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Pluriparentalité et polygamie

En avril dernier, la Cour supérieure du Québec a tranché en faveur des familles pluriparentales: un enfant peut légalement avoir plus de deux parents. Le gouvernement du Québec a un an pour amender le Code civil afin de tenir compte de cette nouvelle réalité.

Excellente nouvelle pour les personnes concernées. Décision sans conséquence pour celles qui ne le sont pas. Mais des gens sont inquiets. Normand Lester et Guillaume Rousseau nous disent carrément que la décision du juge Andres C. Garin ouvre la porte à la polygamie. Rousseau se garde de viser une communauté en particulier, mais Lester attaque directement les musulmans. Présentement, la polygamie est un acte criminel au Canada. Mais Rousseau et Lester nous préviennent que nous sommes à un pas de sa légalisation.

« Certes, ce n’est pas pour tout de suite », écrit Rousseau, « car le Code criminel canadien interdit cette pratique. Mais il suffirait que le fédéral décide d’abolir cette interdiction pour que le Québec puisse être forcé d’en faire autant. » Effectivement, pratiquement tous les actes criminels peuvent être légalisés du jour au lendemain si le gouvernement le décide. Ce n’est pas un argument.

D’après Lester, c’est une question de temps avant que les tribunaux invalident la criminalisation de la polygamie au nom de la liberté de religion. Cette crainte est complètement sans fondement. Un jugement de la Cour suprême de la Colombie-Britannique l’a d’ailleurs confirmé en 2011 (BCSC 1588). La criminalisation de la polygamie est peut-être une entrave à la liberté de religion, mais c’est une limitation acceptable et nécessaire dans un contexte de protection des droits des femmes et des enfants. Merci au juriste Louis-Philippe Lampron pour la référence.

Donc non, ce n’est pas demain qu’un tribunal va décriminaliser la polygamie au nom du respect des droits individuels. Le gouvernement pourrait en décider autrement, mais nous n’avons aucune raison de croire que le nouveau gouvernement Carney ait l’intention de légiférer en ce sens. Alors de quoi est-ce qu’on s’inquiète? Et surtout, quel est le rapport avec les familles pluriparentales?

Pourquoi la polygamie est-elle non seulement interdite au Canada, mais criminelle? Voici quelques raisons tirées du rapport « La polygynie et les obligations du Canada en vertu du droit international en matière de droits de la personne« . On comprend que le rapport adresse directement les familles appartenant à des communautés où la polygynie (un homme ayant plusieurs épouses) est une pratique culturelle ou religieuse:

  • La polygamie renforce le patriarcat
  • La compétition entre les épouses cause du tort aux enfants et aux épouses elles-mêmes
  • Risque pour la santé sexuelle (la polygynie augmente le risque de transmission des infections et maladies)
  • La polygamie est souvent synonyme de dénuement économique pour les femmes et leurs enfants
  • L’inégalité domestique est incompatible avec l’égalité économique et sociale, donc avec les valeurs canadiennes

Donc ce n’est pas seulement par principe que le Canada ne permet pas les unions polygames. C’est parce que dans plusieurs contextes, celles-ci ont causé un tort réel et documenté aux femmes et aux enfants.

On brouille les cartes lorsqu’on lie les demandes de reconnaissance parentales à la reconnaissance conjugale. Ce sont deux enjeux complètement différents. Plusieurs provinces canadiennes reconnaissent déjà légalement la pluriparentalité (la Colombie-Britannique depuis 2013, l’Ontario depuis 2016 et la Saskatchewan depuis 2021). Selon Valérie Costanzo, professeure en sciences juridiques à l’Université du Québec à Montréal, ces changements législatifs n’ont pas conduit à des campagnes juridiques pour décriminaliser la polygamie. Il n’y a pas de raison de croire qu’il en irait autrement au Québec.

Maintenant, je vous le demande: en quoi les enfants des familles pluriparentales sont menacés par leur structure atypique? Au contraire, c’est précisément en tenant compte des intérêts des enfants que les tribunaux canadiens ont accordé un statut légal aux unions pluriparentales. Imaginons une situation d’urgence où le « troisième parent », celui qui n’est pas inscrit sur le certificat de naissance, se retrouve à l’hôpital seul avec son enfant. Il n’a pas l’autorité légale de prendre une décision. On se retrouve dans une situation dangereuse pour l’enfant qui aurait pu être évitée avec un changement sur un papier.

Avant d’adopter des idées préconçues sur la pluriparentalité, je recommande vivement d’écouter l’entrevue de Sophie Paradis à l’émission de Patrick Lagacé le 7 mai 2025. Les inquiets réaliseront peut-être que les familles pluriparentales ne sont dignes ni de suspicion, ni de mépris. Si vous vous inquiétez pour le bien-être des enfants des unions à trois parents, dites-vous que les séparations complexes et les cellules familiales dysfonctionnelles ne sont pas liées au nombre d’adultes impliqués. Au contraire, un projet de pluriparentalité implique généralement un niveau de préparation qui échappe à un très grand nombre de familles dites traditionnelles. À ce jour, aucune des quelques familles pluriparentales reconnues dans les autres provinces canadiennes ne s’est retrouvée en cour pour débattre de la garde des enfants. Pour citer Valérie Costanzo encore une fois: « Cela peut s’expliquer notamment par une méfiance par rapport à la surveillance des tribunaux, où ces familles pourraient vivre des préjugés, mais également par des outils de communication et de gestion familiale plus sains. » Bref, l’expérience ne donne aucune raison de croire que reconnaître légalement la pluriparenté serait préjudiciable pour les enfants.

Associer les familles pluriparentales, comme le fait Normand Lester, à des familles ultraconservatrices mormones ou musulmanes, est non seulement injuste, mais dangereux. C’est faire courir le risque d’une stigmatisation sociale à des familles déjà marginales qui ne demandent qu’à offrir les meilleures conditions de vie possibles à leurs enfants. C’est d’autant plus absurde vu la présence importante de la communauté LGBTQ+ parmi les familles qui ne répondent pas au modèle traditionnel. Ce n’est généralement pas là qu’on retrouve les ultrareligieux.

« Face à cette atteinte à sa liberté de choisir et à son caractère distinct, le Québec doit résister », conclut Guillaume Rousseau. Résister à quoi? À des familles qui ne répondent pas au modèle traditionnel? Cette bataille juridique que Rousseau semble réclamer de ses voeux ne vise en gros qu’à empêcher des familles de vivre selon leur mode de vie choisi. Et dans quel but? Se féliciter collectivement d’avoir empêché Ottawa de nous obliger à respecter les droits d’une minorité? C’est une habitude dangereuse qu’on semble vouloir développer au Québec. Il serait temps d’arrêter de voir les droits individuels comme une menace à éliminer.

Les familles pluriparentales n’ont pas demandé à être prises en otage par un nouvel affrontement juridictionnel entre Québec et Ottawa. Si nos nationalistes se cherchent un sujet pour attiser la colère contre le régime fédéral, qu’ils s’en tiennent à des guerres de chiffres.

Pluriparentalité et polygamie

En avril dernier, la Cour supérieure du Québec a tranché en faveur des familles pluriparentales: un enfant peut légalement avoir plus de deux parents. Le gouvernement du Québec a un an pour amender le Code civil afin de tenir compte de cette nouvelle réalité.

Excellente nouvelle pour les personnes concernées. Décision sans conséquence pour celles qui ne le sont pas. Mais des gens sont inquiets. Normand Lester et Guillaume Rousseau nous disent carrément que la décision du juge Andres C. Garin ouvre la porte à la polygamie. Rousseau se garde de viser une communauté en particulier, mais Lester attaque directement les musulmans. Présentement, la polygamie est un acte criminel au Canada. Mais Rousseau et Lester nous préviennent que nous sommes à un pas de sa légalisation.

“Certes, ce n’est pas pour tout de suite”, écrit Rousseau, “car le Code criminel canadien interdit cette pratique. Mais il suffirait que le fédéral décide d’abolir cette interdiction pour que le Québec puisse être forcé d’en faire autant.” Effectivement, pratiquement tous les actes criminels peuvent être légalisés du jour au lendemain si le gouvernement le décide. Ce n’est pas un argument.

D’après Lester, c’est une question de temps avant que les tribunaux invalident la criminalisation de la polygamie au nom de la liberté de religion. Cette crainte est complètement sans fondement. Un jugement de la Cour suprême de la Colombie-Britannique l’a d’ailleurs confirmé en 2011 (BCSC 1588). La criminalisation de la polygamie est peut-être une entrave à la liberté de religion, mais c’est une limitation acceptable et nécessaire dans un contexte de protection des droits des femmes et des enfants. Merci au juriste Louis-Philippe Lampron pour la référence.

Donc non, ce n’est pas demain qu’un tribunal va décriminaliser la polygamie au nom du respect des droits individuels. Le gouvernement pourrait en décider autrement, mais nous n’avons aucune raison de croire que le nouveau gouvernement Carney ait l’intention de légiférer en ce sens. Alors de quoi est-ce qu’on s’inquiète? Et surtout, quel est le rapport avec les familles pluriparentales?

Pourquoi la polygamie est-elle non seulement interdite au Canada, mais criminelle? Voici quelques raisons tirées du rapport “La polygynie et les obligations du Canada en vertu du droit international en matière de droits de la personne“. On comprend que le rapport adresse directement les familles appartenant à des communautés où la polygynie (un homme ayant plusieurs épouses) est une pratique culturelle ou religieuse:

  • La polygamie renforce le patriarcat
  • La compétition entre les épouses cause du tort aux enfants et aux épouses elles-mêmes
  • Risque pour la santé sexuelle (la polygynie augmente le risque de transmission des infections et maladies)
  • La polygamie est souvent synonyme de dénuement économique pour les femmes et leurs enfants
  • L’inégalité domestique est incompatible avec l’égalité économique et sociale, donc avec les valeurs canadiennes

Donc ce n’est pas seulement par principe que le Canada ne permet pas les unions polygames. C’est parce que dans plusieurs contextes, celles-ci ont causé un tort réel et documenté aux femmes et aux enfants.

