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    C’était il y a 24 ans. Le 15 Janvier 2001 naissait WikipĂ©dia. dans un monde numĂ©rique oĂč Google Ă©tait lui-mĂȘme nĂ© en 1998 et le web encore quelques annĂ©es avant (disons vers 1991 pour faire simple mĂȘme si sa date de naissance officielle est plutĂŽt en Mars 1989). Elle a dĂ» faire toutes les guerres, pour ĂȘtre si forte aujourd’hui. A l’image d’une chanson de Cabrel, elle a en effet dĂ» faire toutes les guerres pour ĂȘtre si forte aujourd’hui. Et aujourd’hui encore elle est la cible d’une offensive co
     

World Wide Wikipedia. Pourquoi il faut à tout prix défendre Wikipedia.

23 février 2025 à 07:35

C’était il y a 24 ans. Le 15 Janvier 2001 naissait WikipĂ©dia. dans un monde numĂ©rique oĂč Google Ă©tait lui-mĂȘme nĂ© en 1998 et le web encore quelques annĂ©es avant (disons vers 1991 pour faire simple mĂȘme si sa date de naissance officielle est plutĂŽt en Mars 1989).

Elle a dĂ» faire toutes les guerres, pour ĂȘtre si forte aujourd’hui.

A l’image d’une chanson de Cabrel, elle a en effet dĂ» faire toutes les guerres pour ĂȘtre si forte aujourd’hui. Et aujourd’hui encore elle est la cible d’une offensive coordonnĂ©e qui va des USA jusqu’à la France. Une offensive d’une violence et d’une portĂ©e rarement atteinte. Avec en tĂȘte un Musk qui rĂȘve de sonner l’Hallali de l’encyclopĂ©die.

L’histoire de Wikipedia est indissociable de celle du web et du numĂ©rique plus largement ; elle en a toujours constituĂ© un point nodal. Elle est une Babel moderne, elle a changĂ© le pĂ©rimĂštre de ce que l’on nommait encyclopĂ©disme (pour un « encyclopĂ©disme d’usage Â» comme je le qualifiais en 2008), elle en a aussi changĂ© certains codes et certaines valeurs. A l’échelle du monde numĂ©rique et un peu au-delĂ , elle est le dernier espace commun non-marchand, entiĂšrement dĂ©diĂ© Ă  la connaissance. Un espace dont le fonctionnement reste ouvert et transparent, tant dans sa gestion administrative (c’est une fondation, Wikimedia, qui prĂ©side aux destinĂ©es de l’encyclopĂ©die) que dans sa matĂ©rialitĂ© documentaire (chaque page de l’encyclopĂ©die propose d’accĂ©der Ă  son historique de modifications et aux dĂ©bats qui en sont Ă  l’origine).

Contrairement Ă  ce que l’on lit souvent dans les arguties de ses dĂ©tracteurs, non, il n’y a aucun anonymat sur Wikipedia mais un toujours possible pseudonymat. C’est Ă  dire que concrĂštement il est toujours possible via diffĂ©rents moyens techniques de rattacher un pseudonyme Ă  une identitĂ© civile. Et c’est aussi la raison pour laquelle les « proxys ouverts Â» (qui eux, permettraient en effet un anonymat rĂ©el) sont interdits sur Wikipedia. J’en profite d’ailleurs pour rappeler que globalement, cette rĂšgle du pseudonymat prĂ©vaut dans la quasi-totalitĂ© des mĂ©dias sociaux grands publics, c’est Ă  dire que oui, bien sĂ»r, Facebook, X et d’autres ont toujours la possibilitĂ© de retrouver les auteurs de propos condamnables par la loi ou Ă  l’origine de phĂ©nomĂšnes de harcĂšlement. Le fait qu’ils ne le fassent pas systĂ©matiquement, le fait qu’ils n’appliquent mĂȘme pas leurs propres rĂšgles, dit tout de leur cynisme fondĂ© sur l’optimisation de la circulation des discours de haine. Je ne vous rĂ©explique pas tout ça en dĂ©tail, j’ai dĂ©jĂ  Ă©crit des centaines d’articles sur ce sujet (et quelques livres aussi). Flemme de tout rĂ©expliquer, l’archive du blog est aussi lĂ  pour cela. Je vous en mets quand mĂȘme un parmi tant d’autres, qui synthĂ©tise l’essentiel.

Au commencement il y a la haine de Musk.

Musk qui n’est pas Ă  un revirement prĂšs, et qui aprĂšs avoir par le passĂ© Ă  de nombreuses reprises « louĂ© Â» Wikipedia pour les services qu’elle rendait, prend aujourd’hui la tĂȘte d’une croisade rĂ©actionnaire internationale.

Musk, c’était mieux avant.

TrĂšs tĂŽt dans la dynamique de l’installation de Trump Ă  la Maison Blanche, Elon Musk appelait au boycott de Wikipedia. Au motif qu’elle serait – selon lui – une entreprise partisane entiĂšrement vouĂ©e au Wokisme et Ă  l’extrĂȘme gauche. Pour rappel, absolument aucune Ă©tude scientifique sĂ©rieuse depuis que Wikipedia existe n’a permis de prouver une telle assertion. A la diffĂ©rence de toutes les Ă©tudes scientifiques dĂ©montrant en revanche que globalement l’écosystĂšme des plateformes penchait plutĂŽt Ă  droite et que dans le cas particulier de Twitter puis de X les discours conservateurs et d’extrĂȘme-droite Ă©taient, pour le coup, dĂ©libĂ©rĂ©ment mis en avant. Et que oui globalement « internet Â» et « les algorithmes Â» sont trĂšs clairement de droite, et que cela s’explique tout Ă  fait rationnellement.

