Vue lecture

Changement de culture: Combien d’animaux sont morts pour notre assiette?

En janvier dernier1, dans le cahier « Plaisirs » du Devoir, j’ai lu la chronique de Josée Robitaille intitulée « Cuisiner écolo et écono ». J’y ai appris que « 60 % [des] GES liés à l’alimentation sont dus à l’élevage2 »; Robitaille propose donc de diminuer la taille de nos portions de viande ou d’en manger moins souvent. Cela tombe sous le sens de le rappeler, car c’est un des gestes individuels pour le climat que les Québécois rechignent le plus à adopter3. Elle ajoute qu’« [à] titre comparatif, pour produire 1 kg de viande, le bœuf produit 60 kg de CO2, le porc […] en produit 7 kg et le poulet, 6 kg. Privilégions donc ces viandes moins dommageables pour l’environnement et moins gourmandes pour le portefeuille4 ».

Lisant cela, j’ai néanmoins tiqué. Combien de vies animales de plus sont-elles ôtées si on remplace tout le bœuf qu’on mange par du poulet? Ou par des poulets, si on ose écarter le déterminant partitif : dire de la viande invisibilise la mort de l’animal – on en parle « comme d’une ressource5 » au lieu d’un être vivant. Ainsi le langage participe-t-il au « monde obscurci », concept du philosophe Günther Anders, où, dans les mots d’Yves-Marie Abraham, « nous devenons incapables non seulement de percevoir les conséquences de nos actes, mais même de les imaginer ».

Ces mots proviennent de la postface de La chèvre et le chou : débat entre un artisan fermier et un militant végane6. Tout au long de ma lecture du livre, j’ai espéré en vain que les deux positions se rejoindraient; finalement Abraham, dans sa postface intitulée « Et le capitalisme? Bordel! », identifie l’ennemi commun : « les modes de vie dominants » de la civilisation industrielle qui « reposent sur l’élevage intensif de milliards d’animaux domestiques, à qui nous infligeons des souffrances atroces, avant généralement de les abattre à la chaîne7 ». Ce sont ces conditions décrites dans des livres qui m’ont détournée de la viande à dix-huit ans. Je continuais néanmoins à manger du poisson et des fruits de mer, choix que j’ai postrationalisé ainsi : « Je mange ce que je serais capable de tuer »… si j’étais mal prise, et tout en pleurant les dix milliards de poissons et crustacés tués pour notre consommation au Canada en 20228.

L’impact environnemental de l’élevage industriel est indéniable : émissions de méthane et de CO2, déforestation pour faire pousser la nourriture du bétail, pollution de l’eau, etc. Cependant, dans une perspective d’autonomie alimentaire et de sobriété, la voie des petits élevages locaux ou d’une chasse sans gaspillage a aussi sa place. Il semble à Abraham, et j’abonde dans son sens, « que la solution la plus sage consiste à appréhender ces dilemmes […] en refusant de choisir l’une de ces positions (rejeter le “ou”), pour essayer au contraire de les tenir ensemble (adopter le “et”), en dépit de ce qu’elles peuvent avoir de contradictoire9 ».

On fait quoi?

On trace sa ligne, selon sa sensibilité : viande locale uniquement, aucun produit animal (alors, faisons vérifier nos taux de fer et de vitamine B12)… On apprend à cuisiner végétal (c’est écono!) et à apprécier pleinement les produits animaux quand/si on en mange.

On lit

Avec les enfants, l’album La grande évasion de Roquette : d’après une histoire vraie, de Josée Dupuis et Camille Lavoie10. Bravo de lever le voile sur les conditions industrielles de production de la chair de poulette auprès des enfants, que plusieurs consomment régulièrement.

1. Un des plaisirs d’écrire pour un média indépendant, c’est le rapport au temps : ce texte sort plus de six mois après la chronique à laquelle je réagis, et c’est parfait.