On brouille les cartes lorsqu’on lie les demandes de reconnaissance parentales à la reconnaissance conjugale. Ce sont deux enjeux complètement différents. Plusieurs provinces canadiennes reconnaissent déjà légalement la pluriparentalité (la Colombie-Britannique depuis 2013, l’Ontario depuis 2016 et la Saskatchewan depuis 2021). Selon Valérie Costanzo, professeure en sciences juridiques à l’Université du Québec à Montréal, ces changements législatifs n’ont pas conduit à des campagnes juridiques pour décriminaliser la polygamie. Il n’y a pas de raison de croire qu’il en irait autrement au Québec.

Maintenant, je vous le demande: en quoi les enfants des familles pluriparentales sont menacés par leur structure atypique? Au contraire, c’est précisément en tenant compte des intérêts des enfants que les tribunaux canadiens ont accordé un statut légal aux unions pluriparentales. Imaginons une situation d’urgence où le “troisième parent”, celui qui n’est pas inscrit sur le certificat de naissance, se retrouve à l’hôpital seul avec son enfant. Il n’a pas l’autorité légale de prendre une décision. On se retrouve dans une situation dangereuse pour l’enfant qui aurait pu être évitée avec un changement sur un papier.

Avant d’adopter des idées préconçues sur la pluriparentalité, je recommande vivement d’écouter l’entrevue de Sophie Paradis à l’émission de Patrick Lagacé le 7 mai 2025. Les inquiets réaliseront peut-être que les familles pluriparentales ne sont dignes ni de suspicion, ni de mépris. Si vous vous inquiétez pour le bien-être des enfants des unions à trois parents, dites-vous que les séparations complexes et les cellules familiales dysfonctionnelles ne sont pas liées au nombre d’adultes impliqués. Au contraire, un projet de pluriparentalité implique généralement un niveau de préparation qui échappe à un très grand nombre de familles dites traditionnelles. À ce jour, aucune des quelques familles pluriparentales reconnues dans les autres provinces canadiennes ne s’est retrouvée en cour pour débattre de la garde des enfants. Pour citer Valérie Costanzo encore une fois: “Cela peut s’expliquer notamment par une méfiance par rapport à la surveillance des tribunaux, où ces familles pourraient vivre des préjugés, mais également par des outils de communication et de gestion familiale plus sains.” Bref, l’expérience ne donne aucune raison de croire que reconnaître légalement la pluriparenté serait préjudiciable pour les enfants.

Associer les familles pluriparentales, comme le fait Normand Lester, à des familles ultraconservatrices mormones ou musulmanes, est non seulement injuste, mais dangereux. C’est faire courir le risque d’une stigmatisation sociale à des familles déjà marginales qui ne demandent qu’à offrir les meilleures conditions de vie possibles à leurs enfants. C’est d’autant plus absurde vu la présence importante de la communauté LGBTQ+ parmi les familles qui ne répondent pas au modèle traditionnel. Ce n’est généralement pas là qu’on retrouve les ultrareligieux.

“Face à cette atteinte à sa liberté de choisir et à son caractère distinct, le Québec doit résister”, conclut Guillaume Rousseau. Résister à quoi? À des familles qui ne répondent pas au modèle traditionnel? Cette bataille juridique que Rousseau semble réclamer de ses voeux ne vise en gros qu’à empêcher des familles de vivre selon leur mode de vie choisi. Et dans quel but? Se féliciter collectivement d’avoir empêché Ottawa de nous obliger à respecter les droits d’une minorité? C’est une habitude dangereuse qu’on semble vouloir développer au Québec. Il serait temps d’arrêter de voir les droits individuels comme une menace à éliminer.

Les familles pluriparentales n’ont pas demandé à être prises en otage par un nouvel affrontement juridictionnel entre Québec et Ottawa. Si nos nationalistes se cherchent un sujet pour attiser la colère contre le régime fédéral, qu’ils s’en tiennent à des guerres de chiffres.

La « tradition » des passe-droits

Éric Duhaime aurait voulu qu’on lui laisse le champ libre dans Arthabaska, question de pouvoir profiter du salaire de député (et ainsi de ménager les finances du Parti conservateur), de la tribune de l’Assemblée nationale et éventuellement de participer aux prochains débats des chefs. Il accuse Paul St-Pierre Plamondon de « briser une tradition » en présentant un candidat contre un chef de parti qui se présente lors d’une élection complémentaire et de « vouloir absolument empêcher un Québécois sur sept d’avoir une voix à l’Assemblée nationale » (Les coulisses du pouvoir, 4 mai 2025).

Cette tradition de ne pas présenter de candidat contre un chef de parti dans une élection complémentaire existe-t-elle?

Réponse courte: Non.

Cette « tradition » a été observée cinq fois entre 1986 et 2013 par le Parti libéral, le Parti québécois et la Coalition Avenir Québec. Dans les cinq cas, les chefs se présentaient dans une circonscription laissée vacante par un député DE LEUR PROPRE PARTI. Trois de ces élections partielles ont été provoquées par le départ d’un député ayant quitté son poste expressément pour permettre à son ou sa chef(fe) de faire son entrée à l’Assemblée nationale. Ce n’est pas le cas dans Arthabaska. Rappelons que la circonscription a été laissée vacante par le député caquiste Éric Lefebvre, dont le chef siège toujours à l’Assemblée nationale. Si les autres partis avaient accordé un passe-droit à Éric Duhaime, nous aurions assisté à une première historique: la classe politique imposant à une circonscription d’être représentée par un parti pour lequel elle n’a jamais voté. Duhaime y aurait vu un respect élémentaire pour les électeurs du PCQ. J’y vois un grave affront pour les électeurs d’Arthabaska.

Je vous présente l’historique complet des situations où le chef d’un parti représenté à l’Assemblée nationale s’est présenté dans une élection complémentaire. Vous jugerez ensuite.

1) Joseph-Alfred Mousseau (1882)
En 1882, le premier ministre du Québec, Joseph-Adolphe Chapleau, démissionne pour devenir ministre à Ottawa. Il est remplacé par Joseph-Alfred Mousseau, qui lui quitte son ministère à Ottawa pour devenir premier ministre du Québec. Il n’a pas de siège au Québec. C’est Narcisse Lecavalier, député de Jacques-Cartier, qui lui cède son siège en échange d’un poste de haut-fonctionnaire (c’était acceptable à l’époque). Les libéraux ne présentent aucun candidat contre Mousseau, moins par galanterie que par manque de moyens. Le comté de Jacques-Cartier était conservateur depuis 1867. En 1881, Lecavalier avait été élu par acclamation. Le seul adversaire de Mousseau sera donc un autre candidat conservateur.

2) Georges-Émile Lapalme (1953)
En 1950, Georges-Émile Lapalme quitte son siège de député d’arrière-ban à Ottawa pour devenir chef du Parti libéral du Québec. Aux élections générales de 1952, les libéraux font élire 23 députés, mais Lapalme est battu dans le comté de Joliette. La mort du député d’Outremont, Henri Groulx, vient tristement libérer un siège. Lapalme se présente, mais l’Union nationale ne lui laisse pas le champ libre. Maurice Duplessis se fait le champion de la démocratie: « M. Lapalme aurait aimé une élection par acclamation réalisant, aujourd’hui, que c’est le seul moyen pour lui d’être élu. Il n’est ni juste, ni raisonnable de penser que M. Lapalme est supérieur à tous les électeurs du comté. » (La Presse, 6 juillet 1953) Lapalme est malgré tout élu avec 56% des votes.

3) Claude Ryan (1979)
Les élections de 1976 sont remportées par le Parti québécois. Le premier ministre sortant, Robert Bourassa est remplacé comme chef du Parti libéral du Québec par Claude Ryan, qui n’est pas élu. Zoël Saindon, député d’Argenteuil, démissionne pour lui céder son siège. Choix audacieux: Saindon ne l’avait emporté que par une majorité de 1275 voix contre le candidat péquiste et le candidat de l’Union nationale les suivait de près. Le Parti québécois et l’Union nationale présentent tous deux un candidat contre Ryan, qui l’emporte malgré tout avec 64% des votes.

4) Robert Bourassa (1986)
En 1985, le Parti libéral du Québec forme un gouvernement majoritaire, mais Robert Bourassa est battu dans sa propre circonscription de Bertrand. Le député libéral Germain Leduc lui cède son siège dans Saint-Laurent. Neuf candidats s’opposent à Bourassa, mais le Parti québécois ne lui présente pas d’adversaire. Ce n’est pas un grand sacrifice puisque Germain Leduc avait reçu 74% des votes contre 20% pour Michel Larouche du PQ. Le comté était gagné d’avance. Bourassa est élu avec 80% des votes.

5) Lucien Bouchard (1996)
Jacques Parizeau a quitté la direction du Parti québécois suite à l’échec du référendum de 1995. Lucien Bouchard, chef du Bloc québécois, a quitté Ottawa pour devenir premier ministre du Québec. Francis Dufour, député de Jonquière, a quitté son siège pour permettre à Bouchard de faire son entrée à l’Assemblée nationale. Le Parti libéral ne présente aucun adversaire à Bouchard, qui est élu avec le score stalinien de 95% des votes.

6) André Boisclair (2006)
André Boisclair succède à Bernard Landry comme chef du Parti québécois en 2005, mais il ne siège pas à l’Assemblée nationale. Nicole Léger, qui avait appuyé Pauline Marois lors de la course à la chefferie, démissionne en 2006. Son comté de Pointe-aux-Trembles est relativement sûr: Nicole Léger l’avait emporté par une majorité de près de 5000 voix en 2003. Ni le Parti libéral, ni l’Action démocratique du Québec (ADQ), ne présentent de candidat contre Boisclair. Ses adversaires sont des candidats de Québec solidaire, du Parti vert et cinq indépendants. Boisclair l’emporte avec 71% des votes.

7) Pauline Marois (2007)
Pauline Marois est élue cheffe du PQ suite à la démission d’André Boisclair en 2007, mais elle a quitté l’Assemblée nationale en 2006. Rosaire Bertrand démissionne de son siège de Charlevoix pour lui céder sa place. Choix audacieux: Bertrand n’avait obtenu que 37% des votes aux élections précédentes. Jean Charest n’oppose aucun adversaire à Pauline Marois. L’ADQ présente Conrad Harvey, candidat aux précédentes élections générales. Pauline Marois l’emporte avec 59% des votes.

