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Les 20 ans du mariage homosexuel au Canada

Il y a 20 ans, le Parlement canadien adoptait la Loi sur le mariage civil, qui autorisait les conjoints de même sexe à se marier partout au pays. C’est une belle occasion de faire un voyage dans le temps.

Le monde de 2005 est complètement différent de celui qu’on connaît aujourd’hui. Malgré un nouveau chef, le gouvernement du Canada, libéral minoritaire, s’essouffle. L’armée israélienne tue des civils dans la bande de Gaza. Commentateurs et politiciens de droite nous mettent en garde contre l’islamisation imminente de l’Occident. Les Autochtones canadiens contestent les décisions des gouvernements provinciaux, qui laissent les compagnies forestières ignorer leurs droits ancestraux. Et la société se déchire avec des débats concernant les minorités sexuelles.

Réal Ménard, député bloquiste de Hochelaga / Hochelaga-Maisonneuve de 1993 à 2009

Certains états américains permettent déjà les mariages homosexuels, mais le président George W. Bush fait campagne pour amender la constitution afin de les interdire sur tout le territoire. Le 19 avril 2005, Benoît XVI est élu pape de l’Église catholique. Il s’opposera avec beaucoup plus d’ardeur que Jean-Paul II à tout ce qui concerne l’homosexualité, qu’il considère contraire à la morale « naturelle ».

Au Canada, l’Ontario est la première province à accepter les mariages entre conjoints de même sexe en juin 2003, suite à une décision de la Cour supérieure. La plupart des autres provinces ont suivi, dont le Québec en mars 2004. Au moment de l’adoption de la loi fédérale, l’Alberta et l’Île du Prince Édouard sont les seules provinces à refuser les mariages homosexuels.

En 1995, le député bloquiste Réal Ménard, ouvertement homosexuel, présente une motion demandant la reconnaissance des mariages entre conjoints du même sexe. La motion est rejetée par 124 voix contre 52. Entre 1998 et 2003, le député néo-démocrate Svend Robison, lui aussi ouvertement homosexuel, présente trois projets de loi, sans succès.

En 2003, l’Alliance canadienne (ancêtre de l’actuel Parti conservateur) présente une motion pour réaffirmer la définition traditionnelle du mariage, soit l’union entre un homme et une femme. La motion est battue par 137 voix contre 132. Signe d’un malaise profond au sein du Parti libéral, officiellement engagé à permettre le mariage homosexuel dans tout le Canada, 53 députés libéraux votent pour la motion et une vingtaine s’absentent au moment du vote.

Du côté du Bloc québécois, trois des 34 députés appuient la motion de l’Alliance. Quatre s’absentent au moment du vote (dont Mario Laframboise, actuel député caquiste de Blainville). Ils disaient vouloir attendre le jugement de la Cour suprême du Canada, qui doit déterminer de la constitutionnalité du projet de loi reconnaissant les mariages homosexuels. Je répète parce que c’est savoureux. Quatre députés bloquistes ont dit vouloir attendre l’opinion de la Cour suprême du Canada avant de prendre une décision.

C’est finalement en 2005 que le projet de loi final est déposé et adopté. D’un côté, il y a le premier ministre Paul Martin, qui a mis son opposition personnelle (opposition qu’il attribue à son éducation catholique) de côté par devoir civique. Partisan tiède en 2003, il est en 2005 un fier avocat du mariage pour tous. De l’autre côté, il y a le chef de l’Opposition, Stephen Harper, qui défend avec vigueur la définition traditionnelle du mariage au nom des valeurs chrétiennes et canadiennes. Le Bloc québécois et le NPD appuient tous deux la proposition, mais laissent le vote libre à leurs députés.

Des députés libéraux participent avec les conservateurs à l’obstruction parlementaire pour retarder le projet de loi et empêcher qu’il soit adopté avant la fin de la session. 14 députés libéraux votent avec les conservateurs contre la prolongation de la session demandée par le gouvernement. C’est le Bloc québécois qui vient au secours du gouvernement libéral pour permettre l’adoption de la loi.

Voici le détail du vote par partis:
Parti Pour/Contre/Abstention
PLC 95/32/2
PCC 3/93/0
BQ 43/5/2
NPD 17/1/0

Fait cocasse: Le député conservateur albertain Peter Goldring, violemment opposé au mariage homosexuel, est accusé d’incitation à la haine par le révérend Ted Kolber de l’Église unie du Canada (chrétienne). Dans le Calgary Sun, le chroniqueur de droite Link Byfield accuse le révérend Kolber… d’intolérance. Parce que Kolber ne « tolère » pas les opinions différentes de la sienne. Ça ne s’invente pas.

Et pendant que Stephen Harper, Vic Toews et leurs collègues chrétiens s’opposent au mariage gai en invoquant la Bible, le chroniqueur Richard Gwyn du Toronto Star nous prévient que les droits des homosexuels pourraient bien être menacés par… l’immigration. « La ferme opposition aux mariages homosexuels au sein des groupes ethniques est un avant-goût de notre avenir. » Ironie. Ou cécité, c’est selon.