Ces derniers jours encore, une Ă©tude de Global Witness notamment reprise sur Techcrunch et sur Nieman Lab, dĂ©montrait que concernant X et TikTok et Ă  l’occasion des Ă©lections de ce week-end en Allemagne, tout Ă©tait fait pour favoriser la place du parti d’extrĂȘme-droite AfD, parti qui ne fait aucun mystĂšre ni tabou de son affiliation nĂ©o-nazie.

« 78 % du contenu politique recommandĂ© algorithmiquement par TikTok aux comptes testĂ©s, et provenant de comptes que les utilisateurs testĂ©s ne suivaient pas, soutenait le parti AfD. (
) Sur X, Global Witness a constatĂ© que 64 % des contenus politiques recommandĂ©s soutenaient l’AfD. En testant le biais politique gĂ©nĂ©ral de gauche ou de droite dans les recommandations algorithmiques des plateformes, ses conclusions suggĂšrent que les utilisateurs de mĂ©dias sociaux non partisans en Allemagne sont exposĂ©s Ă  des contenus de droite plus de deux fois plus que des contenus de gauche Ă  l’approche des Ă©lections fĂ©dĂ©rales dans le pays. Â» (Traduit par moi avec l’aide de DeepL)

 

D’autres Ă©tudes, chroniquĂ©es rĂ©cemment sur Arte (« Comment Elon Musk manipule les Ă©lections allemandes« ), abondent dans ce sens et en dĂ©crivent quelques-uns des principaux mĂ©canismes.

On pourrait donc presque sourire que l’homme qui adresse des saluts nazis Ă  la foule (il a Ă©tĂ© particuliĂšrement vexĂ© que ce salut soit enregistrĂ© comme tel dans WikipĂ©dia), qui rĂ©tablit les pires comptes complotistes et antisĂ©mites sur sa plateforme, qui oriente dĂ©libĂ©rĂ©ment Ă  l’extrĂȘme-droite l’ensemble de ce qu’il lui est possible d’orienter Ă  l’extrĂȘme-droite, que cet homme lĂ  vienne dĂ©noncer le fait que Wikipedia penche un peu Ă  gauche (ce qui je le rappelle, est factuellement faux), le tout dans un paysage numĂ©rique qui non seulement penche trĂšs clairement du cĂŽtĂ© conservateur, et dans lequel depuis le scandale « fondateur Â» de Cambridge Analytica, on peut dĂ©sormais documenter Ă  presque chaque Ă©lection dans presque chaque pays du monde le fait que des partis ou des candidats d’extrĂȘme-droite sont non seulement soutenus mais parfois directement conduits au pouvoir par le jeu des plateformes numĂ©riques (dernier Ă©pisode en date, l’élection en Roumanie). Mais naturellement rien de tout cela ne prĂȘte Ă  sourire.

Musk lance donc la meute Ă  l’assaut de Wikipedia. Et comme attendu, la meute le suit. La meute des conservateurs amĂ©ricains, la meute des trumpistes convaincus, la meute des influenceurs MAGA, la meute de Fox News, et la meute de l’ensemble de l’écosystĂšme mĂ©diatique qui leur sert de relai. Cet appel au boycott fonctionne sur deux points.

Premier point, une Ăąnerie totale : Wikipedia ne pencherait politiquement que dans un seul sens, Musk la baptise d’ailleurs rĂ©guliĂšrement « WokepĂ©dia Â» en rĂ©fĂ©rence Ă  sa nĂ©vrose obsessionnelle commune avec FrĂ©dĂ©rique Vidal et Jean-Michel Blanquer. Faites ici un petit dĂ©tour chez Authueil pour lire sa courte mais Ă©clairante synthĂšse : « WikipĂ©dia est-il de gauche ? Â» (spoiler alert : bah non)

Second point : un axe Ă©conomique. Musk recommande s’assĂ©cher la fondation Wikimedia qui gĂšre entre autres l’encyclopĂ©die Wikipedia en cessant de la financer par des dons. « Coupez les financements Ă  WikipĂ©dia tant que l’équilibre n’est pas restaurĂ© ! Â» Ă©crivait-il le 21 Janvier sur son compte X. Il faut ici savoir qu’au-delĂ  des dons de particuliers, on trouve aussi nombre des « Big Tech Â» qui financent Wikipedia (Apple, Google, Microsoft, Cisco, etc) Et que par-delĂ  l’impact qu’il espĂšre avoir sur les donateurs particuliers, c’est surtout sur cet Ă©cosystĂšme de la Tech qu’Elon Musk entend peser de tout son mortifĂšre poids. Et malheureusement au regard des derniers ralliements et reniements de la plupart des gĂ©ants de la tech amĂ©ricaine, il est a minima raisonnable d’ĂȘtre trĂšs inquiets.

Comme rappelé également par Damien Leloup dans Le Monde :

« Ă  la fin du mois de dĂ©cembre 2024, sur X, il appelait dĂ©jĂ  ses abonnĂ©s Ă  ne pas donner d’argent Ă  l’encyclopĂ©die, alors en pleine campagne de financement de fin d’annĂ©e, pour protester contre une supposĂ©e dĂ©rive Ă  gauche du site, qualifiĂ© de « Wokepedia ». A l’origine de cette saillie : un message d’un compte de la droite dure amĂ©ricaine affirmant, Ă  la suite d’une mauvaise lecture des bilans financiers de la Fondation WikimĂ©dia, qu’elle consacre 50 millions de dollars (48 millions d’euros) par an Ă  des projets de « diversitĂ© et inclusion », honnis d’Elon Musk et des rĂ©publicains amĂ©ricains. En rĂ©alitĂ©, cette somme finance principalement le dĂ©veloppement de l’encyclopĂ©die, les salaires d’avocats et des mesures de cybersĂ©curitĂ©. Â»