8) Philippe Couillard (2013)
Philippe Couillard devient chef du Parti libéral du Québec en 2013. Raymond Bachand, son principal adversaire lors de la course à la chefferie, démissionne de son siège à Outremont. Couillard se présente pour le remplacer. Le Parti québécois et la Coalition Avenir Québec ne lui opposent pas d’adversaires. Couillard l’emporte avec une majorité de 2318 voix contre sa principale adversaire, la solidaire Édith Laperle.

Faux cas: Gabriel Nadeau-Dubois (2017)
Éric Duhaime cite l’exemple de Gabriel Nadeau-Dubois puisque le Parti québécois n’avait pas présenté de candidat contre lui dans Gouin en 2017. C’est une erreur. Le PQ avait annoncé dès février son intention de ne pas présenter de candidat lors de l’élection partielle, mais ce n’est qu’en mars que GND a été élu co-porte-parole de Québec solidaire. Il est à ce moment un candidat comme les autres. C’est d’ailleurs Manon Massé qui allait briguer le poste de première ministre aux élections générales de 2018.

En résumé, si on prétend s’appuyer sur une « tradition » pour réclamer que le chef d’un parti n’ayant jamais fait élire un seul député soit élu par acclamation, il faut ignorer l’histoire politique du Québec ou souhaiter à tout prix se présenter comme une victime des « élites » et du « système ». Je vous laisse choisir quel cas s’applique ici.

La “tradition” des passe-droits

Éric Duhaime aurait voulu qu’on lui laisse le champ libre dans Arthabaska, question de pouvoir profiter du salaire de député (et ainsi de ménager les finances du Parti conservateur), de la tribune de l’Assemblée nationale et éventuellement de participer aux prochains débats des chefs. Il accuse Paul St-Pierre Plamondon de “briser une tradition” en présentant un candidat contre un chef de parti qui se présente lors d’une élection complémentaire et de “vouloir absolument empêcher un Québécois sur sept d’avoir une voix à l’Assemblée nationale” (Les coulisses du pouvoir, 4 mai 2025).

Cette tradition de ne pas présenter de candidat contre un chef de parti dans une élection complémentaire existe-t-elle?

Réponse courte: Non.

Cette “tradition” a été observée cinq fois entre 1986 et 2013 par le Parti libéral, le Parti québécois et la Coalition Avenir Québec. Dans les cinq cas, les chefs se présentaient dans une circonscription laissée vacante par un député DE LEUR PROPRE PARTI. Trois de ces élections partielles ont été provoquées par le départ d’un député ayant quitté son poste expressément pour permettre à son ou sa chef(fe) de faire son entrée à l’Assemblée nationale. Ce n’est pas le cas dans Arthabaska. Rappelons que la circonscription a été laissée vacante par le député caquiste Éric Lefebvre, dont le chef siège toujours à l’Assemblée nationale. Si les autres partis avaient accordé un passe-droit à Éric Duhaime, nous aurions assisté à une première historique: la classe politique imposant à une circonscription d’être représentée par un parti pour lequel elle n’a jamais voté. Duhaime y aurait vu un respect élémentaire pour les électeurs du PCQ. J’y vois un grave affront pour les électeurs d’Arthabaska.

Je vous présente l’historique complet des situations où le chef d’un parti représenté à l’Assemblée nationale s’est présenté dans une élection complémentaire. Vous jugerez ensuite.

1) Joseph-Alfred Mousseau (1882)
En 1882, le premier ministre du Québec, Joseph-Adolphe Chapleau, démissionne pour devenir ministre à Ottawa. Il est remplacé par Joseph-Alfred Mousseau, qui lui quitte son ministère à Ottawa pour devenir premier ministre du Québec. Il n’a pas de siège au Québec. C’est Narcisse Lecavalier, député de Jacques-Cartier, qui lui cède son siège en échange d’un poste de haut-fonctionnaire (c’était acceptable à l’époque). Les libéraux ne présentent aucun candidat contre Mousseau, moins par galanterie que par manque de moyens. Le comté de Jacques-Cartier était conservateur depuis 1867. En 1881, Lecavalier avait été élu par acclamation. Le seul adversaire de Mousseau sera donc un autre candidat conservateur.

2) Georges-Émile Lapalme (1953)
En 1950, Georges-Émile Lapalme quitte son siège de député d’arrière-ban à Ottawa pour devenir chef du Parti libéral du Québec. Aux élections générales de 1952, les libéraux font élire 23 députés, mais Lapalme est battu dans le comté de Joliette. La mort du député d’Outremont, Henri Groulx, vient tristement libérer un siège. Lapalme se présente, mais l’Union nationale ne lui laisse pas le champ libre. Maurice Duplessis se fait le champion de la démocratie: “M. Lapalme aurait aimé une élection par acclamation réalisant, aujourd’hui, que c’est le seul moyen pour lui d’être élu. Il n’est ni juste, ni raisonnable de penser que M. Lapalme est supérieur à tous les électeurs du comté.” (La Presse, 6 juillet 1953) Lapalme est malgré tout élu avec 56% des votes.

3) Claude Ryan (1979)
Les élections de 1976 sont remportées par le Parti québécois. Le premier ministre sortant, Robert Bourassa est remplacé comme chef du Parti libéral du Québec par Claude Ryan, qui n’est pas élu. Zoël Saindon, député d’Argenteuil, démissionne pour lui céder son siège. Choix audacieux: Saindon ne l’avait emporté que par une majorité de 1275 voix contre le candidat péquiste et le candidat de l’Union nationale les suivait de près. Le Parti québécois et l’Union nationale présentent tous deux un candidat contre Ryan, qui l’emporte malgré tout avec 64% des votes.

4) Robert Bourassa (1986)
En 1985, le Parti libéral du Québec forme un gouvernement majoritaire, mais Robert Bourassa est battu dans sa propre circonscription de Bertrand. Le député libéral Germain Leduc lui cède son siège dans Saint-Laurent. Neuf candidats s’opposent à Bourassa, mais le Parti québécois ne lui présente pas d’adversaire. Ce n’est pas un grand sacrifice puisque Germain Leduc avait reçu 74% des votes contre 20% pour Michel Larouche du PQ. Le comté était gagné d’avance. Bourassa est élu avec 80% des votes.

5) Lucien Bouchard (1996)
Jacques Parizeau a quitté la direction du Parti québécois suite à l’échec du référendum de 1995. Lucien Bouchard, chef du Bloc québécois, a quitté Ottawa pour devenir premier ministre du Québec. Francis Dufour, député de Jonquière, a quitté son siège pour permettre à Bouchard de faire son entrée à l’Assemblée nationale. Le Parti libéral ne présente aucun adversaire à Bouchard, qui est élu avec le score stalinien de 95% des votes.

6) André Boisclair (2006)
André Boisclair succède à Bernard Landry comme chef du Parti québécois en 2005, mais il ne siège pas à l’Assemblée nationale. Nicole Léger, qui avait appuyé Pauline Marois lors de la course à la chefferie, démissionne en 2006. Son comté de Pointe-aux-Trembles est relativement sûr: Nicole Léger l’avait emporté par une majorité de près de 5000 voix en 2003. Ni le Parti libéral, ni l’Action démocratique du Québec (ADQ), ne présentent de candidat contre Boisclair. Ses adversaires sont des candidats de Québec solidaire, du Parti vert et cinq indépendants. Boisclair l’emporte avec 71% des votes.

7) Pauline Marois (2007)
Pauline Marois est élue cheffe du PQ suite à la démission d’André Boisclair en 2007, mais elle a quitté l’Assemblée nationale en 2006. Rosaire Bertrand démissionne de son siège de Charlevoix pour lui céder sa place. Choix audacieux: Bertrand n’avait obtenu que 37% des votes aux élections précédentes. Jean Charest n’oppose aucun adversaire à Pauline Marois. L’ADQ présente Conrad Harvey, candidat aux précédentes élections générales. Pauline Marois l’emporte avec 59% des votes.

8) Philippe Couillard (2013)
Philippe Couillard devient chef du Parti libéral du Québec en 2013. Raymond Bachand, son principal adversaire lors de la course à la chefferie, démissionne de son siège à Outremont. Couillard se présente pour le remplacer. Le Parti québécois et la Coalition Avenir Québec ne lui opposent pas d’adversaires. Couillard l’emporte avec une majorité de 2318 voix contre sa principale adversaire, la solidaire Édith Laperle.

Faux cas: Gabriel Nadeau-Dubois (2017)
Éric Duhaime cite l’exemple de Gabriel Nadeau-Dubois puisque le Parti québécois n’avait pas présenté de candidat contre lui dans Gouin en 2017. C’est une erreur. Le PQ avait annoncé dès février son intention de ne pas présenter de candidat lors de l’élection partielle, mais ce n’est qu’en mars que GND a été élu co-porte-parole de Québec solidaire. Il est à ce moment un candidat comme les autres. C’est d’ailleurs Manon Massé qui allait briguer le poste de première ministre aux élections générales de 2018.

En résumé, si on prétend s’appuyer sur une “tradition” pour réclamer que le chef d’un parti n’ayant jamais fait élire un seul député soit élu par acclamation, il faut ignorer l’histoire politique du Québec ou souhaiter à tout prix se présenter comme une victime des “élites” et du “système”. Je vous laisse choisir quel cas s’applique ici.

La coalition pour son propre avenir

Vous vous souvenez de janvier 2021? Pour aider à faire passer la pilule du couvre-feu, les ministres caquistes publiaient des photos et vidéos des petits bonheurs de leur quotidien dans leur immense cour ou dans leur luxueux salon grand comme mon appartement. On y voyait entre autres le ministre André Lamontagne qui joue du piano en compagnie de son chien. En compagnie de son chien. J’insiste sur le compagnon canin parce que le couvre-feu prévoyait une exception pour les propriétaires de chien. Mais pas pour les itinérants. Plus de 150 itinérants ont reçu une amende pour non-respect du couvre-feu. Les propriétaires de chiens n’ont pas eu ce problème.