2. Josée Robitaille, « Cuisiner écolo et écono », Le Devoir, 18 et 19 janvier 2025, p. C6.

3. Groupe de recherche sur la communication marketing climatique, Baromètre de l’action climatique 2024, p. 27.

4. Josée Robitaille, loc. cit.

5. Guillaume Meurice, Peut-on aimer les animaux et les manger?, La Martinière Jeunesse, coll. « ALT », 2023, p. 27.

6.  Dominic Lamontagne et Jean-François Dubé, La chèvre et le chou : débat entre un artisan fermier et un militant végane, Écosociété, 2022; p. 273.

7.  Ibid., p. 269.

8.  Animal Justice, https://animaljustice.ca/blog/how-many-fishes-does-canada-kill.

9.  Dominic Lamontagne et Jean-François Dubé, op. cit., p. 272.

10.  De L’Isatis, 2024.

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Bof!

Il aurait plutôt fallu un gros «wow» pour redresser la situation catastrophique de la CAQ.
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Le militantisme de gauche : Si on revenait à la base?

Le militantisme de gauche, ancré dans une tradition historique riche et diverse, demeure aujourd’hui un vecteur essentiel de transformation sociale et politique. Il incarne l’engagement passionné de citoyens qui, face aux inégalités croissantes et aux dérives du capitalisme, choisissent de se mobiliser pour un monde plus juste, solidaire et égalitaire.

Historiquement, la gauche s’est toujours positionnée comme la défenseuse des opprimés, des travailleurs et des minorités. Qu’il s’agisse des mouvements ouvriers du XIXe siècle, des luttes pour les droits civiques, ou des combats féministes et écologistes contemporains, le militantisme de gauche a su se réinventer pour répondre aux défis de chaque époque. Cette capacité d’adaptation est l’une de ses forces majeures, lui permettant de rester pertinent dans un contexte politique souvent fragmenté et complexe.

Le militantisme de gauche ne se limite pas à des revendications économiques. Il embrasse une vision globale de la société, prônant la justice sociale, la redistribution des richesses, la défense des droits humains, et la protection de l’environnement. Ces combats sont intrinsèquement liés : la précarité économique ne peut être dissociée des discriminations sociales, tout comme la dégradation écologique impacte les populations les plus vulnérables. Ainsi, les militants de gauche adoptent une approche intersectionnelle, cherchant à tisser des solidarités entre différentes luttes.

Au cœur de ce militantisme se trouve une conviction profonde : la démocratie ne se réduit pas au simple exercice du vote, mais s’incarne dans une participation active et collective à la vie politique et sociale. Les militants organisent des manifestations, des campagnes de sensibilisation, des actions directes, et investissent les espaces publics pour faire entendre leurs voix. Ils créent aussi des alternatives concrètes, à travers des coopératives, des associations ou des initiatives locales, démontrant que d’autres modes de vie et d’organisation sont possibles.

Cependant, le militantisme de gauche fait face à de nombreux défis. La montée des extrêmes, la désillusion envers les partis traditionnels, et la complexité des enjeux contemporains peuvent décourager l’engagement. De plus, la stigmatisation médiatique et politique tend à réduire ce militantisme à une posture radicale ou utopiste, occultant la richesse et la diversité des idées portées par ses acteurs. Dans ce contexte, il est crucial de redonner une visibilité positive à ces engagements, en valorisant leur rôle dans la construction d’une société plus inclusive et démocratique.

Par ailleurs, le militantisme de gauche doit s’interroger sur ses propres pratiques pour rester ouvert et efficace. Cela implique une écoute attentive des nouvelles générations, une remise en question des dogmes, et une capacité à dialoguer avec d’autres courants et mouvements. La coopération entre différentes sensibilités de gauche, mais aussi avec des acteurs issus de la société civile, est essentielle pour construire des coalitions capables de peser sur les décisions politiques.

En définitive, le militantisme de gauche est bien plus qu’une simple opposition au statu quo. C’est une force vive qui porte l’espoir d’un changement profond, fondé sur la solidarité, la justice et le respect des droits de chacun. Dans un monde marqué par les crises économiques, sociales et environnementales, cet engagement citoyen est plus nécessaire que jamais pour imaginer et construire des alternatives durables.