 

Lors de l’un de ses derniers meeting Ă©lectoraux, Donald Trump qualifiait Elon Musk de « plus grand capitaliste de l’histoire de l’AmĂ©rique« . Pour donner un point de comparaison sur la menace financiĂšre que Musk est en situation d’exercer sur Wikipedia si le modĂšle Ă©conomique de cette derniĂšre venait Ă  vaciller ou Ă  n’ĂȘtre plus garanti, un article de Lila Shroff dans The Atlantic rappelle que « la fondation Wikimedia a un budget annuel de 189 millions de dollars. A cĂŽtĂ© de cela, Musk a dĂ©pensĂ© prĂšs de 288 millions de dollars rien que pour supporter Trump et d’autres candidats rĂ©publicains dans cette Ă©lection prĂ©sidentielle. Â»

Comme le prĂ©cise le titre de l’article de Lila Shroff, « Elon Musk veut ce qu’il ne peut pas avoir : Wikipedia. Â»  On peut en effet considĂ©rer qu’il est dans la nature de ces personnalitĂ©s toxiques de dĂ©sirer en premier ce qui leur rĂ©siste le plus ou leur semble le plus inaccessible. Mais l’histoire a Ă©galement montrĂ© que ce qui nous semblait hier tout Ă  fait improbable devenait aujourd’hui tout Ă  fait possible. L’exercice de pensĂ©e auquel nous devons nous astreindre est donc de nous figurer un monde dans lequel Elon Musk pourrait un jour racheter Wikipedia. Ou la dĂ©truire. Ce qui revient de toute façon au mĂȘme. Exactement comme il l’a fait pour Twitter. Pour l’instant le fonctionnement de la fondation Wikimedia n’offre Ă  Elon Musk aucune prise directe pour une quelconque forme d’OPA hostile. Mais s’interdire d’imaginer que cela puisse un jour advenir revient Ă  baisser notre garde et Ă  crĂ©er les conditions pour rendre cela possible.

La meute Française contre Wikipedia prendra ses quartiers rĂ©sidentiels dans le journal Le Point, qui en l’espace de quelques semaines rĂ©ussit un double tour de force. Primo en menaçant de livrer Ă  la vindicte populaire les noms et coordonnĂ©es d’un contributeur rĂ©gulier de Wikipedia dont le principal tort avait Ă©tĂ© de participer Ă  la mise Ă  jour de la page WikipĂ©dia dudit journal en y rappelant de maniĂšre factuelle un certain nombre d’élĂ©ments. Et deuxio de publier une « tribune Â» signĂ©e par la fine fleur du printemps rĂ©publicain et de la rĂ©acosphĂšre (plus quelques malheureuses et malheureux Ă©garĂ©s et le lot habituel de signataires de mĂ©tier, qui ont vu de la lumiĂšre et se sont offert Ă  moindre frais ce qu’ils croient toujours ĂȘtre un petit moment de gloire, plus celles et ceux qui regrettent dĂ©jĂ ), tribune intitulĂ©e : « Halte aux campagnes de dĂ©sinformation et de dĂ©nigrement menĂ©es sur Wikipedia. Â» Je ne vous mets mĂȘme pas le lien tellement la litanie d’approximations, de contre-vĂ©ritĂ©s et de mauvaise foi qu’elle contient** est pĂ©nible Ă  lire.  Le principal problĂšme de la majoritĂ© des signataires de cette tribune, en tout cas de celles et ceux qui en sont Ă  l’initiative, est qu’ils et elles ne sont pas contents de certains points mentionnĂ©s dans leur propre page WikipĂ©dia et n’ont pas la possibilitĂ© de les enlever ou de les modifier (et je vous garantis que certain.e.s ont pourtant vraiment tout essayĂ© ;-). Leur autre point commun, et il est bien plus inquiĂ©tant et signifiant, c’est de partager avec Elon Musk un agenda illibĂ©ral et, Ă  la maniĂšre d’une Blanche-Neige sous extas, de voir des Wokes partout et de se sentir investis de la mission de les Ă©radiquer. Et sans offense pour les femmes qui en sont signataires, cette tribune est avant tout une belle collection de tristes burnes.

** Mais si vous aimez vous faire du mal vous pouvez toujours retaper son titre dans Google, ou mieux, aller lire le debunking point par point de Tsaag Valren (doctorante en sciences de l’information et WikipĂ©dienne), enchaĂźner avec l’article de Jean-NoĂ«l Lafargue « Le Point contre Wikipedia Â», et terminer avec le billet de Daniel Schneidermann, « Wikipedia : leur mauvaise conscience. Â»

Alors attention et entendons-nous bien.

Oui il y a eu et il y aura probablement encore des opĂ©rations de dĂ©sinformation et de dĂ©nigrement dans WikipĂ©dia. Oui il y a eu et il y aura toujours ce que l’on appelle des « guerres d’édition Â» dans WikipĂ©dia, et il en fut d’anthologie comme celle de 2007 opposant les partisans de SĂ©golĂšne Royal Ă  ceux de Nicolas Sarkozy lors du dĂ©bat d’entre deux tours et sur le sujet des EPR, Celle Ă©galement des Ă©quipes de Trump pour tenter de dĂ©stabiliser la campagne d’Hillary Clinton juste avant sa premiĂšre accession Ă  la Maison Blanche, Celle aussi de la cellule lancĂ©e par Eric Zemmour lors de sa campagne prĂ©sidentielle, cellule baptisĂ©e WikiZedia (sic) et qui avait pour objet de modifier un nombre substantiel d’articles de l’encyclopĂ©die pour y mettre en avant ou en tout cas les rendre favorables Ă  certaines thĂšses dĂ©fendues par le candidat nĂ©o-fasciste.