C’est une anecdote (merci à Josiane Cossette qui l’analyse et en souligne le caractère indécent dans son livre Raccommodements raisonnables), mais une anecdote qui selon moi révèle comment se prennent les décisions au gouvernement de la CAQ. Je peux facilement imaginer, au moment où François Legault annonce qu’il y aura un couvre-feu, le ministre Lamontagne qui lève la main pour dire « Oui mais moi il faut que j’amène mon chien faire sa promenade le soir. » « Okay André on va prévoir une exemption pour toi. Je veux dire: On va prévoir une exemption pour les propriétaires de chien. » Mais naturellement, il n’y avait pas d’itinérant autour de la table pour faire part de sa situation personnelle. Donc pour eux, l’exemption est seulement venue plus tard en raison de la pression populaire et médiatique.

C’est ça, la CAQ. Un groupe d’individus qui gouvernent pour eux-mêmes.

Cette année, le salaire minimum a augmenté de 15.75$ à 16.10$. Une augmentation de 2.2%, inférieure à l’inflation. Il n’y a évidemment pas beaucoup de gens autour de la table du conseil des ministres qui savent ce que c’est de travailler au salaire minimum. En revanche, 30% des ministres de la CAQ viennent du milieu des affaires. Il y avait donc beaucoup de gens pour rappeler que la prospérité des entreprises dépend d’un salaire minimum aussi bas que possible. Tant pis si ceux qui en arrachent doivent s’appauvrir un peu plus. Ce gouvernement travaille pour l’économie.

Pendant que le salaire minimum augmente de 2.2%, le gouvernement recommande des augmentations de loyer de 5.9% (minimum). Les ministres de la CAQ qui sont propriétaires d’un parc immobilier valant en moyenne 1.6 millions de dollars sont là pour rappeler qu’il faut tenir compte de l’augmentation des taxes municipales, des matériaux, des coûts des travaux, des coûts d’entretien… Malheureusement, très peu de locataires sont là pour faire remarquer qu’ils s’appauvrissent d’année en année avec ces hausses de loyer supérieures aux augmentations de salaire.

Évidemment, les augmentations de salaire ne sont pas un enjeu majeur pour les députés de la CAQ, qui se sont accordés à eux-mêmes une augmentation de 30% en 2023. Une augmentation nécessaire puisque les députés travaillent fort (mention honorable à Éric Lefebvre qui s’est plaint de travailler tellement qu’il n’a plus le temps de rendre visite à sa mère). Ce n’est pas comme ces paresseuses d’infirmières ou ces fainéants d’enseignants. Comme disait Bernard Drainville, « tu compares vraiment le job d’enseignant au job de député? Tu es en train de me dire que ça se compare? »

François Legault justifiait cette augmentation en disant qu’il ne voyait pas pourquoi le secteur privé paierait mieux que la politique. Imaginez-vous comme moi les députés de la CAQ se plaindre qu’ils ne gagnent pas assez cher et rappeler qu’ils avaient un meilleur salaire dans le privé, avant que l’équipe de M. Legault vienne les recruter? Pendant ce temps, les travailleurs du secteur public reçoivent une augmentation de 17.4% sur 5 ans. Et le gouvernement offre 12.7% d’augmentation sur 5 ans aux éducatrices. Faut-il souligner qu’il n’y a aucune éducatrice au conseil des ministres?

Ajoutons à tout cela l’éthique élastique de la CAQ. Éric Caire ne laissait rien passer lorsqu’il était dans l’opposition. Le gouvernement devait être plus blanc que blanc. Une fois au pouvoir, les caquistes se sont bien accommodés des NOMBREUX conflits d’intérêt de Pierre Fitzgibbon, dont le ministère accordait des subventions aux entreprises de ses amis et qui recevait des cadeaux de la part d’entrepreneurs qui font affaire avec le gouvernement. Ça n’inquiétait pas M. Legault parce que contrairement aux libéraux et aux péquistes, les caquistes sont honnêtes. C’est ce qu’il nous disait en 2020 lorsqu’il a assoupli les règles d’attribution des contrats d’infrastructure malgré toutes les voix qui lui disaient qu’il ouvrait grand la porte à l’émergence de la corruption et de la collusion. Il rappelait qu’il y avait dans son équipe Sonia Lebel, ancienne procureure en chef de la commission Charbonneau, Christian Dubé, qui est comptable agréé, et « même du monde qui ont milité à la CAQ parce qu’ils étaient tannés de la corruption dans d’autres partis ». Bref, la transparence et l’éthique, c’est pour les autres. Les gens honnêtes n’ont pas besoin de suivre les règles.

De toute façon, quel mal y a-t-il à aider ses amis? Dans une logique bien duplessiste, la CAQ s’occupe de ses amis d’abord et des autres ensuite. Québec solidaire a fait remarquer que les projets de construction d’école semblent déterminés en fonction de l’allégeance politique du député local. D’un extrême à l’autre, les investissements varieraient entre 4189$ par enfant dans une circonscription caquiste VS 1045$ par enfant dans une circonscription péquiste. Le ministre Bernard Drainville s’est défendu d’accorder le financement en fonction de critères partisans, mais il a refusé de rendre publiques les évaluations. « On a d’autres choses à faire. » Nous sommes trop occupés pour être transparents, alors vous allez devoir nous croire sur parole.

François Legault a affirmé franchement son clientélisme politique lorsqu’il a dit que « la CAQ, c’est un parti des régions » pour justifier son refus d’investir dans l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. Si les gens de Maisonneuve-Rosemont voulaient un meilleur hôpital, ils n’avaient qu’à ne pas élire un député solidaire. Le gouvernement prétend en faire une question d’équité entre Montréal et les régions. Traduction: nos électeurs vont être en colère si on investit trop d’argent dans un hôpital de Montréal pendant que leurs propres hôpitaux ont aussi besoin de travaux. Alors les patients et le personnel de HMR vont devoir s’habituer aux chauve-souris.

Pendant que le premier ministre nous dit chercher désespérément 85 millions pour l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, un contrat de 46 millions pour du soutien en ingénierie pour le troisième lien Québec – Lévis est accordé. Si le projet pharaonique que représente ce fameux pont finit par voir le jour, ce sera l’achat de votes le plus coûteux de l’histoire du Québec. Même Maurice Duplessis n’aurait jamais osé. Soyons honnêtes: la question ici n’a jamais été de mesurer les coûts VS l’utilité d’un troisième pont. La question a toujours été: qu’est-ce qui est le plus rentable électoralement, bien gérer les fonds publics ou céder aux pressions des radios de Québec? Apparemment les caquistes de la grande région de Québec ont parlé plus fort que les gestionnaires responsables et donc le troisième lien n’en finit plus d’être ressuscité.

Depuis 2018, les beaux principes de la CAQ sont tombés les uns après les autres. Vous vous souvenez de la promesse de réformer le mode de scrutin? C’était à l’époque où la CAQ obtenait 15% des sièges avec 27% des votes (élections générales de 2012). « Ce que je souhaite, c’est qu’il y ait moins de cynisme au Québec, qu’il y ait plus de confiance entre les citoyens et la classe politique. Et je pense que ça passe par un mode de scrutin proportionnel mixte », nous disait François Legault. Depuis, la CAQ a obtenu 59% des sièges avec 37% des votes (2018), ensuite 72% des sièges avec 41% des votes (2022). Réformer le mode de scrutin a sans surprise cessé d’être une priorité pour notre premier ministre. « Il n’y a personne qui se bat dans les autobus au Québec pour changer le mode de scrutin. » Traduction: « Beaucoup de mes députés ont peur de perdre leur siège si on change le mode de scrutin. »

René Lévesque disait de l’Union nationale de Maurice Duplessis que ce n’était pas un parti d’idées, mais un parti d’intérêts. Je dois faire le même constat à l’égard de la CAQ. Quand ce gouvernement prend des décisions, c’est forcément pour servir des intérêts caquistes. Intérêts électoraux, intérêts financiers ou intérêts personnels, mais intérêts tout de même.

Les seules personnes qui ont des raisons d’être satisfaites de ce gouvernement sont les millionnaires, les gros propriétaires et les patrons. Des personnes qui se sont enrichies depuis 2018 et qui vont continuer à le faire puisque la CAQ leur donne toujours davantage de moyens en plus de diminuer leur fardeau fiscal (on ne se pose pas de question sur la capacité à payer des Québécois quand vient le temps de baisser les impôts). Et comme par hasard, ces gens qui bénéficient du régime sont très bien représentés au conseil des ministres.

La « Coalition Avenir Québec » rassemble des anciens libéraux, des anciens péquistes et des anciens adéquistes. On y retrouve des indépendantistes, des nationalistes et des fédéralistes. Certains caquistes appartiennent à la droite économique pure, d’autres sont plus socio-démocrates. Qu’est-ce qui unit tous ces gens à part un appétit pour le pouvoir? Poser la question revient à y répondre. Cette coalition travaille pour un seul avenir: le sien.

La coalition pour son propre avenir

Vous vous souvenez de janvier 2021? Pour aider à faire passer la pilule du couvre-feu, les ministres caquistes publiaient des photos et vidéos des petits bonheurs de leur quotidien dans leur immense cour ou dans leur luxueux salon grand comme mon appartement. On y voyait entre autres le ministre André Lamontagne qui joue du piano en compagnie de son chien. En compagnie de son chien. J’insiste sur le compagnon canin parce que le couvre-feu prévoyait une exception pour les propriétaires de chien. Mais pas pour les itinérants. Plus de 150 itinérants ont reçu une amende pour non-respect du couvre-feu. Les propriétaires de chiens n’ont pas eu ce problème.

C’est une anecdote (merci à Josiane Cossette qui l’analyse et en souligne le caractère indécent dans son livre Raccommodements raisonnables), mais une anecdote qui selon moi révèle comment se prennent les décisions au gouvernement de la CAQ. Je peux facilement imaginer, au moment où François Legault annonce qu’il y aura un couvre-feu, le ministre Lamontagne qui lève la main pour dire “Oui mais moi il faut que j’amène mon chien faire sa promenade le soir.” “Okay André on va prévoir une exemption pour toi. Je veux dire: On va prévoir une exemption pour les propriétaires de chien.” Mais naturellement, il n’y avait pas d’itinérant autour de la table pour faire part de sa situation personnelle. Donc pour eux, l’exemption est seulement venue plus tard en raison de la pression populaire et médiatique.