Dans les pages du Devoir, le psychologue Yves Laberge défend la définition traditionnelle du mariage au nom des lois immuables de la biologie: « On ne peut pas confondre une pratique sexuelle particulière comme l’homosexualité avec une identité sexuelle et concéder à cette pratique sexuelle la même reconnaissance de droit au plan du mariage que celle accordée à la relation homme-femme qui, malgré ses avatars, est la seule à pouvoir assurer la pérennité de la société et de l’espèce. »

Au Québec, on retrouve parmi les opposants une certaine Denise Bombardier, pour qui la seule finalité du mariage est la procréation (amusant quand on sait qu’elle s’est remariée à 62 ans). Le 16 septembre 2003, elle participait à l’émission le Point face à Louis Godbout, secrétaire des Archives du Québec et militant pour les droits des homosexuels. À la fois intervieweuse et débatteuse, elle interrompt allègrement son invité pour imposer son point de vue. Elle met en valeur son doctorat alors que son interlocuteur, elle le souligne, travaille dans le domaine des pâtes et papiers. Elle nous sort le cliché de « Je ne suis pas homophobe, j’ai des amis gais. » Elle prétend d’ailleurs parler au nom des nombreuses personnes homosexuelles opposées au mariage gai mais qui ont peur de prendre la parole à cause de la pression de leur communauté. Puis elle tombe dans tous les clichés. Les homosexuels sont infidèles par nature. Le défilé de la fierté gaie est ridicule. Les gais aiment se présenter en victimes. Bref, peu édifiant. C’était la première et dernière participation de Denise Bombardier à l’émission. Rima Elkouri lui sert une réplique cinglante dans la Presse deux jours plus tard. Une plainte au Conseil de presse a été retenue contre Radio-Canada pour avoir permis ce débat. La principale intéressée dira avoir été victime du lobby des « fondamentalistes gais », quoi que ça veuille dire.

Bref, aucun changement depuis 20 ans. Les conservateurs défendent toujours les « lois de la nature » contre le tout-puissant lobby LGBTQ+ (nom variable selon les époques), les immigrants sont toujours accusés d’incompatibilité culturelle et les véritables intolérants sont ceux qui prêchent la tolérance. Tout va bien.

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Les 20 ans du mariage homosexuel au Canada

Il y a 20 ans, le Parlement canadien adoptait la Loi sur le mariage civil, qui autorisait les conjoints de même sexe à se marier partout au pays. C’est une belle occasion de faire un voyage dans le temps.

Le monde de 2005 est complètement différent de celui qu’on connaît aujourd’hui. Malgré un nouveau chef, le gouvernement du Canada, libéral minoritaire, s’essouffle. L’armée israélienne tue des civils dans la bande de Gaza. Commentateurs et politiciens de droite nous mettent en garde contre l’islamisation imminente de l’Occident. Les Autochtones canadiens contestent les décisions des gouvernements provinciaux, qui laissent les compagnies forestières ignorer leurs droits ancestraux. Et la société se déchire avec des débats concernant les minorités sexuelles.

Réal Ménard, député bloquiste de Hochelaga / Hochelaga-Maisonneuve de 1993 à 2009

Certains états américains permettent déjà les mariages homosexuels, mais le président George W. Bush fait campagne pour amender la constitution afin de les interdire sur tout le territoire. Le 19 avril 2005, Benoît XVI est élu pape de l’Église catholique. Il s’opposera avec beaucoup plus d’ardeur que Jean-Paul II à tout ce qui concerne l’homosexualité, qu’il considère contraire à la morale “naturelle”.

Au Canada, l’Ontario est la première province à accepter les mariages entre conjoints de même sexe en juin 2003, suite à une décision de la Cour supérieure. La plupart des autres provinces ont suivi, dont le Québec en mars 2004. Au moment de l’adoption de la loi fédérale, l’Alberta et l’Île du Prince Édouard sont les seules provinces à refuser les mariages homosexuels.

En 1995, le député bloquiste Réal Ménard, ouvertement homosexuel, présente une motion demandant la reconnaissance des mariages entre conjoints du même sexe. La motion est rejetée par 124 voix contre 52. Entre 1998 et 2003, le député néo-démocrate Svend Robison, lui aussi ouvertement homosexuel, présente trois projets de loi, sans succès.

En 2003, l’Alliance canadienne (ancêtre de l’actuel Parti conservateur) présente une motion pour réaffirmer la définition traditionnelle du mariage, soit l’union entre un homme et une femme. La motion est battue par 137 voix contre 132. Signe d’un malaise profond au sein du Parti libéral, officiellement engagé à permettre le mariage homosexuel dans tout le Canada, 53 députés libéraux votent pour la motion et une vingtaine s’absentent au moment du vote.

Du côté du Bloc québécois, trois des 34 députés appuient la motion de l’Alliance. Quatre s’absentent au moment du vote (dont Mario Laframboise, actuel député caquiste de Blainville). Ils disaient vouloir attendre le jugement de la Cour suprême du Canada, qui doit déterminer de la constitutionnalité du projet de loi reconnaissant les mariages homosexuels. Je répète parce que c’est savoureux. Quatre députés bloquistes ont dit vouloir attendre l’opinion de la Cour suprême du Canada avant de prendre une décision.

C’est finalement en 2005 que le projet de loi final est déposé et adopté. D’un côté, il y a le premier ministre Paul Martin, qui a mis son opposition personnelle (opposition qu’il attribue à son éducation catholique) de côté par devoir civique. Partisan tiède en 2003, il est en 2005 un fier avocat du mariage pour tous. De l’autre côté, il y a le chef de l’Opposition, Stephen Harper, qui défend avec vigueur la définition traditionnelle du mariage au nom des valeurs chrétiennes et canadiennes. Le Bloc québécois et le NPD appuient tous deux la proposition, mais laissent le vote libre à leurs députés.

Des députés libéraux participent avec les conservateurs à l’obstruction parlementaire pour retarder le projet de loi et empêcher qu’il soit adopté avant la fin de la session. 14 députés libéraux votent avec les conservateurs contre la prolongation de la session demandée par le gouvernement. C’est le Bloc québécois qui vient au secours du gouvernement libéral pour permettre l’adoption de la loi.