Soutenir et encourager le militantisme de gauche, c’est donc participer à la vitalité démocratique et à la défense des valeurs humanistes. C’est reconnaître que le progrès social est le fruit d’une mobilisation collective et d’une volonté partagée de faire avancer la société vers plus d’équité et de dignité pour tous.

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CHRONIQUE OBJECTIONS DE CONSCIENCE: TOUT VA BIEN AU MÉDIOCRISTAN!

Au moment d’écrire ces lignes, notre directeur de chambre de commerce qui pavoise occasionnellement comme premier ministre s’est encore une fois commis en tant que médiocre-en-chef de notre demi-pays, deux fois plutôt qu’une!

D’une part, il a joué les révisionnistes en voulant nous expliquer, nous gens sans dents qui ne comprenons rien à rien, que le « Vive le Québec libre » clamé par le général de Gaulle depuis le balcon de l’hôtel de ville de Montréal en 1967 avait été mal compris, « au premier degré », et que le vieux général voulait plutôt un Québec fort dans le Canada, à quelques mots près de l’infâme vision PETrudeauiste d’un « Québec fort dans un Canada uni ».

Quel abruti, quand même, et ce au même moment, coïncidemment, où les autorités de Toronto ont re-dévoilé la statue du Grand Fossoyeur John A. MacDonald, qui avait ordonné la pendaison de Louis Riel « même si tous les chiens du Québec aboient en sa faveur ».

D’autre part, de loin la pire des deux, il a refusé d’offrir des funérailles nationales à ce monument de la littérature que sera à tout jamais Victor-Lévy Beaulieu! Même si, comme l’a souligné mon ami l’écrivain-brasseur Nicolas Falcimaigne dans un magnifique hommage à son mentor littéraire, tel hommage rendu par un gouvernement d’affairistes avides l’aurait fait bondir de son cercueil et s’évader de sa propre cérémonie au volant de sa rutilante Fury décapotable!

C’est à se demander comment la CAQ arrive, de scandales en faux-pas se succédant plus rapidement que meurent les abeilles sous les coups des changements climatiques, arrive toujours à creuser plus creux que le fond du puits fétide d’où ils tirent leur plateforme politique.

Pris de panique devant des sondages qui se lisent comme une chronique de mort annoncée, ils ont une fois de plus – de trop, devrait-on dire – déterré le cadavre du troisième lien, qui aimerait reposer en paix dans la fange dans laquelle il patauge depuis sa conception.

Ils nous ressortent une énième variation du péril migrant pour justifier leur incompétence à gérer le système de santé, le manque de classes dans les écoles et la crise du logement qui sévissent dans tout le demi-pays, plutôt que de faire face à la réalité dérangeante du capitalisme en phase terminale qui, comme un cancer au même stade, finit de ronger ce qui reste de sain, de vivant.

Tant que le pouvoir restera entre les mains des capitalistes, qu’ils soient caquistes, péquistes, libéraux ou conservateurs, le monde naturel, le beau, le noble, continuera de succomber et de « brûler dans les feux de l’industrie », comme l’écrivait Tolkien dans Le Seigneur des Anneaux.

Le gouvernement du Québec, mené par cette gang de gérants des viandes spécialisés en jambon, maintient son bureau à Tel-Aviv, malgré le génocide mené par le régime Netanyahou à Gaza et ce qui semble être le début d’une nouvelle phase en Cisjordanie.

Ce même gouvernement est incapable de prendre une posture un tant soit peu principielle face à la tyrannie naissante aux États-Unis du fasciste Donald Trump, préférant un statu quo aux relents de plus en plus vichystes.

Les « médias des gens de bien », dans tout ça? Vous connaissez déjà l’air usé et le vieux refrain redondant, ils privilégient encore et toujours le point de vue (néo)libéral bourgeois en grands protecteurs d’un intolérable statu quo.