C’est ça, la CAQ. Un groupe d’individus qui gouvernent pour eux-mêmes.

Cette année, le salaire minimum a augmenté de 15.75$ à 16.10$. Une augmentation de 2.2%, inférieure à l’inflation. Il n’y a évidemment pas beaucoup de gens autour de la table du conseil des ministres qui savent ce que c’est de travailler au salaire minimum. En revanche, 30% des ministres de la CAQ viennent du milieu des affaires. Il y avait donc beaucoup de gens pour rappeler que la prospérité des entreprises dépend d’un salaire minimum aussi bas que possible. Tant pis si ceux qui en arrachent doivent s’appauvrir un peu plus. Ce gouvernement travaille pour l’économie.

Pendant que le salaire minimum augmente de 2.2%, le gouvernement recommande des augmentations de loyer de 5.9% (minimum). Les ministres de la CAQ qui sont propriétaires d’un parc immobilier valant en moyenne 1.6 millions de dollars sont là pour rappeler qu’il faut tenir compte de l’augmentation des taxes municipales, des matériaux, des coûts des travaux, des coûts d’entretien… Malheureusement, très peu de locataires sont là pour faire remarquer qu’ils s’appauvrissent d’année en année avec ces hausses de loyer supérieures aux augmentations de salaire.

Évidemment, les augmentations de salaire ne sont pas un enjeu majeur pour les députés de la CAQ, qui se sont accordés à eux-mêmes une augmentation de 30% en 2023. Une augmentation nécessaire puisque les députés travaillent fort (mention honorable à Éric Lefebvre qui s’est plaint de travailler tellement qu’il n’a plus le temps de rendre visite à sa mère). Ce n’est pas comme ces paresseuses d’infirmières ou ces fainéants d’enseignants. Comme disait Bernard Drainville, “tu compares vraiment le job d’enseignant au job de député? Tu es en train de me dire que ça se compare?”

François Legault justifiait cette augmentation en disant qu’il ne voyait pas pourquoi le secteur privé paierait mieux que la politique. Imaginez-vous comme moi les députés de la CAQ se plaindre qu’ils ne gagnent pas assez cher et rappeler qu’ils avaient un meilleur salaire dans le privé, avant que l’équipe de M. Legault vienne les recruter? Pendant ce temps, les travailleurs du secteur public reçoivent une augmentation de 17.4% sur 5 ans. Et le gouvernement offre 12.7% d’augmentation sur 5 ans aux éducatrices. Faut-il souligner qu’il n’y a aucune éducatrice au conseil des ministres?

Ajoutons à tout cela l’éthique élastique de la CAQ. Éric Caire ne laissait rien passer lorsqu’il était dans l’opposition. Le gouvernement devait être plus blanc que blanc. Une fois au pouvoir, les caquistes se sont bien accommodés des NOMBREUX conflits d’intérêt de Pierre Fitzgibbon, dont le ministère accordait des subventions aux entreprises de ses amis et qui recevait des cadeaux de la part d’entrepreneurs qui font affaire avec le gouvernement. Ça n’inquiétait pas M. Legault parce que contrairement aux libéraux et aux péquistes, les caquistes sont honnêtes. C’est ce qu’il nous disait en 2020 lorsqu’il a assoupli les règles d’attribution des contrats d’infrastructure malgré toutes les voix qui lui disaient qu’il ouvrait grand la porte à l’émergence de la corruption et de la collusion. Il rappelait qu’il y avait dans son équipe Sonia Lebel, ancienne procureure en chef de la commission Charbonneau, Christian Dubé, qui est comptable agréé, et “même du monde qui ont milité à la CAQ parce qu’ils étaient tannés de la corruption dans d’autres partis”. Bref, la transparence et l’éthique, c’est pour les autres. Les gens honnêtes n’ont pas besoin de suivre les règles.

De toute façon, quel mal y a-t-il à aider ses amis? Dans une logique bien duplessiste, la CAQ s’occupe de ses amis d’abord et des autres ensuite. Québec solidaire a fait remarquer que les projets de construction d’école semblent déterminés en fonction de l’allégeance politique du député local. D’un extrême à l’autre, les investissements varieraient entre 4189$ par enfant dans une circonscription caquiste VS 1045$ par enfant dans une circonscription péquiste. Le ministre Bernard Drainville s’est défendu d’accorder le financement en fonction de critères partisans, mais il a refusé de rendre publiques les évaluations. “On a d’autres choses à faire.” Nous sommes trop occupés pour être transparents, alors vous allez devoir nous croire sur parole.

François Legault a affirmé franchement son clientélisme politique lorsqu’il a dit que “la CAQ, c’est un parti des régions” pour justifier son refus d’investir dans l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. Si les gens de Maisonneuve-Rosemont voulaient un meilleur hôpital, ils n’avaient qu’à ne pas élire un député solidaire. Le gouvernement prétend en faire une question d’équité entre Montréal et les régions. Traduction: nos électeurs vont être en colère si on investit trop d’argent dans un hôpital de Montréal pendant que leurs propres hôpitaux ont aussi besoin de travaux. Alors les patients et le personnel de HMR vont devoir s’habituer aux chauve-souris.

Pendant que le premier ministre nous dit chercher désespérément 85 millions pour l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, un contrat de 46 millions pour du soutien en ingénierie pour le troisième lien Québec – Lévis est accordé. Si le projet pharaonique que représente ce fameux pont finit par voir le jour, ce sera l’achat de votes le plus coûteux de l’histoire du Québec. Même Maurice Duplessis n’aurait jamais osé. Soyons honnêtes: la question ici n’a jamais été de mesurer les coûts VS l’utilité d’un troisième pont. La question a toujours été: qu’est-ce qui est le plus rentable électoralement, bien gérer les fonds publics ou céder aux pressions des radios de Québec? Apparemment les caquistes de la grande région de Québec ont parlé plus fort que les gestionnaires responsables et donc le troisième lien n’en finit plus d’être ressuscité.

Depuis 2018, les beaux principes de la CAQ sont tombés les uns après les autres. Vous vous souvenez de la promesse de réformer le mode de scrutin? C’était à l’époque où la CAQ obtenait 15% des sièges avec 27% des votes (élections générales de 2012). “Ce que je souhaite, c’est qu’il y ait moins de cynisme au Québec, qu’il y ait plus de confiance entre les citoyens et la classe politique. Et je pense que ça passe par un mode de scrutin proportionnel mixte”, nous disait François Legault. Depuis, la CAQ a obtenu 59% des sièges avec 37% des votes (2018), ensuite 72% des sièges avec 41% des votes (2022). Réformer le mode de scrutin a sans surprise cessé d’être une priorité pour notre premier ministre. “Il n’y a personne qui se bat dans les autobus au Québec pour changer le mode de scrutin.” Traduction: “Beaucoup de mes députés ont peur de perdre leur siège si on change le mode de scrutin.”

René Lévesque disait de l’Union nationale de Maurice Duplessis que ce n’était pas un parti d’idées, mais un parti d’intérêts. Je dois faire le même constat à l’égard de la CAQ. Quand ce gouvernement prend des décisions, c’est forcément pour servir des intérêts caquistes. Intérêts électoraux, intérêts financiers ou intérêts personnels, mais intérêts tout de même.

Les seules personnes qui ont des raisons d’être satisfaites de ce gouvernement sont les millionnaires, les gros propriétaires et les patrons. Des personnes qui se sont enrichies depuis 2018 et qui vont continuer à le faire puisque la CAQ leur donne toujours davantage de moyens en plus de diminuer leur fardeau fiscal (on ne se pose pas de question sur la capacité à payer des Québécois quand vient le temps de baisser les impôts). Et comme par hasard, ces gens qui bénéficient du régime sont très bien représentés au conseil des ministres.

La “Coalition Avenir Québec” rassemble des anciens libéraux, des anciens péquistes et des anciens adéquistes. On y retrouve des indépendantistes, des nationalistes et des fédéralistes. Certains caquistes appartiennent à la droite économique pure, d’autres sont plus socio-démocrates. Qu’est-ce qui unit tous ces gens à part un appétit pour le pouvoir? Poser la question revient à y répondre. Cette coalition travaille pour un seul avenir: le sien.

Gouvernement de propriétaires

France-Élaine Duranceau propose la construction de logements modulaires en région. « Il s’agit de projets de multilogements d’une densité moyenne de 24 ou 36 logements, sur deux ou trois étages, qui comprennent des studios ou des logements d’une ou deux chambres à coucher, avec des loyers dits « abordable ». » Rappelons que la définition du mot « abordable » de la ministre n’est pas forcément la même que celle des gens qui doivent payer. Parmi les personnes visées, il y a des gens qui sont propriétaires de leur maison mais qui ne peuvent plus se permettre de l’entretenir parce que le gouvernement vient de couper un programme d’aide qui leur était destiné. Pour réaliser des économies de bouts de chandelle (15 millions, donc moins de trois parties des Kings à Québec), on va forcer des propriétaires à devenir locataires.

Jusqu’où ce gouvernement va-t-il descendre la barre du strict minimum? Et jusqu’où va-t-il lever la barre de la proportion de revenu qu’il est acceptable de consacrer au logement?

Imaginez. Vous passez d’une maison à un 2 1/2. Vous passez d’un 5 1/2 à un studio. Pourtant, vos revenus n’ont pas diminué. Au contraire, vous avez même pris un deuxième emploi parce que vous n’aviez pas le choix pour payer vos factures. Et le gouvernement vous dit: Vous êtes logé. Vous êtes content, non? Que tous aient un toit au-dessus de la tête devrait être un strict minimum, pas un projet de société. Les propriétaires sont de plus en plus riches. Les locataires sont de plus en plus pauvres et leur qualité de vie diminue chaque année. Mais notre étalon de mesure est tellement bas qu’on n’y voit aucun problème. Après tout, c’est le marché! Pour notre gouvernement, l’habitation est un bien marchand comme les autres.