Voici le détail du vote par partis:
Parti Pour/Contre/Abstention
PLC 95/32/2
PCC 3/93/0
BQ 43/5/2
NPD 17/1/0

Fait cocasse: Le député conservateur albertain Peter Goldring, violemment opposé au mariage homosexuel, est accusé d’incitation à la haine par le révérend Ted Kolber de l’Église unie du Canada (chrétienne). Dans le Calgary Sun, le chroniqueur de droite Link Byfield accuse le révérend Kolber… d’intolérance. Parce que Kolber ne “tolère” pas les opinions différentes de la sienne. Ça ne s’invente pas.

Et pendant que Stephen Harper, Vic Toews et leurs collègues chrétiens s’opposent au mariage gai en invoquant la Bible, le chroniqueur Richard Gwyn du Toronto Star nous prévient que les droits des homosexuels pourraient bien être menacés par… l’immigration. “La ferme opposition aux mariages homosexuels au sein des groupes ethniques est un avant-goût de notre avenir.” Ironie. Ou cécité, c’est selon.

Dans les pages du Devoir, le psychologue Yves Laberge défend la définition traditionnelle du mariage au nom des lois immuables de la biologie: “On ne peut pas confondre une pratique sexuelle particulière comme l’homosexualité avec une identité sexuelle et concéder à cette pratique sexuelle la même reconnaissance de droit au plan du mariage que celle accordée à la relation homme-femme qui, malgré ses avatars, est la seule à pouvoir assurer la pérennité de la société et de l’espèce.”

Au Québec, on retrouve parmi les opposants une certaine Denise Bombardier, pour qui la seule finalité du mariage est la procréation (amusant quand on sait qu’elle s’est remariée à 62 ans). Le 16 septembre 2003, elle participait à l’émission le Point face à Louis Godbout, secrétaire des Archives du Québec et militant pour les droits des homosexuels. À la fois intervieweuse et débatteuse, elle interrompt allègrement son invité pour imposer son point de vue. Elle met en valeur son doctorat alors que son interlocuteur, elle le souligne, travaille dans le domaine des pâtes et papiers. Elle nous sort le cliché de “Je ne suis pas homophobe, j’ai des amis gais.” Elle prétend d’ailleurs parler au nom des nombreuses personnes homosexuelles opposées au mariage gai mais qui ont peur de prendre la parole à cause de la pression de leur communauté. Puis elle tombe dans tous les clichés. Les homosexuels sont infidèles par nature. Le défilé de la fierté gaie est ridicule. Les gais aiment se présenter en victimes. Bref, peu édifiant. C’était la première et dernière participation de Denise Bombardier à l’émission. Rima Elkouri lui sert une réplique cinglante dans la Presse deux jours plus tard. Une plainte au Conseil de presse a été retenue contre Radio-Canada pour avoir permis ce débat. La principale intéressée dira avoir été victime du lobby des “fondamentalistes gais”, quoi que ça veuille dire.

Bref, aucun changement depuis 20 ans. Les conservateurs défendent toujours les “lois de la nature” contre le tout-puissant lobby LGBTQ+ (nom variable selon les époques), les immigrants sont toujours accusés d’incompatibilité culturelle et les véritables intolérants sont ceux qui prêchent la tolérance. Tout va bien.

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Pluriparentalité et polygamie

En avril dernier, la Cour supérieure du Québec a tranché en faveur des familles pluriparentales: un enfant peut légalement avoir plus de deux parents. Le gouvernement du Québec a un an pour amender le Code civil afin de tenir compte de cette nouvelle réalité.

Excellente nouvelle pour les personnes concernées. Décision sans conséquence pour celles qui ne le sont pas. Mais des gens sont inquiets. Normand Lester et Guillaume Rousseau nous disent carrément que la décision du juge Andres C. Garin ouvre la porte à la polygamie. Rousseau se garde de viser une communauté en particulier, mais Lester attaque directement les musulmans. Présentement, la polygamie est un acte criminel au Canada. Mais Rousseau et Lester nous préviennent que nous sommes à un pas de sa légalisation.

« Certes, ce n’est pas pour tout de suite », écrit Rousseau, « car le Code criminel canadien interdit cette pratique. Mais il suffirait que le fédéral décide d’abolir cette interdiction pour que le Québec puisse être forcé d’en faire autant. » Effectivement, pratiquement tous les actes criminels peuvent être légalisés du jour au lendemain si le gouvernement le décide. Ce n’est pas un argument.

D’après Lester, c’est une question de temps avant que les tribunaux invalident la criminalisation de la polygamie au nom de la liberté de religion. Cette crainte est complètement sans fondement. Un jugement de la Cour suprême de la Colombie-Britannique l’a d’ailleurs confirmé en 2011 (BCSC 1588). La criminalisation de la polygamie est peut-être une entrave à la liberté de religion, mais c’est une limitation acceptable et nécessaire dans un contexte de protection des droits des femmes et des enfants. Merci au juriste Louis-Philippe Lampron pour la référence.

Donc non, ce n’est pas demain qu’un tribunal va décriminaliser la polygamie au nom du respect des droits individuels. Le gouvernement pourrait en décider autrement, mais nous n’avons aucune raison de croire que le nouveau gouvernement Carney ait l’intention de légiférer en ce sens. Alors de quoi est-ce qu’on s’inquiète? Et surtout, quel est le rapport avec les familles pluriparentales?

Pourquoi la polygamie est-elle non seulement interdite au Canada, mais criminelle? Voici quelques raisons tirées du rapport « La polygynie et les obligations du Canada en vertu du droit international en matière de droits de la personne« . On comprend que le rapport adresse directement les familles appartenant à des communautés où la polygynie (un homme ayant plusieurs épouses) est une pratique culturelle ou religieuse:

  • La polygamie renforce le patriarcat
  • La compétition entre les épouses cause du tort aux enfants et aux épouses elles-mêmes
  • Risque pour la santé sexuelle (la polygynie augmente le risque de transmission des infections et maladies)
  • La polygamie est souvent synonyme de dénuement économique pour les femmes et leurs enfants
  • L’inégalité domestique est incompatible avec l’égalité économique et sociale, donc avec les valeurs canadiennes

Donc ce n’est pas seulement par principe que le Canada ne permet pas les unions polygames. C’est parce que dans plusieurs contextes, celles-ci ont causé un tort réel et documenté aux femmes et aux enfants.