Donc oui, il y a en effet de la dĂ©sinformation et du dĂ©nigrement dans Wikipedia. Oui mais primo il y en a bien moins que dans les Ă©cosystĂšmes et plateformes socio-mĂ©diatiques traditionnelles. Oui mais deuxio ces opĂ©rations de dĂ©sinformation et de dĂ©nigrement sont bien mieux repĂ©rĂ©es, identifiĂ©es, combattues et rapidement signalĂ©es ou corrigĂ©es que dans tous les autres Ă©cosystĂšmes sus-mentionnĂ©s. Et oui tertio l’essentiel de ces campagnes de dĂ©sinformation et de dĂ©nigrement ne viennent pas du camp de l’amicale LGBTQIASGW (Lesbiano-Gay-Bi-Trans-Queer-IntersexuĂ©e-Anarcho-Syndicalo-Gauchisto-Wokiste) mais viennent du camp de la droite conservatrice et de l’extrĂȘme-droite (et lĂ  aussi cela s’explique rationnellement pour les mĂȘmes raisons que l’internet et les algorithmes penchent globalement Ă  droite, relire notamment ce qu’écrit Jen Schradie Ă  ce sujet).

Et oui bien sĂ»r Wikipedia n’est pas exempte de biais. Mais lĂ  encore comme l’indiquent les chercheurs et chercheuses interviewĂ©es par Damien Leloup dans Le Monde :

 Â« il y a surtout un biais de diplĂŽme Â» parmi les contributeurs de l’encyclopĂ©die en ligne, explique Nicolas Jullien, professeur Ă  l’IMT Atlantique, directeur de recherche au sein du groupement d’intĂ©rĂȘt scientifique Marsouin et coauteur de plusieurs Ă©tudes Ă  grande Ă©chelle sur les utilisateurs de WikipĂ©dia. « Si vous ĂȘtes titulaire d’une licence, vous avez statistiquement beaucoup plus de chances d’avoir essayĂ© de contribuer Ă  WikipĂ©dia ; pour contribuer, il faut notamment se sentir lĂ©gitime Ă  le faire.« 

« Il y a des biais sur l’encyclopĂ©die, et ils sont bien connus : un biais de genre, notamment, avec une trĂšs grande majoritĂ© d’hommes parmi les contributeurs, et une surreprĂ©sentation assez spectaculaire des populations trĂšs fortement diplĂŽmĂ©es, enseignants, journalistes, informaticiens Â» abonde Jeanne Vermeirsche.

 

Des biais que non seulement la fondation Wikimedia reconnaĂźt (depuis 2011), qui sont documentĂ©s et explicitĂ©s dans l’encyclopĂ©die elle-mĂȘme, et sur lesquels travaillent nombre d’associations et de militantes et militants pour tenter de les rĂ©duire et de les attĂ©nuer.

Et puis il y a les histoires singuliĂšres et les dĂ©bats d’admissibilitĂ©, souvent un peu kafkaĂŻens au premier abord, mais toujours heuristiquement passionnants dĂšs lors que l’on s’y plonge en dĂ©tail. Et Ă  la fin ce qu’il peut advenir de pages de gens qui ne sont ni ne prĂ©tendent Ă  la cĂ©lĂ©britĂ©. Ainsi il y a peu de temps le collĂšgue et camarade Francis Mizio relatait comment et pourquoi il avait fait « vider Â» sa page WikipĂ©dia. Et souvenez-vous, il y a de cela presqu’exactement 10 ans, je vous racontais l’histoire du dĂ©bat d’amissibilitĂ© de ma propre page Wikipedia (qui d’ailleurs mĂ©riterait une sĂ©rieuse mise Ă  jour, jdcjdr 😉

Et oui bien sĂ»r le modĂšle encyclopĂ©dique de WikipĂ©dia est particulier puisqu’il repose sur la « vĂ©rifiabilitĂ© Â» plutĂŽt que sur la « vĂ©ritĂ© Â», mais lĂ  encore il faut se souvenir de Foucault et de ce qu’il Ă©crivait Ă  propos des rĂ©gimes de vĂ©ritĂ© :

« Chaque sociĂ©tĂ© a son rĂ©gime de vĂ©ritĂ©, sa politique gĂ©nĂ©rale de la vĂ©ritĂ©: c’est-Ă -dire les types de discours qu’elle accueille et fait fonctionner comme vrais ; les mĂ©canismes et les instances qui permettent de distinguer les Ă©noncĂ©s vrais ou faux, la maniĂšre dont on sanctionne les uns et les autres ; les techniques et les procĂ©dures qui sont valorisĂ©es pour l’obtention de la vĂ©ritĂ© ; le statut de ceux qui ont la charge de dire ce qui fonctionne comme vrai. Â»

 

Ce qui dĂ©plaĂźt Ă  Elon Musk comme aux signataires de la tribune des tristes burnes, ce qui les hĂ©risse et leur semble inacceptable, c’est qu’ils ne soient pas et ne soient plus les seuls en charge de dire ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, ce qui est dicible et ce qui doit ĂȘtre dissimulĂ©. Ce qu’ils omettent enfin de signaler, c’est que pour une bonne moitiĂ© des signataires de la tribune du Point, ils et elles ont Ă©tĂ© non pas les victimes mais les initiateurs et initiatrices de campagnes de dĂ©sinformation et de dĂ©nigrement. Campagnes de dĂ©sinformation et de dĂ©nigrement dont cette tribune est la forme aussi pathĂ©tique qu’évidente d’une prĂ©tĂ©rition en miroir.