Victor-Lévy, comme l’appelaient ses amis et collaborateurs (dont je ne fus point, à mon grand regret), nous avait d’ailleurs enjoints à la désobéissance de masse dans un petit pamphlet sorti en 2013 et qui s’intitulait, justement, Désobéissez!. un véritable appel au soulèvement contre le pouvoir bourgeois écrit notamment dans la foulée des révoltes étudiantes de 2012 face aux kleptocrates menés par John James Charest, aujourd’hui réhabilité par Radio-Canada et entièrement refait en commentateur invité.

Le temps des bouffons, nouvelle génération.

« J’ai écrit cet ouvrage comme un cri que pousse une bête blessée avant qu’on ne l’achève d’un coup fatal à la tête », disait VLB au sujet de cet ouvrage en entrevue pour l’hebdomadaire louperivois Info-Dimanche.

Ne serait-il pas simplement logique, pour honorer la mémoire du géant littéraire des Trois-Pistoles, de répondre à son appel pour en finir avec le Médiocristan?

Désobéissons!

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Les cochonneries

Changement de culture

Un samedi ordinaire : après avoir observé les chardonnerets jaunissants chassés par le quiscale et sa bande de carouges pour picorer les graines de tournesol dans la cour, je pars explorer la plage et ce qu’elle recèle d’incongru, ou ce qui devrait l’être : panneaux de styromousse, plastiques à tous niveaux de fragmentation, mégots à profusion. Ma pince à déchets et mon sac à pain réutilisé ne suffiront pas à la tâche; mais c’est dans la visibilité du travail et de la récolte que l’acte de ramasser prend davantage sens. Les bras chargés, je m’arrête devant la poissonnerie pour jaser : mon interlocuteur tient un sac de crabes, et moi un sac de tout ce qui cohabite avec eux.

Ma présence semble troubler d’autres clients; est-ce parce que je normalise les déchets en les intégrant à ma conversation? Ce faisant, je rappelle que nous cohabitons aussi avec nos rejets, alors que nous avons plutôt envie de nous aménager une bulle qui serait hygiénique, laissant même à d’autres le soin de faire disparaître nos « corps morts » : bouteilles de vin, carapaces de crabes, verres de plastique qui n’auront été fabriqués que pour une soirée… Puis nous n’y repensons jamais.

Tout ce que nous achetons est déchet en devenir – combien de déchets en devenir dans notre chez-nous? Pensons aux gens qui doivent vider la maison de leurs parents décédés ou partis en CHSLD. Le coût écologique de ces objets, l’acheteur ne le paie pas immédiatement; plutôt, il l’impose à tout le monde.

Nous achetons sans penser à qui a fabriqué cet objet trop peu cher (car son prix n’inclut pas ce que d’aucuns nomment de façon barbare ses « externalités »), dans quel atelier de misère (le terme reconnu par l’OQLF pour sweatshop), si ses ouvrières y ont travaillé 60, 72 ou 80 heures cette semaine, si elles ont été obligées d’uriner dans un sac sous leur machine à coudre1, si elles sont mortes au travail de ce que les Japonais appellent karôshi, au bout du rouleau.

Je me rappelle l’expression atterrée de travailleuses chinoises lorsqu’on leur a montré, dans le documentaire Mardi Gras : Made in China2 (que j’ai ironiquement visionné dans un avion, à la fois accélérateur de la mondialisation délétère et symbole des inégalités flagrantes), que les colliers qu’elles fabriquaient étaient offerts, dans une orgie de boisson déguisée en festivités, à des femmes qui dénudaient leur poitrine… puis qu’ils se retrouvaient noyés dans le flot d’ordures couvrant les rues de La Nouvelle-Orléans.

On fait quoi?