On brouille les cartes lorsqu’on lie les demandes de reconnaissance parentales à la reconnaissance conjugale. Ce sont deux enjeux complètement différents. Plusieurs provinces canadiennes reconnaissent déjà légalement la pluriparentalité (la Colombie-Britannique depuis 2013, l’Ontario depuis 2016 et la Saskatchewan depuis 2021). Selon Valérie Costanzo, professeure en sciences juridiques à l’Université du Québec à Montréal, ces changements législatifs n’ont pas conduit à des campagnes juridiques pour décriminaliser la polygamie. Il n’y a pas de raison de croire qu’il en irait autrement au Québec.

Maintenant, je vous le demande: en quoi les enfants des familles pluriparentales sont menacés par leur structure atypique? Au contraire, c’est précisément en tenant compte des intérêts des enfants que les tribunaux canadiens ont accordé un statut légal aux unions pluriparentales. Imaginons une situation d’urgence où le « troisième parent », celui qui n’est pas inscrit sur le certificat de naissance, se retrouve à l’hôpital seul avec son enfant. Il n’a pas l’autorité légale de prendre une décision. On se retrouve dans une situation dangereuse pour l’enfant qui aurait pu être évitée avec un changement sur un papier.

Avant d’adopter des idées préconçues sur la pluriparentalité, je recommande vivement d’écouter l’entrevue de Sophie Paradis à l’émission de Patrick Lagacé le 7 mai 2025. Les inquiets réaliseront peut-être que les familles pluriparentales ne sont dignes ni de suspicion, ni de mépris. Si vous vous inquiétez pour le bien-être des enfants des unions à trois parents, dites-vous que les séparations complexes et les cellules familiales dysfonctionnelles ne sont pas liées au nombre d’adultes impliqués. Au contraire, un projet de pluriparentalité implique généralement un niveau de préparation qui échappe à un très grand nombre de familles dites traditionnelles. À ce jour, aucune des quelques familles pluriparentales reconnues dans les autres provinces canadiennes ne s’est retrouvée en cour pour débattre de la garde des enfants. Pour citer Valérie Costanzo encore une fois: « Cela peut s’expliquer notamment par une méfiance par rapport à la surveillance des tribunaux, où ces familles pourraient vivre des préjugés, mais également par des outils de communication et de gestion familiale plus sains. » Bref, l’expérience ne donne aucune raison de croire que reconnaître légalement la pluriparenté serait préjudiciable pour les enfants.

Associer les familles pluriparentales, comme le fait Normand Lester, à des familles ultraconservatrices mormones ou musulmanes, est non seulement injuste, mais dangereux. C’est faire courir le risque d’une stigmatisation sociale à des familles déjà marginales qui ne demandent qu’à offrir les meilleures conditions de vie possibles à leurs enfants. C’est d’autant plus absurde vu la présence importante de la communauté LGBTQ+ parmi les familles qui ne répondent pas au modèle traditionnel. Ce n’est généralement pas là qu’on retrouve les ultrareligieux.

« Face à cette atteinte à sa liberté de choisir et à son caractère distinct, le Québec doit résister », conclut Guillaume Rousseau. Résister à quoi? À des familles qui ne répondent pas au modèle traditionnel? Cette bataille juridique que Rousseau semble réclamer de ses voeux ne vise en gros qu’à empêcher des familles de vivre selon leur mode de vie choisi. Et dans quel but? Se féliciter collectivement d’avoir empêché Ottawa de nous obliger à respecter les droits d’une minorité? C’est une habitude dangereuse qu’on semble vouloir développer au Québec. Il serait temps d’arrêter de voir les droits individuels comme une menace à éliminer.

Les familles pluriparentales n’ont pas demandé à être prises en otage par un nouvel affrontement juridictionnel entre Québec et Ottawa. Si nos nationalistes se cherchent un sujet pour attiser la colère contre le régime fédéral, qu’ils s’en tiennent à des guerres de chiffres.

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Pluriparentalité et polygamie

En avril dernier, la Cour supérieure du Québec a tranché en faveur des familles pluriparentales: un enfant peut légalement avoir plus de deux parents. Le gouvernement du Québec a un an pour amender le Code civil afin de tenir compte de cette nouvelle réalité.

Excellente nouvelle pour les personnes concernées. Décision sans conséquence pour celles qui ne le sont pas. Mais des gens sont inquiets. Normand Lester et Guillaume Rousseau nous disent carrément que la décision du juge Andres C. Garin ouvre la porte à la polygamie. Rousseau se garde de viser une communauté en particulier, mais Lester attaque directement les musulmans. Présentement, la polygamie est un acte criminel au Canada. Mais Rousseau et Lester nous préviennent que nous sommes à un pas de sa légalisation.

“Certes, ce n’est pas pour tout de suite”, écrit Rousseau, “car le Code criminel canadien interdit cette pratique. Mais il suffirait que le fédéral décide d’abolir cette interdiction pour que le Québec puisse être forcé d’en faire autant.” Effectivement, pratiquement tous les actes criminels peuvent être légalisés du jour au lendemain si le gouvernement le décide. Ce n’est pas un argument.