L’autre grand dĂ©plaisir de Musk et de ses affidĂ©s, l’autre grande raison de sa croisade contre Wikipedia, c’est prĂ©cisĂ©ment qu‘elle est l’un des derniers espaces numĂ©riques dans lequel il est possible, quelque soit le sujet, d’avoir un dĂ©bat politique (relativement) apaisĂ© en ce sens qu’il s’inscrit toujours dans le contexte de rĂšgles Ă©ditoriales communes et transparentes, rĂšgles dont l’applicabilitĂ© peut cependant ĂȘtre contestĂ©e, critiquĂ©e et dĂ©battue par chacun, et le tout dans un espace toujours par essence rendu public (et « la dĂ©mocratie« , comme le disait et l’écrivait Bernard Stiegler « c’est d’abord un exercice de rendu public« ).

Là encore ce point est rappelé dans le papier de Damien Leloup dans Le Monde :

Or WikipĂ©dia reste l’une des rares grandes plateformes oĂč des dĂ©bats politiques peuvent avoir lieu de façon Ă  la fois intense et apaisĂ©e, y compris sur les sujets les plus polĂ©miques, note Jeanne Vermeirsche. « Un exemple parmi d’autres : sur la page WikipĂ©dia de [l’influenceuse antifĂ©ministe] ThaĂŻs d’Escufon, il y a des dĂ©bats quotidiens lancĂ©s par des contributeurs qui souhaitent enlever le qualificatif “d’extrĂȘme droite” de sa prĂ©sentation. (
) Les discussions restent trĂšs cordiales par rapport Ă  ce qu’on peut voir sur d’autres plateformes, avec des rĂ©fĂ©rences constantes aux rĂšgles et aux sources, ce qui cadre le dĂ©bat. A mon sens, les critiques qu’adresse Elon Musk Ă  WikipĂ©dia montrent surtout une mĂ©connaissance de son fonctionnement. Â»

 

Or Musk veut tout sauf des dĂ©bats politiques apaisĂ©s, sereins et Ă©quilibrĂ©s dans l’obligation faite Ă  chacun de respecter les mĂȘmes rĂšgles et de s’offrir aux mĂȘmes arbitrages. C’est l’exacte antithĂšse de ce pourquoi il a (entre autres) rachetĂ© Twitter et de ce qu’il y a dĂ©ployĂ© depuis. C’est aussi ce qui explique qu’aprĂšs avoir supprimĂ© la modĂ©ration au profit des « Community Notes Â», il veut maintenant entiĂšrement revoir ou supprimer les Community Notes qu’il juge « instrumentalisĂ©es par des activistes et des gouvernements. Â» En rĂ©alitĂ© il s’est lui-mĂȘme fait rĂ©guliĂšrement « corriger Â» par ces Community Notes et ne le supporte pas. Musk ne mĂ©connaĂźt pas le fonctionnement de Wikipedia : il s’en contrefout. Et il s’en contrefout prĂ©cisĂ©ment parce que ce fonctionnement l’exaspĂšre et l’entrave dans l’ambition politique qu’il s’est dĂ©sormais assignĂ©e.

« Projet 2025. Â» Viens-voir le Doxxer non n’aie pas peur.

Le « Projet 2025 Â» est portĂ© par « l’Heritage Foundation« , un lobby (notamment) climato-dĂ©nialiste qui milite (notamment) pour l’effondrement des politiques publiques. Et le cadre de ce « Projet 2025 Â» c’est une doctrine qui s’étale sur 900 pages et qui a pour objet (en gros) de confĂ©rer Ă  Trump les pleins pouvoirs et Ă  faire en sorte qu’en effet, au bout de son second mandat, il ne soit plus utile ou nĂ©cessaire de voter (comme il l’a lui-mĂȘme annoncĂ©). Dans ce cadre dĂ©jĂ  plus que dĂ©lĂ©tĂšre et creepy (sur ce sujet, allez lire l’article d’Olivier Petitjean sur l’Observatoire des Multinationales), il est donc prĂ©vu, au titre du « Projet 2025 Â», de s’attaquer en mode « doxxing Â» (c’est Ă  dire en faisant de la dĂ©nonciation et de la divulgation publique de donnĂ©es personnelles), d’identifier et de cibler les principaux contributeurs et contributrices de Wikipedia sur des pages diffusant des idĂ©es et des faits contraires Ă  l’idĂ©ologie illibĂ©rale, conservatrice et climato-dĂ©nialiste de l’Heritage Foundation. Rien que ça. Oui oui, un peu comme la rĂ©cente tentative d’intimidation d’un contributeur francophone par un journaliste du Point. Mais lĂ  oĂč Le Point y va en mode « on dĂ©fend la boutique par tous les moyens, y compris ceux d’authentiques salopards qui ont fumĂ© toute leur dĂ©ontologie journalistique« , les moyens colossaux mobilisĂ©s par l’Heritage Foundation sont d’une toute autre nature et d’une toute autre ambition.

L’angle affichĂ© par l’Heritage Foundation est officiellement de lutter contre l’anti-sĂ©mitisme et donc de cibler en prioritĂ© les principaux contributeurs et contributrices des pages qui traitent du conflit IsraĂ«lo-Palestinien. En rĂ©alitĂ© il s’agit de s’assurer par ce biais de garantir les intĂ©rĂȘts IsraĂ«liens dans l’expression de sa doctrine, et d’écraser toute parole issue de la dĂ©fense de la cause Palestinienne. Et derriĂšre ce combat d’apparence contre l’anti-sĂ©mitisme, il s’agit de cibler par tous les moyens (y compris ceux plus ou moins lĂ©gaux) les principaux contributeurs de pages en lien avec les libertĂ©s civiles et religieuses, le droit Ă  l’avortement, le rĂ©chauffement et le dĂ©rĂšglement climatique, etc.