J’ai souvent comparé la CAQ de François Legault à l’Union nationale de Maurice Duplessis. Sur la question du logement, je les comparerais davantage au gouvernement libéral de Louis-Alexandre Taschereau. À une époque où les Québécois payaient l’électricité (produite sur leur propre territoire) deux à trois fois plus cher que les autres provinces, la société civile, les syndicats, les villes et une partie du clergé faisaient pression sur le gouvernement pour intervenir et réglementer l’industrie. Taschereau et ses ministres refusaient de s’attaquer aux compagnies d’électricité dans lesquelles ils avaient de nombreux intérêts. Pour ne donner qu’un exemple: Taschereau lui-même avait été avocat de la compagnie Quebec Power, son fils Paul a repris le mandat après lui et son frère Edmond siégeait sur le conseil d’administration de la compagnie. Les caquistes semblent pris dans un conflit d’intérêts semblable.

La CAQ a toujours été un parti de propriétaires. En 2016, l’Assemblée nationale adoptait presque à l’unanimité la loi Françoise David, ou « Loi modifiant le code civil afin de protéger les droits des locataires aînés ». Il serait dorénavant interdit à un propriétaire de reprendre le logement d’un locataire de 70 ans et plus s’il occupe le logement depuis plus de 10 ans. Ça semble être la décence humaine la plus élémentaire, mais c’était trop pour quatre députés caquistes, qui se sont abstenus au moment du vote. Parmi eux se trouvent Sébastien Schneeberger et Mario Laframboise, qui siègent toujours aujourd’hui. Laframboise disait que cette loi enlève au propriétaire au droit de propriété. Imaginez revendiquer le droit d’expulser des personnes âgées de leur logement parce que votre « droit de propriété » est plus important que leur droit de se loger.

En 2023, l’IRIS (Institut de recherche et d’informations socioéconomiques) nous apprenait que 30% des ministres du gouvernement Legault viennent du monde des affaires, comparativement à 8.7% pour le gouvernement Couillard et 4.2% pour le gouvernement Marois. Ceci explique-t-il cela? Probablement. Ce gouvernement a une vision comptable et strictement économique du devoir de l’État. Assurer un minimum de services essentiels au moindre coût et stimuler le développement économique. C’était la vision du gouvernement il y a 100 ans et c’est celle du gouverneemnt Legault.

Composition du conseil des ministres du gouvernement Legault

Côté logement, le bureau d’enquête du Journal de Montréal nous apprenait en 2023 que 90% des ministres sont propriétaires d’un parc immobilier valant en moyenne 1.6 millions de dollars. C’est quatre fois la valeur du propriétaire moyen au Québec. Ce n’est pas pour rien que le gouvernement Legault a mis des années à reconnaître la crise du logement. Les caquistes ne la vivent pas: ils en tirent profit.

Évidemment, la palme revient à France-Élaine Duranceau, la ministre de la Spéculation immobilière. On ne rappellera jamais assez qu’elle a acheté sa première maison pour 770 000$ en 2006, sans hypothèque. Il est profondément révoltant de voir une personne qui a tout venir constamment nous dire qu’on doit se contenter de moins.

Bref, notre gouvernement n’a aucune idée de ce que vivent les familles qui subissent la crise du logement.

Il s’agit d’un énorme angle mort dans l’éthique de nos gouvernants. Les ministres n’ont techniquement pas le droit de favoriser une entreprise dans laquelle ils auraient des intérêts. Pierre Fitzgibbon nous l’a rappelé plusieurs fois malgré lui. Alors comment qualifier les ministres propriétaires qui s’enrichissent grâce à une crise qu’ils aident à faire perdurer? Une propriété locative est une entreprise. Alors que font les ministres propriétaires si ce n’est favoriser les intérêts de leur entreprise?

Gouvernement de propriétaires

France-Élaine Duranceau propose la construction de logements modulaires en région. “Il s’agit de projets de multilogements d’une densité moyenne de 24 ou 36 logements, sur deux ou trois étages, qui comprennent des studios ou des logements d’une ou deux chambres à coucher, avec des loyers dits « abordable ».” Rappelons que la définition du mot “abordable” de la ministre n’est pas forcément la même que celle des gens qui doivent payer. Parmi les personnes visées, il y a des gens qui sont propriétaires de leur maison mais qui ne peuvent plus se permettre de l’entretenir parce que le gouvernement vient de couper un programme d’aide qui leur était destiné. Pour réaliser des économies de bouts de chandelle (15 millions, donc moins de trois parties des Kings à Québec), on va forcer des propriétaires à devenir locataires.

Jusqu’où ce gouvernement va-t-il descendre la barre du strict minimum? Et jusqu’où va-t-il lever la barre de la proportion de revenu qu’il est acceptable de consacrer au logement?

Imaginez. Vous passez d’une maison à un 2 1/2. Vous passez d’un 5 1/2 à un studio. Pourtant, vos revenus n’ont pas diminué. Au contraire, vous avez même pris un deuxième emploi parce que vous n’aviez pas le choix pour payer vos factures. Et le gouvernement vous dit: Vous êtes logé. Vous êtes content, non? Que tous aient un toit au-dessus de la tête devrait être un strict minimum, pas un projet de société. Les propriétaires sont de plus en plus riches. Les locataires sont de plus en plus pauvres et leur qualité de vie diminue chaque année. Mais notre étalon de mesure est tellement bas qu’on n’y voit aucun problème. Après tout, c’est le marché! Pour notre gouvernement, l’habitation est un bien marchand comme les autres.

J’ai souvent comparé la CAQ de François Legault à l’Union nationale de Maurice Duplessis. Sur la question du logement, je les comparerais davantage au gouvernement libéral de Louis-Alexandre Taschereau. À une époque où les Québécois payaient l’électricité (produite sur leur propre territoire) deux à trois fois plus cher que les autres provinces, la société civile, les syndicats, les villes et une partie du clergé faisaient pression sur le gouvernement pour intervenir et réglementer l’industrie. Taschereau et ses ministres refusaient de s’attaquer aux compagnies d’électricité dans lesquelles ils avaient de nombreux intérêts. Pour ne donner qu’un exemple: Taschereau lui-même avait été avocat de la compagnie Quebec Power, son fils Paul a repris le mandat après lui et son frère Edmond siégeait sur le conseil d’administration de la compagnie. Les caquistes semblent pris dans un conflit d’intérêts semblable.

La CAQ a toujours été un parti de propriétaires. En 2016, l’Assemblée nationale adoptait presque à l’unanimité la loi Françoise David, ou “Loi modifiant le code civil afin de protéger les droits des locataires aînés”. Il serait dorénavant interdit à un propriétaire de reprendre le logement d’un locataire de 70 ans et plus s’il occupe le logement depuis plus de 10 ans. Ça semble être la décence humaine la plus élémentaire, mais c’était trop pour quatre députés caquistes, qui se sont abstenus au moment du vote. Parmi eux se trouvent Sébastien Schneeberger et Mario Laframboise, qui siègent toujours aujourd’hui. Laframboise disait que cette loi enlève au propriétaire au droit de propriété. Imaginez revendiquer le droit d’expulser des personnes âgées de leur logement parce que votre “droit de propriété” est plus important que leur droit de se loger.

En 2023, l’IRIS (Institut de recherche et d’informations socioéconomiques) nous apprenait que 30% des ministres du gouvernement Legault viennent du monde des affaires, comparativement à 8.7% pour le gouvernement Couillard et 4.2% pour le gouvernement Marois. Ceci explique-t-il cela? Probablement. Ce gouvernement a une vision comptable et strictement économique du devoir de l’État. Assurer un minimum de services essentiels au moindre coût et stimuler le développement économique. C’était la vision du gouvernement il y a 100 ans et c’est celle du gouverneemnt Legault.

Composition du conseil des ministres du gouvernement Legault

Côté logement, le bureau d’enquête du Journal de Montréal nous apprenait en 2023 que 90% des ministres sont propriétaires d’un parc immobilier valant en moyenne 1.6 millions de dollars. C’est quatre fois la valeur du propriétaire moyen au Québec. Ce n’est pas pour rien que le gouvernement Legault a mis des années à reconnaître la crise du logement. Les caquistes ne la vivent pas: ils en tirent profit.

Évidemment, la palme revient à France-Élaine Duranceau, la ministre de la Spéculation immobilière. On ne rappellera jamais assez qu’elle a acheté sa première maison pour 770 000$ en 2006, sans hypothèque. Il est profondément révoltant de voir une personne qui a tout venir constamment nous dire qu’on doit se contenter de moins.

Bref, notre gouvernement n’a aucune idée de ce que vivent les familles qui subissent la crise du logement.

Il s’agit d’un énorme angle mort dans l’éthique de nos gouvernants. Les ministres n’ont techniquement pas le droit de favoriser une entreprise dans laquelle ils auraient des intérêts. Pierre Fitzgibbon nous l’a rappelé plusieurs fois malgré lui. Alors comment qualifier les ministres propriétaires qui s’enrichissent grâce à une crise qu’ils aident à faire perdurer? Une propriété locative est une entreprise. Alors que font les ministres propriétaires si ce n’est favoriser les intérêts de leur entreprise?

Mesdames, souriez et soyez douces

Mon prochain livre, « L’exode politique des femmes », explore les raisons pour lesquelles les femmes sont plus nombreuses que les hommes à quitter volontairement la politique. En voyant les réactions à l’arrivée de Ruba Ghazal comme chef parlementaire de Québec solidaire, j’observe la manifestation d’un des principaux irritants pour les femmes en politique: ce double standard qui leur demande de faire de la politique comme des hommes tout en restant « des femmes ».

Des sources internes de Québec solidaire se sont confiées au bureau parlementaire du Journal de Québec pour se plaindre de la nouvelle porte-parole: « Dès les premières heures suivant la démission de Gabriel Nadeau-Dubois, les manœuvres politiques de Ruba Ghazal ont causé un malaise à l’interne, alors qu’elle vient tout juste d’être nommée cheffe parlementaire de Québec solidaire. » Dès les premières heures. GND a été co-porte-parole de Québec solidaire pendant 6 ans et chef parlementaire pendant 2 ans avant que la première plainte sur son attitude soit rendue publique sous la forme du livre de Catherine Dorion, une plainte vivement critiquée de l’intérieur. Ruba Ghazal a été co-porte-parole 4 mois et chef parlementaire quelques heures avant que les « sources internes » étalent leur malaise sur la place publique.