D’après Lester, c’est une question de temps avant que les tribunaux invalident la criminalisation de la polygamie au nom de la liberté de religion. Cette crainte est complètement sans fondement. Un jugement de la Cour suprême de la Colombie-Britannique l’a d’ailleurs confirmé en 2011 (BCSC 1588). La criminalisation de la polygamie est peut-être une entrave à la liberté de religion, mais c’est une limitation acceptable et nécessaire dans un contexte de protection des droits des femmes et des enfants. Merci au juriste Louis-Philippe Lampron pour la référence.

Donc non, ce n’est pas demain qu’un tribunal va décriminaliser la polygamie au nom du respect des droits individuels. Le gouvernement pourrait en décider autrement, mais nous n’avons aucune raison de croire que le nouveau gouvernement Carney ait l’intention de légiférer en ce sens. Alors de quoi est-ce qu’on s’inquiète? Et surtout, quel est le rapport avec les familles pluriparentales?

Pourquoi la polygamie est-elle non seulement interdite au Canada, mais criminelle? Voici quelques raisons tirées du rapport “La polygynie et les obligations du Canada en vertu du droit international en matière de droits de la personne“. On comprend que le rapport adresse directement les familles appartenant à des communautés où la polygynie (un homme ayant plusieurs épouses) est une pratique culturelle ou religieuse:

  • La polygamie renforce le patriarcat
  • La compétition entre les épouses cause du tort aux enfants et aux épouses elles-mêmes
  • Risque pour la santé sexuelle (la polygynie augmente le risque de transmission des infections et maladies)
  • La polygamie est souvent synonyme de dénuement économique pour les femmes et leurs enfants
  • L’inégalité domestique est incompatible avec l’égalité économique et sociale, donc avec les valeurs canadiennes

Donc ce n’est pas seulement par principe que le Canada ne permet pas les unions polygames. C’est parce que dans plusieurs contextes, celles-ci ont causé un tort réel et documenté aux femmes et aux enfants.

On brouille les cartes lorsqu’on lie les demandes de reconnaissance parentales à la reconnaissance conjugale. Ce sont deux enjeux complètement différents. Plusieurs provinces canadiennes reconnaissent déjà légalement la pluriparentalité (la Colombie-Britannique depuis 2013, l’Ontario depuis 2016 et la Saskatchewan depuis 2021). Selon Valérie Costanzo, professeure en sciences juridiques à l’Université du Québec à Montréal, ces changements législatifs n’ont pas conduit à des campagnes juridiques pour décriminaliser la polygamie. Il n’y a pas de raison de croire qu’il en irait autrement au Québec.

Maintenant, je vous le demande: en quoi les enfants des familles pluriparentales sont menacés par leur structure atypique? Au contraire, c’est précisément en tenant compte des intérêts des enfants que les tribunaux canadiens ont accordé un statut légal aux unions pluriparentales. Imaginons une situation d’urgence où le “troisième parent”, celui qui n’est pas inscrit sur le certificat de naissance, se retrouve à l’hôpital seul avec son enfant. Il n’a pas l’autorité légale de prendre une décision. On se retrouve dans une situation dangereuse pour l’enfant qui aurait pu être évitée avec un changement sur un papier.

Avant d’adopter des idées préconçues sur la pluriparentalité, je recommande vivement d’écouter l’entrevue de Sophie Paradis à l’émission de Patrick Lagacé le 7 mai 2025. Les inquiets réaliseront peut-être que les familles pluriparentales ne sont dignes ni de suspicion, ni de mépris. Si vous vous inquiétez pour le bien-être des enfants des unions à trois parents, dites-vous que les séparations complexes et les cellules familiales dysfonctionnelles ne sont pas liées au nombre d’adultes impliqués. Au contraire, un projet de pluriparentalité implique généralement un niveau de préparation qui échappe à un très grand nombre de familles dites traditionnelles. À ce jour, aucune des quelques familles pluriparentales reconnues dans les autres provinces canadiennes ne s’est retrouvée en cour pour débattre de la garde des enfants. Pour citer Valérie Costanzo encore une fois: “Cela peut s’expliquer notamment par une méfiance par rapport à la surveillance des tribunaux, où ces familles pourraient vivre des préjugés, mais également par des outils de communication et de gestion familiale plus sains.” Bref, l’expérience ne donne aucune raison de croire que reconnaître légalement la pluriparenté serait préjudiciable pour les enfants.

Associer les familles pluriparentales, comme le fait Normand Lester, à des familles ultraconservatrices mormones ou musulmanes, est non seulement injuste, mais dangereux. C’est faire courir le risque d’une stigmatisation sociale à des familles déjà marginales qui ne demandent qu’à offrir les meilleures conditions de vie possibles à leurs enfants. C’est d’autant plus absurde vu la présence importante de la communauté LGBTQ+ parmi les familles qui ne répondent pas au modèle traditionnel. Ce n’est généralement pas là qu’on retrouve les ultrareligieux.

“Face à cette atteinte à sa liberté de choisir et à son caractère distinct, le Québec doit résister”, conclut Guillaume Rousseau. Résister à quoi? À des familles qui ne répondent pas au modèle traditionnel? Cette bataille juridique que Rousseau semble réclamer de ses voeux ne vise en gros qu’à empêcher des familles de vivre selon leur mode de vie choisi. Et dans quel but? Se féliciter collectivement d’avoir empêché Ottawa de nous obliger à respecter les droits d’une minorité? C’est une habitude dangereuse qu’on semble vouloir développer au Québec. Il serait temps d’arrêter de voir les droits individuels comme une menace à éliminer.

Les familles pluriparentales n’ont pas demandé à être prises en otage par un nouvel affrontement juridictionnel entre Québec et Ottawa. Si nos nationalistes se cherchent un sujet pour attiser la colère contre le régime fédéral, qu’ils s’en tiennent à des guerres de chiffres.