On considère la trajectoire de chaque objet dans nos achats et ceux de nos organisations – et on refuse d’acheter. On travaille à changer la culture pour que de ne pas manufacturer quelque chose, même si on peut le faire, soit considéré comme le geste sensé. On rend désirables la sobriété matérielle et la « suffisance intensive », concept de Nathan Ben Kemoun3, tissant des liens intenses avec l’objet (et l’activité qu’il nous permet de faire et les gens qui la pratiquent avec nous) plutôt qu’avec la multiplication des objets; ainsi un instrument de musique, un jeu de cartes ou un livre (pas cinquante…) deviennent-ils sources de nos moments précieux.

On lit

Les choses, de Georges Perec, récit encore d’actualité d’une quête de bonheur inassouvie : « [D]e nos jours et sous nos climats, de plus en plus de gens ne sont ni riches ni pauvres : ils rêvent de richesse et pourraient s’enrichir : c’est ici que leurs malheurs commencent4. »

On regarde

Pourquoi on se bat, de Solal Moisan et Camille Étienne (2023), sur Tou.tv et TV5 unis, pour la suffisance intensive illustrée : amitié, danse devant la mer, observation de la vie des animaux – qui nous enseignent à nous perdre.

1.  Le pire dans cette situation n’est évidemment pas que notre produit manufacturé ait cohabité avec l’urine de quelqu’une d’autre. Cet exemple et le précédent proviennent de No logo : la tyrannie des marques de Naomi Klein (Leméac / Actes Sud, 2001 [2000], chapitre 9).

2. David Redmon, 2005.

3.  Alexandre Monnin explique le concept dans une entrevue du 23 février 2024 avec Laure Coromines sur le site de L’ADN : https://www.ladn.eu/nouveaux-usages/futur-proche-comment-vivre-a-8-milliards-sur-terre/

4. Georges Perec, Les choses, Julliard, 1965, p. 71.

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Tranquille, la révolution?

            La société reste parfois figée dans l’interprétation qu’elle fait elle-même de sa propre histoire. On plaque une appellation sur une période donnée ou sur un phénomène social, un fait historique ou une série d’événements, et vogue la galère de l’analyse, une fois que tout le monde semble-t-il s’est satisfait de ce carcan interprétatif qu’on vient d’imposer à telle ou telle réalité. Ainsi en est-il de l’expression « révolution tranquille », une combinaison de deux termes antithétiques qui devrait normalement faire frissonner le moindre convaincu des esprits cartésiens. Quelle est l’image qui vous vient à l’esprit lorsqu’on évoque tel amalgame? Une bande de pépères assis sur le balcon, lesquels, en agitant leurs drapeaux, en viennent à faire changer les choses?

            En fait, lorsqu’on parle de révolution tranquille au Québec, on cherche à qualifier cette période transitoire qui s’est opérée lorsque le Québec, passant d’une société obscurantiste, prise dans les affres de la Grande Noirceur et du catholicisme, s’est métamorphosé en une nation pluraliste, accédant enfin à la modernité. Mais cette transition se serait opérée sans heurts? Notre histoire, un long fleuve tranquille?

Le 24 juillet 1941, il fait une chaleur torride dans les salles des cuves où on produit l’aluminium à Arvida. Pour cette raison et pour des motifs d’ordre pécuniaire, ce sont 4 500 travailleurs qui désertent leur poste et déclarent la grève. Nous sommes en pleine guerre et on a un besoin impérieux du précieux métal : la réaction ne se fait pas attendre. En plus des agents de la police provinciale, ce sont deux compagnies de soldats qui sont dépêchées sur les lieux pour mater les grévistes. En 1949, les mineurs d’Asbestos et de Thetford Mines réagissent à leur tour soumis à des conditions de travail qui mettent notamment leur santé, voire leur vie, en danger. Maurice Duplessis prend parti pour les employeurs, on engage des scabs. Le tout dégénère en confrontations, 5 000 grévistes se mobilisent pour mater les briseurs de grève.