LĂ  aussi il faut savoir que Wikipedia a dĂ©jĂ  pris un grand nombre de mesures sur des sujets politiques sensibles, au premier rang desquels, justement, le conflit IsraĂ«lo-Palestinien (dĂ©cisions qui concernant aussi les pages ou sujets pour lesquels peuvent ĂȘtre mobilisĂ©s des intĂ©rĂȘts pro-russes, pro-chinois, etc.) Je cite ici la fin de l’article de Stephen Harrison sur Slate Ă  ce sujet :

« Depuis des mois, les juges bĂ©nĂ©voles du comitĂ© d’arbitrage de WikipĂ©dia [« Wikipedia’s Arbitration Committee Â» ou ArbCom] (une sorte de « cour suprĂȘme Â» de Wikipedia) examinent les actions des rĂ©dacteurs trĂšs impliquĂ©s dans les articles sur IsraĂ«l et les Palestiniens. Le 23 janvier, l’ArbCom a rendu son verdict dans l’affaire PIA5, un procĂšs virtuel dans lequel il a examinĂ© la conduite de 14 Ă©diteurs trĂšs prolifiques dans ce domaine. AprĂšs avoir entendu les dĂ©clarations prĂ©liminaires des parties et constatĂ© les faits (notamment le fait que certains rĂ©dacteurs utilisaient des comptes fictifs trompeurs), l’ArbCom a finalement banni plusieurs rĂ©dacteurs pro-palestiniens et pro-israĂ©liens pour « Ă©dition non neutre ».

En plus de ces interdictions, la commission a introduit une nouvelle mesure punitive, la « restriction d’édition Ă©quilibrĂ©e Â», qui stipule que les utilisateurs sanctionnĂ©s ne peuvent consacrer qu’un tiers de leurs Ă©ditions Ă  ce sujet controversĂ©. En substance, ces wikipĂ©diens sont contraints d’élargir leur champ d’action. (Le verdict a dĂ©jĂ  suscitĂ© la controverse au sein de la communautĂ© WikipĂ©dia, certains se demandant si ces rĂ©dacteurs trouveront des moyens crĂ©atifs de contourner la rĂšgle). Â»

 

Et Stephen Harrison de conclure (et moi de souligner) :

Quelle que soit son efficacitĂ©, la derniĂšre dĂ©cision de WikipĂ©dia est conforme Ă  ses principes quasi-dĂ©mocratiques. Elle reflĂšte un engagement en faveur du dĂ©bat en ligne plutĂŽt que les tactiques autoritaires proposĂ©es par Heritage Foundation. Mais si le groupe de rĂ©flexion rĂ©ussit Ă  identifier et Ă  cibler les Ă©diteurs, les consĂ©quences pourraient ĂȘtre profondes. Face au risque de harcĂšlement ou de reprĂ©sailles dans le monde rĂ©el, de nombreux rĂ©dacteurs bĂ©nĂ©voles – en particulier ceux qui couvrent des sujets politiquement sensibles – pourraient tout simplement cesser de contribuer. Ceux qui resteront seront probablement les voix les plus idĂ©ologiquement orientĂ©es, ce qui Ă©rodera encore plus l’objectif dĂ©clarĂ© de neutralitĂ© de WikipĂ©dia. (Traduit avec Deepl et moi-mĂȘme)

 

Se souvenir de ce que Dorothy Allison Ă©crivait dans « Peau. A propos de sexe, de classe et de littĂ©rature Â».

« J’ai appris Ă  travers de grands chagrins que tous les systĂšmes d’oppression se nourrissent du silence public et de la terrorrisation privĂ©e.« 

 

World Wide Wikipedia (against Fascism).

Wikipedia est aujourd’hui l’exemple de tout ce que Musk abhorre. Elle est surtout devenue l’exemple de tout ce que l’extrĂȘme-droite et les mouvements conservateurs dĂ©testent : une agora rĂ©elle, transparente, publique, indĂ©pendante financiĂšrement sans avoir Ă  passer par la publicitĂ©, et peut-ĂȘtre surtout, surtout, l’un des derniers espaces collectifs international dans lequel la libertĂ© d’expression est correctement encadrĂ©e et dĂ©finie et oĂč elle n’est pas directement corrĂ©lĂ©e Ă  une libertĂ© d’exposition et de circulation elle-mĂȘme fabriquĂ©e et orientĂ©e de maniĂšre exogĂšne (c’est Ă  dire oĂč le Free Reach ne dĂ©cide pas entiĂšrement du Free Speech). C’est aussi, comme l’écrivait Alexis Madrigal, « le dernier bastion d’une rĂ©alitĂ© partagĂ©e Â».

A l’heure oĂč les saluts Nazis se multiplient et oĂč des fous furieux pourtant dĂ©mocratiquement Ă©lus s’offrent des tronçonneuses plaquĂ©es or, il n’est pas vain de rĂ©affirmer que Wikipedia dans son histoire et dans Ă©volution est une rempart de rĂ©sistance Ă  l’essentiel des 14 signes qu’Umberto Eco pointait comme ceux permettant de reconnaĂźtre le fascisme. Et que c’est aussi et peut-ĂȘtre d’abord pour cela que les apprentis fascistes et les extrĂȘmes-droites rĂ©unies l’ont toujours combattue et la combattront toujours. Et que toujours nous devrons la dĂ©fendre et en prendre soin. Parmi ces 14 signes, voici les 9 qui semblent particuliĂšrement d’actualitĂ© dans ce que reprĂ©sente aujourd’hui Wikipedia pour lutter contre la dĂ©rive fasciste et rĂ©vĂ©lateurs des motivations de l’offensive qu’elle subit.