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Le Parti républicain du Canada

Pierre Poilièvre aura beau critiquer Donald Trump pour flatter l’électorat canadien, il demeure que les deux chefs ont beaucoup en commun. Nous avons toutes les raisons de croire qu’un gouvernement conservateur dirigerait le Canada de la même façon que le Parti républicain dirige les États-Unis à l’heure actuelle.

L’accès à l’information
Le Parti conservateur a refusé d’admettre les journalistes dans son autobus de campagne. On comprend que l’objectif est le contrôle du message. La désinformation est mise sur un pied d’égalité avec l’information. Contrairement aux autres chefs, Pierre Poilièvre n’a aucune objection à répondre aux questions des « journalistes » de Rebel News et autres « médias » qui sont en fait des instruments de propagande. Il souhaite même que ces pseudo journalistes aient accès à la tribune de la presse au Parlement. Ajoutons à ça qu’il souhaite mettre la hache dans CBC.

Cela s’ajoute à la campagne d’intimidation qui a eu raison de Rachel Gilmore. Pour rappel, Rachel Gilmore est cette journaliste dont la vérification de faits dérangeait les conservateurs parce qu’elle faisait la lumière sur leurs mensonges. Le directeur des relations publiques de Pierre Poilièvre, Sebastian Skamski, a accusé Gilmore de faire de la « désinformation ». Les militants conservateurs ont protesté en ligne jusqu’à ce que CTV mette fin à sa collaboration avec Gilmore.

Voilà à quoi ressemble l’information dans un Canada conservateur. Quand Pierre Poilièvre dit qu’il pleut, la journaliste qui regarde par la fenêtre se fait accuser de désinformation. Et ceux qui confirment qu’il pleut sans regarder par la fenêtre sont des « médias alternatifs » auxquels il faut donner une voix.

Les contre-pouvoirs
Quand Pierre Poilièvre nous dit qu’il va utiliser la clause dérogatoire pour pouvoir imposer des peines plus lourdes aux criminels, ce qu’il nous dit réellement, c’est qu’il ne reconnaît pas la validité de la constitution canadienne. Ce qu’il nous dit, c’est que son gouvernement devrait être libre d’ignorer les lois lorsqu’il juge que c’est pour le bien commun. La Charte des droits et libertés existe précisément pour protéger les Canadiens contre leur gouvernement, mais Poilièvre prétend vouloir l’ignorer pour protéger les Canadiens contre eux-mêmes. Difficile de ne pas faire un parallèle avec Donald Trump. Un gouvernement conservateur ne se laissera contrarier ni par la constitution, ni par les journalistes, ni par les tribunaux. À bas les contre-pouvoirs.

La censure
L’avocat Neil Oberman, candidat conservateur dans Mont-Royal, a été catégorique. À l’image de Trump, il promet que son gouvernement va couper le financement des universités qui « n’en font pas assez pour combattre l’antisémitisme sur leur campus ». Il promet aussi de déporter les étudiants étrangers qui « participent activement à la destruction des minorités, des communautés ». Un langage merveilleusement flou qui ne peut que conduire aux mêmes dérives auxquelles on assiste aux États-Unis, où même Harvard est ciblée par le gouvernement. Les conservateurs ouvrent ici la porte à un Canada où les universités pourraient se voir contraindre à adhérer à l’idéologie du gouvernement ou perdre leur financement de l’État.

L’avortement
Oui, Pierre Poilièvre a affirmé et répété qu’il était en faveur de la liberté de choix pour les femmes et que la position du Parti conservateur est très claire. Mais la position du Parti conservateur, c’est aussi que les députés sont libres de déposer des projets de loi d’initiative parlementaire et que sur les questions de conscience, les votes sont libres.

Poilièvre promet qu’un gouvernement conservateur « ne soutiendra pas de loi visant à régir l’avortement ». La formulation est importante. Il ne soutiendra pas, mais il n’interdira pas non plus. Ça signifie que rien n’empêcherait les députés conservateurs de présenter des projets de loi au Parlement pour limiter le droit à l’avortement et ensuite de voter « selon leur conscience ».

En rappel:
2013: Un député conservateur ontarien demande la création d’un comité parlementaire pour examiner si la définition d’un être humain du Code criminel devrait inclure les foetus. 86 conservateurs votent pour.
2020: Une député conservatrice propose un projet de loi pour criminaliser les avortements basés sur le sexe du foetus. 80 conservateurs votent pour.
2023: La même députée conservatrice propose des peines plus sévères lorsqu’une femme enceinte est tuée. Traduction: l’assassin a tué deux personnes plutôt qu’une seule. Porte ouverte à considérer le foetus comme une personne. Tous les députés conservateurs appuient la proposition, dont Pierre Poilièvre.
2024: Un député conservateur dépose une pétition pour demander une loi protégeant la vie des foetus.

La position personnelle de Pierre Poilièvre n’a pas d’importance. Nous ne sommes pas dans un régime présidentiel. Si une majorité de députés conservateurs sont résolus à adopter une loi pour régir l’avortement, le gouvernement ne pourra pas l’empêcher. En 2004, le gouvernement de Paul Martin a failli tomber parce que des dizaines de députés libéraux n’ont pas soutenu sa proposition de participer au bouclier anti-missiles américain. Ironiquement, ce sont les conservateurs qui l’ont sauvé. Rien ne dit qu’un tel scénario ne pourrait pas se reproduire sous un gouvernement conservateur.

Et soyons honnêtes, la position personnelle pro-choix de Poilièvre ne l’empêche pas d’avoir des dizaines de personnes anti-choix parmi ses candidats. Ça donne une idée de la force de ses convictions.

Je vais m’arrêter ici, mais les exemples sont encore nombreux. Comme Trump, Poilièvre soutient l’État g é n o cidaire i s raélien. Comme Trump, il veut mettre fin à l’aide internationale pour mieux financer l’armée. Comme Trump, il soutient les manifestations violentes lorsqu’elles sont de son côté (manifestation des camionneurs à Ottawa). Il emploie le terme « woke » à outrance ». « Canada First ». Etc. Etc.