Le 17 mars 1955, on fait sauter une bombe au Forum à la suite de la décision de la LNH de suspendre Maurice Richard pour le reste de la saison. S’ensuit une émeute dans les rues de la ville où on causera pour cent mille dollars de dégâts. Les Montréalais devront bientôt s’habituer à ce type de détonations : entre 1963 et 1970, le FLQ a posé environ 95 bombes, lesquelles tueront sept personnes et en blesseront quantité d’autres. Cette période est particulièrement riche en affrontements de tout genre. Au cours des seules années 1968 et 1969, on a pu compter jusqu’à 109 manifestations d’envergure sur le territoire de Montréal et elles ne sont rien de moins que pacifiques : 27 février 1968, émeute à l’occasion d’une marche de solidarité en faveur des travailleurs de l’embouteilleur 7Up en grève depuis plus d’un an;  Lundi de la matraque le 24 juin 1968, à l’occasion de la parade de la Saint-Jean-Baptiste on procède à l’arrestation de 292 personnes et on dénombre plus de 135 blessés; le 10 septembre, dans la foulée de la crise linguistique de Saint-Léonard, un millier de fervents nationalistes répondent à l’appel du militant Raymond Lemieux, bilan : 100 blessés, 51 arrestations, 118 vitrines fracassées, 10 incendies. Et on pourrait continuer ainsi longtemps : McGill français, Murray Hill, le Bill 63, sans oublier les événements d’Octobre, le déploiement de 12 500 militaires dans les rues de la métropole, l’arrestation de 497 citoyens québécois dont seulement 18 seront condamnés.

Et ici même dans la région, que dire de la lutte des gens de Cabano, après l’incendie de la scierie de bois Fraser, des exactions et des évacuations du BAEQ d’où sont nées les Opérations Dignité, des expropriations de Forillon?

Non, ce texte n’est pas un plaidoyer en faveur de la violence. Ce que je veux illustrer ici, c’est que l’expression « révolution tranquille » s’avère en réalité un euphémisme. On a édulcoré l’histoire en la chapeautant d’un oxymoron dans le but de la rendre plus digestible, d’en oblitérer les irritants, d’en effacer les côtés abrupts. Et ce qu’on a voulu cacher, c’est le fait que nos acquis sociaux ont été gagnés de chaude lutte. On s’est battu par le passé. Pour des conditions de travail décentes, pour le respect de la santé et de la vie humaine, pour la dignité, pour la prépondérance du français, pour la justice sociale, pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Et ces acquis sont toujours fragiles, souventes fois menacés. Regardez ce qui se passe aux États-Unis. Demeurons vigilants. D’autant plus que c’est le tapis même de l’existence sur terre qu’on est en train de tirer sous nos pieds. Comment baptisera-t-on cette période? L’extinction tranquille?

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OUROBOROS SE MORT LA QUEUE

J’ai toujours trouvé bien étrange l’adage selon lequel il faut voter avec sa tête et non avec son cœur, surtout quand on vote surtout avec ses pieds.

Ce n’est pas le temps, vous diront les gens de bien, de placer ses principes avant la « stratégie électorale », jolie formule édulcorée pour décrire cette véritable injonction à nous conformer au système représentatif de scrutin uninominal à un tour, une autre contorsion pour nommer un chien un chat.

Nommons plutôt ce chat un chat : « oligarchie parlementaire », un système dans lequel la voix citoyenne, cantonnée dans l’urne, ne fait pas le poids contre les intérêts « supérieurs » communiqués aux gouvernants et aux gouvernantes via les réseaux de lobbies, les jasettes entre deux ballons de Rémy Martin Louis XIII dans les chaises capitonnées des clubs privés, les parties de chasse au faisan insulaires qui « relèvent de la vie privée » et les airs de panique quand on apprend que Wall Street abaisse la cote de crédit du Québec.

Un système dans lequel aucun parti décrit comme sérieux par les gens de bien et leurs médias n’ose réellement remettre en question l’ordre établi par la haute finance, les boss de l’agro-alimentaire – les « rois de la pizza congelée » comme les appelait Falardeau –, les barons de l’énergie, le complexe militaro-industriel, les grands médias qui leur servent de relais et la force constabulaire qui jouit et abuse de son monopole sur la violence « acceptable ».

