jules-A. Brillant, il était aussi journaliste sous le pseudonyme d’Oncle Pierre, auteur de sketches radiophoniques à la station CJBR de Rimouski et acteur.
Autodidacte passionné, il s’investissait dans de nombreuses causes sociales, présidant tour à tour le Club Richelieu-Rimouski, la Société Saint-Jean-Baptiste et le Comité de Rimouski de l’Institut national canadien pour les aveugles.
Les souvenirs de sa petite-fille
Rencontrée par Le Soir, sa petite-fille, Michèle Gagnon, garde de son grand-père maternel le souvenir d’un intellectuel curieux, sarcastique et ironique, qui tenait même une liste des personnes qu’il avait rencontrées dans sa vie. Un détail qui en dit long sur l’illustre personnage, « avantageusement connu à Rimouski », notamment pour son érudition et pour son succès en carrière.
Décédé en 1954 à l’âge de 59 ans, Séraphin Morissette a eu droit à des funérailles dignes de son statut : cinq voitures de fleurs accompagnaient sa dépouille.
Aujourd’hui, seule une rue de Rimouski perpétue son souvenir. Mais, ses écrits et son témoignage sur la tragédie de l’Empress of Ireland, que sa petite-fille Michèle conserve jalousement, demeurent des documents historiques d’une valeur inestimable.
Ainsi, la mémoire de Séraphin Morissette nous rappelle que derrière chaque époque se cachent des témoins dont les mots traversent les générations pour exprimer l’indicible.