Des pipelines, des pipelines, toujours des pipelines
Alors que le Canada prétend vouloir se redéfinir comme superpuissance énergétique, un examen lucide s’impose sur les véritables bénéficiaires de cette stratégie. Pendant ce temps, au Québec, le paysage énergétique est profondément secoué par l’adoption sous bâillon du projet de loi 69, ouvrant la porte à une dénationalisation progressive d’Hydro-Québec en permettant la vente d’électricité d’une compagnie privée à une autre. Une fois de plus, dans la logique implacable des décisions actuelles, c’est notre souveraineté, notre démocratie, et, au bout du compte, notre avenir collectif qui risquent d’être sacrifiés.
Le Québec importe la totalité de ses besoins en hydrocarbures du Canada et des États-Unis, dans une proportion d’environ 55 % et 45 %. Inutile de rappeler que l’essentiel des hydrocarbures produits en sol nord-américain est de type non conventionnel, donc plus coûteux, tant sur le plan économique qu’environnemental. Cet or noir est entre les mains, en grande majorité, d’actionnaires préoccupés avant tout par leurs intérêts privés, bien avant toute autre considération sociale ou liée au bien commun.
S’il est un point sur lequel tous ceux qui croient encore à l’importance d’un État souverain peuvent s’entendre, c’est que les ressources naturelles et l’énergie sont des leviers stratégiques fondamentaux pour assurer la souveraineté politique d’un pays.
Globalement, nous en sommes à extraire les dernières réserves de pétrole et de gaz de la planète, à l’image d’un fumeur grattant les mégots dans le cendrier pour une dernière bouffée. Pourtant, nulle remise en question réelle ne semble poindre à l’horizon quant à l’économie capitaliste fondée sur les hydrocarbures.
Technologie « zombie »
En observant la tendance depuis 250 ans, il est permis de croire que la révolution thermo-industrielle pourrait bien se terminer comme elle a commencé : par l’exploitation du charbon. Le système mondialisé, tel qu’on le connaît, se serait probablement déjà effondré en grande partie avant même d’en arriver là. Bref, tout semble aujourd’hui converger vers une accélération effrénée de la croissance ou, du moins, vers le maintien coûte que coûte d’un système reposant sur des technologies et des matériaux que le physicien José Halloy qualifie de « zombies » : des technologies déjà mortes, car dépendantes de ressources non renouvelables, comme le pétrole.
Et ce, malgré la réalité physique, malgré l’urgence climatique, malgré l’érosion de la biodiversité, malgré l’accroissement des inégalités sociales, et malgré la déplétion inexorable des ressources naturelles. Le Canada, sous l’impulsion de son nouveau premier ministre Mark Carney, semble néanmoins vouloir profiter de la tempête australe Trump pour faire du pays une superpuissance énergétique. Think Big!
Projet de loi C-5
Dans sa volonté de « recentraliser » le Canada, en gardant l’esprit extractiviste qui donna naissance à la fédération canadienne, le gouvernement fédéral a adopté sous le bâillon son projet de loi C‑5 contournant ainsi les règles démocratiques habituelles. Ce projet de loi, visant à accélérer l’approbation de grands projets dits nationaux, va donner au gouvernement les outils nécessaires pour rassurer les investisseurs de projets « zombifiés », comme de nouveaux pipelines, par exemple.
Les premiers ministres provinciaux, pour leur part, semblent séduits par ce leadership incarné par Mark Carney. Même François Legault, soudainement, évoque l’existence d’une acceptabilité sociale favorable à l’approbation d’un projet d’oléoduc au Québec. Serait-ce que notre premier ministre caquiste aurait négocié un « deal » en coulisses? Un tuyau en échange d’une ligne de transport électrique dans le cadre du nouvel accord sur Churchill Falls? On peut se poser la question.
Il ne faut pas oublier la forte opposition citoyenne aux projets GNL Québec et Énergie Est, tous deux avortés en territoire québécois. Peu importe les projets de loi adoptés à la hâte ou sous bâillon, la population doit et devra conserver le dernier mot. Car ces projets visent essentiellement à désenclaver la production pétrolière et gazière canadienne pour mieux l’exporter vers les marchés internationaux.
Des pipelines comme projet d’avenir politique et économique pour le Canada… vraiment?
Comme je l’écrivais dans un précédent article : « Alors que l’on tente d’accélérer l’approbation de nouveaux pipelines vers l’Europe et l’Asie, il est légitime de douter de la volonté réelle de favoriser la prospérité des Canadiens. Ces projets semblent surtout servir les intérêts des grandes entreprises et ne s’inscrivent pas dans une volonté de bâtir une économie viable, fondée sur une durabilité forte. »