Au moment d’écrire cette chronique, on ne sait pas encore que le conservateur Bernard Généreux a été réélu avec une confortable avance dans Côte-du-Sud–Rivière-du-Loup–Kataskomiq–Témiscouata.

Tout comme on ne sait pas encore que la course n’était pas encore tout à fait décidée dans Rimouski–La Matapédia parce qu’un banquier de haute voltige est descendu de sa tour d’argent pour venir sauver le Parti libéral et qu’on aime donc ça, les riches, en politique. 

Tout comme on ne sait pas encore que Noémi Bureau-Civil, Raphaël Arseneault et Tommy Lefebvre, trois candidats indépendants qui se sont ralliés et qui militent pour le salut de notre région, ont été vulgairement ignorés par les médias des gens de bien qui leur préfèrent les candidats « sérieux ». Une chance que les médias indépendants et communautaires sont là! Par ailleurs, quand Jonathan Pedneault, co-chef d’un parti « sérieux » décide de dériver du script capitaliste, il se fait replacer par une « grande » journaliste bourgeoise qui trouve qu’augmenter l’impôt des riches n’est pas, justement, « sérieux » et il est désinvité du débat par la même commission électorale qui a laissé entrer les propagandistes d’extrême droite de « Rebel News » en tant que « journalistes ».

En revanche, on sait déjà que ni Généreux ni Blanchette-Joncas ne seront en mesure de défendre réellement les intérêts de ceux et celles qui sont le sel de la terre de notre région. Ils ne remettront pas en question les modèles économiques qui brisent le dos de nos pêcheurs et de nos cultivateurs, qui contribuent à détruire l’environnement et qui mettent des bâtons dans les roues de ceux et celles qui cherchent à remodeler de façon radicale notre rapport au politique, à la société et au territoire.

Je l’écris depuis quelques années déjà – notre immobilisme et notre entêtement à nier que le système qui nous apporte tant de conforts nous tue aussi à petit feu et à partir de maintenant, même les actions les plus radicales seront légitimes!

Mais il est plus facile d’envisager la fin du monde que celle du capitalisme, pour paraphraser Fredric Jameson ou Slavoj Zizek, les deux sont crédités pour avoir formulé cette idée.

C’est l’éternel retour décrit par les philosophes stoïciens de la Grèce antique, puis repopularisé par Nietzsche au 19e siècle qui postule, ici de manière un peu simpliste, que l’espace-temps est une boucle, l’Histoire serait donc également une sorte de boucle, ce qui entraînerait sa répétition.

C’est Ouroboros, le serpent qui a sa queue dans sa bouche, qui se mord justement la queue.

Mais ce sont là des idées bien commodes pour les cyniques et les pessimistes qui préfèrent se vautrer dans l’Absurde camusien plutôt que de le dépasser.

Car la seule voie de dépassement, c’est la révolte.

Nous n’avons malheureusement plus le choix de prendre la voie de la révolte.

Et le ton qu’elle prendra ne dépendra que de ce que feront et diront les gouvernants.

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Chronique du gars en mots dits: CAQ : définancer les « séparatistes »…

La Coalition Avenir-Québec se décrit comme un parti « nationaliste ». Traduction : sans être indépendantiste, elle est censée financer l’identité québécoise et souffler juste assez sur les braises de la fierté sans que cela menace sa sacro-sainte appartenance au Canada. Un parti fil-de-fériste qui vient une fois de plus de perdre l’équilibre.

La grande famille fédéraliste s’est toujours grassement récompensée pour son adhésion inconditionnelle au Canada. Ainsi, dans le bras de fer historique entre Québec et Ottawa, les subventions pour les commémorations de l’identité « multinationale » canadienne, bien qu’elles fluctuent au gré des budgets, ne sont jamais gelées ou réduites à néant sur une longue période.