  • 1 – « La premiĂšre caractĂ©ristique du fascisme Ă©ternel est le culte de la tradition. Il ne peut y avoir de progrĂšs dans la connaissance. La vĂ©ritĂ© a Ă©tĂ© posĂ©e une fois pour toutes, et on se limite Ă  interprĂ©ter toujours plus son message obscur. Â»  Wikipedia se dĂ©finit par l’idĂ©e mĂȘme que les progrĂšs dans la connaissance sont constants et doivent ĂȘtre constamment documentĂ©s. 

  • 2 – « Le conservatisme implique le rejet du modernisme. (
) Â» Wikipedia est Ă©videmment moderne.  

  • 3 – « Le fascisme Ă©ternel entretient le culte de l’action pour l’action. RĂ©flĂ©chir est une forme d’émasculation. En consĂ©quence, la culture est suspecte en cela qu’elle est synonyme d’esprit critique. (
) Â» Est-il vraiment besoin que je dĂ©veloppe en quoi Wikipedia est Ă  l’opposĂ© de tout cela ?

  • 4 – « Le fascisme Ă©ternel ne peut supporter une critique analytique. L’esprit critique opĂšre des distinctions, et c’est un signe de modernitĂ©. Dans la culture moderne, c’est sur le dĂ©saccord que la communautĂ© scientifique fonde les progrĂšs de la connaissance. Pour le fascisme Ă©ternel, le dĂ©saccord est trahison. Â» LĂ  encore, Ă  l’évidence, Wikipedia en constitue l’antithĂšse.

  • 5 – « En outre, le dĂ©saccord est synonyme de diversitĂ©. Le fascisme Ă©ternel se dĂ©ploie et recherche le consensus en exploitant la peur innĂ©e de la diffĂ©rence et en l’exacerbant. Le fascisme Ă©ternel est raciste par dĂ©finition. Â» Trump et Musk et toutes les grandes entreprises de la Tech ont mis fin aux politiques de diversitĂ© et d’inclusion (DEI). Wikipedia (sans ĂȘtre un absolu de perfection) contribue Ă  continuer de les faire vivre et exister, et ne nie pas les Ă©vidences concernant ses propres marges de progression ou d’empĂȘchement sur ces sujets. Elle demeure aussi un lieu oĂč en termes de contenus encyclopĂ©diques, l’ensemble des minoritĂ©s peuvent exister et ĂȘtre documentĂ©es dans l’ensemble de leurs revendications.

  • 6 – « Le fascisme Ă©ternel puise dans la frustration individuelle ou sociale. C’est pourquoi l’un des critĂšres les plus typiques du fascisme historique a Ă©tĂ© la mobilisation d’une classe moyenne frustrĂ©e, une classe souffrant de la crise Ă©conomique ou d’un sentiment d’humiliation politique, et effrayĂ©e par la pression qu’exerceraient des groupes sociaux infĂ©rieurs. Â» LĂ  aussi toute la critique adressĂ© par Musk et l’extrĂȘme-droite Ă  WikipĂ©dia repose prĂ©cisĂ©ment sur l’effroi de la pression qu’exerceraient des groupes sociaux infĂ©rieurs Â», c’est Ă  dire sur ce qu’Eco aurait pu appeler, si le terme avait Ă©tĂ© disponible Ă  l’époque de la parution de son texte, le Wokisme.

  • 7 – « Aux personnes privĂ©es d’une identitĂ© sociale claire, le fascisme Ă©ternel rĂ©pond qu’elles ont pour seul privilĂšge, plutĂŽt commun, d’ĂȘtre nĂ©es dans un mĂȘme pays. C’est l’origine du nationalisme. En outre, ceux qui vont absolument donner corps Ă  l’identitĂ© de la nation sont ses ennemis. Ainsi y a-t-il Ă  l’origine de la psychologie du fascisme Ă©ternel une obsession du complot, potentiellement international. Et ses auteurs doivent ĂȘtre poursuivis. La meilleure façon de contrer le complot est d’en appeler Ă  la xĂ©nophobie. Mais le complot doit pouvoir aussi venir de l’intĂ©rieur. Â» Ici encore l’essentiel des critiques adressĂ©es Ă  Wikipedia par le camp rĂ©actionnaire et nĂ©o ou proto-fasciste s’inscrivent dans le registre Ă©tendu du complotisme.

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)
  • 13 – « Le fascisme Ă©ternel se fonde sur un populisme sĂ©lectif, ou populisme qualitatif pourrait-on dire. Le Peuple est perçu comme une qualitĂ©, une entitĂ© monolithique exprimant la VolontĂ© Commune. Étant donnĂ© que des ĂȘtres humains en grand nombre ne peuvent porter une VolontĂ© Commune, c’est le Chef qui peut alors se prĂ©tendre leur interprĂšte. Ayant perdu leurs pouvoirs dĂ©lĂ©gataires, les citoyens n’agissent pas; ils sont appelĂ©s Ă  jouer le rĂŽle du Peuple. Â» Dans l’ensemble des dispositifs discursifs sur lesquels Musk Ă  la main, ou ceux sur lesquels il donne son avis, cette « expression populaire Â» ne lui sied que tant qu’elle sert ses intĂ©rĂȘts propres ou cible ses adversaires et ennemis personnels. Toute autre expression populaire l’insupporte (expliquant ses revirements sur les questions de modĂ©ration, de notes de communautĂ©, de « transparence Â» des choix algorithmiques, et bien sĂ»r son combat contre Wikipedia).