Les sources internes ne sont visiblement pas les seules à éprouver un malaise. Aux Mordus de politique (RDI), Michelle Courchesne nous dit que Ruba Ghazal est trop agressive. Un autre reproche typiquement adressé aux femmes. On ne se pose pas de question quand un homme politique est agressif. C’est attendu de nous. Ça fait partie de nous. Ça montre qu’on croit en nos idées. Gaétan Barrette était critiqué pour son attitude « bulldozer », mais c’était pratiquement tourné à la blague dans les médias. Ça faisait partie de son personnage. Je ne me souviens pas avoir entendu reprocher à GND, PSPP ou Yves-François Blanchet d’être trop agressifs dans leurs attaques envers le gouvernement qu’ils critiquent. Et pourtant on sait qu’ils en sont capables.

La palme revient à un autre analyste, Dimitri Soudas, qui a dit que Mme Ghazal « devrait sourire un peu ». Bien sûr. À l’image de GND et PSPP, connus pour avoir le sourire aux lèvres lorsqu’ils prennent la parole. Vous souvenez-vous avoir déjà entendu dire d’un politicien qu’il devrait sourire? Philippe Couillard et Stephen Harper étaient réputés pour leur froideur, mais ça n’a jamais été présenté comme un défaut. C’était simplement la manifestation de leur personnalité rationnelle.

Quand je pense aux personnalités publiques accusées d’être autoritaires, je pense instinctivement à Pauline Marois. Les péquistes ont beaucoup critiqué la façon dont elle et sa cheffe de cabinet, Nicole Stafford, exerçaient leur autorité. On n’a pas beaucoup entendu cette critique sur les anciens chefs du PQ, Jacques Parizeau, Lucien Bouchard, Bernard Landry, qui n’étaient pourtant pas connus pour leur recherche du consensus.

Je pense aussi à Martine Ouellet, quant à elle accusée d’être « incapable de travailler en équipe ». Un autre reproche exclusif aux femmes cheffes. Les hommes n’ont pas besoin de travailler en équipe. Les hommes disent dans quelle direction avancer et on avance.

Bref, on voudrait que les femmes politiciennes se comportent « comme des femmes ». Qu’elles soient douces et agréables à regarder. Parce qu’une femme qui se fâche, c’est très laid. MAIS! On ne veut pas non plus qu’elles ne soient TROP féminines. On ne veut pas les voir pleurer: ça indique une faiblesse de caractère. Elles ne doivent pas non plus être trop belles: on les accusera de faire du charme, ou pire, d’avoir couché avec la bonne personne. Elles ne doivent pas élever la voix: On les accusera d’être hystériques. Mais elles ne doivent pas non plus être trop douces: On dira qu’elles sont incapables de s’affirmer. Par contre que je n’en vois pas une mettre le poing sur la table: On ne veut surtout pas d’une femme agressive et autoritaire.

Les femmes en politique peuvent bien ne plus savoir sur quel pied danser. Qu’est-ce qu’on attend d’elles, au juste? Quel genre de politiciennes est-ce qu’on veut? À voir toutes les critiques contradictoires qui leur sont réservées, j’aurais envie de conclure: On ne veut pas de femmes en politique. Des femmes qui exercent le pouvoir, ça nous dérange. On trouvera toujours une raison de les attaquer, même si leurs collègues masculins font pire.

C’est beau de dire qu’on veut plus de femmes en politique, qu’on veut encourager les femmes à se présenter, que les femmes doivent prendre leur place. Mais ce serait encore mieux de prendre conscience de nos biais et de faire un minimum d’effort pour les combattre.

Pourquoi je ne vote pas pour le Bloc

Un texte un peu plus personnel qu’à l’habitude. À chaque élection on me demande de me justifier, donc cette fois je prends les devants.

La prochaine élection fédérale va vraisemblablement suivre le même scénario que toutes les autres:
1) Le Bloc lance un appel à tous les indépendantistes
2) Le Bloc flatte les nationalistes conservateurs pour obtenir leur vote
3) Les indépendantistes progressistes sont dégoûtés et choisissent de ne pas voter pour le Bloc
4) Le Bloc et le PQ passent les 4 années suivantes à se plaindre des progressistes (en particulier Québec solidaire) qui ne sont pas de « vrais » indépendantistes

Voici donc pourquoi, personnellement, je ne voterai pas pour le Bloc aux élections fédérales de 2025.

Le passif du Bloc
À chaque élection, on déterre des publications islamophobes de candidats du Bloc québécois. On peut se demander si les arbres cachent la forêt. De plates excuses de la part du chef et des principaux concernés ne changent rien au fait que les textes en question ont été publiés et qu’ils nous en disent long sur la vision qu’ont les auteurs de leurs concitoyen(ne)s musulman(e)s.

En 2019, Yves-François Blanchet a présenté des excuses pour les « propos inappropriés » présentés par plusieurs bloquistes, mais a refusé de les exclure parce que « la décision appartient aux électeurs ». On peut en déduire que Blanchet est un démocrate et qu’il sait pardonner. Mais souvenons-nous qu’en 2023, Blanchet a réclamé la démission d’Amira Elghawaby, responsable fédérale de la lutte à l’islamophobie, en raison d’une publication sur la loi 21. Ce que je comprends de ce double standard, c’est que des excuses suffisent pour se faire pardonner d’avoir dit craindre que les femmes « soient bientôt obligées de se mettre un voile sur la tête pour aller faire des courses au IGA sous peine de se voir jeter en prison » (Caroline Desbiens) ou que « l’islam est une maladie » (Claude Forgues), mais en revanche affirmer que la majorité des Québécois sont influencés par un « sentiment antimusulman » est impardonnable et doit conduire à une démission. Autrement dit, l’islamophobie exacerbée est pardonnable, mais dénoncer l’islamophobie de façon exacerbée ne l’est pas.

Ça s’ajoute au discours qui présente souvent l’immigration comme une menace. J’ai encore en travers de la gorge la publicité du Bloc de 2023 et le discours d’Alexis Brunelle-Duceppe qui présentaient le chemin Roxham comme un « tout inclus » et les réfugiés comme des gens qui viennent au Québec pour profiter des services gratuits. Un discours condamné unanimement par l’Assemblée nationale, mais on ne peut pas toujours pardonner et oublier. Le passé est garant de l’avenir et rien ne me permet de croire que la philosophie du Bloc a changé.

L’épiderme sensible du Bloc
À l’instar de son grand frère provincial, le Bloc voit partout des attaques ciblées contre le Québec, ce qui le rend complètement insensible à tout ce que peuvent vivre d’autres groupes. En 2021, le Bloc était le seul parti fédéral à refuser de reconnaître l’existence du racisme systémique… dans la GRC. La GRC, cette fière institution québécoise. Idem pour le féminisme intersectionnel, approche officielle du secrétariat de la Condition féminine depuis 2007, mais que Blanchet considère comme « une arme d’Ottawa contre le Québec« . L’ironie c’est que même le gouvernement Marois, auquel appartenait Blanchet, n’avait pas désavoué l’approche intersectionnelle. Et le poste de responsable de la lutte contre l’islamophobie? « Une dénonciation de l’identité et des valeurs québécoises« .

Quand j’entends ce genre de discours, je pense à un enfant jaloux qui s’imagine perdre quelque chose chaque fois qu’un adulte accorde de l’attention à un autre enfant. Manifestement le Bloc considère que tout intérêt accordé à une minorité autre que les francophones est une attaque contre le Québec.

Je vais quand même donner un bon point au chef du Bloc: Il n’affiche pas l’anti-wokisme primaire de son homologue péquiste. Reste que dans la lutte contre les nombreuses formes de discrimination, il fait plus souvent partie du problème que de la solution. Si les nationalistes conservateurs veulent nous convaincre qu’ils ne sont pas racistes, islamophobes ou homophobes, il faudrait peut-être arrêter d’être les premiers à japper chaque fois qu’on parle de lutter contre le racisme, l’islamophobie ou l’homophobie.

La loi 21
Oui, encore la loi 21. Je le disais en 2019 et je le redis encore aujourd’hui. Une position cohérente avec la prétention du Bloc de défendre les intérêts du Québec et celle de réunir tous les indépendantistes aurait été de simplement défendre le droit du Québec de faire ses propres lois. Voilà une position que j’aurais pu endosser. Mais du moment où le Bloc choisit de défendre la loi 21 sur le fonds et d’en faire un fondement de notre identité culturelle, je refuse de l’appuyer. Les enseignantes qui portent le voile ne menacent pas ma culture et je refuse de les identifier comme de mauvaises citoyennes. Le parti qui tient ce discours n’aura jamais mon appui.

Le petit frère du Parti québécois
Ce n’est pas un secret pour les gens qui me connaissent. Je vote pour Québec solidaire depuis 2014. Pourquoi est-ce que j’appuierais un parti fédéral qui va travailler contre mon candidat aux prochaines élections provinciales?

Stratégiquement pour le Bloc, le choix se défend. Les sondages donnent beaucoup plus d’appuis au PQ et à la CAQ qu’à QS, donc ça semble logique de courtiser l’électorat des deux premiers. Mais si le Bloc choisit d’être l’aile fédérale du Parti québécois, il ne faut pas s’étonner que les électeurs solidaires ne l’appuient pas. On ne peut pas être à la fois le parti de tous les indépendantistes ET le porte-voix du PQ.

« Oui mais le Bloc est le seul parti à défendre les valeurs québécoises! »
Je ne sais si les valeurs du Bloc sont les valeurs québécoises, mais ce ne sont pas les miennes. Ma culture n’est menacée ni par les enseignantes voilées, ni par les réfugiés, ni par le féminisme intersectionnel, ni par la lutte au racisme systémique ou à l’islamophobie. « Votez pour un parti qui vous ressemble », disait le Bloc en 2019, une attaque à peine voilée contre Jagmeet Singh. Le Bloc ne me ressemble pas.

Personnellement, je vote avec mes convictions. Et le Bloc contredit beaucoup trop d’entre elles pour que je lui accorde mon vote.