Au Québec, c’est pourtant ce qu’on sentira le 19 mai 2025, avec le (dé)financement de la Journée nationale des patriotes. Depuis 2002 la défunte fête de Dollard des Ormeaux (la fête de la Reine dans le « rest of Canada ») constitue l’occasion rêvée pour décerner le prix du patriote de l’année, organiser des banquets, des spectacles, des réjouissances. Une rare chance, surtout, de donner un peu de substance à la devise du Québec : Je me souviens

Imaginez ma surprise quand, début février, la Société nationale de l’Est du Québec (SNEQ) m’a annoncé que ma famélique subvention annuelle de 600 $ pour l’organisation du banquet des patriotes du Kamouraska venait d’être réduite à néant par le douteux nationalisme de la CAQ. J’égrenais ces miettes entre les chansonniers invités, le cachet du conférencier, le prix du patriote de l’année et les prix de participation du public.

Remontons un peu dans l’histoire. Dans la foulée des États généraux du Canada français tenus en 1968, un grand schisme a divisé, d’un côté, les sociétés Saint-Jean-Baptiste diocésaines qui s’occupaient de ce qui s’appelait depuis 1834 la « Saint-Jean-Baptiste », une fête teintée d’un catholicisme assumé et prosélyte et, de l’autre, les Sociétés nationales laïques, qui ont essaimé et pris le relai dans 18 régions. Un de leurs premiers gestes : rebaptiser et transformer la « Saint-Jean-Baptiste » en « fête nationale »… On misait ainsi sur une fierté plus nationale que religieuse. Pour réaliser des économies d’échelle et se doter d’un porte-voix plus fort pour négocier avec le gouvernement, elles ont vite senti le besoin de centraliser une partie de leurs opérations à Montréal. Ce besoin fit naître le Mouvement national des Québécois (MNQ), où s’affaire aujourd’hui une douzaine d’employés. Mais le Parti libéral du Québec s’est toujours méfié du MNQ, le voyant comme un « nique à séparatistes ». Il a tout fait pour le plumer – comme l’alouette de la chanson – en n’indexant jamais son budget et, plus récemment, en lui retirant le lucratif contrat d’organisation du spectacle de la fête nationale à Québec pour l’ajouter au mandat de Télé-Québec. La fête ainsi ramenée dans le giron étatique, le gouvernement peut la surveiller plus étroitement.

Le façadisme de la CAQ

Supposément nationaliste, la CAQ affiche ici une fierté bien électoraliste, un patriotisme de façade. On connaît la hargne de François Legault contre son ancien parti, qui menace désormais de le renverser aux prochaines élections. Il a cru en venir à bout en 2022, mais les députés survivant à la vague, les « trois mousquetaires », ont vaillamment résisté, et évité l’anéantissement du PQ.

La suspicion de dénicher quelques indépendantistes et péquistes au Mouvement national des Québécois pousse la CAQ à tout faire pour le démanteler. Mais comment procéder pour que cela passe presque inaperçu? Simple : en transigeant désormais directement avec les dix-huit sociétés nationales réparties sur le territoire, tout en se vantant d’avoir augmenté leur budget de 15 %. Sauf que par la même occasion, cette mesure se trouve à définancer le MNQ qui, affaibli, ne pourra plus assumer ses fonctions de coordination nationale envers ces sociétés affiliées, dont peu peuvent se payer le luxe d’une permanence annuelle. Pour le MNQ, c’est huit des douze employés qui seront mis à pied, et les quatre restants seront réduits à des tâches plus modestes, comme la gestion du site transactionnel de produits de pavoisement Accent bleu.

Résumons la situation en termes imagés : le gouvernement déshabille Jacques pour habiller Jean, mais avec d’autres vêtements non ajustés à sa taille ou à ses besoins. 

Six millions de dollars : c’est le budget total de la fête nationale, soit presque exactement le même que celui payé pour deux parties des Kings de Los Angeles à Québec. Belle occasion ratée de doubler le financement pour célébrer notre identité ! Espérons que les Québécois cesseront d’être dupes de cette poudre aux yeux nationaleuse qui les éblouit et les aveugle depuis le 1er octobre 2018.

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