Voter conservateur, c’est voter pour le Parti républicain du Canada. Rien de plus, rien de moins.

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Le Parti républicain du Canada

Pierre Poilièvre aura beau critiquer Donald Trump pour flatter l’électorat canadien, il demeure que les deux chefs ont beaucoup en commun. Nous avons toutes les raisons de croire qu’un gouvernement conservateur dirigerait le Canada de la même façon que le Parti républicain dirige les États-Unis à l’heure actuelle.

L’accès à l’information
Le Parti conservateur a refusé d’admettre les journalistes dans son autobus de campagne. On comprend que l’objectif est le contrôle du message. La désinformation est mise sur un pied d’égalité avec l’information. Contrairement aux autres chefs, Pierre Poilièvre n’a aucune objection à répondre aux questions des “journalistes” de Rebel News et autres “médias” qui sont en fait des instruments de propagande. Il souhaite même que ces pseudo journalistes aient accès à la tribune de la presse au Parlement. Ajoutons à ça qu’il souhaite mettre la hache dans CBC.

Cela s’ajoute à la campagne d’intimidation qui a eu raison de Rachel Gilmore. Pour rappel, Rachel Gilmore est cette journaliste dont la vérification de faits dérangeait les conservateurs parce qu’elle faisait la lumière sur leurs mensonges. Le directeur des relations publiques de Pierre Poilièvre, Sebastian Skamski, a accusé Gilmore de faire de la “désinformation”. Les militants conservateurs ont protesté en ligne jusqu’à ce que CTV mette fin à sa collaboration avec Gilmore.

Voilà à quoi ressemble l’information dans un Canada conservateur. Quand Pierre Poilièvre dit qu’il pleut, la journaliste qui regarde par la fenêtre se fait accuser de désinformation. Et ceux qui confirment qu’il pleut sans regarder par la fenêtre sont des “médias alternatifs” auxquels il faut donner une voix.

Les contre-pouvoirs
Quand Pierre Poilièvre nous dit qu’il va utiliser la clause dérogatoire pour pouvoir imposer des peines plus lourdes aux criminels, ce qu’il nous dit réellement, c’est qu’il ne reconnaît pas la validité de la constitution canadienne. Ce qu’il nous dit, c’est que son gouvernement devrait être libre d’ignorer les lois lorsqu’il juge que c’est pour le bien commun. La Charte des droits et libertés existe précisément pour protéger les Canadiens contre leur gouvernement, mais Poilièvre prétend vouloir l’ignorer pour protéger les Canadiens contre eux-mêmes. Difficile de ne pas faire un parallèle avec Donald Trump. Un gouvernement conservateur ne se laissera contrarier ni par la constitution, ni par les journalistes, ni par les tribunaux. À bas les contre-pouvoirs.

La censure
L’avocat Neil Oberman, candidat conservateur dans Mont-Royal, a été catégorique. À l’image de Trump, il promet que son gouvernement va couper le financement des universités qui “n’en font pas assez pour combattre l’antisémitisme sur leur campus”. Il promet aussi de déporter les étudiants étrangers qui “participent activement à la destruction des minorités, des communautés”. Un langage merveilleusement flou qui ne peut que conduire aux mêmes dérives auxquelles on assiste aux États-Unis, où même Harvard est ciblée par le gouvernement. Les conservateurs ouvrent ici la porte à un Canada où les universités pourraient se voir contraindre à adhérer à l’idéologie du gouvernement ou perdre leur financement de l’État.

L’avortement
Oui, Pierre Poilièvre a affirmé et répété qu’il était en faveur de la liberté de choix pour les femmes et que la position du Parti conservateur est très claire. Mais la position du Parti conservateur, c’est aussi que les députés sont libres de déposer des projets de loi d’initiative parlementaire et que sur les questions de conscience, les votes sont libres.

Poilièvre promet qu’un gouvernement conservateur “ne soutiendra pas de loi visant à régir l’avortement”. La formulation est importante. Il ne soutiendra pas, mais il n’interdira pas non plus. Ça signifie que rien n’empêcherait les députés conservateurs de présenter des projets de loi au Parlement pour limiter le droit à l’avortement et ensuite de voter “selon leur conscience”.

En rappel:
2013: Un député conservateur ontarien demande la création d’un comité parlementaire pour examiner si la définition d’un être humain du Code criminel devrait inclure les foetus. 86 conservateurs votent pour.
2020: Une député conservatrice propose un projet de loi pour criminaliser les avortements basés sur le sexe du foetus. 80 conservateurs votent pour.
2023: La même députée conservatrice propose des peines plus sévères lorsqu’une femme enceinte est tuée. Traduction: l’assassin a tué deux personnes plutôt qu’une seule. Porte ouverte à considérer le foetus comme une personne. Tous les députés conservateurs appuient la proposition, dont Pierre Poilièvre.
2024: Un député conservateur dépose une pétition pour demander une loi protégeant la vie des foetus.

La position personnelle de Pierre Poilièvre n’a pas d’importance. Nous ne sommes pas dans un régime présidentiel. Si une majorité de députés conservateurs sont résolus à adopter une loi pour régir l’avortement, le gouvernement ne pourra pas l’empêcher. En 2004, le gouvernement de Paul Martin a failli tomber parce que des dizaines de députés libéraux n’ont pas soutenu sa proposition de participer au bouclier anti-missiles américain. Ironiquement, ce sont les conservateurs qui l’ont sauvé. Rien ne dit qu’un tel scénario ne pourrait pas se reproduire sous un gouvernement conservateur.