PSPP VS les « idéologues »

Hier le chef du Parti québécois m’a adressé le commentaire suivant: « Le microcosme de votre page est l’un des plus symptomatiques de la malhonnêteté, de la faiblesse intellectuelle et du militantisme à outrance chez certains universitaires, et de la perte de crédibilité qu’elles pourront engendrer à moyen terme. » Cette phrase illustre une dérive qui m’inquiète profondément et qui s’affirme un peu plus chaque jour dans le discours de M. Plamondon. En gros, toutes les personnes qui osent le contredire sont malhonnêtes et militantes. Sa dernière controverse en ligne le montre bien.

Le 6 mars, Rima Elkouri publiait une chronique sur la lutte contre les politiques d’équité, diversité et inclusion (EDI) qui font la fierté de la nouvelle administration Trump, qui sert évidemment de prétexte pour concentrer le pouvoir entre les mains d’une petite clique de milliardaires amis du nouveau président tout en prétendant rendre le pouvoir aux hommes blancs qui ont été « brimés ». La deuxième moitié de la chronique détaille la recrudescence du mouvement anti-EDI au Québec. Rima Elkouri mentionne que le chef du PQ et le chroniqueur Joseph Facal font partie de ceux qui discréditent l’EDI comme une « politique woke » qui créerait de l’exclusion et exacerbe l’intolérance.

Plamondon a réagi en accusant Elkouri de l’associer à Donald Trump et à l’extrême droite. J’ai beau relire la chronique dans tous les sens, je ne vois pas comment on peut arriver à cette conclusion. Le sujet de la chronique n’était ni Donald Trump, ni Paul St-Pierre Plamondon, mais l’opposition idéologique à l’EDI. Ou comme dit Plamondon, aux « charlatans de l’EDI ». Comprendre ici qu’on ne peut pas défendre l’EDI sans être malhonnête ou militant.

Plamondon se défend en citant Joseph Facal. Facal, ce diplômé en sciences politiques et en sociologie qui s’est improvisé endocrinologue et expert en boxe olympique pour s’acharner sur la boxeuse Imane Khelif l’été dernier, cet anti-woke qui s’invente des amis imaginaires noirs pour critiquer l’anti-racisme (« Un courriel surgi de nulle part », JdeM, 6 mai 2021), est visiblement une caution intellectuelle pour le chef du PQ. Son utilisation dans ce cas-ci est particulièrement risible. Comme Plamondon, Facal prétend défendre « la réalité ». Il cite Olivier Sibony, professeur à HEC Paris et Oxford, pour montrer que les politiques d’EDI sont inefficaces et utilise cet exemple pour montrer qu’Elkouri et les autres personnes défendant l’EDI sont des idéologues. Vanessa Destiné, qui est allée se renseigner à la source contrairement à PSPP et Facal, montre qu’au contraire Sibony défend les politiques d’EDI. Je me demande si Sibony vient de passer de référence sérieuse à idéologue dogmatique dans l’estime de Plamondon et Facal.

Je le redis: PSPP fait absolument tout ce qu’il reproche aux « wokes », en particulier lorsqu’il emploie des étiquettes comme wokes, idéologues et charlatans. Je pourrais aussi ajouter l’étiquette « militant », qui est infamante à ses yeux dès qu’elle ne concerne pas un militant du Parti québécois. Son discours est problématique parce qu’il discrédite d’emblée toute contradiction. Plamondon se présente comme un chef posé, rationnel et attaché aux faits tandis que tous les journalistes, intellectuels et chercheurs qui le contredisent sont des militants et des idéologues.

Plamondon rejoint Éric Duhaime et Pierre Poilièvre parmi les chefs politiques où la Vérité avec un grand V se limite à ce qui confirme leur discours. Dans un article publié dans Pivot le mois dernier, Sam Harper a bien montré comment le chef du PQ accepte comme étant vraies des informations sans aucun fondement glanées sur le web à propos de prétendues dérives du wokisme.

Plamondon promet que son gouvernement « va se réapproprier démocratiquement le contenu en éducation ». Comment est-ce qu’on se réapproprie « démocratiquement » le contenu en éducation? En mettant sur un pied d’égalité le citoyen moyen et le professeur d’université qui a passé 20 ans à étudier un sujet spécifique? Sur ce point le PQ rejoint le gouvernement de la CAQ, qui considère que le développement urbain devrait se baser sur les sondages plutôt que sur les études de firmes d’urbanisme. Mais le mandat d’un chercheur n’est pas d’obtenir des résultats conformes à l’opinion publique ou au programme du gouvernement. Et soyons honnêtes, un projet de recherche mené par une chaire universitaire devrait avoir plus de valeur qu’un mémoire de citoyen qui a fait ses recherches sur Youtube. Quand je suis malade, je préfère être soigné par un médecin d’expérience que par mon voisin qui me dit que « Voyons c’est évident ton problème! »

Il n’y a pas si longtemps, tous les partis vantaient l’importance de la liberté académique. Aujourd’hui on a un chef qui promet d’encadrer davantage les universités et de s’attaquer au « monopole » des « idéologues ». Le terme « idéologue » ayant une définition aussi vague que le terme « woke » dans la bouche du chef péquiste, il y a de quoi s’inquiéter.

Le chef du Parti québécois s’enfonce chaque jour un peu plus dans un sectarisme inquiétant. En discréditant d’emblée toute contradiction comme le fait d’idéologues, Plamondon empêche le débat démocratique. Il n’est pas possible d’avoir un débat d’idées sain lorsqu’on considère que la seule vérité est celle du chef.

Le défi du ministre Drainville

Bernard Drainville fait face à un énorme défi. Il doit empêcher la montée du communautarisme dans les écoles de Montréal pour éviter d’autres cas comme celui de l’école Bedford. C’est une situation complexe en soi, mais en plus il doit le faire en pleine course vers l’équilibre budgétaire. Or, comme notre gouvernement nous a déjà montré qu’aucun service ne serait épargné, on peut s’attendre à ce que nos écoles perdent des ressources dans les prochaines années. Autrement dit, le ministre devra chercher à faire plus avec moins, voire beaucoup moins.

La solution du ministre? Interdire le port de signes religieux pour le personnel non-enseignant. Une solution qui présente plusieurs avantages:
1) C’est gratuit
2) Ça flatte la base nationaliste conservatrice de la CAQ
3) Ça va attirer l’attention du débat public et par conséquent éviter qu’on parle trop de l’immense échec du gouvernement Legault en matière d’éducation

Difficile de ne pas être cynique devant une pareille comédie. Qu’est-ce qu’on pense régler, exactement? Aucun des enseignants suspendus à l’école Bedford ne porte un signe religieux ostentatoire. En quoi l’interdiction du voile pour les éducatrices en service de garde aurait changé quelque chose à ce qui s’est passé dans cette école? « Le gouvernement a interdit le port du voile au service de garde. Nous allons devoir arrêter de pratiquer la ségrégation des sexes dans nos classes. » Non, je ne pense pas que ça fonctionne comme ça.

Le problème n’est pas que les lois existantes ne sont pas assez sévères. Dans le cas de Bedford, le problème est que:
1) Les lois existantes n’ont pas été appliquées par la direction ou par le centre de service scolaire
2) Les enseignants n’ont pas été suivis après leur entrée en poste (faute de moyens, probablement)
3) La formation des maîtres est déficiente.

Pour combler la pénurie d’enseignants, on abaisse les standards. Il est donc très possible que les nouveaux enseignants se retrouvent en poste mal préparés. Mal préparés à s’intégrer au système d’éducation et mal préparés à tenir tête à des collègues ayant un agenda. Si en plus les directions des écoles et des CSS laissent les enseignants à eux-mêmes, on met en place toutes les conditions pour que l’histoire de Bedford se reproduise.

Le ministre se plaint également des congés pour motif religieux: « Quand vous avez le quart des enseignants qui partent en même temps en congé religieux, imaginez l’impact que ça a sur la qualité de l’enseignement pour les élèves dans l’école. » Si les congés de Noël et de Pâques n’étaient pas institutionnels, combien de demandes de congé y aurait-il pendant ces périodes? Soyons honnêtes: on ne peut pas conserver les congés de Pâques et de Noël et ensuite se plaindre que des enseignants musulmans prennent des congés pour des fêtes religieuses. Si on veut être cohérent, il faudrait au minimum remplacer le congé de Pâques par un congé fixe qui ne dépendrait pas du calendrier des fêtes chrétiennes. Autrement, qu’on arrête de se faire croire que la laïcité signifie la neutralité religieuse. Le premier ministre pourrait donner l’exemple en cessant de transmettre ses voeux à Pâques tout en ignorant la Pessa’h et le Ramadan.

Si on veut éviter le communautarisme et la radicalisation, commençons par faire ce qu’il faut pour garder les enseignants dans le réseau et pour en recruter des nouveaux. Avec plus d’élèves par classe chaque année, les enseignants ont de moins en moins l’occasion de nouer une relation avec leurs élèves. Ça ne doit sûrement pas aider. Donnons des ressources aux écoles. Depuis le gouvernement Couillard, les psychologues, les psychoéducateurs, les techniciens en éducation spécialisée et autres ressources d’aide à l’enseignement sont considérés comme un luxe dont idéalement les écoles doivent se passer.

Je sais que je formule ici un voeu pieux. Le gouvernement est en mode réduction de dépenses. Et l’éducation est une dépense (contrairement aux baisses d’impôts et au financement des multinationales, qui sont des investissements, comme chacun sait). Ce n’est pas demain que le gouvernement va injecter de l’argent neuf dans notre système d’éducation. Au contraire il faut s’attendre à ce que les ressources des écoles diminuent encore dans les prochaines années.

M. Drainville n’est pas un imbécile. Il sait bien qu’empêcher une éducatrice ou une bibliothécaire de porter un foulard ne va rien changer (excepté pour les principales concernées). Pire, comme préviennent les syndicats, on va probablement agraver le problème déjà criant de la pénurie de main d’oeuvre. Mais le gouvernement voit venir la prochaine campagne électorale et il faut attirer l’attention ailleurs. Et ce gouvernement est devenu expert dans l’art d’attirer l’attention sur « l’autre ».

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