  • 14 – « Le fascisme Ă©ternel parle la Novlangue. La Novlangue, inventĂ©e par Orwell dans 1984, est la langue officielle de l’Angsoc, ou socialisme anglais. Elle se caractĂ©rise par un vocabulaire pauvre et une syntaxe rudimentaire de façon Ă  limiter les instruments d’une raison critique et d’une pensĂ©e complexe. Â» Wikipedia est complexe. La langue de Trump (et celle de Musk) sont une novlangue et un nĂ©oparler, vocabulaire extrĂȘmement limitĂ©, syntaxe et phrases trĂšs courtes comprĂ©hensibles par un enfant de 9 ans

Umberto Eco, ReconnaĂźtre le fascisme, Grasset, 2017 (publication originale italienne en 1997). Extrait disponible.

 

Le web s’est aujourd’hui rĂ©duit comme peau de chagrin. Les conversations qui l’éclairaient et les controverses qui l’animaient ont toutes progressivement et aujourd’hui presqu’entiĂšrement migrĂ© sur des plateformes dĂ©sormais totalement emmerdifiĂ©es. Alors oui, et aux cĂŽtĂ©s d’un autre immense gĂ©ant et bien commun qui se nomme l’Internet Archive (si utile dans le grand effacement mis en place par l’administration Trumpiste), oui aujourd’hui la part non-marchande du World Wide Web est presqu’entiĂšrement soluble dans un World Wide Wikipedia.

Il nous faut dĂ©fendre, toujours, ce bien commun qu’est Wikipedia. Et par-delĂ  ce combat, il nous faut aussi partir Ă  la reconquĂȘte de tous ces espaces discursifs abandonnĂ©s aux plateformes ; il nous faut retrouver des espaces d’expression singuliers et liĂ©s par autre chose que la mathĂ©matique d’un calcul algorithmique entiĂšrement infĂ©odĂ© Ă  des intĂ©rĂȘts politiques et Ă©conomiques partisans ; que chacun et chacune puisse disposer de sa page et de son adresse ; il y a longtemps aux dĂ©buts du web on appelait cela des « Homepages Â» ; il y a un peu moins longtemps on appelait cela des Blogs. Peu importe comment on appellera ces espaces demain. Mais il faut qu’ils existent. Et il est impĂ©ratif qu’ils rĂ©sistent.

 

One Three More Thing(s).

D’abord la parole Ă  Tim Berners Lee, le boss, l’inventeur du World Wide Web, qui le rappelait sur son compte Twitter Ă  l’occasion du 20Ăšme anniversaire de Wikipedia, elle est le web que nous voulons : « un espace ouvert et collaboratif permettant un libre accĂšs au savoir pour toute la planĂšte. Â» Rien de plus, mais rien de moins. « Toute la planĂšte Â» n’a pas encore accĂšs a ce savoir, c’était (et cela reste) le combat qu’il fallait mener. Aujourd’hui s’ajoute un autre combat, qui est que la partie de la planĂšte qui y a accĂšs, puisse continuer de pouvoir en jouir dans toute la plĂ©nitude de cet accĂšs.

Ensuite mon histoire prĂ©fĂ©rĂ©e et qui rĂ©sume et reprĂ©sente le mieux ce qu’est WikipĂ©dia dans sa dimension collective, c’est celle du griot.

« J’ai rencontrĂ© un jour un griot, un homme ĂągĂ©, circulant de village en village, racontant depuis toujours des histoires interminables, notamment sur les Ă©popĂ©es des familles nobles de son pays, des histoires fourmillant de dĂ©tails. Et je lui demandai comment il faisait pour se souvenir de cet ensemble de dĂ©tails, pour n’en oublier aucun. Il me dit alors qu’il y avait toujours dans l’assistance, quelqu’un qui lui-mĂȘme avait Ă©tĂ© bercĂ© avec ces mĂȘmes histoires, les avait entendues depuis son enfance, et le corrigeait dĂšs qu’il faisait une erreur ou oubliait quelque chose.« 

 

Enfin, je me suis promis de ne jamais terminer un article sur WikipĂ©dia sans remettre cette citation d’une magnifique interview de Michel Serres en 2007. Alors je vous la remets. Cadeau.

« C’est une entreprise qui m’enchante parce que, pour une fois, c’est une entreprise qui n’est pas gouvernĂ©e par des experts. J’ai une grande grande confiance dans les experts, bien entendu. A qui voulez-vous que je fasse confiance sinon Ă  des experts ? Mais cette confiance envers les experts est limitĂ©e puisque les experts, qu’ils soient mathĂ©maticiens, astronomes ou mĂ©decins ne sont que des hommes. Par consĂ©quent, ils peuvent se tromper et il y a lĂ  dans cette entreprise de libertĂ©, de communautĂ©, de vĂ©rification mutuelle, quelque chose qui, dans la gratuitĂ©, la libertĂ©, m’enchante complĂštement et me donne une sorte de confiance dans ce que peut ĂȘtre un groupement humain.« 

 

 

One (last) More Thing (promis).

Si vous ĂȘtes parvenu au bout de la lecture de cet article, et si vous en partagez l’essentiel, alors il reste encore une chose Ă  faire. Oui bien sĂ»r vous pouvez chacune et chacun contribuer Ă  Wikipedia. Mais il y a une autre chose. Également importante. Également essentielle. Également dĂ©terminante. Pour l’avenir de Wikipedia et donc pour une part de notre avenir commun de connaissances. Cette chose, je vous la laisse dĂ©couvrir et vous la glisse sous ce lien. Elle est Ă  la portĂ©e de chacune et chacun d’entre nous. C’est aussi le plus beau bras d’honneur que vous pouvez adresser Ă  Elon Musk, Ă  Donald Trump et Ă  l’ensemble de l’internationale du salut Nazi et des tronçonneuses en argent. Cliquez ici.

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