Et soyons honnêtes, la position personnelle pro-choix de Poilièvre ne l’empêche pas d’avoir des dizaines de personnes anti-choix parmi ses candidats. Ça donne une idée de la force de ses convictions.

Je vais m’arrêter ici, mais les exemples sont encore nombreux. Comme Trump, Poilièvre soutient l’État g é n o cidaire i s raélien. Comme Trump, il veut mettre fin à l’aide internationale pour mieux financer l’armée. Comme Trump, il soutient les manifestations violentes lorsqu’elles sont de son côté (manifestation des camionneurs à Ottawa). Il emploie le terme “woke” à outrance”. “Canada First”. Etc. Etc.

Voter conservateur, c’est voter pour le Parti républicain du Canada. Rien de plus, rien de moins.

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Les luttes en temps de crise

Le gouvernement du Canada n’aura plus de ministre des Femmes et Égalité des genres et de la Jeunesse, ni de ministre de la Diversité, de l’Inclusion et des Personnes en situation de handicap. Ces portefeuilles ont été attribués de manière résiduelle à d’autres ministres du nouveau cabinet minceur de Mark Carney. Quoi de plus normal? Nous sommes en pleine guerre commerciale et nous visons le retour au sacro-saint équilibre budgétaire. Donc on coupe dans le « gras ». Et pour un banquier comme Mark Carney, les droits des femmes, des minorités et des personnes en situation de handicap, c’est du gras: ça ne rapporte pas d’argent.

Et qu’on ne vienne pas me dire que les ministères ne sont pas « abolis » mais réorganisés ou restructurés ou tout autre euphémisme. Le gouvernement ne fait pas ce changement juste pour économiser deux salaires de ministre. Forcément il y aura moins de ressources, moins de personnel, moins d’argent et surtout moins d’attention. Le résultat sera le même. Et juste au cas, je précise que l’objectif de ces ministères n’est pas de féminiser les titres ou autre enjeu qui peut sembler banal. On parle plutôt de lutte contre les féminicides (163 au Canada en 2024, dont 24 au Québec), pour ne donner qu’un exemple. Ce n’est vraiment pas un luxe.

On doit tous faire des sacrifices en temps de crise, n’est-ce pas? « Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous. Demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays. » On a tous déjà entendu cette phrase. C’est beau. C’est patriotique. Quand on la replace dans son contexte, c’est un peu moins beau.

Cette phrase, John F. Kennedy l’a prononcée lors de son discours inaugural, le 20 janvier 1961. La Guerre froide approche de son paroxisme. Les relations avec Cuba s’enveniment. Les États-Unis vont bientôt commencer à s’impliquer sérieusement dans la guerre au Vietnam. Kennedy veut accélérer la course à l’armement. Pendant ce temps, le mouvement pour les droits civiques des Noirs prend de l’expansion. C’est en 1955 que Rosa Parks s’est fait connaître en refusant de céder sa place à un homme blanc dans un autobus de Montgomery, ce qui a mené en 1956 à la décision de la Cour suprême déclarant la ségrégation dans les transports inconstitutionnelle. Les attentes envers Kennedy sont élevées, mais lui et son frère Robert vont passer leurs années au pouvoir à essayer de temporiser les demandes du mouvement. Après tout, ils ont besoin du soutien des démocrates du Sud et ceux-ci ne sont pas enthousiastes à l’idée de donner des droits égaux aux Noirs.

La stratégie de Kennedy consiste donc à donner des miettes aux Noirs en tentant de les convaincre que demander plus jouerait le jeu des républicains qui eux ne leur donneraient rien du tout. Pendant ce temps, on encourageait les Noirs à s’enrôler dans l’armée, parce que malgré tout il faut servir leur beau pays qui les traite si bien. Quand les volontaires ne suffisent pas, on les enrôle de force. Pour l’anecdote, les Afro-Américains représentent 16% des conscrits en 1967 alors qu’ils ne composent que 11% de la population américaine. Voilà ce que veut dire « Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous. Demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays. »

Quel est le rapport avec le nouveau gouvernement qui abolit les ministères des Femmes, de l’Égalité des genres, de la Jeunesse, de la Diversité, de l’Inclusion et des Personnes en situation de handicap? Le lien, c’est que les droits des femmes et des minorités seront toujours relégués au second plan. Aujourd’hui, c’est la crise budgétaire et la guerre tarifaire contre Donald Trump. Demain, ce sera une guerre militaire ou plus probablement la crise climatique.

Oui il faut faire des sacrifices en temps de guerre. Mais ce sont toujorus les mêmes à qui on les impose. Pendant les deux guerres mondiales, le gouvernement du Canada allait chercher des hommes de force pour les envoyer mourir en Europe: chacun devait faire sa part, paraît-il. Mais pensez-vous qu’on ait exigé la même chose des grandes fortunes? Bien sûr que non. On peut forcer un homme à donner sa vie, mais on ne peut quand même pas obliger un millionnaire à donner son argent. On ne vit pas en dictature! Les sacrifices seront toujours imposés aux gagne-petits – parce que nos pays sont gouvernés par les riches pour les riches.

Dans un pays où l’intérêt public est synonyme d’intérêt des banques, des agences de crédit et des grandes entreprises, les droits des femmes et des minorités seront toujours perçus comme du superflu. Ce n’est pas pour rien que ces droits ont souvent dû être arrachés de force: c’est parce que les dirigeants n’ont jamais trouvé d’intérêt à les donner.

Donc non, il n’y a pas de compromis acceptable. Si on a besoin d’argent pour gérer la crise, qu’on aille le chercher dans les poches de ceux qui en ont. Et M. Carney le banquier sait mieux que quiconque où se trouve cet argent. Ne faisons pas des économies de bouts de chandelle en privant de ressources les groupes déjà fragilisés.

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